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Mare aux crocodiles sacrés de Bazoulé : Mythe et mystères d’un site touristique

Publié le mercredi 16 septembre 2009 à 04h04min

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Le village de Bazoulé, à une trentaine de kilomètres à l’Ouest de Ouagadougou, abrite un site touristique, la mare aux crocodiles sacrés. Vénérés par les habitants depuis la nuit des temps, les crocodiles disposeraient de pouvoirs extraordinaires.

En saison pluvieuse, le village de Bazoulé est “noyé” dans un écrin de verdure. Partout, l’herbe est verte, le mil, le maïs, l’arachide poussent bien. Les paysans s’attellent aux travaux champêtres. La mare s’étend au Nord du village. L’air frais crée des vaguelettes qui viennent mourir sur les berges. Au milieu de cette étendue laiteuse et ridée on aperçoit de temps en temps des crocodiles faire surface pour prendre un bain de soleil. Comme un joyeux concert, le gazouillement des oiseaux se relaie sur les cimes des arbres. Tel est le spectacle merveilleux qui s’offre aux touristes. Mais combien savent-ils que cette mare est entourée de mystères ?

Pour lever un coin du voile, nous nous rendons au palais du chef de Bazoulé, une bâtisse de style soudano-sahélien située à environ 500 m de la mare. Naaba Kiiba vêtu d’un boubou blanc, coiffé de son bonnet de chef nous reçoit entouré de toute sa cour, sur l’esplanade qui sert de salle d’audience. “Nos ancêtres vivaient en bonne entente avec les crocodiles et les ont pris comme totem. Ils allaient implorer les crocodiles pour de bonnes récoltes, le bien-être de la famille, la santé”, souligne Naaba Kiiba. Les premiers habitants de Bazoulé seraient venus trouver les crocodiles. Selon la légende, ces grands reptiles sont tombés du ciel avec une pluie, il y a plus de 570 ans au cours du règne du Moogho Naaba Kouda dont l’un des enfants a fondé Bazoulé.
La population à l’époque souffrait déjà du manque d’eau et devait parcourir 10 à 15 km pour s’en approvisionner dans les villages de Dondoulma, Nabitenga ou Ouelglega. Quand les crocodiles sont apparus, ils ont creusé un grand trou sous des buissons pour y faire leur repaire. L’endroit se transforma en mare où l’eau ne tarit jamais.
Lors de certains événements, les “protecteurs du village” se manifestent par des signes.

“Quand il y a des bonnes nouvelles, ou au contraire des malheurs qui vont s’abattre sur le village, on peut le savoir à travers l’attitude des crocodiles”, soutient le chef coutumier de Bazoulé. Par exemple, avant le décès d’un vieux, un crocodile peut se déplacer et se présenter dans sa famille. Le soir venu, les crocodiles de la mare peuvent également mugir aussi fort que des vaches, en battant leurs queues contre l’eau.
Les crocodiles font l’objet d’un véritable culte. Chaque année, une grande fête de joie et de reconnaissance appelée “Koom-lacré” est organisée. Le Goog Naaba est chargé des sacrifices rituels. Laissant la fête populaire, les sacrificateurs se rendent dans un bosquet sacré au Sud-Ouest de la mare, formellement interdit aux non initiés encore moins aux touristes. Là se trouve un crocodile énigmatique qui porte des cauris sur la tête. Même au sein des initiés, très peu de gens l’ont déjà vu. Dans ce bosquet sacré, le Goog Naaba immole un âne, un bouc et un coq donnés par le chef de Bazoulé. Par ailleurs, quand un vieux crocodile meurt, il a droit à des funérailles, mais quand c’est un jeune, il est enterré sans cérémonie.

Elèves, étudiants, couples à la recherche d’enfant viennent implorer les crocodiles

Si le premier lieu sacré, la “source”, est exclusivement réservé aux initiés, il existe à l’Est de la mare, un deuxième lieu ouvert à la population et aux touristes. Il est constitué de pierres sacrées. Nous y sommes conduits par Lassané Kaboré, un des sages de Bazoulé.
Il explique que ce lieu est très fréquenté surtout les vendredi. Des élèves et étudiants qui veulent réussir leurs examens ou concours, aux couples à la recherche d’enfant, des malades qui veulent recouvrer la santé, en passant par des commerçants en quête de prospérité, beaucoup viennent implorer les crocodiles. Chacun achète un poulet pour le faire immoler sur les pierres sacrées.
Selon Lassané Kaboré, au moment du sacrifice on peut savoir si le vœu sera exaucé ou pas à travers la position du poulet. “Si le poulet retombe sur le dos, il n’y a pas de doute, le vœu sera exaucé”, précise-t-il. Le demandeur fait la promesse de revenir si son désir est réalisé.

“Tu promets dans ton cœur d’offrir quelque chose à la pierre-fétiche si ton vœu est exaucé. Mais si ça réussit, il faut vraiment revenir, sinon tu auras d’autres problèmes”, s’est exprimé ainsi le sage Kaboré. Il explique que des gens ont fait plus de 10 ans mais sont revenus honorer leur promesse parce qu’ils “avaient chaud”. Le don n’est pourtant pas compliqué dit-il, il peut s’agir aussi bien d’un mouton, d’un bœuf que d’un poulet tout dépend de ce que l’intéressé a promis au moment du sacrifice. Le retour est soumis à une procédure : “la personne doit revenir dire au chef, qui délègue un vieux pour aller honorer la promesse faite à la pierre”. De plus, à propos de la manifestation des crocodiles à l’occasion de certains événements, Lassané Kaboré a relaté une foule de souvenirs concernant surtout des décès de vieux et des noyades.
En outre, le sage précise que “Si un crocodile se présente dans une famille, on lui offre du zoom-koom (boisson faite de farine de mil). S’il refuse, c’est que l’heure est grave. Mais s’il boit, c’est que c’est une bonne nouvelle”.

ous avons recueilli d’autres sons de cloche sur des vœux exaucés. Selon Robert Dolbzanga, enseignant à Bazoulé depuis des années, beaucoup de gens viennent remercier la pierre. Il cite en particulier le cas d’un Tchadien qui, depuis 25 ans, n’arrivait pas à avoir d’enfant.
“Je l’ai vu. Il est revenu faire le sacrifice promis parce que son vœu de pouvoir engendrer s’est réalisé”, affirme M. Dolbzanga. Tout récemment, il évoque un jeune revenu des Etats-Unis pour honorer la pierre.
Alassane Kéré, journaliste a découvert Bazoulé quand il était étudiant.
“C’était dans le cadre des études en option Esthétique littéraire et artistique négro-africaine (ELAN) dirigées par le Pr Salaka Sanou. En 2003, on partait étudier les masques et on a fait une visite à Bazoulé”, se souvient -il. Par la suite, Alassane Kéré a assisté à des cérémonies de “Koom-lacré”. “Ce jour-là, les gens viennent de partout, même de l’extérieur du Burkina Faso pour remercier les crocodiles”, témoigne-t-il. “Si vous ne venez pas tôt, vous ne pouvez pas vous approcher de la mare, tant il y a du monde”, poursuit M. Kéré.
La fête des crocodiles ne représente pourtant que la partie émergée des mystères de Bazoulé. A entendre les sages, il existe d’autres traditions qui ne doivent pas être révélées.

Bachirou NANA


L’origine du nom Bazoulé

Les habitants de Bazoulé sont des descendants de Naaba Kouda qui a régné de 1 358 à 1 400. Il eut quatre enfants de la même épouse :
- La première fille qui s’appelait Wemba devint la femme du chef de Zongo, village voisin à l’Ouest de Ouagadougou. - L’aîné des garçons partit pour Riziam dans le Yatenga.
- Le deuxième partit à l’aventure et fonda le village de “Lallé” dans la province du Bulkiemdé. - Le benjamin alla avec son aîné à Riziam.
Après, il retourna chez leur père, Naaba Kouda avec la femme que lui a donnée en mariage l’aîné.
La grande sœur Wemba et son mari s’étant séparés, elle revint chez son père. Naaba Kouda donna à sa fille un trône et lui accorda de s’installer en brousse dans un lieu qui porte le nom de “gounsi-yiri-naaba”. Le benjamin rejoignit par la suite sa sœur. A la mort de celle-ci, Naaba Kouda accepte que le benjamin hérite du pouvoir de sa sœur. Mais, il lui demande : “Si tu succèdes à ta grande sœur, te sens-tu capable de gouverner malgré ton jeune âge ? le fils réplique au père : “Comme je ne suis pas bête, je pourrai”. Ce qui se traduit en mooré par : “m’pa zolg yé”.
Et son père lui donna le pouvoir. Lors de son intronisation, le benjamin nomma son territoire “Pa zolog tenga” qui, au fil du temps, devint par déformation “Bazoulé”.

B. N

Sources : Des sages de Bazoulé


Raphaël Kaboré, guide touristique

On le voit fréquemment arpenter les berges de la mare de Bazoulé, tenant un ou plusieurs poulets dans une main et un bâton dans l’autre. Le jeune Raphaël Kaboré 22 ans fait partie de la dizaine de guides touristiques. “Le poulet, c’est pour faire sortir les crocodiles hors de l’eau et le bâton c’est pour les maîtriser afin qu’ils restent calmes”, indique t-il. Raphaël Kaboré a étudié jusqu’en classe de 5e, mais le métier de guide, il ne l’a pas appris.
“C’est naturel, je suis un enfant du village. Quand j’étais petit, on nageait dans la mare. Les crocodiles, on les connaît”, sourit-il. A l’en croire, c’est un métier qui nourrit son homme, surtout pendant les vacances. Chaque visiteur doit d’abord acheter un poulet à 1000 F, que le guide prélève de son poulailler. Pour la visite, les enfants de 7 à 12 ans paient 250 F et les adultes 1000 F. “Il y a des groupes de touristes qui peuvent acheter 5 à 10 poulets pour mieux contempler les crocodiles”, confie Raphaël Kaboré.
A Bazoulé, d’autres activités sont liées au tourisme comme la sculpture, la peinture sur batik, la vente de divers objets d’art et de souvenir. L’activité touristique permet de réduire le chômage dans cette localité.

B.N


La réhabilitation, source de lendemain meilleur

Des travaux sont en cours pour donner un nouveau visage ou site touristique de Bazoulé. Débutés au mois de juillet 2009, ils s’étendront sur 24 mois. La digue a été reconstruite pour plus de sécurité. En effet, plus de 100 crocodiles vivent dans la mare et lors des fortes pluies, beaucoup de petits étaient emportés par le courant. Selon Aziz Héma, le point focal du ministère de la Culture, du Tourisme et de la Communication, le projet de réhabilitation a reçu un appui financier de 73 000 dollars US environ 32 millions de F CFA de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT). Outre la reconstruction de la digue, il est prévu entre autres, l’aménagement et l’extension du complexe hôtelier, la rénovation du palais royal et sa transformation partielle en musée. Toute chose dont se réjouit le président de l’Association tourisme et développement (ATD) de Bazoulé Alphonse Kaboré. “L’association a été créée en 1999. Nous avons vu qu’il était vraiment très utile de s’organiser pour accueillir les touristes, leur faire découvrir la mare aux crocodiles, la vie du village et toutes ses attractions”, révèle-t-il.
L’ATD est structurée en équipes dont celles des guides, des artistes, de la gestion du campement et de l’entretien de la mare. Grâce à leurs différents soutiens, les membres de l’association ont fait comprendre aux habitants de Bazoulé les avantages qu’ils peuvent tirer du tourisme.

La réhabilitation du site est très bien accueillie aussi bien par la chefferie coutumière, les membres de l’ATD que par la population.
“Quand on créait l’association, ça n’a pas été facile, mais on savait qu’il fallait tenir pour que le ministère nous soutienne un jour”, confie Alphonse Kaboré.
L’impact économique du tourisme est palpable à Bazoulé. Depuis sa création, l’ATD a pu construire des infrastructures d’accueil, une école informelle. Elle a aussi reparé des forages, construit des infrastructures au profit du marché.
L’ATD soutient également l’équipe de football et les associations de jeunesse. Selon le mot de Lassané Kaboré qui nous a conduits à la mare, “à Bazoulé, on courait à 2 km/h, mais grâce au tourisme on est maintenant à 100 km/h”.
Avec la réhabilitation, de belles perspectives s’ouvrent pour Bazoulé. La proximité avec la capitale Ouagadougou devrait booster davantage l’activité touristique et les affaires.

B.N.

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