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PROFESSEUR MAHAMADE SAVADOGO, enseignant-chercheur de philosophie à l’université de Ouagadougou : "Mon souhait, c’est l’alternance radicale au Burkina"

Publié le mardi 1er septembre 2009 à 01h53min

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Agrégé en 1988, docteur en 1992 et professeur titulaire de philosophie en 2002, Pr Mahamadé Savadogo, né en 1963, fait sans conteste partie de ceux à qui s’applique la citation selon laquelle "aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années". Enseignant-chercheur à l’université de Ouagadougou, au département de Philosophie/Psychologie, il est auteur de plusieurs ouvrages philosophiques dont le dernier, paru chez L’Harmattan, est Pour une éthique de l’engagement. L’existence et l’éthique de l’engagement, il en a été question lors de l’entretien que nous a accordé, à notre Rédaction, l’initiateur du Manifeste pour la liberté, un mouvement d’intellectuels engagés. Au sujet de la vie politique de la nation, l’on retiendra que le professeur se dit favorable à un renouvellement de la classe politique burkinabè.

"Le Pays" : En tant qu’universitaire, que pensez-vous de la situation de l’année académique 2008-2009 au Burkina Faso ?

Pr Mahamadé Savadogo : Un nouveau calendrier a été proposé pour permettre de sauver l’année académique, et selon lequel les cours reprennent en début septembre. Ils devront aller jusqu’en fin novembre, et à partir de début décembre, nous prenons la deuxième partie de nos congés. Au départ, il y avait des réticences par rapport à ce calendrier, notamment de la part du SYNADEC, mais dans la dernière déclaration de ce syndicat que votre journal a publié, le syndicat a pris acte du nouveau calendrier. Cela veut dire qu’en principe, tous les enseignants devraient pouvoir reprendre leurs activités à partir du 1er septembre. Si ce qui est prévu se déroule comme attendu, on devrait en tout cas pouvoir avancer suffisamment dans les cours pour pouvoir faire les évaluations. Je suis personnellement dans l’état d’esprit de quelqu’un qui achève ses vacances et qui s’apprête à reprendre les cours bientôt.

Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’inquiétude à se faire ? L’année sera-t-elle validée ?

Je ne peux pas donner cette garantie, car je ne sais pas ce qui peut se passer dans les jours à venir. Mais je constate que si nous respectons le calendrier qui a été proposé, il est possible d’évoluer au niveau des cours et d’organiser les évaluations. Maintenant quant aux formes d’interruption qui peuvent intervenir, je ne peux pas en parler. Le calendrier a été élaboré par le conseil scientifique de l’université. Je ne suis pas membre de cette structure mais je pense qu’ils ont proposé ce qui peut permettre de valider l’année. Mais j’insiste que c’est au cas où il n’y aurait pas de perturbation considérable.

Le SYNADEC avait, lors d’un échange avec la presse, fait savoir que le gouvernement lui a fait des propositions qui n’ont pas fait l’objet de débats, mais qu’il a considérées comme des engagements à mettre en oeuvre. Ne craignez-vous pas que cela puisse être source de perturbation ?

Je n’ai pas eu le sentiment, avec la dernière déclaration du SYNADEC, que le syndicat lançait un autre mot d’ordre de grève. J’ai eu l’impression qu’il prenait acte. Si je pars de ce constat, je peux dire que tout le monde est prêt à mettre en oeuvre le nouveau calendrier. A moins que d’autres difficultés surviennent au cours de la mise en oeuvre de ce calendrier.

Partagez-vous l’opinion selon laquelle le travail de l’enseignant universitaire burkinabè est le moins bien rémunéré dans la sous-région ?

Dans la sous-région d’une manière générale, il y a eu ces dernières années un relèvement sensible, substantiel, du traitement salarial des enseignants-chercheurs. C’est le cas de la Côte d’Ivoire, du Niger, du Togo - je vous donne des exemples que je connais. Il faut clairement reconnaître que notre traitement est nettement en deçà de ce que beaucoup d’autres collègues gagnent dans la sous-région. Ce sont des faits qu’on peut vérifier. Il faut reconnaître donc que dans notre pays, il y a un effort à faire de ce côté.

Vous êtes à l’initiative de la création d’une association d’intellectuels engagés. Pouvez-vous nous présenter cette structure et nous faire un bilan de ses activités ?

En mars dernier, nous avons commémoré le dixième anniversaire du lancement de notre mouvement qui s’appelle le Manifeste pour la liberté, lancé en fin décembre 1998, après l’assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons, et qui a pour objectif d’interpeller les intellectuels, de les encourager à prendre la parole et à intervenir dans la vie publique pour défendre la liberté d’expression, la justice et lutter contre l’impunité. A partir de janvier 1999, nous avons organisé des activités, telles qu’une table ronde. Face au succès de toutes ces activités, nous avons décidé de pérenniser le mouvement. Et nous sommes passés du comité d’initiative au départ, à une coordination. Nous avons lancé en 2001 un journal trimestriel appelé Hakili. Nous allons continuer avec les conférences, les tables rondes et l’animation de notre journal. A l’heure actuelle, le mouvement est assez bien installé et nous sommes souvent invités par d’autres associations à animer certaines activités. Nous avons pu obtenir la reconnaissance officielle de notre mouvement en 2005. Mais il y a des défis à relever, tels que arriver à rendre régulier le journal, à organiser des rencontres d’envergure aussi bien nationale qu’internationale, au cours desquelles nous allons débattre de grandes questions qui préoccupent nos concitoyens, l’Afrique et le monde d’une manière générale.

Est-ce que le fait que vous soyez étiqueté au départ comme étant de l’opposition n’a pas été un handicap pour votre mouvement ?

Nous avons toujours clairement dit que notre souhait, c’est d’encourager les intellectuels à s’engager, à s’exprimer, à prendre position concernant les grandes questions qui préoccupent l’Afrique et le monde. Nous avons toujours affiché notre intention de construire un mouvement autonome, libre et indépendant, et qui a le courage d’exprimer ses idées. Evidemment, cela ne plaît pas au pouvoir en place, mais nous assumons parce que nous sommes conscients qu’un mouvement de ce genre est utile pour l’évolution d’une société. Nous voulons promouvoir la figure de l’intellectuel engagé, car il n’y en a pas suffisamment.

"Il y a une poussée de la parole libre"

Comment appréciez-vous l’action des intellectuels burkinabè aujourd’hui ?

Au moment où notre mouvement se constituait, il était clair que l’intervention des intellectuels n’était pas suffisamment forte. Rappelons-nous ce qui s’est passé avec L’Indépendant, avec la figure de Norbert Zongo. Depuis l’assassinat de ce journaliste engagé et de ses compagnons, avec la naissance du Collectif démocratique des masses et des partis politiques , il y a eu des espaces de liberté qui se sont ouverts. Si vous prenez l’exemple de la presse, ne serait-ce que sur le plan du nombre, il y a eu la parution de nouveaux titres. Pour nous, c’est important, et nous souhaitons le soutenir, l’accompagner. Surtout, ces derniers mois, il y a eu une véritable poussée de la parole libre. Les gens s’expriment librement, individuellement ou collectivement, et revendiquent le droit de s’exprimer comme des intellectuels. Le niveau atteint n’est pas satisfaisant, mais la tendance est bonne, et les gens revendiquent le droit de s’exprimer. C’est un processus qui doit se poursuivre, mais qui est quand même bien amorcé.

Comment percevez-vous l’engagement politique de Laurent Bado, un autre intellectuel de ce pays ?

Laurent Bado a créé un parti, le PAREN, qu’il a dirigé. Il a rencontré des difficultés, je crois qu’il en a tiré leçon et a quitté la tête de ce parti. Il continue cependant d’intervenir dans la vie publique. Ce qu’il faut retenir, c’est que quand nous parlons d’engagement des intellectuels, il ne faut pas entendre par là que nous appelons les intellectuels à créer des partis. Adhérer à un parti politique est une forme d’engagement. Mais l’engagement peut prendre d’autres formes. Le simple fait d’avoir le courage de donner son opinion publiquement sur un événement, de participer à une manifestation dans la rue pour revendiquer un droit, de participer à une grève ou de signer une pétition, de créer un journal - je pense à votre confrère sénégalais Latif Coulibaly - ce sont aussi des formes d’engagement que les intellectuels ont expérimentées dans d’autres pays.

Voulez-vous dire que ce fut une erreur de sa part d’avoir créé un parti politique ?

Est-ce que c’est une erreur ? C’est une expérience à travers laquelle il a été confronté à des difficultés et il en a tiré des leçons. Présentement, c’est une autre personne qui est à la tête de son parti.

Est-ce qu’être philosophe aujourd’hui au Burkina a un sens ?

(Rires) J’espère pour nous que cela a un sens. Parfois, on cherche loin alors que les réponses sont souvent à côté. Le Burkina est l’un des rares pays qui acceptent de commencer l’enseignement de la philosophie dès la classe de 1re. Au niveau supérieur, nous avons un département de philosophie qui a été créé en 1980, entre-temps supprimé puis reconstitué en 1983. Et depuis 2004, il y a une formation doctorale proposant un programme de DEA et de doctorat dans le département qui a déjà produit 4 docteurs. La philosophie a donc sa place dans notre système scolaire. Le rôle du philosophe est donc d’enseigner et de faire la recherche. La philosophie a sa place dans notre société en tant que discipline qui encourage la réflexion. Il est important qu’il y ait des gens qui s’expriment sur l’évolution de notre société, qui produisent des analyses, qui réfléchissent sur l’orientation de la société. Nous avons lancé depuis 2002 au Burkina une revue de philosophie intitulée Cahier philosophique d’Afrique, qui paraît au rythme d’un numéro par an. Cette publication est reconnue internationalement, et à travers elle l’on peut suivre régulièrement les débats des philosophes sur ce qui se passe en Afrique. Nous avons, comme toutes les sociétés modernes, besoin de la philosophie, et le philosophe joue un rôle utile au Burkina.

Peut-on s’attendre à ce que vous créiez un parti politique un jour ? Ou bien vous faites vôtre une certaine pensée philosophique selon laquelle le philosophe n’est pas fait pour gouverner mais pour contribuer, à travers ses idées, à la bonne gouvernance dans la cité ?

Je n’envisage pas de créer un parti politique. Il y a déjà des structures comme le Manifeste pour la liberté, la revue de philosophie que nous avons lancés, le MBDHP où je milite. Je suis quelqu’un qui prend part aux activités publiques. Il m’arrive de participer à certaines manifestations publiques, d’animer des conférences sur les questions brûlantes du moment. Cette forme d’engagement est déjà importante, et si j’arrive à l’assumer tout au long de ma vie, ce sera une bonne chose. Mais je ne dis pas que le philosophe n’est pas fait pour gouverner ; je dis simplement qu’il n’a pas le monopole de l’art de la gouvernance d’une cité. Il doit participer à l’animation de la vie publique sans chercher forcément à être à la tête de la collectivité.

Que vous inspirent les récentes propositions faites par Salif Diallo, militant assez influent du Congrè pour la démocratie et le progrès (CDP) ?

Nous sommes d’accord sur le diagnostic établi par Salif Diallo qui rejoint des analyses qui avaient été développées par des gens bien avant son intervention. Ce sont notamment la patrimonialisation du pouvoir, la question de l’écrasement des institutions sous la férule du chef de l’Etat, la question de la désaffection des citoyens vis-à-vis des consultations nationales, le hiatus entre gouvernants et gouvernés dans notre pays. Nous-mêmes, au sein de notre mouvement, avions évoqué ces éléments lors d’une conférence que nous avons animée en 2005 avec le MBDHP sur le thème "Le citoyen et les limites de la démocratie au Burkina Faso", et nous avons publié notre intervention à ce forum dans le numéro 5 de Hakili. Il faut donc se réjouir de sa lucidité tardive. Mais les solutions qu’il a proposées peuvent être discutées au niveau de leur mise en oeuvre. Qui va mettre en oeuvre ce qu’il a proposé ? Vous avez vu la réaction de ses amis du CDP. Donc, ses propositions se heurtent à la modalité de leur mise en oeuvre. Pendant longtemps, lui-même a contribué à asseoir le système qu’il dénonce aujourd’hui, et c’est ce qui fait que son intervention prend une coloration particulière aujourd’hui, parce qu’il en a été un acteur de premier plan. Sinon, d’autres avant lui ont soulevé les mêmes problèmes.

Que proposez-vous comme solutions à ces problèmes ?

De façon générale, il faut encourager l’implication des citoyens dans la vie publique sous la forme de mouvements de résistance contre les réformes auxquelles ils n’adhèrent pas. Au-delà de cela, sur le plan politique, vous savez que j’ai toujours été favorable à un renouvellement total de la classe politique burkinabè à travers l’appel aux candidatures indépendantes. C’est là juste quelques exemples pour vous dire qu’il y a du chemin à faire. Non seulement l’alternance est nécessaire mais aussi elle a été prévue par notre Constitution qui limite le nombre de mandats. Mon souhait, c’est l’alternance radicale, qui est souhaitable au Burkina, et à défaut l’alternance minimale par la limitation des mandats.

"Nous sommes favorables au principe de la limitation de mandats"

Est-ce à dire que votre Manifeste peut être amené un jour à s’opposer à toute forme de réforme visant la non-limitation de mandat électif au Burkina ?

Il peut arriver effectivement que notre mouvement puisse être amené à s’opposer à cela, puisque nous avons déjà eu des activités au cours desquelles nous avons analysé notre système démocratique. Nous serons donc tout à fait favorables au principe de la limitation de mandats.

Quelle est votre conception de la notion de développement, et qu’en est-il au Burkina Faso ?

Cette question n’est pas spécifique à la philosophie, elle relève plus de la sociologie, et elle engage en définitive la conception politique que chacun peut avoir. Mais je voudrais quand même dire qu’au-delà des grandes théories, nous avons beaucoup à faire en ce qui concerne les fondamentaux de la réflexion sur le développement, à savoir l’éducation : quel pourcentage de Burkinabè accède à l’enseignement supérieur ? La santé : si les professeurs d’université n’ont pas de système d’assurance maladie, que dire des autres corps censés être moins bien payés ? Il y en a qui disent pourtant que nous avançons tellement que dans dix ans nous serons un pays émergent. C’est de l’humour très déplacé.

Quelle est la place du département de philosophie du Burkina dans le monde universitaire ?

Parmi les 4 soutenances de 3e cycle que le département de philosophie a connues, 2 étaient faites par des étudiants non Burkinabè. Et parmi nos doctorants, il y en a qui ne sont pas Burkinabè. C’est l’indice d’une certaine notoriété. La filière de philosophie compte depuis juillet dernier 2 professeurs titulaires et 4 maîtres de conférences qui font des publications dans notre revue philosophique. Il y a donc un travail qui est fait et qui est reconnu et qui a besoin d’être encouragé. D’abord en ce qui concerne les infrastructures. En philosophie, nous travaillons essentiellement sur la base des ouvrages. Il se trouve que dans notre fonctionnement actuel et avec nos moyens, notre département n’a pas de budget spécifique pour acheter régulièrement les documents. Ensuite, en ce qui concerne la formation doctorale, les frais de formation au niveau du 3e cycle sont difficiles à supporter par les étudiants. Il faut donc trouver des formes de bourses ou de subventions pour soutenir les étudiants-chercheurs. Enfin, il faut financer les structures de publication des enseignants-chercheurs.

D’aucuns pensent qu’il n’y a pas de philosophes aujourd’hui, mais plutôt des enseignants de philosophie ; qu’en pensez-vous ?

La différence n’est pas évidente à établir, mais quels que soient les critères, on peut trouver des philosophes non seulement au Burkina, mais aussi dans d’autres pays africains. Il y a des publications qui sont faites mais qui ne sont pas bien connues. Que ce soit les Africains établis sur le continent ou de la diapora. Rassurez-vous, nos enfants vont étudier la philosophie avec des manuels et des textes de philosophes africains, et ils n’auront pas le complexe que nous avons.

Aux épreuves du bac français, la philosophie est considérée comme une discipline phare. Pourquoi ce n’est pas le cas au Burkina ?

Comme vous le savez, la philosophie apparaît comme la discipline spécifique à la classe de terminale, c’est-à-dire qui a un niveau terminal. Toutes les séries n’affectent pas le même coefficient à la philosophie, mais le fait qu’elle soit considérée comme une matière de cycle terminal justifie sans doute sa valorisation dans le système scolaire français.

Que pensez-vous du système LMD ? Le département de philosophie de l’université de Ouaga l’applique-t-il ?

Le système LMD est une démarche qui est en train de s’imposer à l’échelle de la planète. Même au niveau de l’UEMOA, des dispositions sont prises pour que toutes nos universités adoptent ce système. Au niveau de notre université, l’UFR SEA va l’adopter à la rentrée prochaine, et les autres UFR suivront le pas après. Au département de philosophie, nous ne l’appliquons pas pour le moment, mais il y a des réflexions qui sont en cours, et progressivement nous allons y entrer.

Evoquons quelques sujets d’actualité africains. Une partie de l’opposition gabonaise a annoncé une candidature unique. Croyez-vous que cette opposition pourra éviter que Ali Bongo succède à son père ?

En ce qui concerne la succession du père au fils , évidemment je ne suis pas très favorable à ce genre de schéma. Mais comme il a été désigné par une structure, il remplit les conditions nécessaires pour se présenter. Il faut donc souhaiter que tous ceux qui ne pensent pas comme lui puissent s’organiser pour lui tenir tête. Parce que c’est le parti qui a soutenu son père qui le soutient aujourd’hui, donc s’il gagne, c’est le même système qui restera au pouvoir. Sinon, en tant qu’individu, formellement il a le droit de se présenter.

"Il ne suffit pas de lire un ouvrage pour changer"

Que pensez-vous du référendum organisé récemment au Niger et du mouvement qui s’est opposé à la nouvelle Constitution mais qui n’a pas pu empêcher l’avènement de la VIe République ?

Je crois savoir qu’il y a des formes de luttes qui sont en train de se développer. Je ne sais pas si elles pourront mobiliser les citoyens. Je crois avoir déjà donné ma position sur la question dans un journal nigérien. J’ai eu à dire que la remise en cause de la limitation de mandats n’est pas une bonne chose et qu’elle va susciter une résistance de la part des citoyens. Espérons qu’à long terme, cette résistance ait le dessus afin de mettre fin à cette situation.

Mamadou Tandja a-t-il vraiment utilisé, comme il le prétend, la voie constitutionnelle pour changer la Constitution ?

Il faudrait quand même relever que du point de vue de la précédente Constitution, il n’avait pas le droit de faire ce qu’il a fait. Il a créé une situation d’exception pour pouvoir envisager de passer à une autre Constitution. C’est ce pas-là qu’il ne devait pas faire. Il faut rappeler qu’il a révoqué la Cour constitutionnelle et dissous l’Assemblée. Le passage n’était ni légal ni légitime, c’est là qu’il y a problème. Si l’opposition reste ferme et dynamique, la mise en oeuvre des projets du président ne sera pas facile, et il finira par lâcher des concessions importantes pour pouvoir tenir.

En Guinée Conakry, Dadis Camara ne semble pas vouloir tenir sa promesse de ne pas se porter candidat à l’élection présidentielle ; qu’en pensez-vous ?

Beaucoup de voix s’élèvent pour lui demander de respecter ses engagements. Il faut souhaiter qu’il retrouve la sagesse, pour les respecter, car quand on ne respecte pas ses engagements, on crée toujours des situations conflictuelles, et on ne sait pas jusqu’où cela peut mener.

Quel ouvrage philosophique pouvez-vous conseiller aux dirigeants africains qui s’accrochent trop au pouvoir ?

(Rires prolongés) Il ne faut pas croire qu’il suffit de lire un ouvrage pour trouver la solution à une situation politique surtout aussi compliquée que celle de l’Afrique. Vous croyez que les dirigeants n’ont pas lu certains ouvrages, ou qu’ils n’ont pas de conseillers qui les ont lus ? Sinon il suffirait de commencer par lire Du contrat social de Rousseau pour comprendre ses limites. Rousseau a dit de Machiavel qu’en feignant de donner des leçons au roi, il en a donné de grandes au peuple.

Pensez-vous que les protagonistes de la crise à Madagascar puissent trouver un terrain d’entente un jour, surtout après le blocage créé par Maputo 2 ?

Tout ce que je peux dire, c’est qu’il faut souhaiter que les protagonistes puissent se mettre d’accord pour parvenir à l’organisation d’élections afin d’éviter des épreuves à la population, notamment un conflit ouvert, armé.

Croyez-vous que l’élection en Côte d’Ivoire puisse se tenir le 29 novembre comme souhaité ?

C’est plutôt un souhait qu’il faut émettre à ce niveau également, pour que tous les acteurs aient la sagesse nécessaire de s’entendre parce que de report en report, on risque de parvenir à une véritable régression.

Quelle lecture faites-vous du renvoi du nouveau code de la famille malien après que les communautés musulmanes l’eurent contesté ?

Le président malien a recherché un apaisement ponctuel, mais le problème de fond va demeurer. Parce que le nouveau code avait un contenu qui accordait de nouveaux droits. Mais il s’est heurté à une résistance. Si on est d’accord sur le principe des éléments de ce code, s’il faut marquer une pause pour que la tension baisse, il faudrait trouver une formule pour faire respecter ce principe. Je crois que les nouveaux droits contenus dans le nouveau code méritent d’être acceptés.

Avez-vous un dernier mot à dire pour clore cet entretien ?

Je vous remercie pour votre invitation. Je n’ai pas l’habitude de me livrer à ce genre d’exercice, mais je tiens à saluer le travail que fait la presse en général, la vôtre y compris, qui consiste à soutenir la libération de la parole. Notre société en a vraiment besoin, et c’est par cela que nous allons pousser à des avancées.

Propos retranscrits par Honoré OUEDRAOGO

Le Pays

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