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ABDOUL KARIM SANGO, SECRETAIRE AUX AFFAIRES POLITIQUES DU PAREN : "Nous avons des gouvernants qui n’aiment pas leur peuple"

Publié le vendredi 28 août 2009 à 01h23min

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Abdoul Karim Sango

Juriste de formation et professeur permanent à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM), Abdoul Karim Sango est depuis la création du Parti de la renaissance nationale(PAREN), son secrétaire aux Affaires politiques, et son porte-parole depuis le dernier congrès. C’est donc un observateur averti de la scène politique que nous avons reçu à notre rédaction. Avec ce proche du truculent député Laurent Bado, fondateur du PAREN, nous avons évoqué la situation de ce parti et divers sujets d’actualité tant au Burkina et ailleurs.

"Le Pays" : Comment se porte le PAREN ?

Abdoul Karim Sango : Disons que le PAREN se porte assez bien. Vous savez, pour la petite histoire, notre parti avait suscité un réel engouement à sa création et chemin faisant, un certain nombre de crises l’ont secoué. La presse s’en est fait l’écho abondamment. Je pense que cela n’a pas manqué d’avoir un impact négatif sur la vie du parti, surtout que le parti avait été créé par des gens qui n’avaient pas de parcours politique préalable, alors que la politique n’est pas un jeu d’enfant. Quand on s’engage en politique, il faut être prêt à prendre tous les coups. Disons que ces petites choses ont joué un peu sur le degré de mobilisation de certains de nos militants qui ont baissé les bras ; certains ont quitté le navire. Nous sommes, depuis le dernier congrès qui a permis à la grande soeur Jeanne Traoré, de devenir présidente du parti, dans une phase de restructuration. Mais évidemment, cela ne se fait pas aussi facilement qu’on le souhaiterait au regard du contexte politique. Vous le savez, les acteurs politiques n’ont pas bonne presse dans notre pays pour diverses raisons. Nous sommes donc en train de restructurer notre parti, de le réinstaller sur le plan territorial et aujourd’hui, nous avons des représentants au moins dans les 2/3 des régions. Mais il y a beaucoup de choses à faire, parce que tous ces représentants ne sont pas toujours préparés à faire de la politique. Car la politique, contrairement à ce que l’on pense, c’est une science, un art, c’est toute une façon de faire. Il y a donc un travail de formation de ces militants à faire. A la suite de cela, on peut dire alors que le parti se porte très bien. Les défis sont donc nombreux ; on les gère avec les moyens que nous avons.

On vous dit très proche de Laurent Bado. Ne pensez-vous pas que la situation que vit votre parti est due à cette affaire de millions et aussi au fait que Laurent Bado ne soit pas inscrit dans un groupe parlementaire ?

Oui je suis proche du professeur Laurent Bado comme d’ailleurs tous les militants du PAREN. Ça dépend du contenu qu’on met là-dedans. Je suis sûr que lui et moi discutions beaucoup plus qu’un bon nombre de militants. Il y a deux aspects dans votre question : est-ce que l’affaire des 30 millions n’a pas affecté le parti ? Il ne serait pas honnête de dire que ça n’a pas affecté le parti. Maintenant, est-ce que le traitement, d’un point de vue informationnel, qui a été fait de cette affaire l’a été conséquemment. Je pense que cela compte dans l’histoire de notre parti. Moi, contrairement aux autres, je pense que c’est tout à fait normal que des problèmes de ce type surgissent dans la vie du parti. Je crois même que c’est arrivé très tôt et c’était bien parce que cela a permis au professeur et à l’ensemble des militants de comprendre que la politique, ce n’est pas seulement les bonnes intentions, c’est tout un ensemble d’attitudes ; et puis il faut y intégrer beaucoup de paramètres. Je pense que cet épisode évidemment a agi beaucoup sur la vie de notre parti. Ce qui est important dans les situations de ce genre, ce n’est pas l’événement en lui-même, mais la façon dont vous gérez cet événement pour le futur.

Pensez-vous que le PAREN a bien géré la situation en son temps ?

Mais oui ! Nous avons bien géré, de mon point de vue. Nous avons essayé d’expliquer aux Burkinabè ce qu’il en était. Vous savez, dans un contexte comme le nôtre, on n’est pas habitué à ce type de démarche. Les affaires d’argent dans les partis politiques, on en parle mais on n’a jamais vu un homme politique venir dire : "A telle heure, à telle date, j’ai eu de l’argent". Je crois que cette volonté d’être sincère, d’être honnête avec les Burkinabè dans l’explication, on peut penser, qu’elle n’a pas passé. Mais n’oublions pas qu’à l’issue de l’élection présidentielle qui a suivi, nous n’avons pas eu un score honorable, comme l’ensemble des partis politiques de l’opposition qui n’avaient pas de problème de 30 millions. Mais nous sommes parvenus troisième de cette élection. Les élections législatives qui ont suivi, c’est vrai, nous sommes passés de quatre députés à un seul député. Mais cela ne tient pas tellement à l’affaire des 30 millions. Pourquoi le Pr Bado n’est-il pas inscrit dans un groupe parlementaire ? C’est vrai que nous n’avons pas suffisamment communiqué sur cette opposition. En droit, un groupe parlementaire, ce n’est pas une juxtaposition d’individus, un groupe parlementaire ce n’est pas non plus comme un parti politique.

C’est un ensemble de partis qui ont la même vision de la politique, donc qui ont les mêmes idées. N’oublions pas, nous sommes à la base de la création du groupe parlementaire ADJ (ndlr, Alternance - démocratie - justice) à travers le Pr. Laurent Bado. Mais nous avons tiré expérience des rapports de groupe parlementaire à l’époque que nous avons estimé puisque nous avons dit aux Burkinabè : donnez-nous un groupe parlementaire entier. Il y a des choses qui ne sont peut-être pas intéressantes à dire, mais dans le cadre de ce groupe parlementaire, vous saviez que nous avions initié beaucoup de propositions de loi. Ce n’est pas seulement le pouvoir qui a combattu nos propositions de loi. C’est souvent nos camarades de l’opposition aussi qui nous combattaient. Ce qui veut dire que nous étions dans un groupe sans partager les mêmes choses. Soit on fait semblant d’être ensemble, soit on est ensemble sincèrement. Or la faiblesse d’un parti comme le PAREN, c’est d’avoir des rapports très propres, très directs avec ceux qui sont avec lui. Les calculs, nous ne les connaissons pas. C’est vrai que nous souffrons de visibilité, mais on s’assume. C’est à la fois aussi un message politique. Du reste, je ne suis pas sûr qu’à part la cohésion apparente que nous voyons, ce groupe soit aussi soudé qu’on le croit ; il suffit d’écouter les acteurs de ce groupe ou de les lire dans la presse pour voir les difficultés que les uns et les autres ont à être ensemble.

"Montrez-moi un seul parti au Burkina qui brille"

Ne pensez-vous pas que le Pr. Laurent Bado s’est précipité en laissant les rênes du parti ?

Je pense qu’un parti dans sa conception tel que nous on l’entend au plan de la constitution et de la science politique, c’est un ensemble de personnes regroupées autour d’un projet de société. Ce qui est important dans un groupe, dans une association, ce n’est pas seulement des individus. Je ne nie pas que les individualités doivent imprimer des marques à la vie d’un parti. Mais ce qui est important, ce sont les idées du parti. Lorsque vous avez des idées claires, vous devez être capable de trouver en votre sein des personnalités qui puissent les assumer en tout temps. Je touche du bois, mais le Pr. Bado aurait pu mourir, donc il pourrait ne pas être à la tête du parti. Dire que le parti souffre de l’absence d’un leader charismatique, c’est une appréciation qu’on fait par rapport à Bado. Mais Bado, c’est une façon de faire, de vivre, c’est une histoire qui ne peut pas être l’histoire ni de Sango, ni de Madame Jeanne. Donc il faut donner à Jeanne Traoré le temps de se forger cette personnalité. Les difficultés de notre parti aujourd’hui ne sont pas liées à cela. Du reste, montrez-moi un seul parti au Burkina qui brille.

Vu vos relations personnelles avec le Pr. Bado d’aucuns pensent que vous méritiez de prendre la tête du PAREN. Est-ce que vous vous sentez prêt à assumer ce rôle un jour ?

Un jour oui, mais aujourd’hui non. Je considère que le choix qui a été aujourd’hui en toute souveraineté fait par le parti est le bon choix. Pour ma part, je pense qu’en politique, il faut se méfier des apparences. En politique, il faut tirer des leçons, savoir attendre son heure. Moi j’ai l’avantage d’être relativement jeune, je pense que j’ai beaucoup de choses à apprendre encore.

Que pensez-vous des propositions de Salif Diallo quant à mettre à plat les institutions de la République ?

Je n’étais pas là, j’étais à Tunis, mais j’ai lu l’interview grâce à la magie de l’Internet et j ’ai suivi un peu les débats. Je pense qu’il y a deux choses à relever. Premièrement, dans la forme, je pense que l’ambassadeur n’aurait pas dû tenir ce type de propos à partir de sa position. En droit, il y a certaines fonctions, quand vous les assumez, l’obligation de réserve est beaucoup plus élevée de votre côté. Et là-dessus, vous avez ce qu’on appelle une jurisprudence abondante en droit français qui justifie qu’effectivement il est dit que tel directeur général, tel préfet, telle personnalité, de par sa position, ne ferait pas cela.

Beaucoup de gens pensent que l’obligation de réserve ne tient pas dans ce cas ...

Du fait de son statut d’ambassadeur, je pense qu’il y a des propos qu’il ne doit pas tenir. S’il veut tenir ce type de propos, qu’il renonce à son statut d’ambassadeur. Il devient alors un citoyen ordinaire. Vous ne pouvez pas distinguer l’homme Salif Diallo de l’ambassadeur Salif Diallo. Vous savez que c’est une fonction éminemment politique. On ne place que ceux à qui on a confiance. Or ses propositions, auxquelles j’adhère pour une bonne partie, consistent à remettre à plat les institutions de la République. Deuxièmement, sur le fond, il ne fait que défoncer une porte déjà ouverte. Je voulais simplement rappeler une chose. On oublie souvent dans ce pays. C’est comme si nous n’avions pas de mémoire. Allez relire le rapport du Collège des sages institué par le président du Faso pour faire face à la crise née de l’assassinat de Norbert Zongo. Le collège des sages a conclu à une crise de la gouvernance démocratique au Burkina. A la limite, on a proposé une refonte de nos institutions afin qu’il y ait beaucoup plus d’équilibre dans le jeu politique. En réalité, on adopte certains comportements parce qu’en face, on n’a pas la riposte conséquente. Le Comité national d’éthique remet constamment en cause le fonctionnement de certaines de nos institutions. Le rapport établi par le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) dit clairement que le système politique est verrouillé, d’où une recommandation de déverrouillage. Alors pourquoi s’en prend-on à Salif Diallo ? Toutes les institutions que je viens de citer, c’est le pouvoir lui-même qui les a suscités. Le rapport du MAEP va plus loin. Il propose des états généraux de la démocratie burkinabè.

Mais qu’est-ce qui ne marche pas dans la démocratie burkinabè ?

Les institutions ne fonctionnent pas comme on l’entend au sens du droit. On est dans une démocratie de façade et artificielle, c’est-à-dire qu’on a le Parlement, la Cour constitutionnelle, le Conseil supérieur de la communication... Mais en réalité, lorsque vous examinez minutieusement les textes qui créent ces institutions, ce sont des intitutions qui ne peuvent pas assumer pleinement leur rôle de consolidation de la démocratie. Prenons le cas de l’Assemblée nationale : l’opposition ne peut rien à l’Assemblée qui, dans un système démocratique, est un lieu de débats, de délibérations. En fait, aucune majorité ne devrait pouvoir passer, comme ça, une loi sans un débat de fond auparavant. Il y a ce genre de problème qui me fait dire que ce que Salif Diallo a dit est exact. Il faut avoir le courage de faire les réformes qu’il faut.

"Je suis d’avis avec Salif Diallo qu’il y a une patrimonialisation du pouvoir"

Pensez-vous que le Burkina pourrait être contaminé par les tripatouillages ?

Le Burkina n’est à l’abri d’aucune crainte. L’observateur lucide, honnête sait que si les choses ne changent pas, on va droit dans le mur. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le drame en Afrique, c’est quand les crises naissent qu’on court pour chercher les solutions pendant qu’on a oublié les interpellations. Prenez notre système démocratique. Ceux qu’on appelle juristes de haut niveau ont tous écrit des opinions là-dessus. Qui écoute les professeurs Ibriga, Loada, Bado ? C’est comme quand vous êtes malade et vous partez consulter un médecin. Un professeur de droit, c’est un médecin du droit. Il fait un diagnostic, il vous prescrit le traitement. Moi je peux même considérer qu’on veuille ne pas les écouter parce que dans ce pays, quand vous développez une idée contraire au pouvoir, vous êtes de l’opposition. L’opposition aussi, quand vous la critiquez un peu, vous êtes du pouvoir. En fait, on est dans un schéma où je ne sais pas ce qu’on recherche. Je doute fort que l’ensemble des acteurs en présence aujourd’hui aient le souci de sortir ce pays de sa misère. C’est donc dire que la crise dont vous parlez, elle est claire, si on n’a pas le courage d’opérer les réformes qu’il faut au lieu de faire des réformettes, comme les dernières réformes électorales entreprises par l’Assemblée nationale.

Pour revenir à ce que Salif Diallo a proposé, est-ce qu’un régime parlementaire peut-être appliqué au Burkina ?

Ah non ! Pas du tout ! Je ne partage pas du tout son point de vue sur la création d’un régime parlementaire, pour des raisons que d’autres ont déjà évoquées. Là où je suis d’accord avec lui, c’est l’idée qu’il y a une patrimonialisation du pouvoir. Vous n’êtes pas d’un tel camp, alors vous êtes asphyxié. Les opérateurs économiques le vivent aussi. Même si vous créez une association et que vous êtes trop indépendant, on va vous asphyxier. En revanche, ceux qui défendent une certaine opinion ont tout. Donc, la patrimonialisation c’est un fait. D’ailleurs je crois que c’est ce qui a dû faire mal aux gens du pouvoir. Parce que quand on vous révèle la vérité, vous êtes mal à l’aise. Deuxième élément important dans ce qu’il dit, c’est de revisiter nos institutions en profondeur dans leurs attributions, dans les modes de nomination. Prenez le Conseil constitutionnel, dont 7 des membres sont nommés par le président du Faso. C’est vrai que c’est la même chose en France. Mais le contexte français n’est pas le contexte burkinabè. Vous savez, en Afrique, quand vous nommez quelqu’un à un poste, il se croit obligé de s’allier à vos positions contre, souvent, l’intérêt général. Donc il faut trouver des mécanismes pour que des institutions clés comme celles-là, ce ne soit pas seulement le Président qui procède aux nominations de sorte que ces personnes ne lui soient pas redevables mais soient plutôt redevables au droit, à la Constitution et aux textes de notre pays.

Donc, je dis que le régime parlementaire n’est pas possible. Je ne vois pas comment on pourrait le faire. Si on prend rien que le modèle britannique, la reine, c’est l’histoire de ce pays qui lui a permis d’être là. C’est un consensus pour en faire une règle. Alors vous allez avoir le roi Blaise, je ne sais pas sous quelle formule. Et puis je ne vois pas un président en Afrique dans le contexte actuel dépourvu de pouvoir. Il faut simplement, dans la réforme des institutions, limiter les pouvoirs du président. Par exemple, au Burkina, le chef de l’Etat a un pouvoir trop important en matière de nomination à des postes stratégiques. Je vous donne un exemple d’actualité, la SONABEL. J’estime que ce n’est pas normal que la nomination du directeur général relève seulement du pouvoir discrétionnaire du président. D’ailleurs, l’actuel Premier ministre, après sept ans aux Etats-unis, dans sa vision, voulait aller vers cela. Mais je crois que sa faiblesse, c’est qu’il n’est pas dans un système qui lui appartient. Il ne peut donc pas réformer. Un poste comme DG de l’ONEA, de la SONABEL, la SONABHY, requiert une procédure d’appel à candidature, avec un cabinet sélectionné sur des critères très objectifs. Le candidat est soumis à un interrogatoire, à un entretien d’une commission de l’Assemblée nationale dans laquelle vous avez des membres de l’opposition et des membres du parti au pouvoir.

A la suite de cela, on arrête la liste de une, deux, trois personnes qui peuvent être nommées à la tête de ce type de structure. A ce moment le président peut prendre un décret pour nommer une des trois personnes. Mais il ne peut pas sortir en dehors des trois personnes. Par conséquent, un tel directeur général ne peut pas s’autoriser à prendre de l’argent pour financer un parti politique. S’il a des ambitions politiques, ce sont d’autres types d’ambitions. Parce que son poste, il le doit véritablement à sa compétence. Le problème qu’on a avec ces structures, c’est qu’elles sont très mal gérées. Conséquence, on court pour aller dire qu’il faut les privatiser, alors que la privatisation a montré toutes ses limites en Afrique. Des auteurs très sérieux tel que le prix Nobel d’économie que je cite tous les jours, Joseph Stiglitz, dans ses nombreux ouvrages, ont démontré que la privatisation n’est pas une solution aux problèmes des pays africains. D’ailleurs sur cette question, le PAREN a une solution très innovante, qu’on n’a jamais essayé d’expérimenter, sauf récemment dans les actions de l’ONATEL qu’on a ouvert à l’actionnariat populaire. Je viens de lire dans votre journal qu’à travers l’actionnariat populaire qu’on a initié pour certaines actions de l’ONATEL, on a recueilli 29 milliards de F CFA. Ce sont des Burkinabè, soit qui résident ici, soit à l’étranger, qui en bénéficient. Je vois 4122 souscripteurs ; ça veut dire que nos entreprises, on peut les garder dans le giron communautaire.

Vous êtes commissaire de la Commision électorale nationale indépendante (CENI) ; comment se porte l’institution. Est-elle en mesure de faire face aux défis à venir, notamment le vote des Burkinabè de l’étranger ?

Permettez-moi, sur cette question de ne pas révéler certaines choses. Parce qu’en bon juriste, je suis tenu aussi à une certaine discrétion. Ce que je reprochais à Salif Diallo, je ne peux pas moi même porter atteinte à cela. Je pense que la voix la plus autorisée pour parler de certaines questions relatives à la CENI, c’est le président de la CENI. Mais je peux me permettre de faire des commentaires généraux. La CENI est à l’image de toutes les institutions du pays. Le malaise dont on parle dans les institutions publiques, le péché originel de la CENI, se trouve déjà dans la loi qui la crée. Je sors d’une formation organisée par la CENI. Lorsqu’on a dit au formateur qui est un expert du PNUD, que la CENI n’a pas un ancrage constitutionnel, il ne comprenait pas. C’est-à-dire que c’est une loi ordinaire qui crée la CENI.

Qu’est-ce qu’il aurait fallu ?

Il aurait fallu que la CENI soit intégrée dans la Constitution, au regard des enjeux stratégiques liés à cette institution, qu’on lui garantisse d’avantage d’indépendance. Prenons le cas du Conseil économique et social ; je pose la question à l’opinion. A quoi nous sert-elle ? Elle est logée dans la Constitution, ce qui fait qu’elle a beaucoup plus de pouvoir financier qu’une institution comme la CENI. La CENI, à la limite, dès que les élections sont passées, est oubliée. On ne le dit pas, l’institution, pendant plus d’une année, n’a presque pas vécu. Parce que les choses minimales nécessaires pour le fonctionnement d’une institution, vous ne l’aviez pas. Faites un tour au parc automobile de la CENI, tous nos véhicules sont à plat. Mais on fait croire à l’opinion que les membres de la CENI ont un niveau de vie élevé. Quand on parle d’indépendance, il faut relativiser. Donc la CENI a des problèmes, mais comme je le dis, je préfère, aussi longtemps que je suis commissaire dans cette institution, ne pas trop m’étaler là-dessus. Quand je finirai mon mandat de commissaire, en ce moment, je pourrai revenir beaucoup plus en détail sur certaines questions.

La CENI est-elle en mesure d’organiser le vote des Burkinabè à l’étranger tout en sachant que même des partis d’opposition ont critiqué le vote de cette même loi, en estimant qu’elle n’était pas réaliste ?

Je pense que ces partis auraient dû le faire au moment où on votait la loi. Les juristes disent : "Dura lex, sed lex", "la loi est dure, mais c’est la loi". La question n’est plus pertinente de savoir si la CENI pourra organiser ces élections, la loi étant votée, il faut oeuvrer à la mettre en oeuvre sauf si le législateur revient sur la loi pour la suspendre. Du reste, la CENI est en train de s’activer. A la clôture de notre séminaire de formation le 20 août 2009, notre président a dit que nous aurons des missions qui iront bientôt à l’étranger pour voir dans quelle mesure nous allons mettre en application cette loi sur le vote des Burkinabè. Il y aura évidemment une première expérience qui ne sera pas sans difficulté. Mon idée sur cette question, si on avait été véritablement associé, ce que le gouvernement aurait dû faire dans un premier temps, c’est de faire le point des Burkinabè vivant à l’étranger. Je pense qu’un choix judicieux aurait été dans un premier temps de limiter le vote des Burkinabè à l’espace CEDEAO. On aurait vu l’impact et ainsi de suite. N’oublions pas aussi que c’est une revendication constante des partis d’opposition.

Pensez-vous que, par exemple, le PAREN pourra aller à Bouaké ou à Washington pour mobiliser ses militants ?

Le PAREN a intérêt à s’organiser pour y aller. Moi je n’ai même pas de souci par rapport à cela. N’oublions pas qu’il s’agit des Burkinabè qui sont immatriculés dans les ambassades. En Côte d’Ivoire, où on dit qu’on a peut-être 3 millions de Burkinabè, je pense que plus d’un million de Burkinabè sont inscrits à l’ambassade. En fait sur cette question, il y a des pays à enjeux. C’est aux partis politiques d’avoir beaucoup de lucidité et de bien identifier ces Etats à enjeux, c’est-à-dire là où les Burkinabè sont nombreux. Et là, le déplacement peut se faire. On a la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Mali. N’oublions pas que les Burkinabè ne sont pas nombreux dans les pays développés. Ils sont pour la plupart dans les pays africains. Je pense que si l’opposition s’organise en conséquence en opérant des alliances stratégiques fortes, la difficulté des moyens peut être surmontée en rationalisant le peu de moyens des uns et des autres.

Etes-vous d’accord avec maître Sankara qui affirmait dans nos colonnes que le président du Faso pourrait être élu par les Burkinabè de l’étranger quand on considère le nombre de Burkinabè à l’étranger ?

C’est une hypothèse à ne pas exclure. A mon sens, c’est la difficulté que nous avons en tant qu’opposant dans ce pays. Lorsqu’une loi est adoptée, je pense qu’il faut se donner les moyens de tirer profit des possibilités qu’offre cette loi. Ce serait une erreur de croire que les Burkinabè de l’étranger sont acquis d’avance. D’abord, ils ont l’avantage, à mon sens, d’avoir un niveau d’éducation scolaire souvent plus important. Prenez un pays comme la Côte d’Ivoire ; ils baignent dans un milieu où tout le monde parle français, donc les capacités d’analyse sont déjà beaucoup plus faciles pour ces communautés. Je ne crois donc pas que ce soit une chose aisée pour le parti au pouvoir ; ça peut même être un couteau qui pourra se retourner contre lui. Et puis, il faut réfléchir non pas dans la perspective de l’élection présidentielle de 2010, parce que le Burkina, c’est 2010, 2015, 2020. Je ne pense pas que Blaise, dans le schéma organisationnel des partis d’opposition actuels au Burkina, ait besoin des Burkinabè de l’étranger pour se faire élire. Au plan national, il suffit pour lui d’actionner tous ses relais locaux en terme de chefs coutumiers, et le jeu est gagné. Voilà des combats qui méritent d’être menés par les partis d’opposition. Il faut se battre pour trouver un statut réel aux chefs coutumiers. Parce que ces chefs sont une entrave à l’exercice libre du droit de suffrage dans ce pays. Un pays comme le Ghana l’a très bien réussi. C’est le modèle de démocratie le plus cité aujourd’hui. Je ne comprends pas pourquoi au Burkina, on ne peut pas en arriver là. Deuxième facteur qui fera que peut-être Blaise Compaoré va gagner les élections : les moyens ne sont pas limités. Toute l’opposition s’est battue pour la suppression des gadgets, soutenue par la société civile. Mais la proposition n’est pas passée. Je vais encore enfoncer une porte qui est ouverte : si l’opposition ne s’examine pas sérieusement pour voir ses limites objectives, elle risque d’être comme une sorte de moulin à vent.

Votre thèse porte sur le droit de l’information ; vous avez notamment proposé au Centre de presse Norbert Zongo, une proposition de loi sur l’accès aux sources d’information. Pouvez-vous nous parler de cette proposition de loi ?

L’analyse est partie du fait que la Constitution burkinabè est l’une des rares Constitutions qui consacre à son article 8, le droit à l’information du citoyen. C’est extraordinaire parce qu’en démocratie, c’est l’opinion. Or en matière d’information de l’opinion, les médias sont le moyen le plus sûr. Cela prend un relief beaucoup plus important dans un pays comme le nôtre où, en fait, le véritable contre-pouvoir aujourd’hui reste les médias. Mais une des difficultés des médias reste l’accès aux sources d’information, d’où la préférence des gens aux rumeurs, aux colportages...

Pour résoudre cela, il faut simplement demander à l’administration de donner l’information, les documents, les dossiers aux médias pour qu’on puisse bien informer l’opinion. Dans le Code de l’information de 1993, deux dispositions, les articles 79 et 50, ont déjà ouvert la brèche. De l’analyse de ce texte, je me suis rendu compte qu’il y a de véritables insuffisances. Lorsque vous partez dans une administration demander de l’information par rapport à un sujet que vous voulez traiter, qui d’abord doit vous donner l’information ? C’est une question qui n’est pas résolue. Conséquence, vous allez ici, on vous dit d’aller là ou là. Or en tant que journaliste, vous savez que l’information est une matière très périssable. Deuxième problème, même si vous accédez à celui qui doit vous donner l’information, dans quel délai est-il tenu de mettre l’information à votre disposition ? Troisième élément : si l’autorité refuse, que dois-je faire ? De quel recours dispose le journaliste ? Et donc, il faut des garanties. Dans les démocraties avancées, vous avez toute une loi détaillée. Le modèle le plus achevé en la matière, c’est le modèle suédois. En Afrique vous avez des pays comme l’Afrique du Sud qui a une législation très avancée sur la question. Comment voulez-vous que nous allions véritablement à la bonne gouvernance si les journalistes ne peuvent pas avoir l’information pour la traiter, pour la mettre à la disposition de l’opinion ? J’ai vu que le Premier ministre a pris une circulaire pour rappeler cela.

Il a donc conscience de cet enjeu. Mais je crois que ses techniciens ne lui ont pas donné de bons conseils. Il faut prendre la proposition de loi que nous avons faite, la débattre à l’Assemblée et adopter une loi sur cette question. Cela tombe bien, surtout qu’il y a des réformes dans le domaine des médias, à travers la carte de presse. Dans cette ambiance, il eut fallu régler cette question. Mais ce n’est pas seulement la responsabilité du gouvernement. Moi, c’est les médias qui m’ont demandé ce travail, le Centre de presse Norbert Zongo. Mais j’ai vu très peu de journaux parler de cette question, chercher à comprendre la loi, m’interroger sur l’importance de cette loi. C’est ça le problème au Burkina, il n’y a pas d’opinion. Or pour gagner un combat en démocratie, il faut mener le combat de l’opinion. Par exemple, pourquoi un parti d’opposition ne pendrait-il pas cette loi et l’introduire à l’Assemblée ? Il pourrait échouer, mais il mettrait le pouvoir mal à l’aise. Nous on n’a qu’un seul député et à travers les expériences de nos lois, nous ne sommes même plus tentés d’introduire une proposition de loi. Mais j’avais suggéré à l’époque que le groupe parlementaire ADJ prenne cette loi à son compte et qu’on l’introduise. On verra celui qui va s’opposer au niveau de l’Assemblée nationale. Si la presse, qui est faiseur de l’opinion, se tait là-dessus, à ce moment on ne peut pas se battre mieux qu’elle- même.

Que pensez-vous de la situation au Niger, notamment avec le coup de force de Mamadou Tandja ?

J’étais très optimiste. Je pensais que le peuple nigérien arriverait à bout de Tandja. Mais à l’arrivée, je me rends compte des problèmes qu’il faudra peut être résoudre. Je le dis, après un échange avec le professeur Loada : ce sont les limites du droit. Le droit ne peut pas tout faire, le droit met le cadre. Mais si vous avez des acteurs qui n’ont pas une bonne compréhension du droit, vous ne pouvez rien. Alors, peut-on faire la démocratie sans des démocrates ? Or en Afrique, je constate qu’en réalité il y a la démocratie mais il n’y a pas de démocrates. C’est ce qui est arrivé dans la situation de Tandja qui a affiché du mépris pour son peuple et la communauté internationale. Il a marché sur le protocole sur la bonne gouvernance de la CEDEAO en avançant des arguments farfelus mais qui ne sont peut-être pas faux en disant : "Mais ceux qui me demandent de ne pas le faire là, est-ce qu’ils ont fini de balayer devant leur porte." Il y a même un texte de l’Union africaine sur lequel il va marcher. Et c’est dommage parce que c’est un précédent dangereux. Je crains fort que d’autres chefs d’Etat lui emboîtent le pas. Je vois déjà Dadis Camara de la Guinée qui pense aussi qu’il a un destin pour la Guinée parce qu’il a vu que Tandja est passé en force !

Pensez-vous que cette situation peut arriver au Burkina, notamment par rapport à l’article 37 ?

Ce n’est pas exclu. Mais, comme je dis, ce serait une dérive grave, parce que le rapport du Collège de sages dit que la crise de Sapouy est liée en partie au fait qu’on a sauté la clause limitative des mandats. Quand vous êtes au pouvoir, la seule chose qui va vous obliger à bien gérer votre pays selon les règles de la république, c’est le principe de l’alternance. Parce que vous savez que si vous ne gérez pas selon les règles de l’Etat de droit, que les Burkinabè ont choisi dans la Constitution, une fois hors du pouvoir, vous serez soumis à ces mêmes règles. Or, quand vous excluez le principe de l’alternance, il n’y a rien à faire. Si vous voulez savoir qu’un pays est mal gouverné, ce n’est pas compliqué. Posez-vous deux questions : est-ce que dans ce pays on a les limitations des mandats ? Est-ce que la culture politique de ce pays accepte le principe de l’alternance ? Si vous répondez "non" à ces deux questions, prenez la carte du monde, vous verrez que ce sont les pays les plus misérables de ce monde. Vous allez voir que les pays les plus prospères au monde sont ceux où le principe de l’alternance est normal. Je dirai qu’au Burkina, ce n’est pas exclu, mais je pense que les gouvernants feront preuve de sagesse, parce que c’est un cocktail explosif. Quand vous roulez dans la circulation, regardez le comportement des gens : ils sont tendus. Il reste en fait la petite étincelle qui risque de faire tout sauter et je pense que si on touche à l’article 37, cela risque d’arriver. Mais je pense que le président Compaoré a suffisamment d’intelligence pour comprendre qu’il a suffisamment bien servi le pays, qu’il est aujourd’hui un faiseur de paix dans le monde et qu’il n’a pas intérêt à allumer le feu dans son pays, parce qu’il connaît mieux que nous les conséquences du feu dans les pays.

Que pensez-vous de la situation ivoirienne ? Croyez-vous que les élections auront lieu le 29 novembre comme prévu ?

J’ai des raisons de m’inquiéter parce que j’écoutais sur RFI, un responsable de la commission électorale ivoirienne qui disait que du fait de certaines difficultés, le délai pour l’affichage des listes d’électeurs pour compter du 29 août, ne sera pas possible. Or si on rate cette date, il faut nécessairement modifier la date de l’élection du 29 novembre. Sauf en cas de sursaut patriotique des acteurs politiques ivoiriens, on risque effectivement de voir cette élection être encore reportée à une autre date. Mais, cela me donne l’occasion de dire que nous avons des gouvernants qui n’aiment pas leur peuple. Ils s’aiment eux-mêmes. Ils n’ont donc pas pitié de la misère et de la souffrance de leur peuple.

L’élection ivoirienne coûte près de 150 milliards de F CFA. Ce n’est pas sérieux. On a institué des procédures complexes de délivrance de cartes d’électeur. On aurait dû simplement s’inspirer du modèle togolais. J’ai fait l’observation des élections au Togo. Ils se sont inspirés de ce qui s’est passé en RDC : la carte d’électeur, vous l’avez en une minute. Les listes des électeurs sont affichées avec des photos. Même la paysanne analphabète voit sa photo. Avec un système de croisement qui saute le doublon, si vous êtes inscrit deux fois, on raye votre nom de la liste. Si vous venez vous plaindre, la loi dit que vous avez triché et on vous met en prison. On aurait pu capitaliser toutes ces expériences, mais on a compliqué inutilement le processus. Comme disent certains, beaucoup d’acteurs ont intérêt à la persistance de cette guerre. N’oubliez pas que la fin de cette guerre va ouvrir des perspectives sombres pour un certain nombre d’acteurs politiques dont les noms sont mentionnés dans des rapports des Nations unies : viols massifs, tueries massives, etc. Dernier aspect, c’est une élection très ouverte. On ne peut pas dire qui des trois principaux candidats va gagner. Cela peut expliquer toutes ces hésitations. En tout cas, pour ma part, je souhaite, je prie Dieu que tout se passe convenablement le 29 novembre pour permettre à ce pays de sortir de cette crise. Parce que c’est la locomotive de l’Afrique de l’Ouest. Si elle se porte bien, nous nous portons tous bien.

Pour conclure, pouvez-vous nous dire, quel est le dernier livre que vous avez lu ?

C’est "L’audace d’espérer" de Barack Obama que je suis toujours en train de lire. J’avais, lu "Les rêves de mon frère", je l’ai achevé. Je suis sur "L’audace d’espérer" parce qu’il se présente à moi, comme beaucoup de jeunes Africains, comme un modèle. Quand on regarde son parcours, on se rend compte que c’est possible, comme il dit lui même : "Yes, we can". Il y a beaucoup de choses à apprendre auprès de ce monsieur. Et je voulais rappeler une de ses célèbres phrases qu’il a prononcée à Accra autour de laquelle, il faut qu’on réfléchisse en permanence : "L’Afrique n’a pas besoin d’hommes d’Etat forts, mais elle a besoin d’institutions fortes". Tout le monde est capable du pire. Quelle que soit la nation où vous partez. La seule différence entre une nation et une autre est que dans telle nation, on a placé des institutions qui font que le diable qui est en toi, est obligé de sortir ; il ne peut pas s’exprimer.

Propos recueillis par Dayang- né- Wendé P. SILGA, Lassina Fabrice SANOU, Abdou Zouré et Adama COULIBALY et Raphaël KAFANDO (stagiaires)

Le Pays

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