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BURKINA : "Au-delà de Salif Diallo, une démocratie critiquable"

Publié le jeudi 20 août 2009 à 02h24min

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Faisant une analyse de la pratique politique au Burkina, Cyprien Nanéma, dans l’écrit ci-dessous, en vient à la conclusion que le rapport du Collège des sages doit être le fil conducteur de la gouvernance au "Pays des hommes intègres".

La sortie médiatique de S.E Salif Diallo dans les colonnes du Journal "L’Observateur Paalga" fait couler beaucoup d’encre et vaut à son auteur une suspension des instances du CDP. Cependant, ne dit-on pas que "lorsque le doigt montre la lune, il faut regarder la lune et non le doigt" ? Militant du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), je voudrais apporter ma modeste contribution au débat politique en espérant que de nombreux patriotes l’alimenteront surtout dans le sens noble et positif. J’ai été quelque peu déçu du dernier congrès. En effet, par ces temps de vie chère, par ces temps d’une campagne hivernale incertaine, annoncée déficitaire, par ces temps où il est question de faire du Burkina un pays "émergent" dans seulement une dizaine d’années, le congrès n’a pas montré en quoi soulager les populations de leurs souffrances "crèvent l’oeil" et aussi en quoi, sans démagogie, amener le pays à quitter le rang des "avant-derniers" du classement du PNUD et se positionner comme un "dragon" au même titre que l’Afrique du Sud ou le Nigeria. Aussi, en préliminaire, il me plaît de rappeler quelques extraits du Rapport du Collège des Sages d’août 1999 ; il y a dix (10) ans seulement !

Et ces propos méritent que nous revenions à ce rapport plutôt que de faire la politique de l’autruche ou encore chercher des fuites en avant. "De la Haute Volta des années 60 au Burkina de nos jours, notre pays a fait l’expérience de tous les types de régimes qui ont marqué le 20e siècle finissant... De ce bref aperçu historique des régimes politiques de notre pays, nous relevons que notre peuple a une très riche expérience politique. Le Burkinabè est donc un citoyen aguerri et averti à même de surmonter n’importe quel séisme politique. Dans ces conditions, le débat démocratique, l’exercice des libertés fondamentales et l’expression du vote libre seront vidés de leur contenu par des pratiques au service uniquement de la victoire à tout prix. Dans tous les cas, la responsabilité de tous les acteurs de la scène politique nationale est ici engagée : le pouvoir, l’opposition et les organisations de la société civile plus ou moins inféodées aux partis politiques... " Le rapport du Collège des Sages était impartial et demeure tout un programme. Aussi faut-il avoir seulement le courage politique de l’appliquer. A travers le présent point de vue, je parlerai de la question de l’Etat de droit au pays des hommes intègres car je crois que c’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui.

L’Etat de droit

En adoptant la Constitution de 1991, le Burkina a tourné la page des Etats d’exception des colonels puis des capitaines et a choisi le statut d’Etat de droit. Je voudrais parler seulement de deux (2) éléments qui caractérisent cette situation au pays des hommes intègres : d’une part, la démocratie pluraliste (A), d’autre part, la séparation des pouvoirs (B).

A. La démocratie pluraliste

Elle se définit comme un mode de gouvernement fondé sur la légitimité d’une pluralité effective de partis politiques. Cette conception de la démocratie est de type libéral et "occidental". Elle s’oppose à la démocratie populaire qui est de type marxiste et totalitaire comme naguère dans les pays sous influence de l’URSS, à travers des régimes soi-disant "révolutionnaires". Toutefois, la démocratie pluraliste comporte un élément essentiel : l’alternance. L’alternance est la reconnaissance de la légitimité des tendances politiques à se succéder au pouvoir en cas de modification des majorités dans le pays. C’est un principe démocratique selon lequel un parti politique ne peut se maintenir au pouvoir indéfiniment et doit être remplacé par une autre tendance politique lorsque celle-ci remporte la majorité des suffrages. Selon les cas, l’alternance peut être irrégulière en regard des résultats des élections, ou automatique car imposée juridiquement ou résultant d’un accord entre forces politiques. Elle peut même être incomplète à l’image de la cohabitation. Pour que tout cela "baigne", il faudrait sans nul doute des bases. Faire des populations de véritables citoyens et non du "bétail électoral" (excusez-moi), établir des listes électorales, des fichiers transparents et fiables. Les enjeux des différentes élections (présidentielles, législatives et communales) devraient être fortement et bien expliqués aux populations. De même, le scrutin devrait être expliqué aux acteurs du jeu politique. Ainsi, le vote et les modes de scrutin (scrutin plurinominal, scrutin plurinominal ou de liste, scrutin proportionnel, scrutin majoritaire, avec leurs avantages et leurs inconvénients) gagneraient à être expliqués aux populations. Tout cela devrait être accompagné de la transparence, de la bonne gouvernance et surtout de la lutte contre l’impunité. La démocratie pluraliste nous séduit mais vaudrait-elle son pesant sans la séparation des pouvoirs qui constitue la pomme de discorde du moment ?

B. La séparation des pouvoirs

Cette technique constitutionnelle consiste à attribuer chaque fonction de l’Etat (exécutive, législative, juridictionnelle) à un organe étatique distinct. Montesquieu dira qu’il faut ainsi une technique qui permette que "le pouvoir arrête le pouvoir". La séparation des pouvoirs est un principe qui tend à prévenir les abus du pouvoir en confiant l’exercice de celui-ci non à un organe unique, mais à plusieurs organes. La séparation des pouvoirs peut être rigide : indépendance des pouvoirs caractéristiques du régime présidentiel. Elle peut être aussi souple : collaboration des pouvoirs caractéristiques du régime parlementaire. Les propos de S.E Salif Diallo ont le mérite de faire du Président du Faso un personnage au-dessus de la mêlée, et peut-être même un futur personnage aux plans africain et mondial. Cependant, se rendait-il compte qu’il touchait au bien-être, au confort et aux intérêts des "parlementaires" et de leur chef, s’estimant juste à mi-mandat ? Sans doute ! Néanmoins, nous ne nous faisons pas d’illusions. Les institutions ne valent que ce que valent les hommes qui les dirigent. Que vaut l’indépendance pour l’esclave qui se réjouit ou s’accommode fort bien de ses chaînes ? Bien des Burkinabè se cachent derrière leur manque de personnalité, leur manque de courage si ce n’est derrière leur propre malhonnêteté ou volonté de nuire tout en indexant le régime et le Président du Faso. Hommes "dits intègres", soyons honnêtes avec nous-mêmes, il est temps !

Pour finir, il me plaît d’aborder la question de nos tares politico-socio - culturelles car elles nous marquent comme des plaies de la lèpre. D’abord, s’agissant de nos tares politiques, elles tiennent à plusieurs situations. Le débat politique, au lieu d’être la confrontation des idées et des projets de société, est ramené à une vulgaire querelle de personnes non seulement entre opposition et pouvoir mais aussi au sein d’un même parti. Pourtant, nous applaudissons les élections de Sarkozy (le Hongrois) et d’Obama (l’Africain) ! La pratique électorale du "tuk gili", la victoire à tout prix et la volonté de puissance de l’Etat d’exception ont fini de faire des membres des partis politiques des "clients" et non des "militants".

Ainsi, dans la plupart des partis, "on ferme sa gueule ou on démissionne". C’est pourquoi, les candidatures indépendantes ne sont pas à l’ordre du jour au Pays des hommes intègres. Dans le domaine économique, les problèmes pendants relevés par le Collège des Sages et qui restent comme des "plaies de l’Egypte" pour notre politique sont ainsi rapportés :" L’affairisme des responsables politiques à travers le trafic d’influence, les détournements, la corruption, les surfacturations, l’enrichissement illicite et la constitution de société prête-noms appartenant soit aux proches soit à des relations des personnalités du monde politique, l’impunité des crimes économiques avec l’existence de dossiers sans suite judiciaires, le comportement, l’arrogance et le mépris de certains nouveaux riches à l’égard de la population..." Qui dirait mieux ? Si c’est cela aussi que S.E Salif Diallo a qualifié de "patrimonialisation", le mot qui fâche, alors balle à terre S.V.P ! Après ces quelques tares politiques, voilà en seconde position les tares socio-culturelles. Pour l’essentiel, elles tiennent à la chefferie traditionnelle moaga qui n’a pas manqué de déteindre sur d’autres ethnies. Les forces coutumières et les chefferies traditionnelles résistent tout naturellement depuis la colonisation à l’Etat moderne surtout quand elles se sentent menacées dans leurs fondements, dans leur existence. Elles usent de menaces et de forces psychologiques, physiques et occultes. Depuis la ruse d’un certain Mogho-Naba Motiba qui serait Peulh, il y a une méfiance quasi-générale vis-à-vis des élites peulhs ou apparentées. Le Président Thomas Sankara et peut-être Salif Diallo ne seraient-ils pas du lot des victimes ? Diabré Zéphirin n’aurait-il pas contre lui au préalable la mauvaise réputation attribuée aux "Bissas" ?

En tous cas, la sortie malheureuse du Yatenga - Naaba n’est pas pour nous contredire sur les vestiges de notre histoire. Mais au fait, et si toute la levée de boucliers actuelle n ’était que le prélude à la guerre de succession à la Présidence du Faso en 2015 ? J’y crois et c’est le sujet que j’aborderai prochainement (si Dieu le veut) car sa pertinence n’échappe à personne. Au-delà des propos de S.E Salif Diallo, au-delà des conclusions du forum pour l’alternance de Monsieur Diabré Zéphirin, au-delà des propos des refondateurs et des membres de l’opposition radicale, revoyons et appliquons le rapport du Collège des Sages. Ensemble, dans l’amour de notre pays, loin de la "mal-cause" et de la politique politicienne, dans la vérité et dans la paix, avec son Excellence Blaise Compaoré, construisons un Burkina toujours meilleur !"

Cyprien NANEMA

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 20 août 2009 à 11:20, par JFK En réponse à : BURKINA : "Au-delà de Salif Diallo, une démocratie critiquable"

    Bonjour !
    Provenant d’un militant du parti au pouvoir, cette analyse me parait pertinente en ce qu’elle dépeint à mon sens la triste réalité politique de notre cher pays. Pour ma part je bénirai le jour où l’élite burkinabè pourrait enfin se laisser objectivement pénétrer par le contenu de "l’intérêt supérieur de la nation" et vibrer comme tel dans sa pensée, dans ses propos et dans ses actes. Seule une telle option nous prémunira de l’effondrement qui nous attend inéluctablement.Elite Burkinabè, le privilège de l’instruction bien élaborée et bien appropriée doit conduire à la Vérité et à l’élévation de soi et partant du peuple et non à une certaine myopie caractérisée par la bêtise et le crétinisme. A ce propos, Aimé Césaire ne disait -il pas à juste titre que toute civilisation qui ruse avec ses propres principes est une civilisation moribonde ?!!!

  • Le 20 août 2009 à 11:25, par NIFRI En réponse à : BURKINA : "Au-delà de Salif Diallo, une démocratie critiquable"

    Bien dit monsieur NANEMA, ce n’est pas ce qu’on ne sait pas. Le pays est rompu d’intellectuels qui savent réflichir et qui trouvent de réelles solutions MAIS, le grave problème est "la malédiction des 3M". QUE DIEU SAUVE LE FASO

  • Le 20 août 2009 à 12:47 En réponse à : BURKINA : "Au-delà de Salif Diallo, une démocratie critiquable"

    salu chers internautes, j’ai lu cet article que j’ai d’une certaine manière apprécié. cependant je ne suis pas d’avis avec certaines pensés de l’auteur. d’abord à propos des crimes économiques, je crois que Salif Diallo n’échappe pas à cet vollet. Il a longtemps profité des détournement financière de ce regime. J’aimerai dir que si on peut apprécié le courage de ce type on lui reconnais aussi son impurété.il a longtemps usé de ruse pour diviser les opposants, ce qui a permis au CDP d’être ce qu’il est aujourd’hui. Salif n’est que l’un des plus grands artisants de ce régime.
    Ensuite à propos de Zéphirin Diabré, il ya quelque chose que je ne comprend pas, cè quelle mauvaise réputation qui est reconnu aux bissas. je vous démande d’être plus précis. Que Dieu bénisse le Faso ! Merci !

  • Le 20 août 2009 à 13:13, par Pour un Burkina Moderne En réponse à : BURKINA : "Au-delà de Salif Diallo, une démocratie critiquable"

    - ne nous faisons pas d’illusions. Les institutions ne valent que ce que valent les hommes qui les dirigent. Que vaut l’indépendance pour l’esclave qui se réjouit ou s’accommode fort bien de ses chaînes ? Bien des Burkinabè se cachent derrière leur manque de personnalité, leur manque de courage si ce n’est derrière leur propre malhonnêteté ou volonté de nuire tout en indexant le régime et le Président du Faso. Hommes "dits intègres", soyons honnêtes avec nous-mêmes, il est temps !
    Excellent
    - Le bétail électoral

    - l’affairisme qui fait de l’Etat Burkinabé une bande brigand assurée de son impunité .
    - le goût du gain facile
    - la médiocrité et la méchanceté

    Burkinabé soyons d’honnêtes et courageux organisateurs bâtisseurs et défenseurs de notre territoire !

  • Le 20 août 2009 à 13:17, par St thomas En réponse à : BURKINA : "Au-delà de Salif Diallo, une démocratie critiquable"

    Bien écrit, diagnostic froid et sans passion, analyses pertinentes, solutions réalistes,merci à l’auteur. Dieu sauve le Burkina

  • Le 20 août 2009 à 16:15, par Paris Rawa En réponse à : BURKINA : "Au-delà de Salif Diallo, une démocratie critiquable"

    Je suis en parfait et total désaccord avec ce Monsieur Nanema quand il traite à la légère des références ethniques et historiques dans sa malheureuse phrase suivante : « Depuis la ruse d’un certain Mogho-Naba Motiba qui serait Peulh, il y a une méfiance quasi-générale vis-à-vis des élites peulhs ou apparentées. Le Président Thomas Sankara et peut-être Salif Diallo ne seraient-ils pas du lot des victimes ? Diabré Zéphirin n’aurait-il pas contre lui au préalable la mauvaise réputation attribuée aux "Bissas" ? » En quoi est-ce anormal au temps de Naaba Motiba et même de nos jours de considérer qu’un peulh n’est pas à sa place dans la fonction de Mogho-Naaba de Ouaga ? Il n’y a rien de choquant en cela puisqu’il s’agissait pas encore de l’entité politique du Burkina (ex-Haute Volta). La chefferie traditionnelle est par nature ethnique et elle constitue uniquement une référence culturelle de nos sociétés précoloniales, puisqu’elle a perdu son autorité politique et administrative.

    Alors, ce fait de l’histoire de la royauté moaga de Ouaga ne peut pas être utilisé avec pertinence pour laisser entendre, sans aucune autre explication, que Sankara, Salif Diallo et Diabré Zéphirin serait victimes d’une méfiance ou d’une mauvaise réputation en raison de leurs origines ethniques. Que ce Monsieur n’essaye pas de diffuser dans l’opinion publique burkinabè cette imagination funeste et toxique de son esprit. Je suis moaga, mais je ne me reconnais pas dans la politique de Blaise C qui est moaga et de son ami Salif qui est peulh. J’ai soutenu des idées et critiqué l’action politique de Sankara qui est plus exactement silmi-moaga (métis peulh moaga) et aujourd’hui je partage l’idée d’alternance prôner entre autres par Diabré Zéphirin qui est bissas. Beaucoup de burkinabé font leurs options politiques en dehors des références ethniques.

    Monsieur, Nanema n’est ni pertinent ni prudent de vouloir ramener la référence ethnique comme un critère d’engagement politique des burkinabè

  • Le 21 août 2009 à 00:04, par Pugnere En réponse à : BURKINA : "Au-delà de Salif Diallo, une démocratie critiquable"

    Monsieur Nanema fait une bonne analyse de la situation politique du Pays mais il se perd quelque fois dans ses refléxions quand il aborde les thèmes comme la chefférie traditionnelle, l’ethnocentrisme etc...
    Chacun a droit à la parole. Chacun a droit de dire ce qu’il pense pour la construction de la nation. Ce qu’il faut éviter c’est la dictature, c’est l’égocentrisme, ce sont les trois M. La différence est source d’enrichissement.

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