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Siriki Ki, artiste-plasticien : "Un médecin ou un mécanicien peut être un très bon critique d’art"

Publié le vendredi 14 août 2009 à 01h02min

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Il est artiste-plasticien et a exposé dans des galeries à travers le monde. Diplômé de l’école supérieure des beaux arts de Bingerville (Côte d’Ivoire) et du Centre de formation professionnelle de Pietra Santa en Italie, Siriki Ki est bien connu du milieu des arts plastiques car, initiateur du symposium international de sculpture sur granite de Laongo. De retour du Festival culturel panafricain d’Alger (PANAF 2009) où il a présenté une œuvre, "le Onze national", Siriki Ki fait le point de sa participation à cette rencontre continentale et juge, sans faux-fuyant, le niveau actuel de l’art plastique burkinabè sur le plan international.

Sidwaya (S). : Vous revenez du PANAF d’Alger, comment s’est déroulé le festival dans son ensemble ?

Siriki Ki (S. K. :) : Le Festival culturel panafricain d’Alger (PANAF) 2009 était à sa 2e édition cette année, la première s’étant déroulée il y a 40 ans.
Les créateurs de toute l’Afrique se sont retrouvés à Alger pour partager leurs expériences sur le plan technique, artistique et culturel. Sur le plan typiquement professionnel, le festival s’est bien déroulé. Les lieux d’exposition étaient magiques, ce qui fait que les œuvres étaient très bien exposées. En somme, le PANAF 2009 a été organisé de manière magistrale.

S. : Quelle œuvre avez-vous exposée à ce festival ?

S. K. : J’ai été invité par le commissaire du festival, Helal Zoubir pour exposer "le Onze national". C’est une œuvre que j’ai eue à réaliser à la biennale de Dakar il y a quatre ans. Selon lui, l’installation l’avait marqué et c’est ainsi qu’il m’a invité à la l’exposer de nouveau au PANAF 2009 à Alger. C’est une œuvre qui titille un peu les supporters chauvins. C’est-à-dire, ceux qui vont au stade pour supporter leur Onze national et qui oublient que sur l’aire de jeu, il y a deux onze nationaux. Et si à la fin du match, leur équipe perd, ils cassent tout dans le stade ainsi qu’en ville. Ces genres de comportements entraînent parfois des pertes en vie humaine. C’est cet aspect que j’ai voulu faire ressortir en mettant seulement onze joueurs sur la pelouse et là, ils sont sûrs de gagner.

S. : Comment les visiteurs ont-ils accueilli "le Onze national" ?

S. K. : Après le vernissage le 8 juin 2009, je suis revenu à Ouagadougou. Mais ce sont des œuvres qui marquent. Elles ont leur place. Certains comprennent et d’autres pas.

S. : Quelle était la qualité des autres œuvres exposées ?

S. K. : A divers niveaux, ce sont des œuvres de grande qualité. Etant déjà invité là-bas, c’est sûr que tous ceux qui ont participé ont du potentiels, des messages à faire passer. Ceux qui ont exposé au PANAF sont tous des artistes qui ont abattu un travail de plasticien. Ce sont des créateurs.

S. : Avez-vous tiré profit de votre participation au PANAF ?

S. K. : A notre âge, on essaie d’apporter quelque chose, notre savoir. Comme point positif, l’exposition a été très bien organisée. Les organisateurs y ont mis les moyens et c’était beau. Le principal enseignement que j’ai pu en tirer, est que quand on injecte de l’argent dans ces genres de manifestations, on arrive à mieux mettre les choses en valeur. En plus, les 4/5 des artistes qui ont exposé au PANAF se connaissaient déjà tous. Nous nous sommes donc retrouvés entre amis et on a surtout discuté.

S. : Combien d’artistes burkinabè ont participé à ce festival ?

S. K. : En art plastique, j’étais seul à représenter le Burkina Faso. En design, il y avait deux Burkinabè, Alassane Drabo et Ahmed Ouattara qui sont des jeunes très talentueux. Et en photo, il y avait Paul Kabré qui n’est pas mal aussi. Tous ceux que j’ai cité étaient les invités officiels du festival. On était alors quatre Burkinabè.

S. : Avec vos multiples participations à ces genres de festival, comment jugez-vous le niveau de l’art plastique au Burkina Faso ?

S. K. : Avant d’aller à Alger, il y avait un colloque au Goethe Institute à Ouagadougou où il était question d’une école des arts plastiques du 21siècle au Burkina Faso. Il a été dit à cette rencontre que, chez nous, les arts plastiques sont à la traîne sur le plan international et qu’il y a une absence de programme d’éducation, etc. Mais c’est aberrant. Parce qu’il ne faut pas toujours prendre seulement en considération la formation académique. Il y a des autodidactes qui sont aussi bon, sinon meilleurs que ceux qui ont eu une formation. Donc, lorsque l’on se base sur cet aspect pour dire que les arts plastiques au Burkina Faso sont à la traîne, je dis haut et fort, que c’est absolument faux.

J’ai participé à plusieurs festivals à l’étranger. Prenons par exemple le PANAF 2009 à Alger, ce sont au total quatre Burkinabè qui ont participé à l’exposition internationale. En comparaison avec d’autres pays africains, il y avait aussi quatre Ivoiriens, cinq Sénégalais, un Nigérien, deux Maliens. Avec de tel nombre, je ne sais pas pourquoi certains disent que le Burkina est à la traîne en ce qui concerne les arts plastiques. Ce sont des clichés que des personnes véhiculent par méconnaissance des réalités de cet art.

Ce qui est grave, c’est que par sympathie ou par fraternité, des journalistes écrivent sur des jeunes qu’ils présentent comme de grands artistes. Alors, sur Internet, quand les grands critiques d’art ou les collectionneurs de l’Occident les voient, ils se disent que si ce sont ces jeunes qui sont les grands artistes du Burkina, c’est qu’il n’y a rien dans ce pays. D’ailleurs, on m’a déjà interpellé à plusieurs reprises en Europe sur ce sujet. Pourtant, on a des jeunes artistes qui se défendent bien. On a par exemple un Alassane Drabo qui a eu le grand prix en design à la biennal de Dakar en 2004 et qui, malheureusement, n’est pas suffisamment connu au Burkina Faso. Il y a aussi Ahmed Ouattara qui fait du bon boulot, Christian Sawadogo aussi qui est peintre et connu sur le plan international. Ici, au Centre national d’artisanat d’art, on peut citer Amado Kouraogo qui est plasticien-sculpteur. Ce sont des jeunes qui travaillent dans l’ombre sans faire de tapage. C’est eux les valeurs sûres de l’art plastique qu’on doit valoriser. Il ne faudrait pas qu’on les décourage.

S. : Ces difficultés que rencontre l’art plastique burkinabè ne sont-elles pas dues à une absence réelle de promotion ?

S. K. : Effectivement, c’est le cas. Avec la volonté qui nous anime, nous les aînés, nous avons voulu faire connaître les arts plastiques burkinabè sur le plan international. Pendant qu’on essai d’élever les jeunes artistes, il y a des gens, par ignorance certainement, qui rament à contre-courant. Au Burkina Faso, nous avons une grande tribune qui pouvait faire connaître les plasticiens burkinabè. Il s’agit de la Semaine nationale de la culture (SNC). Au début de la SNC, les jeunes étaient enthousiastes et y participaient beaucoup. Mais ils ont vite déchanté parce que les membres du jury qui doivent juger les œuvres, n’ont parfois aucune connaissance de l’art plastique. Il découragent les jeunes par leur jugement et leur classement. Je vais vous raconter une anecdote pour confirmer ce que je viens d’affirmer : "Une année, il y a eu une compétition de batiquier dans le Kadiogo, où six personnes ont été retenues. La 1ère s’appelait Madi et il est encore dans le CNAA ici.

Les six sont allés retrouver deux autres à Bobo-Dioulasso pour encore compétir. A l’issue de la compétition, le 1er du Kadiogo, Madi, s’est retrouvé dernier, c’est-à-dire 8e". C’est inexplicable, car, même s’il n’était pas bon, il pouvait être à la limite 3e. Il existe tellement ces genres de cas, qu’on ne peut pas tout citer. Cela veut dire qu’il y a certaines personnes qui se retrouvent dans des jurys sans aucune notion de l’art. Ce que les gens ne savent pas, un médecin ou un mécanicien peut être un très bon critique d’art, c’est-à-dire un bon membre du jury. Pourvu qu’il s’y intéresse, se documente et suit toujours l’évolution de l’art plastique parce que c’est un domaine qui évolue.

S. : Que faut-il exactement pour faire avancer l’art plastique au Burkina ?

S. K. : Il faut mettre les gens qu’il faut à la place qu’il faut. Il ne faut pas être complaisant. Il y a des jeunes qui sont là, qui travaillent dur et qui progressent. Malheureusement, ceux qui sont censés les juger ne sont pas à la hauteur. Lorsqu’ils voient donc une œuvre qui sort de l’ordinaire, ils ne s’en sortent pas. Aujourd’hui, il y a de l’espoir. Je suis content parce qu’on a un ministre de la Culture, Filippe Savadogo qui écoute. Il pose des questions et il s’intéresse à l’art. Je vais essayer de l’approcher et on va essayer de situer les responsabilités pour faire avancer les arts plastiques, afin de leur donner la place qu’ils méritent.
Car être un vrai artiste, c’est être capable d’exposer dans un musée, une biennale comme celle de Dakar, ou à un festival comme le PANAF.

Interview réalisée par Sié Simplice HIEN

Sidwaya

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