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AXE OUAGA-LOME : Voir les failles d’Alédjo et pousser un soupir !

Publié le vendredi 14 août 2009 à 01h02min

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La réputation des failles d’Alédjo, nom donné à l’une des montagnes qui se dresse sur l’axe Ouagadougou-Lomé, a franchi les frontières du Togo. Elle a cela de particulier qu’on ne passe pas par cette montagne, pour la première fois en tout cas, sans éprouver quelque frayeur. Un endroit réputé très dangereux pour ceux qui se rendent, par la route, dans l’ancienne Suisse d’Afrique. Mais une faille peut en cacher bien d’autres, toutes aussi dangereuses, comme celle de Kanté au Togo.

Que n’a-t-on pas dit de ce grand trou ? De ce qu’on entendait à partir de Ouagadougou, c’est un fossé sans fond, aux profondeurs sombres, desquelles s’élève parfois de la fumée, pour les uns. Pour les autres, un grand précipice où girait nécropole de véhicules ! Car, selon ces derniers, il suffit d’un faux pas pour s’y retrouver. Pour tous ou presque qui disent l’avoir traversée, la faille d’Alédjo serait aux véhicules qui empruntent cet axe, ce que le triangle des Bermudes est aux navires : un endroit hautement dangereux, où il est arrivé que soient portés disparus plusieurs véhicules. Reste que ce qui se dit ne colle pas tout à fait à la réalité. Car, s’il y a une part de vérité il y a aussi la part de l’exagération, sinon du mythe.

Alédjo, c’est le nom donné à cette impressionnante roche naturelle volumineuse située sur l’axe Ouagadougou-Lomé. Une montagne boisée en contrebas de laquelle une vaste échancrure tapissée de mangrove. L’échancrure présente tous les aspects d’une grande vallée en profondeur, au relief accidenté. Rien à voir avec le gouffre sombre et sans fond dont il nous avait été fait part. En véritable obstacle dressé sur la voie, le récif montagneux semble n’avoir laissé aucun choix à ceux qui ont tracé la route dans la montagne, que de "l’affronter". De retour de Lomé en direction de Ouagadougou, chemin faisant, on constate que la montagne Alédjo se signale, au loin, par un contrefort impressionnant. Plus notre véhicule progresse, et plus on croit foncer tout droit dans l’obstacle montagneux. Puis, soudain, un virage à droite pour laisser le flanc de la montagne à notre gauche. Et nous voici à présent engagés sur une pente dont le côté borde le grand précipice. Aussitôt, l’apprenti-chauffeur du camion qui nous transporte, quitte la cabine et court tout droit vers l’arrière du véhicule. Selon toute vraisemblance, la traversée ne sera pas une partie de plaisir. Il n’est pas facile pour un mastodonte de monter une pente, a fortiori quand celui-ci a chargé 40 tonnes de marchandises !

A pas de tortue

Qu’est allé faire l’apprenti-chauffeur à l’arrière du camion qui vient de rétrograder en première vitesse et qui avance à présent très péniblement ? "Il est allé placer des cales (vendues aux abords de la voie, dans les villages environnants) sous les pneus", nous indique le chauffeur. Car, à mesure que le camion fait sa progression, il faut empêcher tout retour en arrière du véhicule. Cela pourrait être fatal pour le camion et, par ricochet, pour ses occupants. Les conducteurs de camions et autres véhicules arrivant en sens inverse, pour lesquels c’est donc la descente, avancent prudemment, à pas de tortue, pour ne pas se retrouver dans le décor. Mais que faire, en cas de pépin, en ce lieu essentiellement animé et bruyant des va-et-vient des automobiles, où toute présence humaine est presque toujours passagère, à un niveau où "chacun se cherche, Dieu le pousse" ?

L’occasion de se remplir les poches

Y a-t-il possibilité de se sortir du pétrin ? Oh, que si ! On peut toujours compter sur l’aide chèrement payée de mécaniciens venus des localités environnantes et guettant la moindre occasion de gagner de l’argent. Ne dit-on pas que le malheur des uns fait le bonheur des autres ? Nous croisons, du reste, des mécaniciens assis à ne rien faire, à l’ombre d’un des innombrables arbres qui donnent à l’endroit un air de forêt. Ils sont reconnaissables aux uniformes qu’ils portent. De l’entrée à la sortie de la montagne d’Alédjo, la traversée aura été une succession de chaussées tantôt rétrécies à droite, tantôt à gauche. Pour tout dire, on aura glissé sur une route étroite serpentant la montagne, en bitume et laissant toujours sur son côté droit le grand précipice. Le danger est permanent. Difficile de préciser le nombre de kilomètres parcourus pour sortir de la montagne.

Mélange de crainte et d’évasion

De fait, on ressent un mélange de crainte et d’évasion due à la féerie des lieux. Toutefois, des glissières froissées à certains endroits de la voie, témoignent de cas d’accidents survenus. A peine quittons-nous la montagne d’Alédjo que nous faisons notre entrée dans un village : Agaradin. Nous nous apprêtons à y marquer une halte "casse-croûte" quand nous croisons un groupe de mécaniciens affairés sur le bas-côté de la voie. Ils disent être de ceux qui vont dépanner les camions tombés en panne dans la montagne. A quel genre de panne ont-ils généralement affaire ? L’un deux raconte : "Il arrive que les freins de certains véhicules qui tentent de monter sur la montagne, lâchent. Nous allons alors à leur secours". "Mais, une fois que nous réparons la pompe d’air et que le véhicule refuse toujours de monter, alors, il faut recourir à des grues", ajoute le mécanicien qui indique que les pannes survenaient très fréquemment en ces lieux il n’y a pas si longtemps, quand la route n’avait pas encore été réfectionnée. Entre 15 à 35 000 FCF le dépannage. A ces prix-là, ces mécaniciens assurent que leurs services ne coûtent pas cher.

Des camions ont sombré dans le trou

Native du village, la restauratrice avec qui nous taillons une bavette, nous assure que des accidents sur la montagne, elle en a vu, et ce, depuis sa tendre enfance. "J’ai vu plusieurs fois des camions sombrer dans la faille d’Alédjo. Déjà, quand nous étions enfants, se rappelle Fousseni Laoura, et que nous allions nous amuser dans la montagne, il nous arrivait d’entendre, au loin, un grand bruit. C’était un véhicule qui venait de tomber dans le trou". Bien qu’elle n’ait pas été témoin de ce genre de drame depuis maintenant deux ans, Mme Laoura relève que les villageois se cotisent souvent en vue d’organiser des sacrifices afin de conjurer le mauvais sort. Alédjo est-elle contournable ? Oui. Mais le détour vaudrait une distance supplémentaire de 100 kilomètres ; ce qui ne semble guère enchanter les transporteurs routiers pour qui le temps, c’est de l’argent !

Et voilà Bafilo

La montagne d’Alédjo franchie, une autre lui succède : Bafilo, nom donné au village qui l’abrite. Une montagne très dangereuse, dit-on, par l’une de ses déviations. Mais la plus redoutée des transporteurs routiers est celle de Kanté qui déroule, sous ses pieds, comme Alédjo, l’impressionnante étendue de son précipice. C’est sur la montagne de Kanté, en effet, et alors que nous descendons une pente dangereuse, que nous tombons nez à nez, au détour d’un virage, sur un accident. Autour d’un camion "échoué" sur le bas-côté de la route, la cabine pratiquement enfouie dans un arbre, Moussa l’électricien et Karim le mécanicien, s’emploient à le dégager de là. Dieu soit loué que cet arbre ait été là pour donner à l’accident une tournure moins grave !

Les freins ont lâché

Les freins du camion ayant lâché, les deux pneus éclatés, le véhicule pouvait, en effet, se retrouver de l’autre côté de la voie, et terminer ainsi sa course dans le grand vide. Un peu plus loin, un deuxième accident dû, ici comme dans le précédent cas d’accident, à un défaut de freinage. Eprouvés par la montée, les freins ne supportent le coup que s’ils sont dans un très bon état, commentera plus tard notre chauffeur. Voilà plus de quatre jours, disent Lamba Kouamé et Atara Doktene venus de Dafalé, une localité voisine, qu’ils s’emploient, en vain, à dégager ce camion, aidés en cela par d’autres jeunes. "Si nous avons depuis longtemps traîné à le sortir de là, dit Lamba Kouamé, c’est que le propriétaire du camion qui nous a fait appel, ne nous avait pas encore autorisé à le décharger. Il n’a pris sa décision que bien trop tard".

"Des camions dans le fond, j’en ai vu de mes propres yeux"

Sur Kanté, la montée comme la descente se font, comme à Alédjo, avec une extrême prudence. Alors, bonjour l’engorgement sur cette longue pente étroite ! Des habits étalés sur une corde et des cendres laissées par des feux de bois, indiquent clairement qu’il arrive que des chauffeurs passent la nuit dans la montagne. Ont-ils jamais vu un camion s’engloutir dans le grand précipice ? Tous ceux à qui nous posons la question, sont formels. "C’est malheureusement une réalité", soutient ce mécanicien qui dit avoir en sa possession des photos de camions renversés dans le fossé. Kombat Walidja, qui venait de fracasser son camion contre le flanc de la montagne de Kanté, alors que le plus dur pour lui, semblait passé, dit même en avoir été témoin plus de 4 fois. "4 ou 5 fois depuis que je fréquente cette voie il y a de cela 7 ans, dit-il au milieu d’un concert de klaxons de camions qui continuaient à circuler. J’ai vu de mes propres yeux, des véhicules tomber dans le trou. Il y en a qui s’en sortent. Mais seulement quand leur jour n’est pas arrivé. Quand, dans sa chute, le véhicule n’est pas allé trop loin en profondeur, on a recours à des grues venues de Bafilo notamment".

Un service qui vaut de l’or

Mais attention, ce service-là a un prix qui n’est pas à la portée de n’importe quelle bourse. Tout récemment, se souvient Kombat Walidja, on a retiré un camion de la faille de Kanté à 650 000 F CFA. Rien que pour son déplacement, le propriétaire de la grue a réclamé 50 000 FCFA. Ce chauffeur était pratiquement à la sortie de la montagne, quand le tuyau à air de son camion a pété. Il se retrouvait alors sans freins. "On s’est débattu jusqu’à la sortie de la montagne quand, malheureusement, nous nous sommes retrouvés face à des camions qui venaient en sens inverse. Pour les éviter, nous n’avions pas d’autre choix que de lancer la cabine du véhicule contre la falaise", se désole Walidja qui dit être allé chercher du ciment à Lomé, qu’il devait transporter à Dapaong au Togo. Mais pourquoi, diantre, s’aventurent-ils sur ces lieux connus pourtant pour être si dangereux ? Réponse de notre chauffeur : "Que faire d’autre s’il n’y a pas de boulot pour nous autres sans diplômes ? La route est devenue, par la force des choses, notre gagne-pain".

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 14 août 2009 à 20:03, par Beliour En réponse à : AXE OUAGA-LOME : Voir les failles d’Alédjo et pousser un soupir !

    Ah, l’oralité ! Nous sommes trop friand de légendes (un tel est immortel, tel arbre aurait été grimpé par un cheval, tel colline parle à une autre....
    Ce qui est certain, cet article vient démystifier cette faille qui a et est, toujours présenté par de nombreux voyageurs comme un gouffre béant qui avale même les hélicoptères.
    Mais même si vous déplacez tous Ouaga à Alédjo, certain vous dirons que ce n’est pas la vrai failles d’Alédjo, parce que le fantasme, le macabre nous fascine.

  • Le 17 août 2009 à 20:46, par un lecteur connaissaeur du parcours En réponse à : AXE OUAGA-LOME : Voir les failles d’Alédjo et pousser un soupir !

    félicitations à l’auteur pour ce texte très bien écrit, dans un style merveilleux

  • Le 5 mai 2011 à 14:26, par Ambroise En réponse à : AXE OUAGA-LOME : Voir les failles d’Alédjo et pousser un soupir !

    Salut ! Toutes mes félicitations à l’auteur de cet article. Je suis togolais mais je n’avais pas imaginé qu’un Burkinabé pouvait aussi mieux parler de mon pays que ca. Les points forts de la nature, le Togo en a en grand nombre. Donc la porte est ouverte à tous les curieux. Ce qui veut dire que nous vous invitons avec plaisir.
    Ambroise N’SOUGAN.JOURNALISTE PRODUCTEUR.

  • Le 5 mai 2011 à 14:33, par Ambroise En réponse à : AXE OUAGA-LOME : Voir les failles d’Alédjo et pousser un soupir !

    Salut ! Toutes mes félicitations à l’auteur de cet article. Je suis togolais mais je n’avais pas imaginé qu’un Burkinabé pouvait aussi mieux parler de mon pays que ca. Les points forts de la nature, le Togo en a en grand nombre. Donc la porte est ouverte à tous les curieux. Ce qui veut dire que nous vous invitons avec plaisir.
    Ambroise N’SOUGAN.JOURNALISTE PRODUCTEUR.

  • Le 14 février 2012 à 12:54, par mimichoux En réponse à : AXE OUAGA-LOME : Voir les failles d’Alédjo et pousser un soupir !

    oooooooo il a cassé le mythe !!!! qu’estcequ’on va bien pouvoir raconter a nos enfants pour leurs faire peur mtn...lol
    en tout cas j’aime l’article le style et le fond ...bien ecrit
    bravo !!

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