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Alain Gilbert Koala, président de l’Ordre des architectes : “Au moins 60% de constructions de notre pays sont anarchiques”

Publié le mardi 28 juillet 2009 à 00h58min

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Alain Gilbert Koala

Dans la seule soirée du samedi 25 juillet 2009, deux immeubles à 3 niveaux en chantier se sont effondrés au secteur n°17 et sur l’avenue Kwamé N’krumah de Ouagadougou. Encore sous le choc, de nombreuses personnes continuent de se demander ce qui a bien pu se passer. Quelles sont les causes de ces effondrements ? Est-ce dû à la qualité des matériaux de construction ou bien à des erreurs humaines ? Dans cet entretien, le président de l’Ordre des architectes, Alain Gilbert Koala, accompagné de son vice- président, Wango Pierre Sawadogo, tente d’apporter des explications tout en faisant l’état des lieux de la construction d’ouvrages au Burkina Faso.

Sidwaya (S). : Deux immeubles à 3 niveaux se sont effondrés successivement le samedi dernier. Quelles peuvent en être les raisons ?

Alain Gilbert Koala (A.G.K). : Lorsqu’il y a un sinistre pareil dans le bâtiment, il n’y a pas nécessairement qu’une seule cause. Il peut s’agir de faiblesses liées à la construction aussi bien architecturale qu’au niveau de l’ingénierie et des études techniques. Tous ces éléments peuvent être réunis, et malgré tout, une catastrophe peut survenir. En ce moment le problème peut venir de la nature des matériaux qui entrent dans la composition de l’ouvrage. Par exemple, pour ce qui est du béton, il faut du sable, du gravillon, du ciment. Même la qualité de l’eau est importante. Dans le cas du béton armé, il y a les armateurs. Les aciers peuvent être de très mauvaise qualité. Et même s’ils sont de bonne qualité, leur utilisation sur le terrain après des études bien faites, peut faillir.

S’il y a donc des failles, cela veut dire qu’il n’y a pas eu une bonne coordination des travaux par quelqu’un de compétent qui sait comment on place les aciers, comment les charges des planchers sont récupérées, etc. Vu tous ces différents paramètres, il est difficile de déterminer les causes exactes de l’effondrement de ces immeubles. Il serait judicieux de repasser au peigne fin chacune des composantes des ouvrages pour percevoir des failles. Une seule cause peut suffire en effet à provoquer cette catastrophe, ou la conjugaison de plusieurs causes. Mais c’est quand même étonnant que deux immeubles de type R + 3 s’effondrent le même jour, alors qu’il n’y a pas eu de pluie ni de vent violent. Cela veut dire qu’il y a sûrement eu de graves manquements quelque part. Les autorités doivent rechercher les vraies raisons pour ne pas livrer les propriétaires des lieux à la vindicte populaire. J’étais sur les lieux et la tension était perceptible chez les populations et des rumeurs non fondées circulaient déjà.

S. : Quelles procédures doit-on suivre pour construire un immeuble ?

A.G.K. : Toute construction d’une certaine envergure, dépassant 150 m2 de surface, doit se faire selon des étapes. Premièrement, il faut l’intervention d’un architecte et dans les cas d’un immeuble à niveaux, l’expertise d’un ingénieur est obligatoire. Pour les bâtiments à usage public, il faut nécessairement la sécurité incendie et c’est la brigade des sapeurs-pompiers qui s’en occupe. Tous ces éléments réunis, l’autorisatioin de construction est accordée ainsi que le libellé de la période d’exécution. A la fin, une commission se charge de certifier que votre ouvrage tel que réalisé est conforme à ce qu’on vous a autorisé de faire.

S. : Au Burkina, quelle est donc la réalité du terrain ?

A.G.K. : Il y a ce qu’on appelle la mission complète d’architecture qui veut dire que l’architecte est responsable de tout, depuis la conception de l’ouvrage jusqu’à sa livraison. Dans ce cas de figure, quand une catastrophe survient, celui-ci assume tout. Mais, il arrive, comme c’est souvent le cas au Burkina Faso, que l’architecte fasse sa conception, mais que la réalisation de l’ouvrage et le suivi soient confiés à d’autres bureaux d’étude. En ce moment, il est difficile de pouvoir situer les responsabilités en cas de catastrophe, parce qu’il y a une frontière très limite entre la qualité de conception et la qualité du suivi. Pour la réalisation d’une route ou d’un barrage, c’est possible, mais dans le domaine du bâtiment, c’est difficile.

S. : Apparemment, vous n’êtes pas étonné de l’effondrement de ces deux immeubles ?

A.G.K. : Avouer que je ne suis pas étonné, c’est trop dire. Sans une enquête approfondie, je suis convaincu qu’il y a plus de 60% de constructions anarchiques au Burkina Faso, notamment à Ouagadougou. Et là je n’exagère pas, c’est même le taux minimum que je donne. Il y a des compétences pour réaliser des études, mais pour des raisons que je ne connais pas, la fraude est devenue une règle au Burkina. Prenez par exemple, l’ordre de calcul. Dites à un commerçant de débourser 150 000 F. Pour cela, il trouvera que c’est de l’argent jeté par la fenêtre. Or, c’est la base de la construction parce qu’il définit toute la composition, le dosage, le ferraillage en fonction des prescriptions de l’architecte. Il y a aussi des gens qui arrivent à être leurs propres contrôleurs. J’ai vu d’autres qui ont fait leurs études et réalisé eux-mêmes leurs ouvrages. C’est très dangereux. Notre seule chance au Burkina et principalement à Ouagadougou, est que nous avons une bonne assise du sol. Ce qui fait qu’on ne sent pas trop les conséquences de ces mauvaises réalisations d’ouvrages. C’aurait été d’autres pays, on allait assister à plus de catastrophes que cela. Nous avons une altérité qui a un minimum de consistance, ce qui limite les risques même avec ces constructions hasardeuses.

S. : Voulez-vous dire que de nombreuses entreprises n’ont pas les capacités de construire certains ouvrages ?

A.G.K. : Aucune entreprise normalement n’a la capacité, car on ne peut pas être juge et partie. Moi en tant qu’architecte, si je suis maître d’œuvre, il est difficile pour moi, d’être exécutant. Il y a des gens qui me le demandent. Ce sont des millions à engranger, mais j’ai toujours refusé. Je préfère conclure un contrat sur l’étude et le suivi et cela me permet de contrôler celui qui exécute pour savoir si ce qu’il fait est bien. Quand un architecte devient exécutant, c’est qu’il est médiocre.

S. : Est-ce à dire que l’Etat, qui doit assurer le contrôle de tous ces ouvrages, ne joue pas son rôle ?

A.G.K. : Plusieurs structures en effet, sont chargées du contrôle. Il y a premièrement l’Etat avec le ministère des Infrastructures, le Laboratoire national du bâtiment et des travaux publics (LNBTP), la voirie de la mairie, etc. Au Burkina Faso, il y a tous les textes qui, réellement appliqués, peuvent concourir à édifier des ouvrages de grande qualité. Mais si seulement ils étaient appliqués, on n’aurait pas de tels sinistres. Malheureusement, il se trouve que ceux qui fraudent ont généralement la puissance de frauder de manière impunie. Pire, ils ont la conviction qu’en le faisant, ils gagnent. Ce n’est pas qu’ils ignorent les textes, c’est tout simplement pour faire des économies. Je suis sincèrement désolé pour les familles des victimes. Mais, je serais tenté de dire qu’à quelque chose, malheur est bon. J’espère que cette tragédie a suffisamment secoué tout le monde et que cela sera le début d’une application effective et complète des textes. L’Etat fait des efforts mais ce n’est pas suffisant. Pour preuve, il y a actuellement un immeuble de 3 étages en construction dans la ville qui a été conçu par son propriétaire, dessiné par lui, les matériaux achetés par lui et pire encore, il est son propre contrôleur. Heureusement qu’un courageux contrôleur de la voirie lui a dit de tout arrêter.

S. : Que faut-il faire pour assainir le milieu ?

A.G.K. : Il faut accentuer la sensibilisation de la population surtout que beaucoup d’entrepreneurs sont illettrés, car c’est révoltant de constater deux immeubles s’effondrer le même jour. On aurait pu éviter cette situation. Des gens construisent des immeubles de 500 millions et sont incapables de débourser seulement 2 millions pour les études et le suivi des travaux. Il risque de perdre tout leur investissement et d’avoir la mort de nombreuses personnes sur la conscience. Chaque acteur doit jouer sa partition. L’Etat doit être plus ferme dans ses interventions en matière de construction. Car il y va de la sécurité des citoyens et du développement de notre pays.

Interview réalisée par Sié Simplice HIEN

Sidwaya

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