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PRISE EN CHARGE D’UN CAS D’EXCISION : Parcours du combattant pour un travailleur social

Publié le mardi 28 juillet 2009 à 00h57min

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Saturnin W. Sankara, agent de la Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga, témoigne sur les péripéties vécues par son service, pour prendre en charge une fillette excisée.

L’an deux mille neuf et le jeudi vingt et cinq février aux environs de dix-huit heures, la Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga a été saisie par la Brigade territoriale de la Gendarmerie de Ouahigouya pour la prise en charge et le suivi d’un cas d’excision pratiquée selon les informations reçues sur une fillette dans le village de Silga, département de Koumbri à une quinzaine de kilomètres de la ville de Ouahigouya.

Le point focal/excision de la Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga s’est rendu sur-le- champ à la Brigade territoriale où il a été informé que deux agents avaient été dépêchés pour ramener la fillette de Silga. Ce n’est qu’aux environs de vingt heures que la fillette, dont le père était déjà en garde à vue, a été remise aux mains du point focal accompagné d’un de ses collègues. Le point focal ne disposait que d’une moto Yamaha de marque V 80 vieille d’on ne sait de combien d’années. C’est sur cette moto que les deux travailleurs sociaux ont pris la fillette excisée de quatre (04) ans environ et se sont rendus au Centre hospitalier régional de Ouahigouya où ils ont été orientés à la section maternité dudit Centre.

De la prise en charge

Après examen médical de la fillette, les agents de la section maternité du Centre hospitalier régional de Ouahigouya ont décidé de son hospitalisation pour des soins et le suivi de son état. Le service social dudit centre a été interpellé après l’établissement de la première ordonnance qui s’élevait a près de quarante mille francs (40 000 F) CFA. Le goût était amer. Malgré la contribution du service social par l’exonération de certains produits prescrits dits génériques, le Directeur provincial a dû jouer coudes et mains pour se procurer les autres médicaments de spécialités dans les pharmacies de la place qui n’étaient pas des systèmes caritatifs. L’alimentation cette nuit a de même été assurée par le Directeur provincial de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga ainsi que le point focal/excision. Ce dernier n’a plus revu son plat avec lequel il a fourni la nourriture à la fillette excisée cette nuit-là car une femme internée à la maternité aurait pris le plat, en l’absence du point focal, sous prétexte que le plat était le sien : pays des hommes intègres ? Il s’est alors posé, lorsque tous les produits ont été réunis, le problème de garde-malade puisque selon les infirmières présentes quelqu’un devait assister la fillette. A défaut des parents, le point focal/excision a été obligé d’assurer la garde de la fillette cette nuit du vingt et cinq février 2009 à la maternité en compagnie des moustiques qui y ont établi leur siège.

Des lois et décrets à la réalité du terrain

Dès le lendemain et ce jusqu’en fin mars, les choses ne vont faire que d’aller de mal en pis tant pour la Gendarmerie que pour la Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga qui, il faut très bien le souligner, sont investies du pouvoir et des compétences de suivi et de prise en charge de telles situations de par la loi mais ne disposent d’aucun moyen pour mener leurs activités.

La Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga ne disposant d’aucun moyen et vu l’urgence de la situation, la plupart des parents des victimes étant en garde à vue, a fait appel au Comité national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE) pour lui venir en aide car la première fillette, selon les résultats des premiers examens, pourrait être victime d’un accolement vaginal empêchant donc la sortie des urines. Mais quelles ne fussent la désolation et la surprise de la Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga lorsqu’elle s’est entendu dire par le Comité national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE) qu’il ne disposait d’aucun fond et qu’il fallait obliger les parents fautifs à honorer les ordonnances. Cela est certes bien dit. Mais le réalisme ne pouvait permettre à la Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga d’agir de la sorte sous peine de mettre la vie de ces victimes innocentes en danger. Etant en garde à vue, comment les parents pourraient-ils honorer ces frais ? Ou faut-il attendre après le jugement et si relaxation il y a pour prendre en charge ces fillettes dont les plaies étaient déjà infectées ?

Comble de malheur, la Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga n’avait pas encore bénéficié de sa dotation en carburant de la part du budget de l’Etat pour mener ses activités, dotation qui est passée de cent vingt mille francs (120 000 F) CFA pour les années antérieures à cent mille francs (100 000 F) CFA pour l’année 2009. Des millions de F CFA sont cependant investis pour des festivités de moins de vingt et quatre (24) heures (cf. Fête du 11 décembre 2008 à Fada) : l’incohérence politique ; la vie du citoyen "Iambda" ne compte guère pourvu que les citoyens sachent qu’il y a l’argent pour fêter.

Face à cette situation, la Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga a opté, de façon courageuse et consciente, d’assumer ses responsabilités : c’était soit secourir ces fillettes ou les laisser à leur triste sort sous le couvert du manque de moyens. C’est ainsi que des fonds qu’elle avait en sa possession mais qui avaient été collectés pour la célébration de la journée du 16 juin 2008, Journée de l’Enfant africain, ont servi pour la prise en charge et le suivi de ces filles excisées. La somme de cent dix-huit mille quatre cent vingt-six francs (118 426 F) CFA, sans compter le parking et les autres petites dépenses ni les dépenses effectuées par la Gendarmerie, a été engagée pour la prise en charge des treize fillettes.

D’une fillette recueillie le 25 février 2009, la Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga toujours en collaboration directe avec son partenaire de tous les jours, la Brigade territoriale de la Gendarmerie de Ouahigouya, s’est retrouvée le 5 mars 2009 avec treize (13) fillettes excisées à prendre en charge individuellement, toutes étant hospitalisées d’abord au service de la maternité puis transférées au service de pédiatrie.

De la collaboration entre institutions

Mais cela n’a pas été sans les compétences, l’expertise et l’abnégation inconditionnelle de la Brigade territoriale de la Gendarmerie. En effet, la seule sortie effectuée par le point focal en compagnie de la Gendarmerie révèle les difficultés rencontrées par la police judiciaire dans l’exercice de ses activités. Plutôt que de parler de moyens précaires, il serait plus adéquat de parler d’absence de moyens car prendre un véhicule "du temps de Melchisédech", inadapté, et ce n’est pas là le problème, et presque sur cale et vouloir atteindre de bons résultats avec cela ; il faut vraiment un esprit de sacrifice au-dessus de la norme ; et c’est ce qui est constaté chez les agents de la Gendarmerie et de l’Action sociale.

Durant toute cette période, les agents de la Gendarmerie ainsi que ceux de l’Action, sociale n’arrivaient plus à faire la différence entre heures dites de service (07h00 à 12h30 et 15h00 à 17h30) et heures hors service, car tous les jours (du lundi au lundi), ils étaient sollicités soit à l’hôpital, soit sur le terrain, soit à la justice.

Complaintes

De ce qui précède, quelques constats macabres s’imposent :
• les conditions de travail désastreuses des agents de la Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga et ceux de la Brigade territoriale de la Gendarmerie de Ouahigouya. La Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga par exemple ne dispose que d’un véhicule de plus de vingt et cinq (25) ans d’âge, un téléviseur sans son qui ne tient qu’avec du scotch ; br>
• la lutte contre la pratique de l’excision semble être le dernier des soucis de l’Etat même si les discours en parlent autrement. Le 25 mai 2009 à Kaya, Son Excellence Monsieur le Président du Faso affirmait, lors de la Journée mondiale de lutte contre l’excision, ceci : "il nous appartient de lever le tabou qui entoure ce phénomène".

• l’incohérence des décrets et textes de lois avec les réalités du terrain ;
• la régression du taux de la pratique de l’excision n’est qu’une fausse apparence car des échanges avec une exciseuse prise en flagrant délit, il ressort qu’à elle seule, plus de vingt (20) clitoris sont tombés au cours de l’année 2008 dans une seule localité dont je tairai le nom ;
• il n’y a pas d’argent pour les filles victimes d’excision, mais l’argent pour les manifestations festives de lutte contre la pratique de l’excision de grande envergure et à des coûts de millions ne manque pas (cf. Journée mondiale de lutte contre l’excision célébrée en différé le 25 mai 2009 à Kaya). Que veulent alors les dirigeants burkinabè ? Des résultats ? Oui, mais des résultats sans investissement d’aucun moyen.

Les agents de la Fonction publique en général et certains agents en particulier sont considérés comme des bêtes de somme dont l’utilité est la production de résultats. Son Excellence le Premier ministre, Tertius Zongo, demande des fonctionnaires consciencieux, travailleurs et qui ne cèdent pas à la corruption. Très bien dit. Mais lorsque le travail n’est pas rémunéré à sa juste valeur, le travailleur, livré aux intempéries de la vie, cherchera par tous les moyens à joindre les deux bouts. Qui restera insensible un 20 du mois si un usager du service vous tend un billet de dix mille ou plus ? Face à la misère, la dignité perd ses lettres de noblesse. A qui alors la faute ? Les lames (le temps des couteaux est révolu) des exciseuses feront toujours tomber des milliers de fillettes tant qu’une autre politique d’accompagnement direct des agents sur le terrain ne sera adoptée dans le pays des "hommes intègres".

Saturnin Wêndinpui SANKARA Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga

Le Pays

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