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Interview de Salif Diallo : Une solution mitigée à un vrai diagnostic

Publié le vendredi 24 juillet 2009 à 04h18min

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La sortie médiatique du n°2 du parti au pouvoir, le CDP, suscite toujours des commentaires, tant dans le milieu politique que dans les discussions du commun des mortels. Après une analyse approfondie du régime parlementaire prônée par Salif Diallo, le PAREN propose, dans l’écrit qui suit, la correction des incohérences du régime actuel et la mise en place de mécanismes favorisant l’efficacité des institutions. De son côté, un enseignant membre de la Ligue africaine pour la transparence démocratique (LIA/TD), Jean-Pierre Sawadogo, trouve qu’il vaudrait mieux accepter ce que préconise l’ancien ministre d’Etat.

“Salif Diallo a encore parlé. Et cette fois, la pique a fait très mal. Au-delà des effets créés par cette sortie médiatique, il y a lieu d’analyser froidement son diagnostic de la situation nationale et les propositions qu’il a courageusement formulées. Sur le premier point, l’interviewé de l’Observateur Paalga souligne la nécessité de créer les conditions d’une alternance au Burkina, car « elle n’est pas un sujet tabou qu’il faut contourner ». Pourtant, le chef de l’Etat a clairement laissé entendre sur les antennes de la télévision nationale que ce débat, pour lui, « n’a pas une grande valeur ».

En outre, l’ancien vice-président du CDP insiste sur l’urgence d’une solution pour éviter « une patrimonialisation de l’Etat » et « préserver la stabilité et la paix dans notre pays ». Sur ces questions, celui-là qu’on disait, à tort ou à raison, très proche du président est dans le vrai. En effet, on n’a pas besoin d’être devin pour remarquer que le pays est pris en otage par une poignée d’individus qui accaparent les richesses nationales au détriment d’une grande majorité de la population qui s’enfonce inexorablement dans la misère.

Aujourd’hui, au Faso, 10% des plus riches détiennent 32,2% des revenus, contre seulement 2,8% aux mains des plus pauvres. En outre, de 1994 à 2003, le nombre de Burkinabè vivant en dessous du seuil de pauvreté est officiellement passé de 44,5% à 46,4%. Sans commentaire ! Sur le second point concernant les solutions, l’ancien vice- président du parti au pouvoir préconise l’adoption d’un régime parlementaire pour « aboutir à la mise en place d’un exécutif responsable devant un nouveau Parlement ».

Avant d’examiner le bien-fondé d’une telle proposition, il y a lieu, tout d’abord, de s’interroger sur la nature véritable de notre Constitution actuelle. A l’analyse, il ressort nettement que la IVe République est un parlementarisme présidentiel (semi-présidentiel), c’est-à-dire un régime combinant à la fois les éléments du système parlementaire et ceux du système présidentiel, un peu à l’image de la Ve République française.

En principe, dans le fonctionnement d’un tel système mixte, il y a toujours un mécanisme souple qui permet un glissement dans l’un ou l’autre modèle selon la majorité qui gouverne le Parlement. Ainsi, en France, le parlementarisme présidentiel vire au présidentiel lorsque le parti du président est majoritaire à l’Assemblée. Dans ce cas de figure, le président est fort et nomme un Premier ministre qu’il peut révoquer et qui peut être théoriquement révoqué par l’Assemblée qui est alors la voix du chef de l’Etat.

Mais, en cas de défaite du parti présidentiel aux législatives, on assiste à un retour du système parlementaire moniste où le gouvernement est responsable seulement devant le parlement avec un chef de l’Etat qui se contente de gérer la politique extérieure et d’assurer la continuité de l’Etat. C’est la fameuse cohabitation que la France a connue à trois reprises (1986-1988 ; 1993-1995 ; 1997-2002). On a vu comment Chirac, du parti de la droite, s’est effacé face à Lionel Jospin, Premier ministre issu du parti socialiste lors de la dernière cohabitation.

Cette situation n’est possible que parce que, tout simplement, l’article 5 de la Constitution française ne confère pas au chef de l’Etat les pouvoirs de déterminer la politique de la nation, bien qu’il soit élu au suffrage universel. C’est plutôt le Premier ministre, à travers l’article 20, qui détient la réalité de ce pouvoir qu’il exerce en ayant la confiance de l’Assemblée, dans laquelle son parti est majoritaire. Les pouvoirs du chef de l’Etat ne sont pleins que lorsqu’il est légitimé par les élections législatives.

Quant à notre système, il a créé une ambiguïté dangereuse en conférant au chef de l’Etat, à travers l’article 36, le pouvoir de déterminer la politique nationale, et c’est en cela qu’il faut saluer la lucidité et le courage de Salif dans sa dénonciation de ce régime. Pour cerner les dangers de notre régime, voici une petite illustration : supposons qu’en 2012 le PAREN soit majoritaire à l’Assemblée nationale. Le chef de l’Etat est contraint de nommer le Premier ministre issu de cette formation politique majoritaire à l’Assemblée.

Qui déterminera alors la politique à appliquer ? Selon l’article 36 de la Constitution, c’est le chef de l’Etat. Mais, le Premier ministre du PAREN ne saurait renier le programme de son parti pour lequel il a été élu pour appliquer celui du chef de l’Etat ! C’est une question de bon sens. Il se prévaudra de sa légitimité, au nom du principe de la légitimité la plus rapprochée. Voilà donc un blocage institutionnel. Si le chef de l’Etat se prévaut de ses prérogatives constitutionnelles pour dissoudre l’Assemblée, le peuple appelé à l’arbitrage devrait donc le sanctionner en reconduisant davantage la même majorité.

Cela s’est passé en France en 1877 avec Mac Mahon lorsqu’il a dissous le Parlement en vue de se refaire une majorité. Si le chef de l’Etat, dans son entêtement à diriger le navire, nomme un Premier ministre issu de ses rangs, on se demandera bien comment il appliquera sa politique avec un Parlement qui peut user de ses pouvoirs pour voter une motion de censure (article 115) ou refuser la question de confiance du gouvernement. Voilà donc l’imbroglio politique auquel nous prédispose notre Constitution pour avoir conféré de droit des pouvoirs exorbitants (excessifs) au chef de l’Etat.

C’est pourquoi Laurent Bado, qui a dénoncé le caractère inique de notre régime à travers un article paru en 1991, ironise en priant pour que le chef de l’Etat dispose toujours d’une majorité parlementaire dans le souci d’éviter un coup d’Etat et de préserver la tranquillité et la paix dans notre pays. En réponse à Salif Diallo, et pour vraiment responsabiliser davantage le parti présidentiel, nous pensons qu’on n’a pas besoin d’opter pour un régime parlementaire classique. Pour mieux comprendre notre position, un petit rappel s’impose. Les régimes ne sont pas le produit froid d’une théorie en Europe. Ils sont l’expression de leur histoire.

En Angleterre, par exemple, on peut remonter l’origine du système parlementaire en 1215 lorsque le roi Jean sans Terre, affaibli politiquement et excommunié, et dont le pays était menacé d’invasion par la France, demande aux barons du royaume (Grand Conseil constitué de nobles, aujourd’hui chambre des Lords) de lui permettre de lever des fonds. Ceux-ci exigeront le pouvoir de consentir à l’impôt et d’avoir le droit de pétition. C’est la fameuse Grande Charte (Magna Carta), qui était une ébauche de constitution. Le roi s’entoure de conseillers formant une équipe (gouvernement) ; seulement pénalement responsables devant le Parlement.

Lorsqu’arrive la dynastie des Hanovre (Rois d’origine allemande qui ne parlaient pas l’anglais), le roi fut contraint de se reposer sur le 1er Lord du trésor, aujourd’hui appelé Premier ministre, pour asseoir son autorité. C’est la naissance de la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement, avec un roi irresponsable et irrévocable parce que n’exerçant pas la réalité du pouvoir au regard de son handicap linguistique. La particularité du système anglais est que tout repose sur la pratique, les usages dont nul texte ne dispose. Le titre de Premier ministre n’est ni défini ni prévu. Mais théoriquement la Grande-Bretagne reste une monarchie absolue.

La caractéristique donc d’un régime parlementaire demeure la responsabilité du gouvernement devant le Parlement et ce gouvernement n’existe que parce qu’il a la confiance du Parlement. Tout le reste n’est qu’adaptation aux réalités politiques de chaque Etat. Dans notre contexte, il est inadéquat d’instaurer un tel modèle. Pour réussir un tel régime, les acteurs politiques doivent avoir une profonde culture démocratique, ce qui est très délicat dans notre situation, caractérisée par notre héritage révolutionnaire. On voit mal un chef d’Etat se métamorphoser en une reine d’Angleterre pour laisser le jeu politique s’exercer librement. Du reste, nous avons expérimenté ce régime dans la IIe République. Ce fut un échec !

Pour résoudre les problèmes soulevés, le PAREN propose :
- la correction des incohérences du régime actuel ;
- la mise en place de mécanismes cohérents et adaptés favorisant la meilleure représentativité des institutions (fichier consensuel et transparent et pièces de votation sécurisées, tel que le propose Salif Diallo) ; la Haute cour qui est l’émanation de la représentation nationale aura l’œil rivé sur toute forme de patrimonialisation du pouvoir ;
- le maintien du principe de la clause limitative de mandat présidentiel. Pour terminer, le PAREN prend note de ce choix lucide et conséquent opéré (même tardivement) par l’ambassadeur du Burkina à Vienne, car à force de ruser avec la vérité, l’on s’installe dans un engrenage suicidaire.

Le PAREN se réjouit qu’une voix autorisée (et non la moindre) du parti majoritaire, celui-là même qui tient la destinée des Burkinabè en main, reconnaisse publiquement et clairement que le Burkina est un bateau qui navigue à contre-courant de la démocratie et de l’alternance. Ce diagnostic, sans complaisance, du désormais ancien vice-président du CDP d’une situation qui transcende les intérêts partisans est une interpellation de tous les Burkinabè pour qu’ensemble, et au- delà des appartenances partisanes, corporatistes, politiques, culturelles, idéologiques et religieuses, ils œuvrent à arrimer maintenant et solidement la Nation sur le train de l’alternance et de la démocratie, sans lesquelles tout développement et tout épanouissement humains demeurent impossibles.

Tahirou Barry, Secrétaire aux questions juridiques et électorales du PAREN
(Mail:barry_centre@yahoo.fr)

L’Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 24 juillet 2009 à 12:46, par SAM En réponse à : Interview de Salif Diallo : Une solution mitigée à un vrai diagnostic

    Les partis de l’opposition doivent avoir honte de sauter sur l’evenement de Gorba.Ces reflexions qu’ils sont en train de faire devraienty venir devrait au contraire venir d’eux bien au paravent.
    Mais nous nous résignons du fait qu’au Burkina,il n’ya pas un parti d’opposition digne de ce nom.
    En un mot,il n’ont qu’à lever leur lièvre à eux.

    • Le 24 juillet 2009 à 22:59, par ubingo (new york) En réponse à : Interview de Salif Diallo : Une solution mitigée à un vrai diagnostic

      je veux d’abord remercier le sieur BARRY pour son analyse avant de repondre a mon predecesseur par rapport a sa critique sur les partis d’opposition.il faut dire que peut etre qu’il ne suis pas trop l’actualite politique sinon l’opposition a toujours crie et denonce la facon dont le pouvoir est gere.certains ont meme propose la restructuration des instutions.le PAREN et l’UNIR\PS ont toujours eu des propositions pour ameliorer les choses au BF mais comme elles viennent de l’opposition on les rejete sans scrupule.combien de fois Laurant Bado a fait des propositions de lois et qui n’ont pas passees ?Dieu seul sait.BREF c’est pour dire qu’il ne faut pas critiquer pour critiquer.l’opposition est faible certes mais elle fait ce qu’elle peut faire.c’est a vous de les encourrager a perseverer.

    • Le 27 juillet 2009 à 18:11 En réponse à : Interview de Salif Diallo : Une solution mitigée à un vrai diagnostic

      SAM, y a- til des droits d’auteur a payer a Salif ? L’ opposition n’est pas feuillie comme l’ autre mais on va se cotiser. N’est-ce meme pas a l’ honneur de l’ opposition de savoir reconnaitre la pertinence des critiques—si ce n’est pas une mise en scene que seuls ces "communistes" irrepentis et enrichis aux milliards nous servent—que le crapaud sorti de l’’eau a formule sur la grosseur des yeux du caiman ? Mais je suis malheureusement sur que Salif et Blaise se jouent de nous et c’est pourquoi l’ opposition doit reprendre ces idees et les faire appliquer pour barrer la route au complot Salif- Blaise- Francois. C’est malin mais a malin , doublement malin.
      Le Koimbre Honnete

  • Le 24 juillet 2009 à 14:19, par Madi En réponse à : Interview de Salif Diallo : Une solution mitigée à un vrai diagnostic

    As salam aleykoum

    Merci une fois de plus au Docteur Salif DIALLO pour avoir secouer le landerneau politique par une analyse « personnelle » de la situation nationale. Ces propositions sont d’un intérêt national eu égard à la floppée de réactions qu’elles suscitent. Depuis les Pr IBRIGA et LOADA en passant par l’UNDD et le PAREN, nous avons appris en un temps record une belle leçon de droit constitutionnel voire de sciences politique. Merci au PAREN pour le bel article.

    Je partage leur point de vue et je voudrais ajouter qu’au delà de cette constitution qui porte les germes d’instabilité (le Cas du renversement de Pdt Mahame Ousmane par le Pdt BARE Maïnassara, …) et qui nécessite un retoilettage, il faut REFONDER l’homme burkinabè, lui inculquer les nobles valeurs qui ont fait la fierté de l’Afrique.

    Les textes ne valent que ce faut les hommes chargés de son application. Il faut que le burkinabè reflechisse PEUPLE et non PARTI. L’attitude de nos hommes politiques (patrimonialisation, politisation de l’administration, courte échelle, absence de repère moraux et idéologique à part le ventre) exception une petite poignée, rendent la politique répugnante aux yeux des jeunes.

    Bon vent au PAREN pour

  • Le 25 juillet 2009 à 10:17, par zemosse En réponse à : Interview de Salif Diallo : Une solution mitigée à un vrai diagnostic

    Je l’ai déja écrit:le mérite de salif tient au fait qu’il a jeté un pavé dans la mare qui fait des vagues, c’est à dire qui incitent les honnêtes citoyens à réfléchir et à proposer des solutions pour l’avenir serein de notre Pays ;je conseille le CDP d’éviter l’erreur fatale qui consiste en la précipitation dans la prise des décisions hâtives et épidermiques qui réflètent le comportement d’un parti fourre-tout,dont les membres sont constitués en majorité d’arrivistes qui ne réfléchit qu’en fonction de leurs intétrêts .

  • Le 25 juillet 2009 à 13:43 En réponse à : Interview de Salif Diallo : Une solution mitigée à un vrai diagnostic

    Il faut profiter de la faiblesse et aux mésententes actuelles du parti au pouvoir pour éclairer la vision du peuple.C’est ça aussi la démocratie

  • Le 28 juillet 2009 à 10:27 En réponse à : Interview de Salif Diallo : Une solution mitigée à un vrai diagnostic

    Un non- evenement, une mise en scene grotesque. Opposition, reveillez- vous. Salif et Blaise ont signe un pacte de sang et ne peuvent jamais se larguer. Salif qui siat qu’ il est une bete politique mais pas vraiment presidentiable decide de se faire hara-kiri pourle boss. N’ oubliez pas que l’ homme est total et ne fait jamais dans la dentelle. On a tout compris.

  • Le 29 juillet 2009 à 11:50, par LPK En réponse à : Interview de Salif Diallo : Une solution mitigée à un vrai diagnostic

    je soutiens Salif en toutes ses forme quelques soient.
    la vérité fait mal sinon : si le parti au pouvoir aimait son peuple, cette communication de Salif DIALLO ne devrait pas leur faire un pincement au coeur comme s’il avait assaniné (hauté la vie) d’un être humain.
    continue de dire cette vérité et saches que bon nombre de Burkinabés ne savent pas par quelle voie se faire entendre ; sinon bien avant cette déclaration de Salif ils aurraient pu se faire entendre.
    les 3/4 des Burkinabés, soucieux de leur devenir sont avec vous.

    en avant Salif.

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