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Côte d’Ivoire : Les interminables pérégrinations de la caravane de la paix n’intéressent plus personne et ridiculisent l’Afrique entière

Publié le mercredi 14 juillet 2004 à 10h21min

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Chirac et Gbagbo
à Kléber-Marcoussis

Vue de Paris, la gestion (mais le terme convient-il ?) internationale de la crise ivoirienne semble bien inadéquate. Vue de Paris après un intermmède de dix jours au Burkina Faso cela devient insupportable ! Au cours des trente dernières années, j’ai parcouru tout autant la Côte d’Ivoire que le Burkina Faso.

J’ai entretenu des relations étroites avec la classe politique de l’un et de l’autre pays. Je sais ce que les Burkinabè ont apporté à la Côte d’Ivoire (y compris contraints et forcés). Je sais aussi ce que le développement économique ivoirien a apporté comme richesse à un certain nombre d’opérateurs économiques privés burkinabè (qui ont parfois, par le passé, mieux servi la Côte d’Ivoire que la Haute-Volta).

La Côte d’Ivoire, qui n’était rien encore au début du XXème siècle, s’est enrichie par le travail des hommes venus des royaumes mossi. Denise Paulme, dans le Dictionnaire des civilisations africaines, a écrit à ce sujet : "Bien administrés, hostiles à l’Islam, les Etats mossi échappèrent au chaos général qui suivit l’invasion marocaine. A l’arrivée des Européens, à la fin du XIXème siècle, ils étaient encore gouvernés par la même dynastie et occupaient à peu près les mêmes territoires qu’au moment de leur fondation, cinq siècles auparavant". Elle ajoute : "Cette étatisation contraste avec l’anarchie des savanes occidentales, comme la pauvreté en hommes des mêmes savanes s’oppose à /a forte densité de peuplement des territoires mossi".

Ce qui est devenu le Burkina Faso avait les institutions et les hommes ; ce qui est devenu la Côte d’Ivoire était un vaste territoire quasiment vierge à mettre en valeur. C’est dire que l’un et l’autre étaient comme les pièces d’un même puzzle. Complémentaires ! La colonisation en a décidé autrement. La décolonisation, qui s’est opposée aux regroupements régionaux, a accentué la déchirure.

Stabilité politique dans un contexte démocratique dominé par l’état de droit, croissance économique, développement culturel et social, crédibilité internationale : le Burkina Faso est un pays encore pauvre qui assume pleinement son destin. La Côte d’Ivoire, quant à elle, est retournée à "l’anarchie" dont elle était née. Le contraste est saisissant. Certes, l’histoire du Burkina Faso depuis l’indépendance du pays, a été traversée de crises politiques et sociales majeures, mais le pays a toujours trouvé, en son sein, la solution à ses problèmes. La Côte d’Ivoire nous offre cette misérable image d’un (demi) chef d’Etat et d’une ribambelle de leaders (sic) politiques (sic) dont les pérégrinations sont incessantes, d’Abidjan à Washington et Paris en passant par Lomé, Accra, Abuja, Libreville, etc...

Un prochain rendez-vous a été fixé, à Accra, le jeudi 29 juillet 2004. Un rendez-vous de plus (ce sera Accra III). Dont personne n’espère rien. Si ce n’est que le temps passe (au-delà du 26 octobre 2005, Gbagbo ne sera plus un président légitime) ; que les exaspérations s’affirment plus ouvertement tant du côté des chefs d’Etat africains en charge du dossier (Kérékou est venu s’ajouter à la liste déjà longue) que des Nations unies. Et qu’une nouvelle provocation de Gbagbo (comme le survol du Burkina Faso par des chasseurs ivoiriens) pourrait relancer la guerre !

Qui peut imaginer que des médiations internationales puissent régler, durablement, une crise que les responsables politiques ivoiriens ne parviennent pas à régler entre eux ? A moins de tordre définitivement le cou de l’un ou de l’autre des protagonistes. Le président Kérékou n’a pas manqué, lors de la rencontre de Libreville, d’affirmer "qu’il faut avant tout que les Ivoiriens se disent, eux-mêmes, la vérité". Une vérité qui s’impose à tous.
- 1.Bédié, pour n’avoir pas à affronter, lors de la présidentielle de 1995, la candidature de Ouattara, a lancé le mot d’ordre de l’ivoirité et mené campagne contre « Ouattara le burkinabè ».
- 2.Cette campagne d’exclusion de l’ancien premier ministre de Houphouët, qui n’avait alors guère d’ambition politique affirmée (il trouvait que l’ambiance était à l’époque’’ délétère ’’) a été relayée par une classe politique soucieuse de sauvegarder ses exorbitants privilèges résultant d’une conjoncture favorable liée à la dévaluation du franc CFA.
- 3.L’exclusion de Ouattara du jeu politique a exacerbé les passions et provoqué rapidement la scission du PDCI et la création du RDR. Les exclus du système Bédié ont rejoint le RDR et fait de Ouattara (après la mort de Djéni Kobina) le leader de l’opposition. Il prend la présidence du parti le 1er août 1999 dans la perspective de la présidentielle d’octobre 2000.
- 4. La radicalisation de l’opposition à Ouattara va provoquer la radicalisation de l’opposition à Bédié. Une mutinerie militaire se transforme, le 24 décembre 1999, en coup d’Etat. Le régime Bédié n’offre aucune résistance et s’effondre en quelques heures.
- 5. Un militaire prend le pouvoir : le général Gueï. Dans l’opposition chacun pense qu’il n’est qu’un joker. Ouattara laisse faire. Gbagbo instrumentalise. Gueï tombe dans le panneau. Bédié et Ouattara sont exclus de la présidentielle d’octobre 2000.
- 6. La rue l’emporte sur l’armée : Gbagbo s’impose au pouvoir face à Gueï. Le RDR prend
conscience qu’il a été le dindon de la farce.
- 7. Face à l’opposition du PDCI, du RDR et de l’UDPCI, Gbagbo entreprend de radicaliser
sa politique d’exclusion.
- 8. La pression sur les "étrangers" devient si forte que les tensions s’expriment par les armes : c’est le coup de force de septembre 2002, l’assassinat de Gueï, la tentative d’ assassinat de.Quattara, la partition de la Côte d’ivoire, l’intervention de la France et de la Cedeao puis, bien plus tard, des Nations unies.

Or chacun sait, en Côte d’Ivoire (comme en Afrique de l’Ouest), qu’une présidentielle librement organisée en 2000 aurait donné Ouattara gagnant face à Bédié._ En 2000, après les événements de 1999, Bédié et Ouattara auraient sans doute fait jeu égal devançant Gueï qui, . lui-même, aurait devancé Gbagbo. C’est dire que Gbagbo était condamné, pour gouverner, à s’allier. Il a choisi d’exclure. Et du même coup en excluant Bédié et Ouattara, les a jeté dans le même camp où ils ont été rejoints par les héritiers de Gueï. C’est dire que minoritaire en 2000, Gbagbo est devenu ultra-minoritaire en 2004. Alors qui peut penser qu’il va aller à des élections libres et transparentes en 2005 ?

Il faut ajouter à cela que Gbagbo ne contrôle plus que la moitié du territoire ivoirien. Et que dans cette moitié, il n’est pas pour autant majoritaire. Son ami le président Dos Santos peut effectivement lui rappeler qu’il a gouverné l’Angola en ne contrôlant que la capitale et la côte, mais c’était "l’Angola utile", pétrolière. Et l’armée angolais était à même de repousser les offensives de l’Unita. Abidjan n’est pas exactement la capitale de la "Côte d’Ivoire utile". Et les Fanci, chacun s’accorde à le dire (il faut lire, à ce sujet, le très intéressant reportage - 18 pages que Raids n° 218 de juillet 2004 consacre à l’opération Licorne), ne résisterait pas longtemps à un assaut des Forces armées des forces nouvelles (FAFN).

Il ne reste à Gbagbo qu’à se "soumettre ou se démettre". Ou a choisir de faire perdurer la crise ivoirienne jusqu’à ce que sa légitimité tombe au lendemain du 26 octobre 2005. Et, dès lors, tout sera possible puisque tout est impossible aujourd’hui ! Il restera à celui qui prendra la suite à tenter de reconstruire la Côte d’Ivoire. Et ce ne sera pas le plus facile !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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