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Marché atypique de Ouarkoye : Le rendez-vous trimestriel des anciens combattants

Publié le mardi 26 mai 2009 à 04h25min

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Depuis les années 1973 se tient un marché original dans la commune rurale de Ouarkoye située à 130 km de Bobo-Dioulasso, sur l’axe Bobo-Dédougou. Il s’agit, comme son nom l’indique, du “marché trimestriel de Ouarkoye”, qui a lieu une fois tous les 3 mois, précisément au lendemain de la paie des anciens combattants de cette région bwa.

Cinq cents, c’est l’estimation du nombre des anciens combattants originaires de Ouarkoye et ses environs en pays bwa, après les indépendances. Les Bwaba sont l’ethnie majoritaire de cette région qui a fourni un nombre important de soldats à la France pendant la seconde Guerre mondiale. Ces ex-tirailleurs de l’armée française, par leur pouvoir d’achat très élevé, ont réussi à instituer en leur nom “le marché des anciens combattants de Ouarkoye”. Leur retrouvailles constituent un pôle d’attraction quatre fois par an, de commerçants et aussi de simples visiteurs venus de tout le Burkina et même de pays voisins tels le Mali, la Côte d’Ivoire et le Ghana. Aujourd’hui, ces anciens combattants constituent “une espèce en voie de disparition ”.

Les rares survivants n’ont plus leurs jambes d’il y a 20 ans et il ne leur reste que le souvenir encore intact de cette époque où “on pouvait ramasser des billets de banque par terre au marché trimestriel de Ouarkoye”. Ce marché, lui, a survécu et continue de draîner un monde fou chaque trois mois. Le 2e marché de l’année 2009, tenu le 7 mai dernier n’a pas fait exception. On se croirait à un de ces pèlerinages catholiques à Yagma ou Dingasso, tant la marée humaine semble noyer le petit village. Dans cette contrée située dans le bassin cotonnier du Burkina, plusieurs producteurs soutiennent avoir livré leur coton sans pour autant être entrés en possession de leur dû. Une raison bien loin d’influencer la fréquentation du marché en ce début de saison pluvieuse. Personne là-bas, sous aucun prétexte, n’entend se faire conter le marché. Dès la veille, c’est-à-dire le jour même de la paie des anciens combattants, on assiste à un ballet incessant de camions de tous gabarits lourdement chargés, en direction du village.

Un marché d’envergure sous régionale

Des commerçants en provenance de divers horizons étalent leurs articles à même le sol, sur des nattes ou encore sous des hangars de fortune qui ne durent que la journée du marché. La canicule, loin de calmer les ardeurs, semble plutôt doper les affaires des commerçants en nage qui hurlent aux passants, la qualité de leurs produits. Entre le bon poisson fumé et les pagnes “bazin” du Mali, les vêtements à 100 F CFA pièce des “masta” ghanéens, les intrants, le matériel agricole et les produits locaux, le client a l’embarras du choix. Abdoul Ouédraogo est venu de Dédougou à une quarantaine de kilomètres de là. Il propose aux acheteurs une innovation digne du Forum national de la recherche scientifique et des innovations technologiques (FRSIT) : une lampe tempête alimentée par une plaquette photovoltaïque. Non loin de là, Issouf Mandé, un habitué du marché depuis 12 ans maintenant, sert de “l’eau glacée” à un prix 3 fois plus élevé que le prix habituel.

Du tout “bénef ” pour certains ! Inutile, selon Moustapha Yabré, vendeur de tissus venu de Bobo-Dioulasso, de demander si les affaires marchent. Abdoulaye Simporé, vendeur de CD et cassettes audio, et à qui les agents des impôts viennent réclamer des papiers, préfère répondre de façon inductive : “Je ne peux pas continuer à venir dans ce marché de si loin, si cela ne marchait pas !”
Une équipe de la radio Salaki FM émettant de Dédougou et captée à Ouarkoye s’est déplacée pour la circonstance. Grâce à un téléphone portable, les animateurs relaient en direct les annonces publicitaires recueillies sur place pour cette radio. Les annonceurs se bousculent aux portillons de la fourgonnette de reportage de Salaki FM. Dans la kyrielle de produits exposés, on trouve également une gamme de produits de féticheur. Une halte au stand du guérisseur traditionnel permettra au visiteur de se délecter de l’habileté des mangeurs de feu en courant toutefois le risque de se faire étiqueter comme habité ou poursuivi par un malheur imminent à exorciser.

Mais où sont passés les anciens combattants alors que le marché qu’ils ont contribué à “institutionnaliser” bat son plein ? “Ils sont finis ”, disent les plus pessimistes. “Il y a des rescapés”, rectifient d’autres. Nous sommes donc partis à la rencontre d’un de ces rescapés dans le village de Sokongo, situé à 15 kilomètres à l’Est de Ouarkoye. Il a fallu s’y prendre par deux fois pour arriver à bout de la réticence du vieux Lombo Naboho (puisque c’est de lui qu’il s’agit) grâce à l’aide de son fils et de notre guide. Il est vrai que des visiteurs, fussent-ils journalistes, qui tentent de rencontrer un ancien combattant de retour de sa paie, éveille des soupçons. Le vieux Lombo Naboho “appelé et engagé de force” en janvier 1947 serait un des rares survivants de sa promotion. Il n’a pas mis les pieds depuis 10 ans au marché des anciens combattants et accepte néanmoins de nous en parler dans sa langue maternelle, le bwamu. Retiré dans son patelin à Sokongo, le vieil homme âgé de 85 ans, ne sort plus, à l’exception des jours de paie. Installé sur son canapé, il ressasse sans cesse cette époque où ses camarades et lui, partis à la retraite en 1960, ont institué, par la force de leur pouvoir d’achat, le marché trimestriel de Ouarkoye. “Il ne reste plus que moi et des veuves de mes camarades de promotion”, soupire-t-il.

Lombo Naboho : un des derniers témoins de la création du marché Après son engagement en 1947, Lombo Noboho a fait 2 années au Niger avant d’être envoyé à Bordeaux, puis à Fréjus en France. Il participera ensuite à la guerre d’Indochine qui a opposé de 1946 à 1954, le corps expéditionnaire français au front de l’indépendance du Viêtnam (Viêt minh). Le vieil homme dit avoir passé deux ans à Ho Chi minh-ville, ex-Saïgon. C’est après la défaite française suite à la bataille de Dien-Bien-Phu, que Lombo Naboho est rentré en Haute Volta en 1959. Il coule depuis des jours paisibles avec son épouse et ses sept enfants à Sokongo. Il envisage même son “départ” sereinement, espérant toutefois que les photos de l’entretien que nous avons eu ensemble lui parviendront avant sa mort. Selon le témoignage du vieux traduit par son fils, en 1960 à sa retraite de l’armée coloniale, les anciens combattants de Ouarkoye et de ses environs atteignaient le nombre de 500. Un nombre suffisant pour que le bureau des anciens combattants fasse des démarches afin que quelqu’un se déplace pour les payer sur place. Les commerçants ont profité de cette aubaine pour venir vendre leurs marchandises au lendemain de chaque paie trimestrielle, aux dires du vieux.

C’est ainsi qu’a été institué le marché dit des anciens combattants. “Notre bureau avait une caisse alimentée par nos cotisations. Ce qui a permis d’ériger la Maison du combattant et un foyer. A chaque 3 mois, la bière coulait à flots et les villageois n’étaient pas en reste”, se rappelle-t-il. Lombo Naboho regrette le départ de ses camarades. Une disparition qui a occasionné la fermeture de la Maison du combattant, inexistante de nos jours et le changement du lieu de paie qui s’effectue maintenant à Dédougou, car leur petit nombre ne nécessite plus de déplacement à Ouarkoye.

La mort aura-t-elle raison des anciens combattants et de leur marché ? Les Ouarkolais croient que non, à l’image du porte-parole du chef coutumier, le gendarme à la retraite, Tuéhouan Tamini. Selon lui, les pensionnaires de la Caisse autonome de retraite des fonctionnaires (CARFO) seraient au nombre de 150 à Ouarkoye et environs et des démarches sont en cours pour avoir un percepteur sur place, histoire de donner au marché son lustre d’antan. Mais les fonctionnaires à la retraite auront-ils le même pouvoir d’achat que les ex-tirailleurs sénégalais ? Les seuls ennemis du marché trimestriel sont les tracasseries et, de l’avis du représentant coutumier, “les contrôles douaniers et les taxes vont tuer le marché ”. Le maire de la commune de Ouarkoye, Gaston Tankassi Seni soutiendra que l’affluence au marché trimestriel a baissé du fait des contrôles intempestifs, en admettant toutefois leur nécessité, car certains commerçants viennent au marché avec des “produits fraudés ”. Au regard de l’importance de ce marché pour l’économie de la région, le bureau d’études chargé de l’accompagnement des populations dans l’élaboration du Plan communal de developpement ( PCD) a proposé une foire pour prendre en compte la diversité des produits qu’on y trouve. Il s’est heurté à un refus catégorique des habitants. Il n’est pas question d’abandonner le nom symbolique, voire historique et évocateur de “marché des anciens combattants ” qu’ils ont rebaptisé “marché trimestriel de Ouarkoye”.

Mahamadi TIEGNA


L’histoire du marché trimestriel de Ouarkoye racontée par Tuéhuan Tamini

“Les anciens combattants du département allaient toucher leur pension à Dédougou. C’est un des fils du village, Lacina Tamini, affecté comme percepteur dans cette ville qui a jugé nécessaire de soulager ses parents en venant jusqu’au chef-lieu à Ouarkoye pour les payer. Ce faisant, le marché est devenu très important. On l’appelait dans le temps "la paie des anciens combattants. Il est devenu par la
suite "marché des anciens combattants" et comme ceux-ci ont presque tous disparu (ils ne sont pas plus de 5 à Ouarkoye et ses environs et se déplacent difficilement), on l’appelle aujourd’hui, marché trimestriel de Ouarkoye. Les commerçants qui y sont très habitués connaissent bien les besoins des clients en fonction des périodes : ils apportent surtout du matériel agricole, des intrants dans ce mois de mai où les habitants préparent la saison hivernale, des semences en août. C’est l’élément principal de l’économie de la commune.

Propos recueillis par M.T. :


La longue périodicité du marché, un handicap pour les affaires ?

La question mérite d’être posée s’il faut attendre 90 jours dans le village avant de pouvoir effectuer des transactions ou s’approvisionner au marché. Selon les témoignages, un des hauts-commissaires de la province du Mouhoun est arrivé à la conclusion que c’est la longue périodicité du marché qui constitue le problème majeur de développement de la commune de Ouarkoye. Il aurait donc tenté, en son temps, lors des visites de prises de contact, de convaincre les populations et les coutumiers de revenir à une périodicité au moins hebdomadaire. Une position partagée par les commerçants de la zone. “ On ne touche à rien ”, rétorquent les responables coutumiers et l’autorité communale qui voient le problème de developpement ailleurs. De l’avis du maire Gaston Tankassi, il y a déjà un mini-marché toutes les semaines sans compter les marchés des villages environnants, tels Fakena, Fouankuy, Mounkuy, Poundou. Il y a donc des marchés en permanence si bien qu’il ne saurait être question de modifier la périodicité du marché trimestriel, estime-t-il.

M.T.


Une zone aux potentialités touristiques inexplorées

Parmi les onze sites touristiques répertoriés officiellement dans la province du Mouhoun, il ne figure aucun à Ouarkoye et son hinterland. C’est à croire que les animateurs du guide touristique du Burkina et ceux du routard ne sont jamais passés par là. Même pas le marché trimestriel qui constitue incontestablement une des plus grandes attractions de la région où à l’occasion le visiteur peut déguster de la viande sauvage (coba, biche, perdrix, lièvre) issue de l’abondante faune qui peuple les forêts galeries des bords du fleuve Mouhoun. On peut également observer dans la commune, le passage périodique des éléphants. Outre le marché trimestriel, on peut non seulement admirer, les collines de Kosso, les hippopotames du fleuve Mouhoun, mais aussi les tranchées à pièges d’hyènes de Sokongo, les hauts fourneaux de Fakena, ainsi que les grottes.

M.T.

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 27 mai 2009 à 12:05, par Sebgo En réponse à : Marché atypique de Ouarkoye : Le rendez-vous trimestriel des anciens combattants

    Domage qu’un tel article n’attire pas l’attentions des intervenants et ne suscite pas un long debat ; l’on s’inquiette de la disparition du marche, mais, tres peu de soucis a propos du nombre des survivants de nos heros, ces braves gens qui ont ete pris de force pour faire le sal boulot des colons pour leur permettre d’etendre leur domination sur d’autres peuples et piller leur richesse, avec laquelle ils se sont fait batir une nation prospere.
    maintenant qu’il se sont suffis, il trouve que les autres deviennent encombrants, et qu’il faut chasser ceux qui y sont et faire fermer les frontieres a ceux qui envisage entrer chez eux.
    Notre heros national a 85 ans et il est deja immobile, tandisque chez eux a 85 ans on commence a faire les lifting pour encore savourer la vie a plein ! Pourquoi, ces hommes qui se sont battus pour les assurer a eux et a leur enfants cette prosperite dans laquelle ils baignent aujour d’hui, n’ont pas ete considere a just titre, ils ont ete delaisses, pas de veritable reconnaissance, et pire encore, on dit qu’ils ne sont pas entres dans l’histoire !
    Ils sont bel et bien dans l’histoire, sauf qu’ils etaient dans les coulisses afin que nos maitres triomphent a chaque fois en revendiquant la victoire.
    Il est grand temps que la verite soit faite sur le dossier des ancients combattants, qui ont tous ete ironiquement surnomes "tirailleurs senegalais", combien sont partis et combien sont morts ou porte-disparus et combien sont revenus, car apres tous, ce sont des etres humains.

    • Le 27 mai 2009 à 13:59 En réponse à : Marché atypique de Ouarkoye : Le rendez-vous trimestriel des anciens combattants

      Hmmm... Sebgo ils se permmettent meme de vivre en pacha chez nous et de nous reservez de vilain salaire nous qui travaillons dans leur je ne sais quoi de service de cooperation. Ils nous envoient des cancres sous l’appelation de cooperant ou d’assistant techniques ici et pillent encore.

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