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"Le COMED a pour ambition de rapprocher les peuples burkinabè et ivoirien".

Publié le vendredi 14 novembre 2003 à 17h28min

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Mme Limata Amoussa Koulibaly est l’épouse du président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire.
D’origine Burkinabè de par sa mère, elle a séjourné au Burkina pour des raisons familiales.

D’une piere, deux coups, elle saisit l’opportunité pour évoquer avec nous les raisons qui l’ont amenée à mettre en place le Comité de médiation pour la restauration et la consolidation de la paix, dénommé (COMED).

Epouse d’un homme politique et poussée par son instinct de femme et de mère, Mme Koulibaly ne pouvait rester indifférente face à la crise que traverse la Côte d’Ivoire.

Sidwaya (S.) : Mme Koulibaly, vous pouvez nous situer l’objet de votre visite au Burkina ?

Mme Limata Koulibaly (L.K.) : Je suis au Burkina Faso depuis le début du week-end (NDLR : ITW réalisée le 12 novembre) pour des raisons familiales. Je me suis dit que je pouvais profiter me faire connaître par un certain nombre d’organes de presse, en tant qu’initiatrice d’un mouvement qui a pour modeste ambition de rapprocher les peuples.

S. : Avez-vous pu mener des actions depuis votre arrivée ?

K.L. : Non, puisque je suis venue pour des raisons familiales, je n’ai pas mené d’actions spéciales.

S. : Pourquoi ?

L.K. : En fait... (hésitation) lorsqu’il y a eu les événements du 19 septembre 2002 en Côte d’Ivoire, la crise a éclaté et au fil des mois je me suis sentie moi-même interpellée pour entreprendre quelque chose et jouer ma partition en tant que personne d’origine étrangère. Il faut dire qu’au plus fort de la crise, tout le monde a remarqué que la tension montait entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Alors je me suis dit qu’en tant que fille d’origine du Burkina, Ivoirienne d’adoption que je ne pouvais rester là sans tenter à ma façon de faire quelque chose pour apaiser le climat.

C’est ainsi que j’ai mis en place le COMET. (Comité de médiation pour la restauration, la consolidation de la paix).

Tout est parti d’une impression personnelle.

En tant qu’épouse du président de l’Assemblée nationale ivoirienne (qui est une autorité ivoirienne) je n’ai pas voulu qu’un jour je regrette de n’avoir pas fait quelque pour le retour de la paix dans ce pays. C’est ce qui m’a amenée à prendre l’initiative de rapprocher les peuples. Cette initiative a été prise avec l’accord des responsables des communautés burkinabè et des chefs et traditionnels de Côte d’Ivoire et du Burkina parce qu’il fallait que j’aie leur adhésion.

Le COMED voulait s’appuyer sur la tradition pour prévenir et consolider ce qui existe entre les deux peuples et également restaurer la paix. C’est ainsi que le COMED a entrepris des tournées et parcouru des communes d’Abidjan lors de la crise. Nous avons en plus parcouru des localités telles que : Yamoussoukro, Bouaké, Daloa, Soubré, San-Pedro, Bassam, Aboasso, Bounoa... Au cours de ces tournées, il nous a été permis de constater les faits et réalités sur le terrain.

Il y a eu cette joie des Burkinabè d’avoir une opportunité de s’exprimer et dire pour la première fois ce qu’ils ressentent , ce qu’ils ont vécu et qu’ils vivent et ce, en présence de ceux qui les ont reçus. Ceux qui les ont reçus se sont aussi exprimés pour dire en général qu’il y avait la peur et la méfiance dans les deux camps.
Le message que nous leur avons donné, c’est de repartir sur de nouvelles bases.

S. : Nous savons que tout début n’est pas facile, surtout que vous avez initié votre action en pleine crise ; comment avez-vous été accueillie ?

L.K. : Au début, à Abidjan c’était d’abord la surprise, la tension entre les deux pays était vive. Au fur et à mesure que les uns s’exprimaient et que les autres avaient les échos beaucoup ont vite adhéré au mouvement. Il y a eu donc une forte mobilisation. Notre cible était les chefs coutumiers ivoiriens et les responsables des communautés burkinabè.

S. : Est-ce que vous avez pu circonscrire la racine du mal ?

L.K. : En fait, on s’est rendu compte qu’il n’ y avait pas de mal à proprement parlé. Les peules vivaient en harmonie.

Et pour reprendre leurs termes "même la langue et les dents s’entrechoquent". On a même entendu des proverbes qui illustraient le fait qu’on ne pouvait pas vivre ensemble sans qu’il n’ y ait des altercations.

Le mot mal, c’est un peu fort.

S : Qu’est-ce qui fondamentalement les oppose ?

L.K. : Mais ils ne sont pas opposés. Nous sommes en pleine guerre. Entre les hommes politiques il y a des choses qui se passent et que les peuples ne maîtrisent pas.

S. : Est-ce qu’il n’y a pas d’autres personnes derrière les Burkinabè et les Ivoiriens ?

K.L. : Ah là, je ne saurai le dire. Sinon il n’ y a pas eu de conflits vraiment entre Burkinabè et Ivoiriens. Il y a eu effectivement des mouvements dûs à la guerre, de telle sorte que lorsqu’on apprend ceci ou cela on peut vouloir s’en prendre à un groupe donné.

Autrement, il n’ y a pas eu de conflits ouverts entre Ivoiriens et Burkinabè.

Partout où nous sommes passés, vu la mobilisation nous nous sommes rendus compte qu’il y a des Burkinabè dans les localités de la Côte d’Ivoire ; et qu’il fallait obligatoirement asseoir des structures qui puissent permettre d’entretenir ces relations pacifiques qui existent. Ainsi on pourra, lorsqu’un petit problème va survenir, l’arrêter.

C’est en ce moment qu’on voudrait la contribution des chefs coutumiers parce qu’il sont des hommes de parole. Moi, je ne veux pas qu’il y ait de problème entre mon pays d’origine et mon pays d’adoption. Cela veut dire que nous qui sommes au milieu, nous devrions être un trait d’union entre les peuples. C’est pour cela que je me suis engagée, et je demande à toutes les bonnes volontés de se joindre à nous pour que nous puissions dire : "Entre nous, arrêtons, où allons-nous" ?

S. : Votre action intéresse -t-elle toutes les communautés étrangères vivant en Côte d’Ivoire, ou elle concerne uniquement les Burkinabè et les Ivoiriens ?

Comme cette idée est partie d’un sentiment personnel, j’ai voulu m’adresser à la communauté dont je suis issue ; ceci pour que les autres communautés ne disent pas que je m’immisce dans leurs problèmes. Moi, je suis allée d’abord vers mes parents. C’est pendant nos tournées que nous avons constaté que les autres communautés épousaient et approuvaient l’initiative à la quelle elles ont vite adhéré. Nous n’avions pas voulu nous imposer au début. C’est d’abord un mouvement spontané. Je m’adressais à mes oncles (les Burkinabè) et je savais qu’ils ne pouvaient pas refuser de m’écouter. Je peux leur dire tout ce que je pense, eux également.

S. : Depuis que vous avez entrepris cette action est-ce que vous avez l’impression qu’elle a apporté quelque chose ?

L.K. : Il faut dire que j’aurai voulu que ce soit d’autres personnes qui en parlent. Les organes de presse ici peuvent faire un tour en Côte d’Ivoire. Il y a toujours des Burkinabè en Côte d’Ivoire.

Je ne peux pas moi-même évaluer d’emblée mais je pense que cela a contribué à détendre certaines crispations. Je préfère donc être modeste et je laisse l’appréciation aux autres.

S. : Comment l’homme politique voit votre mouvement ?

K.L : le premier homme politique qui est à côté de moi c’est mon mari qui a adhéré à mon idée dès que j’ai voulu entreprendre cette démarche. Il était d’abord surpris mais je lui ai expliqué ce qui m’engageait et ce qui m’amenait à me jeter à l’eau. Il m’a donc donné sa bénédiction pour le faire.

S. Il était question d’une tournée de chefs traditionnels ivoiriens au Burkina. Où en est-on ?

L.K. : Justement, lorsque nous avons fait la tournée, les chefs coutumiers ivoiriens ont adhéré à l’idée de venir au Burkina accompagnés des responsables des communautés burkinabè. Ils se sont entendus pour venir au Burkina rencontrer Sa Majesté le Mogho-Naba et toute la chefferie burkinabè, pour qu’ensemble , ils puissent parler le langage de la paix. Le projet est là, et du côté ivoirien, c’est l’attente, c’est l’impatience, on attend alors que Sa Majesté le Mogho-Naba soit prêt et que certaines conditions soient remplies pour que les chefs puissent se retrouver et parler le langage africain, celui de la tradition.

S. : Est-ce que le problème ne dépasse pas le cadre traditionnel, le politique n’a-t-il pas une emprise sur la situation ?

L.K. : Moi je suis l’épouse d’un homme politique ; et sur le plan politique beaucoup de choses se font. Moi j’ai simplement voulu mettre au sein des populations des structures de veille, d’alerte, et de prévention de conflits. Le politique ne peut pas à lui seul juguler tels problèmes sans l’adhésion des populations. Quoiqu’on dise les populations souffrent aujourd’hui de cette crise.

S. : Que pensez-vous du travail des médias en Côte d’Ivoire ?

L.K. : Vous savez, moi mon travail aujourd’hui c’est de parler du COMED . C’est vrai que les médias doivent contribuer véritablement à anticiper ce retour de la paix. Je suis au Burkina et je profite de l’occasion faire connaître ce que j’ai entrepris . Je suis surprise qu’ au Burkina il n’y ait pas eu d’échos de ce qui se fait en Côte d’Ivoire.

S. : Lorsqu’on lit certaine presse, on ne sent pas cette volonté de décrispation dont vous faite allusion ?

L.K. : Des efforts sont faits dans ce sens aussi bien chez les autorités politiques, que la société civile.

On essaie d’amener les uns et les autres à mettre la balle à terre. Vous savez la guerre est un long processus, une fois qu’elle éclate, il est difficile de revenir rapidement à la paix.

Je pense qu’il faut commencer, et c’est ce que je suis en train de faire et j’espère qu’au fur et à mesure ça ira.

S. : Pouvez-vous nous dire d’où est né ce courage ?

L.K. : Ce courage me vient peut-être du fait que j’ai ma grand-mère, mes oncles qui se trouvent à Bouaké, à Koudougou (de Côte d’Ivoire) où est née ma mère, il y a d’autres à Garango, à Koupéla, (de Côte d’Ivoire). Il y a également la force divine.

S. : N’ya t-il pas souvent des crocs-en-jambe entre votre mari qui est un homme politique et vous ?

L.K. : Absolument pas. Nous sommes sur la même longueur d’onde. Il est souvent incompris et je crois que vous aurez l’occasion, vous en tant que hommes de presse un jour de le découvrir. S’il n’approuvait pas ce que je faisais, il n’allait pas me laisser entreprendre cette action. Je ne vais quand même pas mettre mon foyer en péril. Si j’ai le courage, je suis à l’aise, c’est qu’il y a une force morale derrière.

Cela signifie que Mamadou Koulibaly lui-même est plus que tout le monde pour la paix, pour que Ivoiriens et étrangers s’entendent encore mieux. Les problèmes sont peut-être ailleurs.

S. : A côté de votre action salutaire, il y a les propos ""incendiaires" de votre mari, quel commentaire faites-vous ?

L.K. : Incendiaires ? Ce n’est pas le mot.

Monsieur Koulibaly est un homme politique, il assure ses responsabilités d’homme politique. Moi je suis la mère, la femme , la sœur qui se bat.

S. : Quelle est la prochaine étape du COMED ?

L.K. : La prochaine étape du COMED c’est la mise en place dans les différentes localités des structures d’alerte qui seront chargées de détecter à temps toutes sortes de signaux qui pourront entraîner des dérapages.

N’oubliez pas qu’avec la situation de guerre le problème n’est pas uniquement entre Ivoiriens et Burkinabè ; c’est parfois aussi entre Ivoiriens. La preuve est que nous sommes toujours là-bas. Mon souhait est qu’on puisse faire en sorte qu’entre Burkinabè et Ivoiriens et également les autres communautés un climat de paix, de tolérance, de culture s’établisse.

S. : Est-ce qu’on peut espérier du COMED une journée de pardon entre les deux peuples frères (Burkinabè et Ivoirien) et pourquoi pas entre les pays de la sous-région ?

L.K. : C’est possible pourquoi pas. Cela signifirait donc que les responsabilités sont partagées. Pour aller de l’avant, il faut demander pardon. Le pardon devrait venir.

S. : Avez-vous un message particulier à l’endroit des Burkinabè ?

L.K. : C’est vrai ; je suis issue du milieu politique mais mon souhait est que les Burkinabè épris de paix puissent adhérer à cette démarche.

Que chacun à son niveau fasse quelque chose qui mène à l’apaisement. Notre désir est de renforcer tout simplement les liens entre le Burkina et la Côte d’Ivoire.

Propos recueillis par Verlaine KABORE
et Marceline ILBOUDO
Sidwaya

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