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COMMERCE DE VOLAILLE : Touche pas à mon "poulet-bicyclette" !

Publié le jeudi 5 mars 2009 à 01h23min

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Ouagadougou pilule de vendeurs de poulets grillés. C’est le fameux "poulet-bicyclette". Cette race locale aux longues pattes qui a fait et continue de faire la réputation du Burkina à l’extérieur. Le commerce du poulet s’élargit avec le développement de l’aviculture moderne avec ses "poulets de Blancs" . L’aviculture est un secteur en plein développement qui cache des enjeux économiques insoupçonnés. Entre la production et la commercialisation, des milliers d’acteurs ont décidé de vivre du poulet. Malgré quelques difficultés, la filière s’accroche.

Chaque quartier de la ville de Ouagadougou a pratiquement sa rue de grilleurs de poulets. Invisibles le plus souvent le jour, ces vendeurs proposent le poulet sous toutes ses formes : sauté, grillé, à l’ail ou tout simplement flambé. Les prix varient en fonction du lieu et de la forme choisie. Chez Poulet Bissimilah sur la bretelle qui relie Babanguida à la circulaire, Moussa affiche ses prix : 2300 F CFA le "poulet télévisé". En ce début de soirée, ce n’est pas encore la grande affluence chez lui. Mais Inch allah ! il espère vendre une dizaine avant la fermeture. Chaque étal de grilleurs emploie au moins deux personnes.

Devant le Maquis Tebdeba, officie Alassane Tiemtoré. C’est son job depuis 9 ans. Sa spécialité : le poulet et le pigeon grillés, mais en plus, ils proposent le sauté des abats de poulets à ses clients. Un moyen d’amortir les frais engagés pour l’achat et la préparation des gallinacés. Une affaire qui marche apparemment. Mais quand on lui pose la question, l’homme est circonspect. « Le problème, c’est le marché. On vend entre 10 et 20 poulets par jour. Le week-end, on en vend plus. On est dans ce créneau parce que c’est ce qu’on sait faire ». En fait, Tiemtoré est le chef d’une équipe de 5 personnes. Ils ont un grand patron qui vient très rarement sur le lieu de la grillade. Il est à l’origine du business. Tout au long de l’avenue Babanguida, sont installés une dizaine de grilleurs.

Tout comme dans l’espace vide du marché de Tambogdin yaar dans le quartier de Kaarpala. Invisibles le jour, ces grilleurs et leurs tables surgissent la nuit et travaillent à la lumière d’une ampoule électrique pour les uns ou d’une lampe à batterie pour les autres. Ce sont des emplois à mi-temps pour certains et à temps plein pour d’autres, suscités par le besoin en consommation de la viande de poulets. Ils sont plus d’un millier exerçant dans ce secteur de la transformation de la volaille. Ce secteur brassait environ 5 milliards de francs par an (chiffres de 1999). Les fournisseurs des grilleurs et des ménages sont généralement d’anonymes villageois à des dizaines voire des centaines de kilomètres de Ouagadougou.

Environ 20 000 volailles acheminées par jour à Ouaga

A travers un élevage informel, dit traditionnel, ces éleveurs anonymes alimentent les marchés de volailles de la capitale. Selon l’étude de S. Ouédraogo et de S. Zoundi sur « l’approvisionnement de la ville de Ouagadougou en poulets de chair", publiée en 1999, environ 20 000 volailles (poulets et pintades) sont acheminées chaque jour sur la capitale. Par an, cette estimation donnait le montant de 5.840 milliards de F CFA redistribués au profit des producteurs ruraux. Ces chiffres ont certainement connu en 10 ans une variation importante. La demande en ville est de plus en plus forte avec l’accroissement de la population. Les périodes de fêtes sont souvent des pics de consommation qui créent la pénurie chez les grilleurs et renchérit le prix du poulet.

C’était le cas en avril et en décembre 2008 avec les baptêmes chrétiens et la fête du nouvel an. Hassane Traoré s’en souvient. « Le poulet qu’on achetait à 1 750 F CFA est passé subitement à 2 750 voire 3 000 F CFA dans notre lieu habituel d’achat. On a dû se rendre à Rayongo, un village à quelques kilomètres de la ville et bizarrement, c’était le même prix. C’est un vieux qui nous a aidés. Il nous a appelés de côté et nous a proposé 2 000 F CFA le poulet. Il en avait à la maison. C’est là qu’il a prélevé des coqs pour nous. »

Une activité lucrative

Ce vieux-là est ce qu’on appelle dans le jargon du Programme de développement de l’aviculture villageoise (PDAV), un aviculteur traditionnel. Leur nombre reste indéterminé. On peut considérer comme tel chaque ménage villageois qui élève des poulets pour ses propres besoins de consommation et qui en vend pour des raisons monétaires. Mais de plus en plus, grâce à l’encadrement des services techniques du ministère des Ressources animales et avec la formation des VVV (vaccinateurs villageois de volaille), les aviculteurs villageois s’organisent. Cet élevage est devenu un axe de la politique du ministère des Ressources animales qui voit à travers le développement de la filière, un moyen de lutter contre la pauvreté en milieu rural.

Cette filière traditionnelle a d’ailleurs de beaux jours devant elle car elle est en train de se structurer au niveau villageois à l’exemple de la zone de Poa, dans la région de Koudougou. Ce département a désormais sa fête du poulet, un rendez-vous annuel pour tous les amateurs de gallinacés. C’est le fruit de l’action conjuguée du PDAV (Programme de développement de l’aviculture villageoise) et de l’engagement des paysans de la zone. Aujourd’hui, les éleveurs traditionnels de la localité ont pu bénéficier des appuis du Programme d’appui aux filières agro-sylvo pastorales (PAFASP). Des fermes traditionnelles modèles y voient le jour. Certaines comptent plus de mille têtes de poulets.

Ablassé Nana, n’en a pas mille, mais pas loin. Sur plus de deux hectares clôturés par un grillage acquis grâce au PAFASP, poulets et pintades sont en liberté. Le soir, ils sont rabattus dans deux poulaillers en banco construits avec des bouches d’aération. Un habitat amélioré qui permet de protéger la volaille et de la suivre sur le plan sanitaire. Ce n’est qu’une partie de basse-cour car plus de la moitié se trouve chez lui à domicile. L’élevage de poulets traditionnel est devenu une occupation lucrative, explique-t-il : « Je suis dans ce type d’élevage depuis 8 ans. Cette activité me permet de prendre en charge la scolarité de mes enfants et d’entretenir ma famille. La commercialisation est devenue plus aisée avec l’opportunité supplémentaire que nous offre la fête du poulet de Poa qui permet de faire de bons chiffres d’affaires en dehors des circuits classiques (commandes spéciales et jour de marché).

L’unité est vendue à 2 000 F CFA, le prix plancher étant de 1 750 F CFA. Pendant la période des fêtes, j’ai vendu 380 poulets. » Nana n’a pas évoqué le cas des collecteurs villageois. Ils sont le premier maillon de la chaîne de commercialisation de la volaille (voir encadré). Rasmané Zongo est lui aussi dans l’élevage traditionnel. Il a bénéficié des mêmes appuis du PAFASP que son collègue Nana. Ce jeune à la trentaine bien sonnée est devenu aviculteur par la force des choses. "Je fréquentais l’école et c’est par manque de soutien que je suis venu à la terre et à l’élevage. C’est une activité que nos grands- parents ont toujours menée, donc je n’ai pas eu trop de difficultés. Depuis 1996 que j’y suis, cette activité de l’aviculture m’apporte beaucoup de choses.

C’est surtout l’argent de poche pour régler les petits problèmes. A tout moment, on peut résoudre un problème financier si on a quelques poulets ». Pour Zongo, c’est comme une assurance pour les agriculteurs. Lui, a plus de deux cents têtes. Il entrevoit d’augmenter sa production. Son souci : l’amélioration de l’habitat et la rupture des vaccins. La région de Poa ne compte pas moins de 20 mille têtes de poulets. L’élevage traditionnel est pratiqué dans presque toutes les familles. La race locale est dite plus résistante, supporte mieux certaines maladies et ne coûte pas aussi cher en alimentation que les "poulets de Blancs", affirme Zongo. A côté de l’élevage ouvert, extensif, des enclos apparaissent çà et là à Poa, une nouvelle façon de dynamiser ce secteur qui occupe plus de 60 % des ruraux.

Le Burkina en produit plus de 34 millions par an pour ses besoins de consommation et le surplus est vendu à l’exportation. On n’en est pas encore à de petites entreprises villageoises, ce serait l’idéal selon le directeur du PDAV, Dr Daouda Charles Ouédraogo, mais déjà « on constate sur le terrain l’émergence de plus en plus d’individus qui ont plus de 300 volailles à domicile. Dans notre dispositif, on a des aviculteurs qui arrivent à vendre plus de 500 pintades dans l’année. En les accompagnant davantage et mieux, c’est possible qu’on arrive à des entreprises villageoises."

Les aviculteurs modernes ne sont pas en reste

Les aviculteurs modernes, ce sont des promoteurs privés avec un sens aigu du rendement. Eux pallient la très forte demande en œufs que n’arrivent pas à combler les œufs de pintades. En 2007, ce sont en moyenne 2200 plateaux/jour qui ont quitté les exploitations pour le marché. Ce chiffre est en net croissance par rapport à 2006 où 1900 plateaux/jour ont été livrés au commerce. En 2005, cette production était de 2600 plateaux/jour. Les poulets reformés, appelés « poulets de Blancs » qui sont au bout de la chaîne de l’aviculture moderne apparaissent sur le marché de la volaille notamment pendant les périodes de grandes fêtes. Mais, il est important de préciser que tous les « poulets de Blancs » ne sont pas destinés d’abord à la ponte. Certaines fermes sont spécialisées dans ce qu’on appelle les poulets de chair. Le poulet est nourri et mis sur le marché au bout de 4 mois.

En 1998, les recensements effectués par la Maison de l’Aviculture donnent un effectif de 12 producteurs de poulets de chair possédant au total 18 250 poulets. Madame Awa Compaoré, avicultrice moderne est plutôt dans le créneau des poules pondeuses depuis 2002. L’essentiel de la production de poulets viendrait de ce type d’activité. Chez madame Compaoré, 500 sujets sont en attente d’être reformés. Elle attend la période de la Pâques pour les commercialiser. Prix unitaire : 2000 F CFA. La semaine qui suivait, elle devrait recevoir 1 000 poussins pour un nouveau cycle de production d’œufs de 18 mois au moins. Tout est parti d’un prêt FAPE de deux millions de F CFA. Malgré les difficultés, sur sa parcelle d’un hectare, se dressent deux grands poulaillers capables d’accueillir 2500 sujets. « C’est un boulot qui n’est pas facile » soutient-elle, parce que les poulets ont besoin d’attention et de beaucoup d’argent pour faire tourner l’exploitation.

En face de son bâtiment, une grande exploitation vide. Le promoteur n’a pas pu tenir le coup. Madame Compaoré a dû embaucher trois jeunes. Ils se relayent sur l’exploitation et au besoin, il arrive qu’elle-même dorme sur le site pour surveiller les poussins des risques d’étouffement. Au Burkina, ils sont 200 comme madame Compaoré à s’investir dans ce secteur très exigeant de l’aviculture moderne. Elles sont nombreuses les fermes avicoles à avoir succombé au passage de la grippe aviaire. Aujourd’hui, le cheptel est estimé à 168 000 têtes contre près de 400 000 avant la pandémie.

La filière moderne fait de la résistance

A la Maison de l’Aviculture, le directeur technique, Dr Edmond Yéyé, confirme le chiffre de plus de 200 membres, repartis sur l’ensemble du territoire. Financée au départ par la coopération française, cette structure qui relevait du ministère des Ressources animales est autonome depuis peu et offre une série de prestations à ses adhérents qui vont de l’appui-conseil, de la formation à la vente d’aliments ou de médicaments vétérinaires. Le coût des intrants reste la principale contrainte qui grève le fonctionnement et la rentabilité des exploitations. Les poussins d’un jour sont en partie importés de France ou de Belgique. Depuis le passage de la grippe aviaire, des mesures conservatoires empêchent les exploitants d’importer à partir de certains pays côtiers jugés à risque. Le prix d’un poussin vendu à Ouaga tous frais compris oscillerait autour de 1200 F CFA.

Une fois les poussins acquis, reste l’épineuse question du suivi sanitaire et surtout de l’alimentation. Pour son exploitation actuelle d’environ 1500 têtes de poulets, la ferme de Madame Compaoré consomme pour environ 500 mille F CFA d’alimentation pour deux semaines. Il faut dire que la flambée générale des prix des céréales n’arrange pas les choses. Le prix du maïs, du son de blé et du soja qui entrent dans la composition de l’alimentation de la volaille a littéralement explosé alors que celui de l’oeuf stagne. La plaquette est achetée au producteur à 1 750 F CFA pour être revendue entre 2 250 et 2 500 F CFA. Dr Yéyé s’en offusque presque car « les intermédiaires gagnent plus que les producteurs. Du coup, certains fermiers sont en train de devenir également des vendeurs pour préserver leurs marges de rentabilité ».

Ils ont leurs grossistes à qui ils livrent leurs stocks d’œufs et les poulets reformés, confirme Madame Compaoré Pasteur en est un. De son vrai nom, Nikiema Saydou, il est vendeur de poulets depuis 1979. Il officie au marché de la Cité an II depuis que le marché Zabré daaga a été déguerpi. Ils sont près de 200 personnes, selon lui, à y exercer. Il vend généralement la poule de race locale, mais a des contacts de fermiers qui lui font enlever leurs poulets reformés de temps à autre. « On n’en vend pas beaucoup parce que toutes les fermes ne reforment pas en même temps ». Il reconnaît cependant faire plus de marge sur le poulet reformé quand le poulet local se fait rare.

Les ménages préfèrent, selon lui, le poulet local plus facile à cuire et qui a besoin de moins d’assaisonnement. Gamba Kafando, plus connu sous le pseudonyme de « Boureima Cross » confirme les propos de Pasteur : « Même les grilleurs qui viennent acheter ici font cuire les poulets reformés à l’huile où bien ils les font rôtir. Sa cuisson prend plus de temps à cause de sa chair qui n’est pas aussi tendre que celle du poulet local ». Ce n’est donc pas demain que « le poulet de Blancs » concurrencera le poulet local. En effet, la production annuelle de poulets reformés était de 20 750 au moment de l’étude citée plus haut.

Par Abdoulaye TAO


La chaîne de commercialisation du poulet

Cette chaîne qui part du village à la ville est constituée de 5 gros maillons qui sont :

- les collecteurs villageois qui sont des acheteurs locaux parcourant les villages et les marchés ruraux et achetant la volaille pour la revendre aux grossistes urbains ;
- les grossistes urbains achètent la volaille auprès des collecteurs villageois et des producteurs dans les marchés ruraux pour ensuite la revendre en ville ;
- les revendeurs urbains prennent le produit avec les grossistes pour les revendre aux transformateurs et aux détaillants ;
- les détaillants sont ceux qui ont un point de vente précis dans les marchés : ils ont pour clients les consommateurs ;
- les transformateurs sont les grilleurs, les restaurants-bars, les hôtels qui s’approvisionnent chez les grossistes.

Le Pays

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