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Boubakar Diallo : Le cinéma africain est-il à bout de souffle ?

Publié le mardi 10 février 2009 à 17h06min

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Boubakar Diallo

« Quel cinéma pour l’Afrique en ce début du 21e siècle ? ». C’est autour de cette préoccupation cruciale que le journal L’Hebdomadaire du Burkina m’a fait l’insigne honneur de m’inviter à m’interroger. Une question d’autant plus décisive qu’elle s’impose, aujourd’hui, pour tous ceux qui sont interpellés par la situation des arts et de la culture en général et particulièrement par le sort du 7e art sur notre continent.

En tant que réalisateur et promoteur d’une structure de production, les Films du Dromadaire, je n’ai pas la prétention de donner des leçons, mais d’indiquer des pistes qui sont, du reste, celles que nous essayons d’explorer depuis le lancement de notre aventure cinématographique en 2004.

Il faut avouer que l’interrogation sur le sort ou la situation du cinéma en Afrique est une tâche si englobante qu’elle doit prendre en compte toutes les facettes de cet art, qui comme on le sait, est aussi une industrie. On ne peut appréhender tout l’enjeu du cinéma qu’en l’embrassant sous tous ses angles d’expression. A cet effet, la dimension esthétique m’apparaît aussi importante que celle économique, technique ou critique.

C’est fort de cette conviction que nous avons jugé judicieux d’inscrire la philosophie des Films du Dromadaire dans une démarche de production qui vise d’abord et avant tout l’indépendance économique. Cette précaution nous est apparue essentielle parce qu’elle nous a permis de prendre conscience des exigences fondamentales de toute entreprise qui se veut autonome. Cela nous semble aussi une voie royale pour être au rendez-vous de l’industrialisation à laquelle tend le cinéma d’Afrique.

*De la question de l’indépendance financière et de la « souveraineté » artistique.

Après plusieurs décennies de dépendance vis-à-vis de bailleurs de fonds qui ont de plus en plus d’autres priorités - voire d’autres horizons géostratégiques à explorer - il nous semble judicieux d’explorer d’autres voies de financement de nos créations afin de devenir progressivement les maîtres de notre destin. Il ne s’agit pas de rompre, à priori, tout lien avec les sources traditionnelles de financement ou encore de les suspecter, mais de créer essentiellement les conditions de notre indépendance. Cela nous paraît très déterminant pour le présent et l’avenir du cinéma en Afrique.

Certes, les finances ne font pas le cinéma, mais elles y contribuent grandement. Et tant qu’on ne trouvera pas une solution adéquate et durable à la problématique du financement, cela constituera une entrave à l’éclosion d’initiatives cinématographiques susceptibles de s’affirmer, de s’auto construire et donc de marquer durablement l’environnement artistique et économique africain.

Tout en adhérant pleinement à la nécessité pour les créateurs africains de respecter les exigences techniques pour produire un cinéma de qualité, un cinéma qui réponde aux attentes du public africain, nous estimons qu’aussi longtemps qu’on négligera la question économique ou financière c’est selon, il sera difficile voire impossible de sortir plus souvent des films et surtout de rester les maîtres de leurs contenus. Il ne sert à rien d’annoncer des intentions qui ne se réalisent presque jamais ou dont la réalisation dépend du bon vouloir des autres ou de leur disponibilité financière. C’est une question de « souveraineté » artistique qui n’est pas moins difficile à assumer certes, mais qui n’est pas impossible.

Sans prétendre avoir trouvé la potion magique à cette angoisse, nous avons fait de la maîtrise des coûts de nos productions un leitmotiv. Pour ce faire, nous avons trouvé dans le support numérique Haute Définition, une aubaine qui offre l’avantage jusque-là incomparable d’une excellente qualité numérique à des coûts raisonnables. Quoi donc de plus réaliste. Cerise sur le gâteau, cette nouvelle technologie nous permet de passer aisément des créations initialement réalisées en numérique au sacro-saint format classique grâce au kinescopage. C’est d’ailleurs par la magie de cette conversion que nous avions pu convertir notre long-métrage « Code Phénix » réalisée en HDV qui a été sélectionné pour la compétition officielle du Fespaco 2007 dans la prestigieuse catégorie destinée à la conquête de l’Etalon de Yennenga. Aujourd’hui, c’est le projet « Cœur de lion », tourné en HDCAM, puis kinescopé aux Laboratoires Ciné Dia à Paris, qui tente de conter fleurette à Dame Yennenga.

Mais loin d’être une sinécure, cette alternative est tout aussi onéreuse, voire beaucoup plus. Plus d’un de nos collègues cinéastes, qui ont eu recours au kinescopage de leur œuvre pour répondre aux exigences du Fespaco, peuvent vous compter les péripéties inhérentes à la recherche de fonds pour cette opération. Du reste, cela reste une possibilité et non une exigence, puisque ce Festival consacre également un cadre d’expression aux longs métrages réalisés en vidéo, y compris pour la compétition officielle. Il n’y a donc pas de quoi être frustré de faire des films en numérique. Nous ne « rougissons » nullement d’avoir réussi le pari de dénicher une source de financement local à travers la publicité institutionnelle et commerciale pour sortir des films qui font toujours le bonheur des cinéphiles et aussi des exploitants de salles. L’engouement que nous enregistrons depuis 2004 pour nos différents longs-métrages que sont « Traque à Ouaga », « Sofia », « Dossier brûlant », « Code Phénix », « La belle, la brute et le berger », « L’or des Younga », « Mogo-Puissant », « Sam le caïd », est certainement le signe que nous ne nous sommes pas trompé de cible. Le cinéma, c’est l’émotion. Et nous pensons en apporter par le biais de ces réalisations à un public qui nous le rend bien. Car au-delà des formats, nous avons le devoir inaliénable de satisfaire les attentes d’un public. Disons-le net, le public burkinabè et le public africain en général manifeste un engouement sans conteste pour le cinéma populaire.

Aussi, sans jeter un quelconque anathème sur le cinéma d’auteur - du reste « Cœur de lion » s’inscrit dans cette démarche d’auteur -, il nous semble qu’il ne faut pas négliger ce besoin qui demeure un excellent canal pour véhiculer des émotions et donc des images des gens tels qu’ils ne se voient pas souvent ou qu’ils aimeraient se voir plus souvent.

Le cinéma dit populaire a indéniablement enrichi le paysage audiovisuel du continent et il serait dommage d’arrêter ou de renoncer à cette source de transmission de la culture. Nous sommes d’autant plus interpellés que le cinéma se meurt chez nous alors même qu’ailleurs nos collègues s’activent pour raffermir la force de frappe de l’industrie cinématographique. Il nous faut réussir le challenge de l’industrialisation du cinéma en Afrique ou périr. Même si cela doit d’abord passer par l’éclosion du Home Cinéma. Car aussi longtemps qu’on n’y arrivera pas, les opérateurs économiques auront toujours les arguments pour ne pas investir dans le cinéma.

*Le cinéma africain gagne dans les films populaires

D’ailleurs, si les salles de cinéma ont été démolies ces dernières années pour faire de la place à des activités jugées plus rentables, cela est dû en partie à l’absence de film qui suscite l’engouement du public et, donc, le manque à gagner au niveau des salles. Or, à partir du moment où les salles peuvent continuer d’exister grâce aux recettes générées par les films populaires, tous les acteurs du monde du cinéma y gagnent nécessairement. Les expériences réalisées avec les productions citées plus haut nous ont convaincu de la nécessité pour les cinéastes africains d’explorer cette piste qui, si elle réussit à s’imposer en termes de permanence de productions intéressantes et de qualité, elle contribue à une « nouvelle vie » autour des salles de cinéma qui se meurent dans nos pays. Nous restons convaincus que pour relever le défi de son industrialisation, le cinéma d’Afrique devra nécessairement passer par le cinéma numérique HD, plus adapté aux économies du continent.

On ne saurait répondre à la question de savoir « Quel cinéma pour l’Afrique en ce début du XXIe siècle » sans poser le problème fondamental de l’industrialisation du cinéma d’Afrique noire. Il nous semble qu’il faut aller au-delà de cette considération qui est faite du cinéma comme d’un simple divertissement. L’autonomisation et l’indépendance devraient constituer des objectifs essentiels pour lesquels toutes les pistes - et hors-pistes - devraient se croiser pour faire éclore un cinéma digne de l’ambition d’une Afrique nouvelle qui veut se donner une image d’elle-même et offrir de nouvelles images au monde. Pour ce faire, nous devons, ensemble, repenser et adopter, chacun à son niveau, des modes de production plus réalistes, réinventer des circuits de distribution plus dynamiques et renforcer les capacités d’exploitation des salles.

Nous ne prétendons pas avoir apporté des réponses définitives à la problématique du sort du cinéma sur notre continent. Il s’agit d’une interrogation qui devrait se poursuivre sur d’autres axes tels que ceux de la visibilité du cinéma d’Afrique par les Africains et par les autres, de la réception même des messages véhiculés par ce cinéma ainsi que de l’impact de ce cinéma sur ceux qui le consomment. Le débat reste donc ouvert.

Boubakar Diallo,
Chevalier de l’Ordre National

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Vos commentaires

  • Le 31 août 2009 à 14:48, par wek En réponse à : Boubakar Diallo : Le cinéma africain est-il à bout de souffle ?

    Cet article de Mr B. DIALLO m’a beaucoup intéressé. Cependant je me pose un certain nombre de questions et j’aimérai avoir des reponses du REALISATEUR. Merci !
    Cinéma d’auteur et cinéma populaire que comprendre ?
    Quels avantages techniques a le 35mm sur le HDV ?
    Le futur du cinéma n’est-il pas dans la marche vers le numérique ?
    Le cinéma populaire très développé ne pourait-il pas contribuer à aider nos Etats au financement d’un cinéma d’auteur par le biais de taxes ?
    Merci

  • Le 10 octobre 2011 à 08:37, par rutegui En réponse à : Boubakar Diallo : Le cinéma africain est-il à bout de souffle ?

    Bonjour M. Diallo, je suis journaliste, et je travaille à Paris pour la chaîne Telesud, je présente une émission de débat sur la culture et le prochain débat sera consacré à l’avenir du cinéma africain. Pouvez-vous me donner votre téléphone pourqu’on puisse vous appeler et participer à cette émission. Guy Registe (www.telesud.com) 06 17 41 23 52

    guy.registe@gmail.com

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