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Sous-développement & développement : La Cnuced remet fondamentalement en cause le laisser-faire mondialiste

Publié le lundi 5 juillet 2004 à 10h59min

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On pouvait penser que les interminables débats au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’idée "globale" que la mondialisation résolvait tous les problèmes des riches et des pauvres avaient signé l’arrêt de mort de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced). Pas du tout. Même si sa dissolution a été, un moment, envisagée.

Cet" organe subsidiaire permanent" de l’Onu, qui a pour vocation de favoriser l’essor du commerce international en tenant compte des intérêts spécifiques des pays en voie de développement, tenait du 13-18 juin 2004 sa Xlème réunion ministérielle à Sào Paulo, dans le Brésil de Luiz Inacio Lula da Silva. Autant dire au coeur même de la plus significative des expériences de lutte contre le sous-développement.

Après Bangkok (2000), Johannesburg (1996), Carthagène (1992), Paris (1990), etc... Sào Paulo va s’imposer comme une étape essentielle. D’abord parce que la Cnuced fête, cette année, son quarantième anniversaire. Ensuite parce que Cnuced XI se situe en un temps donné de notre histoire économique. La mondialisation a montré ses limites partout dans le monde. Et on parle, à nouveau, de PVD (Pays en voie de développement) et d’APD (Aide publique au développement), des concepts qui avaient été rangés, prématurément, au magasin des accessoires de l’économie mondiale. C’est dire que la Cnuced, à Sào Paulo, se sent pousser des ailes, quelque peu boostée par le travail de sape et d’information des alter-mondialistes rejoints, depuis quelques mois, par les "autorités [dites] compétentes" qui dirigent les instances de régulation de l’économie mondiale : FMI, Banque mondiale, OCDE, etc...

Et son patron, Rubens Ricupero, qui en est le secrétaire général pour quelques mois encore, n’a pas manqué de dénoncer, dans Le Monde (13-14 juin 2004), "une certaine myopie politique" des responsables des pays riches en ce qui concerne la défense de leurs intérêts dans le cadre de l’OMC, l’APD, l’allégement de la dette, le Plan d’action en faveur des 50 PMA, etc... Soulignant que les PVD, "notamment ceux qui font partie de la catégorie des pays dits émergents, sont en train de jouer, aujourd’hui déjà, le rôle de dynamo de l’économie mondiale", il rappelle que le Japon retrouve la croissance grâce au marché chinois, que "presque la moitié des exportations des Etats-Unis est achetée par les PVD". Autant que dire que le sous-développement des uns est la condition du développement des autres ! Ricupero le dit nettement : il faut éviter de tuer la poule aux oeufs d’or. Enfin, en termes plus diplomatiques cela donne : "Puisse l’intérêt bien compris des partenaires du tiers-monde prévaloir".

Quoi qu’il en soit, PVD, APD, tiers-monde, etc... on a parfois l’impression d’un come-back des années 1960-1970 après la langue de plomb des années passées où il était indécent de parler de pauvreté, d’exploitation, d’injustice, etc... Avec le retour de la Cnuced sur le devant de la scène c’est, semble-t-il, le retour du bon sens économique : promotion de l’investissement productif ; mise en valeur des ressources humaines ; développement d’une infrastructure efficace ; accroissement des capacités technologiques ; soutien aux entreprises locales ; développement national avant l’intégration mondiale, etc...

La Cnuced est très "tendance" cette année : 6.000 représentants des 192 pays membres dont une vingtaine de chefs de l’Etat, ont fait le déplacement jusqu’à Sào Paulo. Il est vrai que Lula est, sur le marché mondial, une vraie tête d’affiche comme l’était, voici peu de temps encore, Nelson Mandela. Lula s’est engagé, non sans moyens politiques significatifs, dans la lutte contre le sous-développement (cf LDD Brésil 02 à 04/Mercredi 19 à Vendredi 21 novembre 2003). Une lutte qu’il entend mener au Brésil mais également dans toute l’Amérique latine et partout dans le monde : en Afrique, en Asie et même en Europe de l’Est avec le G20 qui, depuis Cancùn, mène la fronde, au plan international, contre les subventions agricoles accordées à leurs producteurs par les grands pays industrialisés. Kofi Annan, qui a ouvert les travaux, avait beau jeu de souligner que "ce n’est pas un hasard si la réunion se déroule ici, au Brésil". Et du même coup, les commentateurs évoquent un "nouvel ordre international".

Pour Lula, celui-ci à d’ores et déjà un nom : "la nouvelle géographie commerciale du monde". Le chef de l’Etat brésilien a une vue claire des choses : puisque le Nord refuse de coopérer dans un cadre juste et égalitaire avec le Sud, il convient de privilégier les accords Sud-Sud. Il s’agit, dit-il, de "supprimer [les] barrières commerciales réciproques [des pays en développement] sans que ces suppressions soient étendues aux pays développés". Des accords de ce type ont été signés avec 44 pays ; Lula laisse espérer l’adhésion prochaine de plus de 40 autres pays. Le leader du Parti des Travailleurs (PT) a souligné que pour "donner l’impulsion politique indispensable à la lutte contre la faim et la pauvreté [...] les présidents Jacques Chirac et Ricardo Lagos [le chef de l’Etat chilien, très en pointe sur ces questions des politiques de développement ; il était à Paris fin janvier 2004 avant de rejoindre Lula à Genève où il présentait le projet de fonds mondial contre la faim], Kofi Annan et moi-même avons créé un groupe de travail chargé d’étudier des mécanismes innovants pour dégager des fonds à cet effet".

Il y a, en ce moment, une conjonction d’événements qui n’est pas le fait du hasard. Après la montée en puissance, au cours des dix dernières années, du mouvement altermondialiste (il faut relire, à ce sujet, notamment, le livre de Isabelle Sommier sur les Nouveaux mouvements sociaux - cf LDD Spécial Week-End 0122 et 0123/Samedi 17-dimanche 18 et Samedi 23-dimanche 24 avril 2004), ce sont les économistes (et plus encore les économistes "institutionnels", ceux de la Banque mondiale et du FMI) et les politiques eux-mêmes (dans le tiers-monde) qui sont montés à l’assaut de la mondialisation. Le phénomène a pris une réelle ampleur et les tenants du libéralisme pur et dur sont, pour le moment, acculés dans les cordes. Pour peu de temps sans doute.

C’est pourquoi Rubens Ricupero, le secrétaire général de la Cnuced, a raison de souligner que l’ordre du jour de la Cnuced XI est "un défi colossal". Et qu’il faut ne pas manquer de profiter, en ce moment même "d’un environnement favorable en termes de croissance économique mondiale" pour exiger plus d’efforts de la part des pays riches. Cela devrait aller, dit-il, jusqu’à la mise en oeuvre d’un Plan Marshall pour les pays en développement. Proposition qui n’est pas nouvelle mais, aujourd’hui bien plus qu’hier, les pays du tiers-monde (curieux comme ce terme revient à la mode, traduisant d’ailleurs une réalité politico-économique qui n’est plus celle des années 1960-1970) sont en mesure de l’imposer.

Avant que ne s’ouvre à Sào Paulo la Cnuced XI, se tenait à Marrakech le 3 Sème congrès de la Chambre de commerce internationale (CCI), que l’on désigne partout dans le monde comme la World Business Organization. Il y avait là, bien sûr, son président, le patron de Vivendi Universal, Jean-René Fourtou (cf LDD France 0226/Jeudi 27 mai 2004), mais aussi 1.000 participants de 86 pays. Dont Rafic Hariri, le premier ministre libanais, VGE et Martti Ahtisaari (ex-président de la Finlande), le général US Wesley Clark, l’économiste indien Jagdish Bhagwati et bien sûr Supachai Panitchpakdi, le patron de l’OMC, ainsi que des brochettes de grands patrons qui n’hésitent jamais à faire le déplacement jusqu’à... Marrakech.

On y a pris la défense de la mondialisation. Mais avec moins de certitudes et d’arrogance que par le passé. Signe que notre monde contemporain n’est pas aussi "globalisé" qu’on voulait nous le faire croire.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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