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Pasteur Nouh Ag Infa Yattara à propos de la rébellion touarègue : “Ibrahim Bahanga est un trafiquant d’armes et de drogue…”

Publié le mercredi 21 janvier 2009 à 00h42min

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Nouh Ag Infa Yattara est pasteur de l’Eglise évangélique Baptiste à Tombouctou. Très au fait de la question touarègue, il a coanimé le forum sur l’esclavage en milieu touareg, organisé à la faveur de la IXe édition du festival du désert d’Essakane au Mali. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, l’homme d’église, lui-même descendant de Bella, nous situe sur l’origine des conflits touaregs et prône le dialogue comme solution à cette crise.

Sidwaya (S). : Pouvez-vous nous situer l’origine du conflit touareg ?

Nouh Ag Infa Yattara (N. A. I. Y.) : Comme l’un des intervenants l’a indiqué au cours du forum, je peux dire que c’est la pauvreté, qui a été la principale raison de cette crise, à partir de 1973, quand il y a eu la grande sécheresse dans les pays du Sahel. Et ces nomades ont perdu l’essentiel de leur pouvoir économique qui était le bétail. En réalité, cela a été le coup de grâce, car il faut aussi relever qu’avec l’arrivée des Français, c’est-à-dire le colonialisme, il avaient déjà perdu bon nombre de leurs esclaves. Donc, les quelques esclaves qui sont restés jusqu’à l’avènement de la sécheresse, sont également partis pour des raisons économiques. Et ils sont devenus très misérables. Et donc, ils se sont réfugiés dans les pays arabes notamment la Libye, d’où, ils sont revenus armés pour reprendre leur terroir, essayer de restructurer leur société comme dans les temps anciens. Ce problème racial est structurel. C’est devenu un problème racial entre les Noirs et les Blancs.

Quand la première rébellion a pris fin avec la signature des accords en mars 1996, il a été créé des forums et des festivals, notamment celui d’Essakane, celui de Kidal et celui de Menaka où chaque communauté touarègue, les anciens combattants de la rébellion pouvaient avoir des dialogues intercommunautaires. Et cela, afin de permettre aux Noirs et aux blancs de s’asseoir sur la même table et poser les problèmes qui les concernent et essayer de voir comment adoucir leurs mœurs et leurs liens, etc.

Les premiers festivals étaient ainsi conçus et c’est après que c’est devenu des festivals seulement de musique. Le festival d’Essakane, a eu le mérite cette année de revenir au premier esprit, qui est d’aller au-delà de la musique et de la danse et d’être un espace pour discuter de certains problèmes épineux. C’est pourquoi tout le monde a salué et félicité le courage des organisateurs qui ont osé mettre sur la table ce sujet sur l’esclavage en milieu touareg, qui pour les uns, ce phénomène existe et pour d’autres, il n’existe pas.

S. : Pourquoi, malgré la signature des Accords en 1996, assistons-nous aujourd’hui à la présente rébellion ?

N.A.I.Y. : Parce qu’ils n’ont pas eu tout ce qu’ils voulaient. Pour eux, ils ont toujours des revendications non-satisfaites. Il y a une récente déclaration de Bahanga (NDLR : chef actuel le plus irréductible de la rébellion touarègue) qui dit que les touaregs sont les maîtres de ce pays et tous les autres sont des esclaves. Avec cette vision, il ne peut pas avoir de satisfaction pour quelqu’un comme Ibrahim Bahanga.

S. : Qu’est-ce que Ibrahim Bahanga et ses hommes revendiquent et qui n’est pas satisfait ?

N.A.I.Y. : Avec la rébellion du Niger avec laquelle ils font une sorte de front commun, ils ont clairement dit qu’ils veulent une République touarègue qui prendrait les 2/3 des territoires du Niger et du Mali ; c’est ce qu’ils disent politiquement. Dans la réalité, Bahanga est un vendeur d’armes et un trafiquant de drogue. Il y a beaucoup de choses dans son agenda, que l’on ne peut pas qualifier de noble, de quelqu’un qui veut le développement du Nord du Mali.

S. : Pensez-vous alors, que la solution pour Bahanga c’est de revenir à la structuration ancienne de la société touarègue ?

N.A.I.Y. : Cette structuration est contraire à tous les principes de droits humains du monde. Aucun peuple ne voudrait redevenir esclave d’un autre. Puisque c’est cela leur idéal. Et la satisfaction de cet idéal est au prix de la vie de quelqu’un. Qui voudrait être esclave ? Si sa mentalité (Bahanga), est que les autres sont des esclaves et qu’iils doivent être traités comme tels, je vois difficilement comment des accords peuvent avoir lieu avec lui. Et si l’on doit considérer la partition, aucun pays ne veut être morcelé.
Je m’aligne sur la solution du gouvernement. Il prône le dialogue, depuis longtemps. Mais le gouvernement et la population commencent à être exaspérés. D’autres prônent la méthode forte. Seulement la rébellion aujourd’hui, dans beaucoup de cas où elle a montré les dents, semblent plus armée que l’Armée nationale.

S. : Comment un festival, comme celui d’Essakane peut contribuer à ramener la paix, dans le grand Nord ?

N.A.I.Y. : Il contribue à résoudre les problèmes puisqu’en les posant, on dit aux autres : “attention, ne tombez pas dans le même piège que Bahanga et arriver dans une situation sans issue”. Vous pouvez avoir des idéaux mais il faudrait que ceux-ci soient conformes aux droits humains et essayer de contrôler vos réclamations. Il faut aller dans le sens de la justice, de la paix dans le respect de l’autre et permettre que tous les citoyens soient libres et égaux en droit et en devoir. C’est le message que de tels festivals peuvent passer aux uns et aux autres.

S. Peut-on dire qu’à travers les différentes crises, les Touaregs sont à la recherche d’une identité perdue ?

N.A.I.Y. : Bien sûr. L’un des fondements de ce festival, par exemple, c’est leur permettre (les Touaregs) de pouvoir rester dans leur milieu, sans perdre leur identité culturelle. La musique, qu’ils essaient de promouvoir, traduit justement l’affirmation de cette identité culturelle.

S. Doit-on vous considérer comme un Touareg ?

N.A.I.Y. : Dans la définition large du mot, oui. Mais dans la définition donnée par l’Europe (qui dit que le Touareg, c’est celui qui a seulement la peau blanche), je ne suis pas Touareg.
Dans la définition de la culture touarègue, d’appartenir à ce milieu géographique, je suis Touareg. Parce que j’ai des parents, aussi bien blancs que des parents noirs. Dans un certain sens, je ne suis ni noir, ni blanc. Je suis aussi descendant de Bella affranchis.

Entretien réalisé à Essakane (Mali) par Gabriel SAMA

Sidwaya

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