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Ousmane Guiro, directeur général des douanes : “Je suis blanc comme neige”

Publié le mardi 16 décembre 2008 à 05h35min

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Dans une interview exclusive qu’il nous a accordée, Ousmane Guiro, directeur général des douanes aborde divers sujets concernant l’administration des douanes. Il nous parle aussi du dossier judiciaire qui le concerne et affirme haut et fort qu’il n’a rien à se reprocher dans cette affaire.

Sidwaya (S.) : Lors de son bilan d’un an de gestion, le Premier ministre Tertius Zongo a loué l’action de la douane burkinabè. Que ressentez-vous en tant que premier responsable de cette institution ?

Ousmane Guiro (O.G.) : Je voudrais remercier tout d’abord le journal Sidwaya pour l’occasion qu’il m’offre de parler de l’administration des douanes. Pour revenir à votre question, le Premier ministre a eu à apprécier la prestation de la douane. Nous, agents de la douane, sommes honorés par cette reconnaissance. Pour nous, c’est un motif de

satisfaction et en même temps un encouragement à poursuivre le travail que nous menons tous les jours à savoir le recouvrement des recettes et la lutte contre la fraude. Je tiens à remercier le Premier ministre qui a reconnu que la douane fait des efforts. Quand vous travaillez et que les supérieurs reconnaissent vos efforts, cela ne fait que vous donner beaucoup plus de courage pour aller de l’avant.

S. : En même temps que le Premier ministre a reconnu les efforts que vous faites dans votre travail, l’on a aussi noté que la fraude prend de l’ampleur au Burkina Faso. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

O.G. : Aujourd’hui, nous sommes dans un monde malade d’argent de sorte que d’une manière générale, les gens veulent devenir riches et très vite. Résultat, le seul moyen pour atteindre cet objectif rapidement c’est de passer par la fraude. Cette fraude s’est accentuée parce qu’il y a les nouvelles technologies de l’information qui permettent aux gens de falsifier des documents. Il y a par exemple les photocopies en couleur, les machines à scanner. Il faut y ajouter le caractère international de la fraude. La fraude est aussi préparée en accord avec les fournisseurs. Il y a des documents originaux qui sont en fait de faux documents. Ils sont délivrés par les fournisseurs, la maison mère, mais les références qui y sont portées sont fausses. On a diminué la valeur ou la quantité. Disons que la recrudescence de la fraude repose uniquement sur la soif d’engranger le maximum d’argent, le besoin rapide de devenir riche.

S. : Quelles sont les actions que vous menez sur le terrain pour essayer de réprimer la fraude ?

O.G. : Sur le terrain, la douane mène plusieurs actions. D’abord au niveau des bureaux, il y a les contrôles qui se font. La plupart des marchandises qui rentrent font l’objet de contrôle à plusieurs niveaux. Ensuite, nous avons les contrôles différés, les contrôles après dédouanement. Nous avons également la surveillance du territoire. De plus en plus, nous mettons l’accent sur la surveillance du territoire par des brigades. Egalement, nous essayons dans le cadre de la lutte contre la fraude transnationale de développer des rapports avec les autres nations. Par exemple, nous avons signé des accords administratifs mutuels avec certains pays. Nous avons déjà signé cela avec des pays comme le Mali, le Niger. Nous avons également des accords avec la Belgique, la France, cela nous permet de rentrer en contact avec ces administrations pour avoir des informations sur certaines marchandises qui font l’objet de fraude organisée depuis les pays de départ. Un exemple, nous avons démantelé des réseaux de fraude sur les poissons. De 2004 à 2005, la plupart des importations de poissons l’ont été avec des entreprises fictives, c’est-à-dire avec des maisons qui n’existaient pas.

Nous avons demandé à la France de nous appuyer. Elle arrivait à trouver les fournisseurs, mais parfois ce sont des entêtes des vrais fournisseurs qui ont servi à faire les factures, ou bien ce sont les entêtes de maison qui ont déjà disparues dont les entêtes ont été réintroduites uniquement pour les besoins de la fraude. Donc, dans chaque pays, il y a des administrations qui nous soutiennent. En plus de cela, il faut reconnaître que nous développons des moyens pour mieux surveiller le transit.

Nous avons également le système informatique que nous comptons utiliser à l’avenir pour informatiser le transit. Si celui-ci est informatisé, cela nous permettra de suivre le mouvement des véhicules en temps réel. Le système informatique va rentrer en vigueur bientôt. Si ce système est adopté, nous pouvons localiser un véhicule, quel que soit l’endroit où il se trouve à l’intérieur du Burkina. Cela nous permettra de peser les marchandises.

Très souvent, quand les gens disent qu’ils ont 10 tonnes, 20 tonnes, vous trouverez que cela fait 50 tonnes.
L’Etat doit rester fort. Si nous devons tout le temps subir les caprices des opérateurs économiques ou des chauffeurs, l’Etat y perd. C’est donc autant de mesures que nous comptons mettre en œuvre pour combattre la fraude. Le dernier point qui est très important est qu’aujourd’hui, nous avons fait un constat et il faut que nous arrivions à sécuriser les documents. Nous sommes en train de travailler avec le ministère pour trouver des systèmes de sécurisation des documents et supprimer les intermédiaires. Il faut savoir que la fraude se pratique aussi en partant des intermédiaires. Il faudra que certains documents douaniers qui sont transmis à certains services par l’intermédiaire des transitaires ou des opérateurs économiques le soient entre administrations elles-mêmes.

S. : Nonobstant toutes ces mesures, la fraude sévit notamment dans le secteur des cyclomoteurs chinois au grand dam souvent des acheteurs. Que fait la douane pour atténuer leur calvaire.

O.G. : Hier matin, (ndlr : l’interview a eu lieu mardi 2/12/2008) j’ai reçu le syndicat des vendeurs de cycles dans mon bureau. Ils sont venus me demander de diminuer les contrôles. Celui qui est en règle n’est pas inquiété. Si nous ne contrôlons pas je ne sais pas si les brigades auront leur raison d’être. Leur rôle, c’est de lutter contre la fraude. Nous ne pouvons pas les laisser se tourner les pouces.

Il faut continuer à contrôler. Mais le problème de la fraude est devenu un problème de gain. Vous savez que la plupart des opérateurs économiques qui sont basés à Ouagadougou louent les services des petits chômeurs qui vont rouler avec les motos depuis des pays limitrophes et viennent le leur remettre. Nous savons que les motos sont prises en grande partie à Cinkansé, à la frontière du Burkina Faso et du Togo. Nous avons avisé la douane togolaise. Nous leur avons dit que c’est Cinkansé qui approvisionne le Burkina en fraude sur tous les plans. Il y a les motos, mais il y a d’autres marchandises aussi. Nous leur avons dit que nous avons détecté des entrepôts fictifs de Togolais qui sont basés à Cinkansé. Les entrepôts fictifs sont censés abriter des motos qui sont exportées régulièrement avec des documents douaniers. Or dans ce cas, il n’y a pas de déclaration d’exportation. Ils chargent les motos et les vendent à des clients burkinabè.

Comme si les motos venaient du Burkina de sorte que ce sont ces entrepôts fictifs qui sont à Cinkansé qui alimentent le Burkina. Il y a des chômeurs au Burkina et le convoyage des motos est devenu une source de revenus pour pas mal de jeunes et même je pourrai dire que c’est du travail. Convoyer des motos à quinze mille, vingt-cinq mille francs quand vous faites quatre fois Cinkansé-Ouagadougou cela revient à cent mille francs. Vous voyez que c’est vraiment alléchant. Pour des jeunes qui ne travaillent pas, qui n’ont rien à faire c’est bon.

Ils profitent acheter de petites marchandises qu’ils viennent revendre. Avant on croisait un ou deux motocyclistes, on pouvait bien les arrêter. Aujourd’hui, quand vous les croisez, ils sont 30 à 40. Si vous vérifiez bien, les motos ont été dédouanées à 50 mille francs en se disant que ce sont des particuliers. C’est une situation assez difficile. Mais nous allons poursuivre les contrôles, nous allons même les renforcer à l’interne. Pour combattre cette fraude, il faut que les autres services interviennent. D’abord, je pense qu’il est utile que l’on fasse une re-immatriculation de tous les engins. Que cette r-eimmatriculation s’accompagne des cartes grises infalsifiables pour que les gens ne puissent pas les fabriquer rapidement. Vous savez qu’aujourd’hui, les cartes grises sont établies comme des arachides. Même quand j’ai reçu l’association hier, je leur ai dit qu’ils sont au marché, en tant que syndicats de vendeurs de cycles, il connaissent bien des gens qui fabriquent des fausses cartes.

Ils devraient nous aider à démasquer ces réseaux. Ils ne sont pas complices. Je sais qu’ils ont des informations. Ce qui est plus grave encore, vous allez trouver des cartes grises régulières parce que les gens ont fait un faux et ils ont même fabriqué des quittances de payement des douanes. Pour démenteler un tel réseau de fraude, il faut que vous preniez la carte grise et que vous vérifiez si le document a été identifié au niveau de la déclaration des douanes. Lorsque vous cherchez, vous trouvez qu’on ne reconnaît pas ces documents. Donc il faut beaucoup de moyens pour combattre cette fraude. J’ai dit qu’il y a des contrôles qui existent, mais il faut que l’on sécurise les documents qui ont identifié les engins. Au niveau informatique, il faut que les services arrivent à trouver les systèmes qui permettent d’identifier les intermédiaires. Au niveau du service des transports et de la douane, il y a beaucoup d’intermédiaires et tous ceux-ci jouent un rôle.

Les citoyens qui veulent acheter des motos doivent se rapprocher souvent de l’administration des douanes ou bien aller acheter les motos dans les maisons qui sont officielles. Il y a beaucoup de vendeurs qui appâtent les gens en leur proposant des engins moins chers, en leur remettant des documents qui sont faux. Il faut que les citoyens sachent que rien ne sert d’aller acheter une moto à 200 000 francs parce qu’elle est moins chère, pour que demain la douane la récupère. Donc, il faut que les citoyens eux-mêmes prennent des dispositions en allant acheter leur moto auprès des fournisseurs sûrs, des maisons agréées, des commerçants honnêtes, plutôt que d’aller les acheter chez des gens qui ne vous reçoivent plus en cas de problèmes.

S. : Le manque de moyens ne vous limite-t-il pas dans vos actions ?

O.G. : C’est vrai, la douane manque de moyens. Mais je puis vous assurez que depuis un certain temps, le gouvernement fait beaucoup d’efforts. C’est insuffisant bien sûr, mais louable.
Donc, nous avons des problèmes matériels. A part cela, dans certains postes, il y a une insuffisance de personnels. Je veux revenir sur les moyens matériels, pour ajouter qu’il y a le manque d’armes qui est un problème récurrent, un problème crucial. Vous savez les armes coûtent très cher.

Aujourd’hui, avoir un pistolet n’est pas du tout simple. Pour un service de campagne, il faut au moins des armes de longue portée telles que des kalachnikov. Ces genres d’armes, la douane en a reçu, il y a très longtemps et nous n’avons pas les moyens pour les acquérir à notre niveau. Si vous partez dans le Centre-Est dans la zone de Cinkansé jusqu’à Ouargaye, si vous n’avez pas un pistolet ou un revolver, vous n’êtes rien du tout. Disons que nous avons fait une visite vers Pô. Ils ont croisé un véhicule chargé de drogue. Quand ils ont voulu les arrêter, ils ont tiré des coups de feu jusqu’à épuisement des munitions ; ce sont eux qui couraient maintenant. J’ai le rapport ici qui indique que les bandits ont saccagé complètement une moto. C’est pour vous dire que les petits moyens que nous avons ne permettent pas d’aller en profondeur dans les campagnes. A notre niveau, les efforts sont faits, mais c’est encore insuffisant par rapport à nos besoins qui demeurent immenses...

S. : Nonobstant toutes vos actions, le REN-LAC ne cesse de vous mettre au hit-parade de la fraude. Votre réaction ?

O.G. : Je salue les actions du REN-LAC qui appelle tous les citoyens à réfléchir. Le REN-LAC n’insulte pas, ne critique pas. Il ne fait que donner son point de vue... Depuis un certain temps effectivement, la douane est en tête du hit-parade des administrations les plus corrompues mais je pense que des efforts sont faits pour enrayer ce fléau au sein de notre corps. La douane a élaboré un code d’éthique pour demander aux douaniers de travailler avec la réglementation. Si les agents de douane travaillent avec la réglementation, il y aura moins de corruption. Mais le problème de la douane est connu par l’administration qui a reconnu que les douaniers, dans leurs fonctions, sont les plus exposés à la corruption. Nous prenons en compte cela et nous essayons de travailler de façon à limiter les dégâts. De toute façon, il y a des brebis galeuses. Si l’on prend quelqu’un dans la corruption, cette personne sera sanctionnée. Depuis que je suis là, il y a des agents qui ont été sanctionnés. On ne cherche pas à savoir combien l’agent a pris. On le sanctionne pour le principe.

S. : En début d’année 2008, vous avez eu des déboires avec la justice et un mandat de dépôt a été délivré à votre encontre par un juge. Que pouvez-vous nous dire exactement sur cette affaire ?

O.G. : Effectivement, j’ai un dossier en justice depuis le 23 avril 2007 où j’ai déposé une plainte. Le lendemain, je suis parti en mission au Mexique et, à mon retour, j’ai toujours suivi le dossier. Par la suite, j’ai été convoqué le 5 décembre 2007 par un juge auquel je n’avais jamais eu affaire, qui m’a mis sous mandat de dépôt. En son temps, l’affaire a défrayé la chronique, et, je laisse la justice l’élucider en toute quiétude. Car, je peux dire que je suis blanc comme neige dans cette affaire. Je fais confiance à la justice et je suis certain qu’elle parviendra à dénouer cette affaire. Comme je le dis toujours, il faut faire confiance à la justice. Ce n’est pas encore tranché, mais j’espère que le dénouement se fera tôt ou tard.

S. : Avez-vous un message particulier à lancer ?

Le message particulier que j’ai, c’est de dire que les douaniers en tant que corps prennent beaucoup de coups. J’invite également ceux qui ont des motos non dédouanées à les faire dédouaner au niveau de nos services ; ce qui leur évitera des sanctions et des amendes. Mais s’ils gardent leurs motos pour ruser avec la douane, dès que nous les prenons, ils vont payer des amendes. Pour moi, c’est comme s’ils jouaient au PMU’B et que leur cheval tombait en cours de course. Si on les prend, ils vont payer des droits et des amendes. Donc, il est préférable que les gens viennent eux-mêmes dans les bureaux de douane pour dédouaner leurs motos ou bien pour se renseigner sur l’authenticité de leurs documents. Cela leur évitera des surprises désagréables.

Une interview de Boubakar SY et Issiaka DABERE

Sidwaya

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