LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Etienne Traoré : "La tendance sectaire s’est exacerbée au PDP/PS"

Publié le mardi 16 décembre 2008 à 06h08min

PARTAGER :                          

C’est devenu un secret de polichinelle, Etienne Traoré, enseignant de philosophie politique et morale à l’université de Ouagadougou, député PDP/PS, a rendu sa démission de son parti, où une tendance sectaire se serait exacerbée. Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est, selon l’intéressé, le refus de la part de la présidence de la formation politique d’honorer la mémoire de son père, en venant me présenter ses condoléances après son décès.

On vous avait annoncé depuis longtemps partant du PDP/PS, et pourtant vous venez de démissionner voilà seulement un mois. Etait-ce un choix de date ?

• Non, ce n’est point un choix de date mais plutôt une pression des événements. C’est vrai que si le Pr Ki-Zerbo vivait encore, je n’aurais pas eu besoin de franchir ce pas. C’est précisément le refus de la part de la présidence du parti d’honorer la mémoire de mon père, en venant me saluer après son décès, qui constitue la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Même mes adversaires et autres concurrents politiques l’ont fait, en venant me saluer ici ou en se déplaçant jusqu’au village ! Entre autres, je signale qu’une délégation du Groupe du 14-Février (sans une seule présence de mon parti) et une délégation du mouvement de la refondation, conduite par Hermann Yaméogo, ont fait le déplacement. Une délégation du CDP est venue ici et s’est rendue au village... J’ai alors dit que trop, c’est trop ! Je ne peux pas, personnellement et par respect de la mémoire de mon père, continuer avec un parti où je suis tant haï, pour lequel la disparition de mon père est un non-événement.

Au-delà de cette donne personnelle, pour ne pas dire sentimentale, quelles sont les raisons qui ont prévalu à votre démission de ce parti ?

• Je considère d’abord cette séparation comme un échec de la fusion entre l’UGD (Union de la gauche démocratique, constituée alors par 4 partis), dont j’étais le président, et le PDP (Parti pour la démocratie et le progrès), alors dirigé par le Pr Joseph Ki-Zerbo. J’en ai dit plus haut quelques raisons personnelles. S’agissant maintenant des raisons politiques, je peux dire, entre autres, que c’est la remise en cause dans les faits et propos des fusions successives et donc de la nature même du parti. Est-ce un parti unitaire issu de fusions successives ou est-ce un parti originaire auquel se sont greffés successivement d’autres partis ? Eh bien, depuis la disparition du Pr Ki-Zerbo, la réponse effective et de plus en plus forte était qu’il s’agissait bel et bien d’un parti originaire auquel se seraient greffés d’autres partis comme le nôtre.

Cette tendance sectaire existait déjà dans ce parti, mais elle s’est exacerbée depuis le congrès de 2004, où le Pr Ali Lankoandé a été porté à la direction de ce parti. Entre autres conséquences de cette orientation, nous étions presque considérés comme des étrangers, des ouvriers agricoles, travaillant dans un champ dont le propriétaire est le parti originaire. Cela nous a été signifié par des propos, des comportements et des pratiques dont les dernières ont contraint François W. Ouédraogo à se retirer de la course à la direction de ce parti, lors du tout dernier congrès, tenu à la maison du retraité Antoine-Nanga. Je vous dis enfin, pour être bref, qu’un climat de méfiance, voire de haine s’était installé dans ce parti, au sein de sa direction notamment. Mon départ devrait même constituer un ouf de soulagement pour certains membres de la direction, qui souffraient visiblement de ma présence aux réunions.

La cohabitation entre vieux et jeunes au sein du PDP/PS était-elle si difficile pour expliquer votre départ ?

• Je sais que la "cohabitation" y est difficile, car, dès le départ, certains "vieux" ont vite considéré les jeunes comme des prétentieux pressés d’avoir de la promotion. Nous y avons même vu un député en exercice ("vieux"), refuser totalement de verser un seul franc pour soutenir dans sa province un candidat (jeune) du parti. Pour moi, les jeunes sont porteurs de changement et d’espoir. Ils constituent, avec les femmes, l’immense majorité de l’électorat. Si l’on s’en méfie, c’est tout simplement parce qu’on refuse le changement, qu’on ne croit plus en l’avenir. Or nous avons justement opéré la fusion (UGD/PDP) pour le changement progressiste et pour un avenir plein d’espoir !

Par ailleurs, que reprochez-vous à la direction sur sa gestion du parti ?

• Dans le cadre du mouvement de rénovation interne du parti, nous avons fait de nombreuses critiques sur lesquelles je ne voudrais pas insister ici. Je peux tout juste résumer ces critiques en quelques points : déficit de démocratie interne, sectarisme, insuffisance de promotion des jeunes et des femmes, déficit de contact avec les bases.

Que pensez-vous du nouveau patron du PDP/PS ?

• Quand je le verrai, je lui dirai directement ce que je pense de lui. Pour l’instant, je suis déçu du fait qu’il ait tenté (Ndlr : lors d’Actu Hebdo à la TNB) de justifier l’injustifiable : ne pas saluer un camarade de lutte qui a perdu son papa. Je peux ajouter que François Kaboré est en réalité un patron de la continuité et non du changement.

Justement, pourquoi n’avoir pas laissé les rênes du PDP/PS à François Ouédraogo qui était candidat et qui semble mieux connu que François Kaboré ?

• Je n’étais pas à ce congrès, car j’en connaissais, par avance, les résultats au regard de la façon dont les délégués avaient été retenus. A ce congrès, François Ouédraogo a fait une déclaration qui confirme que le Parti socialiste du Burkina (PSB) qu’il dirigeait, en fusionnant avec le PDP, est considéré comme un des partis qui se sont greffés à un parti originaire. Il est comme ses semblables, non pas un parti fondateur, mais seulement un parti adhérant ! De ce fait, en ouvrier agricole qu’il est, il ne pouvait pas prétendre être le patron du champ qu’il cultive.

D’une dizaine de députés dans la précédente législature, le PDP/PS s’est retrouvé en tout et pour tout avec deux élus à l’issue des dernières législatives. Avez-vous une explication à cette descente aux enfers ?

• Le Mouvement de rénovation interne avait déjà sonné l’alerte, en indiquant que le parti irait en décadence accélérée s’il ne trouvait pas vite des solutions aux problèmes que j’ai évoqués plus haut. Il y a bien sûr des causes externes, constituées, entre autres, par la dispersion des forces de l’opposition, la grande modicité des moyens face au gigantisme de ceux du CDP, l’invalidation de certaines de nos listes, dont la liste nationale, où nous avions un élu, etc. Mais pour aller de l’avant, il faut surtout examiner les causes internes.

Peut-on dire que le Pr Joseph Ki-Zerbo s’en est allé avec son parti ?

• Je réserve cette réponse pour moi-même. Je peux seulement ajouter que le Professeur Ki-Zerbo n’était pas seulement un parti, mais tout un ensemble de valeurs, d’idéaux et de pratiques qui dessinent une pensée et une pratique politique cohérentes et admirables, dont je me réclame toujours. Je vais continuer à travailler dans ce sens.

Que ferez-vous après cette démission ? Créer un nouveau parti ou rejoindre une formation déjà sur le terrain ?

• J’avoue qu’à mon niveau personnel, j’avais voulu rejoindre un autre parti politique de l’opposition avec d’autres camarades, sympathisants et électeurs. Des concertations avec eux il est ressorti, eu égard à notre expérience au PDP/PS, qu’il faut fonder un parti nouveau. Je pense que ce parti nouveau pourra être formé dans les 3 ou 4 mois prochains. Nous demeurons (car je ne suis pas seul) néanmoins ouverts à toutes les alliances politiques, prélude à de nécessaires fusions, sans lesquelles l’alternance politique véritablement progressiste demeurera un leurre.

Après vous, François Ouindélassida Ouédraogo vient de démissionner. Quel commentaire faites-vous de l’ostracisme dont il dit être victime de la part des MLN originaux ?

Je ne pense pas que François Ouédraogo mérite d’être ainsi traité. Il a tellement insisté pour composer une équipe consensuelle ! La discrimination dont il est l’objet est tout à fait contraire à la stratégie du professeur Ki-Zerbo qui n’a fait que des ouvertures : UPV, FPV, CNPP, PDP, PDP/PS.

En démissionnant, Ouindélassida a, dans la foulée, annoncé la création d’un parti. Sera-ce également le vôtre ou chacun va-t-il avoir son affaire à lui ?

Une organisation commune avec François Ouédraogo, je n’en ai pas encore parlé avec mes camarades.

D’ici là, dans quel groupe parlementaire serez-vous, ou bien vous resterez non inscrit ?

• Je reste bel et bien dans le groupe parlementaire de l’opposition : Alternance, Démocratie et Justice (ADJ). J’en suis même le secrétaire général.

Que pensez-vous de la revendication des universitaires pour que l’université de Ouagadougou porte le nom du professeur Ki-Zerbo ?

• Le professeur mérite simplement cette nomination. J’ajoute qu’il mérite également d’être retenu parmi les héros nationaux tout comme d’autres illustres personnalités telles que le Général Baba Sy, le Général Lamizana et Naba Abga de Larlé (grand père de l’actuel Larlé Naba).

Pour terminer, je dis grand merci à L’Observateur paalga pour m’avoir permis de donner quelques explications, certes incomplètes mais utiles. Je veux que l’on retienne que pour moi la page du PDP/PS est tournée, ce qui importe maintenant, c’est la construction de l’avenir. Il ne sert à rien de ruminer le passé, seule la construction d’un nouvel espoir progressiste compte pour moi désormais. Encore une fois, mille fois merci.

Ouédraogo Adama Damiss

L’Observateur Paalga

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique