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Blaise Compaoré Président du Faso : “Dans ce monde, la justice, malgré sa disponibilité et son engagement, peut avoir des limites”

Publié le mercredi 10 décembre 2008 à 01h26min

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A l’occasion de la célébration du 11-Décembre 2008 à Fada N’Gourma, le Président du Faso, Blaise Compaoré, a accordé sur sollicitation de la direction générale des Editions Sidwaya, de l’Observateur Paalga et des Editions Le Pays, un entretien qui s’est déroulé le 4 décembre dernier au palais présidentiel de Kosyam. Les questions touchant à la vie nationale telles que la vie chère, le dossier Norbert Zongo, le CDP et la FEDAP-BC, la grève à l’Université, la corruption dans la cité, le drame de Boromo et bien d’autres sujets ont été abordés. Nous vous proposons ces grandes lignes que Sidwaya a pris le soin de transcrire pour vous. Outre les interwieveurs ont assisté à l’entretien le Directeur de la presse présidentielle et son assistant, le Directeur général des Editions Sidwaya et le Directeur de Sidwaya.

Sidwaya (S.) : Le Burkina célèbre le 11 décembre prochain, le 48ème anniversaire de son Indépendance. Sous quel signe placez-vous personnellement cette commémoration qui se déroulera à Fada ?

Blaise Compaoré (B.C.) : Ce sera sous le signe de la mémoire. L’indépendance est une valeur très précieuse pour une nation, pour un pays. Parce que cet évènement doit nous rappeler, à chaque fois, la très grande responsabilité de peuple indépendant dans la construction de son futur. Lorsqu’un peuple est colonisé, il est pris en charge. Et quand il est indépendant, il doit assumer son devenir. Ces moments sont ceux de la remobilisation de la nation autour d’un destin commun. Cela nous permettra bien sûr, de donner à nouveau des orientations mais aussi de faire appel à l’engagement continu de notre peuple pour affirmer cette indépendance. Et surtout de construire le progrès car c’est cela aussi qui consolide l’indépendance. C’est par le travail, l’intégrité, une forte solidarité, une grande ouverture avec les autres nations du monde...

S. : Quel message comptez-vous adresser à la population ?

B.C. : C’est très tôt pour en parler. C’est généralement le 10 décembre que je livre mon message. Celui de cette année va porter sur ces valeurs sus-citées et sur les responsabilités que doit avoir un peuple lorsqu’il pense à l’indépendance.

S. : Concernant l’organisation pratique de cette manifestation, d’aucuns pensent que plusieurs milliards seront engloutis. Pensez-vous que dans une situation d’austérité, cela était vraiment nécessaire ?

B.C : Le Burkina est un pays de liberté. Et depuis des années, à chaque fois qu’on organise quelque chose, les gens trouvent toujours à dire, par exemple qu’au lieu de faire les échangeurs, il aurait fallu construire des amphithéâtres ou des centres de santé. Ce sont des débats que nous entendons. Mais la célébration du 48ème anniversaire de notre indépendance mérite, dans ce contexte international très difficile, que les peuples se souviennent de ce que représente cet acquis pour une nation. Lorsque vous prenez le Burkina, c’est la sous urbanisation. Le taux d’urbanisation au Burkina est de près de 10%. Or, cela ne peut pas impulser le développement d’un pays avec les attentes qui sont les nôtres. Il faut qu’on arrive à urbaniser davantage les villes secondaires du Burkina. Le choix de Fada est une indication que nous entendons renforcer ce processus d’urbanisation des villes secondaires. Il y avait un programme pour ces villes. Il s’agit de faire en sorte que, dans ces localités, lorsqu’on va avoir des maisons réalisées par la Caisse de sécuité sociale et l’Etat, on aura plus de possibilité. Si vous créez une université et il n’y a pas de logements pour des enseignants, le problème n’aura pas été résolu. Il faut comprendre que notre progrès général procède de notre capacité à créer des pôles de développement, à l’intérieur du pays, qui vont attirer des gens.

S. : Certaines personnes ne prédisent pas longue vie à la tournée de cette fête dans les provinces. On a vu le cas de la Côte d’Ivoire. Ces gens pensent que cette manière de procéder risque d’avoir le même sort au Burkina.

B.C. : Je ne suis pas un devin. Mais je constate que le Burkina est un pays d’hommes et de femmes persévérants. Ils ne font pas d’option à la légère. Mais ceux-ci sont surtout pleinement déterminés lorsqu’ils ont fait le choix. Je prends l’exemple du FESPACO qui existe depuis 40 ans et le SIAO qui entre dans sa 20e année. Dans d’autres pays, effectivement, des événements du genre ont été organisés. Mais au bout de 2 ou 3 éditions, ils n’ont plus été organisés. L’option concerne les régions. J’ai appris que Ouahigouya se prépare. Et d’ici la fin de l’année, nous aurons annoncé une autre localité. A chaque 11- Décembre, nous allons annoncer la 3e cité qui va abriter la commémoration. L’un dans l’autre et surtout avec nos perspectives de croissance économique, il doit être possible de maintenir ce choix.

S. : Ça fera bientôt un demi-siècle que le Burkina est indépendant. Est-ce que le vocable “indépendance” n’est pas un grand mot pour un pays pauvre très endetté qui dépend en grande partie de l’extérieur ?

B.C. : Même les grands pays dépendent d’autres pays. Avec la crise financière, ils sont obligés de demander l’intervention de la Chine, des pays du Golfe. Je ne crois pas qu’il y ait un pays qui soit indépendant tel que vous le dites. L’indépendance est un ensemble de dispositions qu’un peuple peut avoir vis-à-vis d’autres peuples. Nos programmes de développement actuels sont différents de ceux du temps colonial. Et comme d’autres nations, le Burkina a besoin du concours d’autres partenaires. Mais c’est une donnée générale pour les économies du monde. Il faut peut-être changer l’appellation de pays pauvre très endetté quand on parle du Burkina parce que nous avons fait des efforts grâce à l’allègement des dettes que nous avons obtenu avec les partenaires. Actuellement, le Burkina a une dette intérieure maîtrisée et une dette internationale qui ne gêne pas notre économie.

S. : Le 13 décembre sera le Xe anniversaire de l’assassinat de Norbert Zongo. Est-ce qu’il vous arrive de penser à cette date ?

B.C. : C’est vrai que c’est un moment douloureux pour l’ensemble de la nation. Mais nous avons eu, dans ce pays, d’autres circonstances qui ont été aussi douloureuses. Il est vrai que pour ces cas particuliers, nous sommes d’autant plus malheureux. Avec tout le peuple, nous avons cette soif de la justice, de la lumière qui n’a pas encore été établie. Mais nous comprenons parfois que les circonstances de passion, d’une certaine appropriation de ce dossier, par des personnes qui ne sont pas habilitées à gérer ces genres de situation, n’ont pas permis d’aller vers des pistes qui auraient pu aider. Nous avons eu l’impression que beaucoup de politisation a été faite sur des questions qui devaient relever surtout de la justice.

S. : Mais le temps n’est pas de trop long, selon vous ?

B.C. : Quand vous parlez de cela, je me souviens d’un ami, le commandant Sawadogo qui est mort il y a de cela 24 ans. Il n’est pas mort hors de Ouagadougou, mais à l’intérieur de la ville. Le dossier est en justice, mais on n’a pas encore atteint le niveau qui permet de traiter le dossier. Même dans les démocraties avancées, où il y a de plus grands moyens, il reste encore des dossiers qui, même après des décennies, continuent d’être instruits. C’est vous dire que nous sommes tous demandeurs de lumière. Mais il faut comprendre que dans ce monde, la justice, malgré sa disponibilité et son engagement dans tel ou tel dossier, peut avoir des limites.

S. : Nous sommes tous des demandeurs de justice. Mais en tant que président, magistrat suprême, ne ressentez-vous pas une responsabilité particulière dans cette affaire ?

Ont assisté à l’entretien, le Directeur de la Presse présidentielle, le Directeur général des Editions Sidwaya et le Directeur de Sidwaya (de droite à gauche).

“Maintenant l’Autorité supérieure du Contrôle d’Etat a la possibilité de se référer directement au juge”.

B. C. : Combien de dossiers attendent toujours d’être jugés ? Il en existe beaucoup d’autres, surtout ceux du grand banditisme où les victimes attendent toujours.

S. : Comment appréciez-vous, M. le président, l’ambiance qui prévaut sur la scène politique et sociale burkinabè avec la sortie des réformateurs, la crise au sein du CDP, les troubles à l’Université de Ouagadougou, la vie chère.... Etes-vous serein face à tant de remous ?

B.C. : Le Burkina est sur quelle planète ? Même dans les démocraties anciennes, il n’y a pas de partis dirigeants au sein desquels il n’y a pas de débats d’idées, des luttes d’influence, des tendances. Mais cela ne peut que faire progresser politiquement les partis. Il faut aussi comprendre que l’Etat de droit est un environnement de liberté. S’il n’y avait pas de débats d’idées, c’est là qu’il fallait parler de crise. Tous ces débats reviennent sur les grandes lignes du parti. Et le CDP pourrait en profiter pour améliorer chaque fois ses orientations. C’est-à-dire ses méthodes, sa gestion, de structure. Ces genres de débats ne peuvent que conforter un parti qui se veut de l’avenir.

S. : Les refondateurs ont été suspendus du parti. Est-ce que vous avez un point de vue particulier là-dessus ?

B. C. : Ce sont les textes du parti qui le veulent. Je ne suis pas membre dirigeant du parti. Mais ce n’est pas la première fois que cela arrive. Certains ont été suspendus et ils reviennent. D’autres ne reviennent plus. Tout cela répond même à la vie du parti.

S. : A côté du CDP, s’est positionnée la FEDAP-BC. Il existerait d’ailleurs une guéguerre entre les deux. Quel rôle jouez-vous dans cette guéguerre ?

B.C. : Il y a là aussi de la dramatisation. Un parti politique qui concourt à l’animation de la vie politique, qui a des candidatures aux législatives, aux municipales comme le CDP, il y a aussi un mouvement qui entend soutenir telle ou telle cause. Cette question revient le plus souvent. Est-ce que j’ai le pouvoir de dissoudre ou d’empêcher un groupe d’amis de quelqu’un par exemple, qui se crée ? Nous sommes dans un Etat de liberté. Si des gens créent une association qui ne gêne pas la bonne marche des choses, on ne peut pas les en empêcher. Il n’y a pas de problème que ce soit CDP ou FEDAP-BC. Il faut partir du fait que le parti ne peut pas tout seul porter les aspirations sociales d’une nation.
C’est pourquoi, certaines associations très proches ou même trop proches, accompagnent les autres partis dans l’animation de la vie politique.
Le problème pourrait se poser si les mouvements présentaient des candidatures aux différentes élections. Mais dans cette situation, il n’y a vraiment pas de terrain d’affrontement entre les deux structures.

S. : Derrière la FEDAP-BC, on voit se profiler l’ombre de François Compaoré. Pour une partie de l’opinion, cela procède de sa mise en orbite sur le plan national pour votre succession. Est-ce qu’il vous a déjà traversé l’esprit que François Compaoré succèdera à Blaise Compaoré ?

B.C. : Notre Constitution est très claire sur les conditions pour devenir président. Il est vrai que c’est difficile d’être le frère d’un président parce qu’on se pose des questions sur votre présence à certains endroits. Ou on vous prête des intentions pour votre absence dans d’autres. François n’a pas choisi de militer directement sinon il aurait pu se présenter à l’élection législative. S’il avait des ambitions et si nous avions pensé que cela serait son avenir, on se serait comporté autrement. Pour lui, aujourd’hui, c’est de m’appuyer dans ce que je fais.
La présidence du Faso n’est pas comme une boutique où l’on peut embaucher celui qu’on veut. Le peuple a aujourd’hui atteint une maturité qui, à travers notre Constitution, doit se déterminer au moment venu. Les partis politiques joueront toujours un rôle important dans notre processus démocratique.

S. : Si le moment venu François Compaoré voulait comme tout bon Burkinabè, se présenter, le lui déconseilleriez-vous ?

B.C. : Je ne m’occupe pas des carrières politiques de mes conseillers.

S. : Et les décorations ?

B.C. : Je n’ai pas encore pensé à ça. Ce n’est pas à moi d’organiser la carrière d’un frère. J’ai une autre idée de la politique.

S. : Mais est-ce que le choix de votre successeur se fera à un moment politiquement opportun ?

B.C. : Savez-vous que la Constitution ne me donne pas ce droit ? Je veux seulement que ce pays continue dans la stabilité, le progrès.
Mon souhait est que ceux qui viendront après moi puissent aller dans le sens des choix que j’ai faits pour ce pays, de la liberté et du progrès.
C’est cela ma préoccupation parce que je ne peux pas savoir ce que la vie nous réserve demain.

S. : Jusque-là, certains Burkinabè n’ont pas encore compris les raisons du limogeage de Salif Diallo du gouvernement. Que s’est-il passé pour qu’on en arrive à là ? Est-ce un désaveu, un divorce entre les complices d’hier ? Serait-ce la conséquence des mésententes entre lui et François Compaoré, votre frère ?

B.C. : Ce n’est pas la première fois que quelqu’un bouge soit du gouvernement, soit d’autres postes.

S. : Mais il y a des départs qui ne laissent pas indifférente l’opinion. Salif Diallo est réputé être parmi vos plus fidèles “lieutenants”. Comprenez donc que son départ ne puisse pas rester sans susciter des interrogations ?

B.C. : Mais un fidèle peut travailler partout ! C’est pourquoi il est à Vienne, une capitale où il y a beaucoup d’institutions internationales qui pourraient aider le Burkina.

S. : L’opinion nationale a pu comprendre que, par le limogeage de Salif Diallo, le chef de l’Etat a préféré son frère au fidèle dans la querelle qui les opposait. Est-ce cela ?

B.C. : Parlez-vous du gouvernement ou d’affaire de famille ? A chaque fois vous amenez le problème de François dans cette affaire de gouvernement. Mon souhait est que toutes les personnes qui travaillent au gouvernement donnent de la cohésion. Les relations avec l’extérieur m’importent peu. Mon souhait est que les membres du gouvernement puissent travailler ensemble. En remaniant le gouvernement, c’est d’abord la cohésion de l’équipe qui me préoccupe.

S. : Voulez-vous dire que Salif Diallo portait atteinte à la cohésion du gouvernement ?

B.C. : Non , je trouvais que compte tenu de sa longue présence au gouvernement, je me suis dit que subjectivement, il pouvait avoir des problèmes entre lui et Tertius Zongo parce que le premier était là bien avant Tertius Zongo. Et j’ai pensé que pour donner plus de sérénité au Premier ministre dans sa tâche, il fallait que Salif Diallo bouge un peu.

S. : Tertius Zongo aurait-il demandé expressément le départ de Salif Diallo ?

B.C. : Alors, pas du tout.

S. : Excellence, serez-vous prêt à briguer la présidence en 2010 ? Et si toutes les conditions sont réunies en 2015 ?

B.C. : 2010 est encore loin. Je suis en train d’exécuter le programme de 2005. On verra avec le temps. Sinon on n’est même pas encore en 2009.

S. : Peut-être qu’on prête des pouvoirs exceptionnels à certaines personnes. Souvent François Compaoré a été à tort ou à raison dans le drame de Sapouy. Comment avez-vous vécu personnellement les récriminations faites à son égard ?

B.C. : Je vis dans des récriminations. Donc je comprends qu’il est dans une position où il ne peut pas échapper à ces récriminations parce que ce que je vis déteint sur mes proches et parents. Dans une situation du genre, l’exécutif a mis en place une commission d’enquête. Ensuite, la justice s’est saisie du dossier. A chaque niveau, au moins une centaine de personnes sont passées soit pour témoigner, soit pour apporter leur contribution à l’avènement de la lumière sur ce dossier. Je n’ai pas eu l’information selon laquelle devant les juges quelqu’un aurait donné un élément qui implique François dans cette affaire. Si c’est ce que les gens racontent, je n’ai d’autres sentiments que d’être malheureux avec François.

S. : Le gouvernement est décidé à lutter contre la corruption eu égard aux mesures prises. Est-ce à vos yeux une question de mode ou tout simplement une question de pauvreté persistante ?

B.C. : Nous sommes tous fiers d’être Burkinabè. En suivant les appréciations de ceux de l’extérieur, le Burkina est un pays qui progresse, malgré les contraintes immenses. Il faut d’abord dire mon admiration pour les millions d’hommes et de femmes qui travaillent avec honnêteté, intégrité, pour faire avancer le pays. Il y en a, aussi, qui ont commencé à s’enrichir parce qu’ils ont un esprit d’entreprise très élevé, ils ont une grande détermination pour le travail, une meilleure organisation pour l’ouverture vers d’autres métiers.

Cela est important. Et il ne faut pas qu’on déstabilise psychologiquement notre peuple sur des phénomènes qui existent partout dans le monde. Vous n’allez quand même pas me dire que les grandes faillites internationales financières sont dues à une bonne gestion, à une bonne gouvernance. Il y a certainement derrière celles-ci, des phénomènes comme celui que vous venez de citer qui sont beaucoup plus criminels que ce que l’on peut observer. Nous avons néanmoins pris conscience que c’est un phénomène qui peut gangrener l’économie, détruire le tissu social d’un pays. C’est pour cela que des mesures ont été prises pour combattre le fléau. Celles-ci sont saluées même par la communauté internationale. Nous avons engagé un combat de longue haleine et il faut être persévérant.

Ces mesures doivent nous permettre dans les temps à venir, d’obtenir des résultats. Elles nous permettront de moderniser notre système de gestion, de rendre notre administration plus économe, plus efficace. Et la dernière institution est l’Autorité de régulation. Sur ces 9 membres, vous avez seulement trois représentants de l’Etat, trois du patronat et trois de la société civile. Il faut faire le tour du monde pour voir quelles sont les institutions qui se sont occupées des marchés publics où l’Etat n’est représenté qu’au tiers. Le cas du Burkina est une ambition, une volonté de construire des bases solides de gestion de notre économie. Et cela passe par la lutte contre la corruption.

S. : Pour une partie de vos compatriotes, la lutte contre la corruption ou la fraude fiscale ou douanière est rendue difficile à cause de la corruption qui existerait entre les hommes politiques et le monde des affaires. Qu’est-ce que vous en pensez ?

B.C. : C’est une question de règles. Celles-ci permettent de suivre les marchandises depuis l’embarquement. Jusqu’ici, je ne vois pas comment les hommes politiques pourraient s’interférer. A quel niveau résident les interférences ?

S. : Pour beaucoup, il y a des pressions et l’influence de ceux qui gèrent les affaires de l’Etat. Vous pensez que les structures comme l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat peuvent parer aux problèmes ?

B.C. : Oui ! parce qu’avant les inspections déposaient leurs rapports au gouvernement pour appréciation. Maintenant, les structures comme l’Autorité supérieure ont la possibilité de se référer directement au juge et de suivre les procédures y afférentes. Ce qui n’était pas le cas avec les inspections. Nous avons voulu donner plus de transparence, pour que les dossiers ne restent plus pendants au niveau judiciaire.

S. : La création et l’installation de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat va-t-elle réellement jouer son rôle pour que la corruption ne soit plus d’actualité ?

B.C. : Le combat, il faut le comprendre, est clair.
En amont, il y a tout un travail d’organisation et de restructuration. C’est pourquoi nous avons mis en place le guichet unique pour la création d’entreprises, et bientôt pour le bâtiment.
Parce que le phénomène de la corruption est tel que, lorsque vous avez un dossier pour la création d’une entreprise, il vous faut aller au Trésor public, au ministère du Commerce.

Il y a tellement de services qui, lorsque le dossier traîne, laissent la possibilité de corrompre les agents. Ce guichet unique va donc regrouper tous les services avec des délais et des tarifs clairs. C’est en cela que nous pouvons aussi lutter contre la corruption. C’est comme les marchés publics. Il faut que les responsables appliquent les textes. Pour que les entrepreneurs ou les concurrents des marchés publics se réfèrent à l’Autorité supérieure qui va arbitrer et sanctionner éventuellement. Mais, ce n’est pas l’Autorité seule qui pourra venir à bout de ce fléau. Il faut que nous puissions faire les réformes, que ce soit un autre environnement institutionnel qui puisse gérer les questions d’affaires publiques.

S. : Avez-vous foi à l’aboutissement de cette lutte parce qu’il y a collusion entre le politique et l’économique ?

B.C. : Vous parlez de collusion.
Est ce qu’il n’en existe pas entre les journalistes et les hommes politiques ? Ce sont des exemples qu’on retrouve partout.

S. : L’année qui s’achève aura été marquée par les émeutes de la vie chère. Selon l’opinion, le gouvernement a donné l’impression d’un coup d’épée dans l’eau parce que les gens continuent de subir le renchérissement des prix. Qu’est-ce que vous en pensez ?

B.C. : Probablement que les contraintes budgétaires et économiques n’ont pas permis de satisfaire toutes les attentes. Sinon le gouvernement a été à la fois sur le terrain du dialogue social et aussi des mesures prises pour l’urgence, comme la suppression des taxes douanières sur les produits de première nécessité. Ce que les gens ne comprennent pas, si la tonne de riz coûte 300 dollars et le gouvernement impose une taxe de 100 dollars, on trouve que c’est trop. Et entre-temps, si ce même riz revient à 800 dollars la tonne, et le gouvernement supprime sa taxe, il est évident que les populations ne sentent pas l’effort consenti pour la suppression de la taxe.
Ce que je veux que les populations comprennent, c’est que le pouvoir d’achat ne peut pas seulement se jouer sur une augmentation de salaires.

Parce que les gens crient que les salaires sont bas et le pouvoir d’achat peu élevé. C’est pourquoi très tôt, le gouvernement a pris à cœur de travailler pour alléger les taxes sur les salaires, en donnant les manuels scolaires gratuits, les vaccinations, les logements sociaux entre autres. Nous intervenons dans plusieurs domaines qui concourent à réduire progressivement les charges des salariés.

S. : Mais en attendant, il n’est pas question de donner aux travailleurs les 25% d’augmentation de salaire qu’ils réclament ?

B.C. : Ils sont en discussion aujourd’hui et demain (NDLR les 4 et 5 décembre 2008) avec le gouvernement. Je ne sais pas quelle conclusion en sortira.

S. : Monsieur le président, comment convaincre vos compatriotes des contraintes budgétaires sans doute réelles, quand par exemple les factures d’électricité de certains membres du gouvernement tournent autour du million de francs par mois ?

B.C. : L’Etat réduit son train de vie. Si vous prenez l’exemple sur l’année 2008, 2009, le fonctionnement devrait être de 105 milliards.
L’Etat travaille à réduire son train de vie.
Il y a, comme vous l’avez constaté, la réduction de la consommation du carburant.

S. : On constate que le gouvernement est impuissant face à la flambée des prix des hydrocarbures. Le prix du pétrole a diminué et le consommateur burkinabè ne le ressent pas. Pourquoi ?

B.C. : Il y a une baisse qui n’est pas encore substantielle. Mais le gouvernement y travaille. Peut-être qu’avec la rencontre avec les syndicats, il y aura des compromis. Ce qu’il faut retenir, c’est que nous faisons des stocks de carburant. Si le stock a été constitué au moment où le carburant coûtait cher, on ne peut pas en vouloir à la SONABHY. Notre économie ne peut pas suivre le marché tel qu’il est. Mais la tendance aujourd’hui est à la réduction des prix.

S. : Quelles sont les garanties pour une utilisation judicieuse et transparente des fonds alloués au Burkina par le MCC ?

B.C. : Il faut saluer la décision du président Bush d’accorder au Burkina un tel montant (NDLR : 204 milliards de francs CFA). C’est un apport très substantiel à notre économie. Le processus du MCC est un partenariat qui s’appuie sur la bonne gouvernance et la bonne gestion. Vous verrez que pour les marchés publics et le suivi des travaux, Américains et Burkinabè seront pleinement associés, pour faire en sorte que ce qui a été décidé aille vers des objectifs qui vont donner des résultats visibles.

S. : Le Burkina a été récemment endeuillé par l’accident de Boromo. Le 15 novembre dernier vous avez envoyé un message de compassion. Mais certains s’attendaient à ce que vous interrompiez votre visite en Europe pour rentrer au pays, compte tenu de la gravité de la situation. Cela n’était-il pas utile à votre avis ?

B.C. : C’est vrai, nous avons tous ressenti la douleur qui est celle de tout le peuple burkinaè. Si vous êtes face à une situation du genre et surtout là où j’étais, interrompre le voyage pour revenir ? Oui ! Mais je ne pouvais rien faire pour changer les choses.
Ce qui est important, pour moi, il était urgent de manifester ma compassion et m’enquérir auprès du gouvernement des mesures qui ont été prises pour les familles des victimes et des blessés. Il était urgent pour moi de savoir si les familles ont été contactées et si le gouvernement a pris les mesures urgentes à court, et long terme, pour consolider la sécurité routière, pour éviter ce genre de drame.
En conseil des ministres hier (NDLR le mercredi 3 décembre 2008) nous avons travaillé sur ce dossier. Je crois qu’on peut respecter la mort d’autrui dans la discrétion.

S. : Un autre grief des populations est que le gouvernement n’a pas décrété un deuil national. Ce n’était pas nécessaire à votre avis ?

B.C. : Le gouvernement a participé au deuil. Le gouvernement me représentait et représentait tout le peuple également. Il a été très présent aux côtés des familles et des malades. Je ne pense pas qu’il y a un message de compassion plus que ces actes.

B. C. : Combien de dossiers attendent toujours d’être jugés ? Il en existe beaucoup d’autres, surtout ceux du grand banditisme où les victimes attendent toujours.

S. : Comment appréciez-vous, M. le président, l’ambiance qui prévaut sur la scène politique et sociale burkinabè avec la sortie des réformateurs, la crise au sein du CDP, les troubles à l’Université de Ouagadougou, la vie chère.... Etes-vous serein face à tant de remous ?

B.C. : Le Burkina est sur quelle planète ? Même dans les démocraties anciennes, il n’y a pas de partis dirigeants au sein desquels il n’y a pas de débats d’idées, des luttes d’influence, des tendances. Mais cela ne peut que faire progresser politiquement les partis. Il faut aussi comprendre que l’Etat de droit est un environnement de liberté. S’il n’y avait pas de débats d’idées, c’est là qu’il fallait parler de crise. Tous ces débats reviennent sur les grandes lignes du parti. Et le CDP pourrait en profiter pour améliorer chaque fois ses orientations. C’est-à-dire ses méthodes, sa gestion, de structure. Ces genres de débats ne peuvent que conforter un parti qui se veut de l’avenir.

S. : Les refondateurs ont été suspendus du parti. Est-ce que vous avez un point de vue particulier là-dessus ?

B. C. : Ce sont les textes du parti qui le veulent. Je ne suis pas membre dirigeant du parti. Mais ce n’est pas la première fois que cela arrive. Certains ont été suspendus et ils reviennent. D’autres ne reviennent plus. Tout cela répond même à la vie du parti.

S. : A côté du CDP, s’est positionnée la FEDAP-BC. Il existerait d’ailleurs une guéguerre entre les deux. Quel rôle jouez-vous dans cette guéguerre ?

B.C. : Il y a là aussi de la dramatisation. Un parti politique qui concourt à l’animation de la vie politique, qui a des candidatures aux législatives, aux municipales comme le CDP, il y a aussi un mouvement qui entend soutenir telle ou telle cause. Cette question revient le plus souvent. Est-ce que j’ai le pouvoir de dissoudre ou d’empêcher un groupe d’amis de quelqu’un par exemple, qui se crée ? Nous sommes dans un Etat de liberté. Si des gens créent une association qui ne gêne pas la bonne marche des choses, on ne peut pas les en empêcher. Il n’y a pas de problème que ce soit CDP ou FEDAP-BC. Il faut partir du fait que le parti ne peut pas tout seul porter les aspirations sociales d’une nation.
C’est pourquoi, certaines associations très proches ou même trop proches, accompagnent les autres partis dans l’animation de la vie politique.

Le problème pourrait se poser si les mouvements présentaient des candidatures aux différentes élections. Mais dans cette situation, il n’y a vraiment pas de terrain d’affrontement entre les deux structures.

S. : Derrière la FEDAP-BC, on voit se profiler l’ombre de François Compaoré. Pour une partie de l’opinion, cela procède de sa mise en orbite sur le plan national pour votre succession. Est-ce qu’il vous a déjà traversé l’esprit que François Compaoré succèdera à Blaise Compaoré ?

B.C. : Notre Constitution est très claire sur les conditions pour devenir président. Il est vrai que c’est difficile d’être le frère d’un président parce qu’on se pose des questions sur votre présence à certains endroits. Ou on vous prête des intentions pour votre absence dans d’autres. François n’a pas choisi de militer directement sinon il aurait pu se présenter à l’élection législative. S’il avait des ambitions et si nous avions pensé que cela serait son avenir, on se serait comporté autrement. Pour lui, aujourd’hui, c’est de m’appuyer dans ce que je fais.
La présidence du Faso n’est pas comme une boutique où l’on peut embaucher celui qu’on veut. Le peuple a aujourd’hui atteint une maturité qui, à travers notre Constitution, doit se déterminer au moment venu. Les partis politiques joueront toujours un rôle important dans notre processus démocratique.

S. : Si le moment venu François Compaoré voulait comme tout bon Burkinabè, se présenter, le lui déconseilleriez-vous ?

B.C. : Je ne m’occupe pas des carrières politiques de mes conseillers.

S. : Et les décorations ?

B.C. : Je n’ai pas encore pensé à ça. Ce n’est pas à moi d’organiser la carrière d’un frère. J’ai une autre idée de la politique.

S. : Mais est-ce que le choix de votre successeur se fera à un moment politiquement opportun ?

B.C. : Savez-vous que la Constitution ne me donne pas ce droit ? Je veux seulement que ce pays continue dans la stabilité, le progrès.
Mon souhait est que ceux qui viendront après moi puissent aller dans le sens des choix que j’ai faits pour ce pays, de la liberté et du progrès.
C’est cela ma préoccupation parce que je ne peux pas savoir ce que la vie nous réserve demain.

S. : Jusque-là, certains Burkinabè n’ont pas encore compris les raisons du limogeage de Salif Diallo du gouvernement. Que s’est-il passé pour qu’on en arrive à là ? Est-ce un désaveu, un divorce entre les complices d’hier ? Serait-ce la conséquence des mésententes entre lui et François Compaoré, votre frère ?

B.C. : Ce n’est pas la première fois que quelqu’un bouge soit du gouvernement, soit d’autres postes.

S. : Mais il y a des départs qui ne laissent pas indifférente l’opinion. Salif Diallo est réputé être parmi vos plus fidèles “lieutenants”. Comprenez donc que son départ ne puisse pas rester sans susciter des interrogations ?

B.C. : Mais un fidèle peut travailler partout ! C’est pourquoi il est à Vienne, une capitale où il y a beaucoup d’institutions internationales qui pourraient aider le Burkina.

S. : L’opinion nationale a pu comprendre que, par le limogeage de Salif Diallo, le chef de l’Etat a préféré son frère au fidèle dans la querelle qui les opposait. Est-ce cela ?

B.C. : Parlez-vous du gouvernement ou d’affaire de famille ? A chaque fois vous amenez le problème de François dans cette affaire de gouvernement. Mon souhait est que toutes les personnes qui travaillent au gouvernement donnent de la cohésion. Les relations avec l’extérieur m’importent peu. Mon souhait est que les membres du gouvernement puissent travailler ensemble. En remaniant le gouvernement, c’est d’abord la cohésion de l’équipe qui me préoccupe.

S. : Voulez-vous dire que Salif Diallo portait atteinte à la cohésion du gouvernement ?

B.C. : Non , je trouvais que compte tenu de sa longue présence au gouvernement, je me suis dit que subjectivement, il pouvait avoir des problèmes entre lui et Tertius Zongo parce que le premier était là bien avant Tertius Zongo. Et j’ai pensé que pour donner plus de sérénité au Premier ministre dans sa tâche, il fallait que Salif Diallo bouge un peu.

S. : Tertius Zongo aurait-il demandé expressément le départ de Salif Diallo ?

B.C. : Alors, pas du tout.

S. : Excellence, serez-vous prêt à briguer la présidence en 2010 ? Et si toutes les conditions sont réunies en 2015 ?

B.C. : 2010 est encore loin. Je suis en train d’exécuter le programme de 2005. On verra avec le temps. Sinon on n’est même pas encore en 2009.

S. : Peut-être qu’on prête des pouvoirs exceptionnels à certaines personnes. Souvent François Compaoré a été à tort ou à raison dans le drame de Sapouy. Comment avez-vous vécu personnellement les récriminations faites à son égard ?

B.C. : Je vis dans des récriminations. Donc je comprends qu’il est dans une position où il ne peut pas échapper à ces récriminations parce que ce que je vis déteint sur mes proches et parents. Dans une situation du genre, l’exécutif a mis en place une commission d’enquête. Ensuite, la justice s’est saisie du dossier. A chaque niveau, au moins une centaine de personnes sont passées soit pour témoigner, soit pour apporter leur contribution à l’avènement de la lumière sur ce dossier. Je n’ai pas eu l’information selon laquelle devant les juges quelqu’un aurait donné un élément qui implique François dans cette affaire. Si c’est ce que les gens racontent, je n’ai d’autres sentiments que d’être malheureux avec François.

S. : Le gouvernement est décidé à lutter contre la corruption eu égard aux mesures prises. Est-ce à vos yeux une question de mode ou tout simplement une question de pauvreté persistante ?

B.C. : Nous sommes tous fiers d’être Burkinabè. En suivant les appréciations de ceux de l’extérieur, le Burkina est un pays qui progresse, malgré les contraintes immenses. Il faut d’abord dire mon admiration pour les millions d’hommes et de femmes qui travaillent avec honnêteté, intégrité, pour faire avancer le pays. Il y en a, aussi, qui ont commencé à s’enrichir parce qu’ils ont un esprit d’entreprise très élevé, ils ont une grande détermination pour le travail, une meilleure organisation pour l’ouverture vers d’autres métiers. Cela est important. Et il ne faut pas qu’on déstabilise psychologiquement notre peuple sur des phénomènes qui existent partout dans le monde. Vous n’allez quand même pas me dire que les grandes faillites internationales financières sont dues à une bonne gestion, à une bonne gouvernance. Il y a certainement derrière celles-ci, des phénomènes comme celui que vous venez de citer qui sont beaucoup plus criminels que ce que l’on peut observer. Nous avons néanmoins pris conscience que c’est un phénomène qui peut gangrener l’économie, détruire le tissu social d’un pays.

C’est pour cela que des mesures ont été prises pour combattre le fléau. Celles-ci sont saluées même par la communauté internationale. Nous avons engagé un combat de longue haleine et il faut être persévérant. Ces mesures doivent nous permettre dans les temps à venir, d’obtenir des résultats. Elles nous permettront de moderniser notre système de gestion, de rendre notre administration plus économe, plus efficace. Et la dernière institution est l’Autorité de régulation. Sur ces 9 membres, vous avez seulement trois représentants de l’Etat, trois du patronat et trois de la société civile. Il faut faire le tour du monde pour voir quelles sont les institutions qui se sont occupées des marchés publics où l’Etat n’est représenté qu’au tiers. Le cas du Burkina est une ambition, une volonté de construire des bases solides de gestion de notre économie. Et cela passe par la lutte contre la corruption.

S. : Pour une partie de vos compatriotes, la lutte contre la corruption ou la fraude fiscale ou douanière est rendue difficile à cause de la corruption qui existerait entre les hommes politiques et le monde des affaires. Qu’est-ce que vous en pensez ?

B.C. : C’est une question de règles. Celles-ci permettent de suivre les marchandises depuis l’embarquement. Jusqu’ici, je ne vois pas comment les hommes politiques pourraient s’interférer. A quel niveau résident les interférences ?

S. : Pour beaucoup, il y a des pressions et l’influence de ceux qui gèrent les affaires de l’Etat. Vous pensez que les structures comme l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat peuvent parer aux problèmes ?

B.C. : Oui ! parce qu’avant les inspections déposaient leurs rapports au gouvernement pour appréciation. Maintenant, les structures comme l’Autorité supérieure ont la possibilité de se référer directement au juge et de suivre les procédures y afférentes. Ce qui n’était pas le cas avec les inspections. Nous avons voulu donner plus de transparence, pour que les dossiers ne restent plus pendants au niveau judiciaire.

S. : La création et l’installation de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat va-t-elle réellement jouer son rôle pour que la corruption ne soit plus d’actualité ?

B.C. : Le combat, il faut le comprendre, est clair.
En amont, il y a tout un travail d’organisation et de restructuration. C’est pourquoi nous avons mis en place le guichet unique pour la création d’entreprises, et bientôt pour le bâtiment.
Parce que le phénomène de la corruption est tel que, lorsque vous avez un dossier pour la création d’une entreprise, il vous faut aller au Trésor public, au ministère du Commerce. Il y a tellement de services qui, lorsque le dossier traîne, laissent la possibilité de corrompre les agents. Ce guichet unique va donc regrouper tous les services avec des délais et des tarifs clairs. C’est en cela que nous pouvons aussi lutter contre la corruption. C’est comme les marchés publics. Il faut que les responsables appliquent les textes. Pour que les entrepreneurs ou les concurrents des marchés publics se réfèrent à l’Autorité supérieure qui va arbitrer et sanctionner éventuellement. Mais, ce n’est pas l’Autorité seule qui pourra venir à bout de ce fléau. Il faut que nous puissions faire les réformes, que ce soit un autre environnement institutionnel qui puisse gérer les questions d’affaires publiques.

S. : Avez-vous foi à l’aboutissement de cette lutte parce qu’il y a collusion entre le politique et l’économique ?

B.C. : Vous parlez de collusion.
Est ce qu’il n’en existe pas entre les journalistes et les hommes politiques ? Ce sont des exemples qu’on retrouve partout.

S. : L’année qui s’achève aura été marquée par les émeutes de la vie chère. Selon l’opinion, le gouvernement a donné l’impression d’un coup d’épée dans l’eau parce que les gens continuent de subir le renchérissement des prix. Qu’est-ce que vous en pensez ?

B.C. : Probablement que les contraintes budgétaires et économiques n’ont pas permis de satisfaire toutes les attentes. Sinon le gouvernement a été à la fois sur le terrain du dialogue social et aussi des mesures prises pour l’urgence, comme la suppression des taxes douanières sur les produits de première nécessité. Ce que les gens ne comprennent pas, si la tonne de riz coûte 300 dollars et le gouvernement impose une taxe de 100 dollars, on trouve que c’est trop. Et entre-temps, si ce même riz revient à 800 dollars la tonne, et le gouvernement supprime sa taxe, il est évident que les populations ne sentent pas l’effort consenti pour la suppression de la taxe.
Ce que je veux que les populations comprennent, c’est que le pouvoir d’achat ne peut pas seulement se jouer sur une augmentation de salaires.

Parce que les gens crient que les salaires sont bas et le pouvoir d’achat peu élevé. C’est pourquoi très tôt, le gouvernement a pris à cœur de travailler pour alléger les taxes sur les salaires, en donnant les manuels scolaires gratuits, les vaccinations, les logements sociaux entre autres. Nous intervenons dans plusieurs domaines qui concourent à réduire progressivement les charges des salariés.

S. : Mais en attendant, il n’est pas question de donner aux travailleurs les 25% d’augmentation de salaire qu’ils réclament ?

B.C. : Ils sont en discussion aujourd’hui et demain (NDLR les 4 et 5 décembre 2008) avec le gouvernement. Je ne sais pas quelle conclusion en sortira.

S. : Monsieur le président, comment convaincre vos compatriotes des contraintes budgétaires sans doute réelles, quand par exemple les factures d’électricité de certains membres du gouvernement tournent autour du million de francs par mois ?

B.C. : L’Etat réduit son train de vie. Si vous prenez l’exemple sur l’année 2008, 2009, le fonctionnement devrait être de 105 milliards.
L’Etat travaille à réduire son train de vie.
Il y a, comme vous l’avez constaté, la réduction de la consommation du carburant.

S. : On constate que le gouvernement est impuissant face à la flambée des prix des hydrocarbures. Le prix du pétrole a diminué et le consommateur burkinabè ne le ressent pas. Pourquoi ?

B.C. : Il y a une baisse qui n’est pas encore substantielle. Mais le gouvernement y travaille. Peut-être qu’avec la rencontre avec les syndicats, il y aura des compromis. Ce qu’il faut retenir, c’est que nous faisons des stocks de carburant. Si le stock a été constitué au moment où le carburant coûtait cher, on ne peut pas en vouloir à la SONABHY. Notre économie ne peut pas suivre le marché tel qu’il est. Mais la tendance aujourd’hui est à la réduction des prix.

S. : Quelles sont les garanties pour une utilisation judicieuse et transparente des fonds alloués au Burkina par le MCC ?

B.C. : Il faut saluer la décision du président Bush d’accorder au Burkina un tel montant (NDLR : 204 milliards de francs CFA). C’est un apport très substantiel à notre économie. Le processus du MCC est un partenariat qui s’appuie sur la bonne gouvernance et la bonne gestion. Vous verrez que pour les marchés publics et le suivi des travaux, Américains et Burkinabè seront pleinement associés, pour faire en sorte que ce qui a été décidé aille vers des objectifs qui vont donner des résultats visibles.

S. : Le Burkina a été récemment endeuillé par l’accident de Boromo. Le 15 novembre dernier vous avez envoyé un message de compassion. Mais certains s’attendaient à ce que vous interrompiez votre visite en Europe pour rentrer au pays, compte tenu de la gravité de la situation. Cela n’était-il pas utile à votre avis ?

B.C. : C’est vrai, nous avons tous ressenti la douleur qui est celle de tout le peuple burkinaè. Si vous êtes face à une situation du genre et surtout là où j’étais, interrompre le voyage pour revenir ? Oui ! Mais je ne pouvais rien faire pour changer les choses.
Ce qui est important, pour moi, il était urgent de manifester ma compassion et m’enquérir auprès du gouvernement des mesures qui ont été prises pour les familles des victimes et des blessés. Il était urgent pour moi de savoir si les familles ont été contactées et si le gouvernement a pris les mesures urgentes à court, et long terme, pour consolider la sécurité routière, pour éviter ce genre de drame.
En conseil des ministres hier (NDLR le mercredi 3 décembre 2008) nous avons travaillé sur ce dossier. Je crois qu’on peut respecter la mort d’autrui dans la discrétion.

S. : Un autre grief des populations est que le gouvernement n’a pas décrété un deuil national. Ce n’était pas nécessaire à votre avis ?

B.C. : Le gouvernement a participé au deuil. Le gouvernement me représentait et représentait tout le peuple également. Il a été très présent aux côtés des familles et des malades. Je ne pense pas qu’il y a un message de compassion plus que ces actes.
Un ami est venu me dire qu’il était dans un bar et que les gens se plaignaient du fait que le gouvernement n’ait pas décrété un deuil national.

Vous voyez, on ne peut pas être dans un bar et parler de deuil national.

S. : Tous ceux qui disent cela ne sont pas dans des bars !

B.C. : C’est pour dire que le gouvernement a pensé qu’il était plus opportun d’être avec les familles, que de décréter un deuil national.
L’urgence pour moi, c’était de faire prendre les dispositions pour être aux côtés des familles.
Surtout qu’on ne connaissait pas l’identité des passagers décédés.
Consoler les familles était notre préoccupation.

S. : Que pensez-vous de la dernière déclaration de Prince Johnson par rapport à la mort de Thomas Sankara ?

B.C. : Vous qui vivez au Burkina, ce n’est pas quelqu’un du Liberia qui va venir vous parler des évènements du 15 octobre !

S. : Transparency international vous cite parmi ces présidents qui ont bâti leurs fortunes sur les richesses de leur pays.
Que répondez-vous à cette accusation ?

B.C. : Soit, ils sont des plaisantins, soit des attardés du colonialisme. Si c’était sérieux, ils devaient pouvoir se référer à moi pour dire que j’ai tel appartement, etc. Je parlais tantôt de la crise financière. Quand on voit les dégâts que cela a causés dans les banques et les millions de chômeurs que cela va entraîner, on peut conclure que s’il y a du travail pour Transparency international, c’est dans ces banques.

S. : Monsieur le président, vous n’avez donc ni compte bancaire, ni immeuble à l’étranger ?

B.C. : Si j’avais des comptes là-bas, ils allaient les publier.

S. : Au début de la crise ivoirienne, vous avez été accusé de soutenir les rebelles. Et depuis 2007, vous êtes le facilitateur du dialogue inter-ivoirien. Qu’en est-il réellement ?

B.C. : La crise ivoirienne a été une crise identitaire. Nous avons été présent à toutes les rencontres, parce que nous avons pensé qu’il était important, que la Côte d’Ivoire règle cette question d’identité. En formulant nos idées sur la question comme sur les autres aspects, c’était pour que la paix revienne dans ce pays. Et le président Laurent Gbagbo et le Premier ministre Guillaume Soro ont eu l’impression que nous avions une connaissance qui pouvait les intéresser.
Du fait des relations multiples qui existent entre nos deux peuples. Ils ont simplement pensé qu’en s’appuyant sur le Burkina qui est une partie de la Côte d’Ivoire, comme la Côte d’Ivoire est une partie du Burkina, que nous pouvions leur apporter une aide. Nous ne sommes que facilitateur. Ce sont eux qui ont discuté et nous les avons seulement accompagnés.

S. : Vous vous êtes illustré dans la résolution des crises sur le continent, notamment les crises togolaise et ivoirienne en cours. Pourquoi les gens font-ils appel à vous ? Est-ce l’expérience, la sagesse ? Comment expliquez-vous cela ?

B.C. : Je ne sais pas ce qu’il faut dire.
C’est vrai que depuis 1993, nous avons été sollicité pour la résolution du problème des Touaregs au Niger. Mais ces succès sont imputables au pays. Le Burkina a une tradition de dialogue.
Cela a des répercussions sur notre vécu actuel.
Ce qui nous permet parfois d’être mieux à l’écoute peut-être sur des questions conflictuelles entre les gens. Il y a aussi une confiance, parce que le Burkina parvient au niveau intérieur à organiser sa stabilité par le dialogue permanent.

S. : Après l’euphorie des Accords de Ouagadougou sur la crise ivoirienne, il y a toujours des problèmes d’identification et les élections qui sont reportées. Peut-on dire qu’on avance vraiment vers la sortie de crise en Côte d’Ivoire ?

B.C. : Je pense qu’il faut apprécier la situation de la Côte d’Ivoire après les accords. Les gens du Sud peuvent aller au Nord et vice versa. Ils sont en train de s’inscrire sur les listes électorales, l’administration est mise en place, mais il reste encore d’autres questions sur lesquelles nous sommes toujours immobilisés.
D’une manière générale, il y a eu un environnent de paix. C’est vrai qu’il y a eu des erreurs d’appréciation sur le temps du recensement électoral.
Les études théoriques et techniques montraient que 60 personnes par appareil, en 45 jours on bouclait le recensement.
Mais il fallait compter avec la formation des agents qui devaient manipuler ces appareils.
Pour des raisons surtout techniques, le temps mis a été plus long que prévu. Je crois que pour une crise qui a été aussi grave, ce n’est pas deux ou trois semaines, mais plus, pour sortir avec des élections transparentes qui doivent nous amener à nous plaindre.

S. : On vous accusait d’être le parrain des rebelles, aujourd’hui on vous accuse de rouler pour Gbagbo. Pour qui roulez-vous exactement dans cette crise ivoirienne ?

B.C. : Je vais vous raconter une anedocte.
L’autre jour, nous attendions de déjeuner, Gbagbo, Alassane, Bédié et moi. Je leur ait dit qu’un seul sera président à l’issue des élections, je leur ai demandé ce que les perdants feront. Je ne vous dirai pas les réponses des uns et des autres.
Mais je pense que pour être dans mon rôle, je n’ai pas le droit de choisir.

S. : Votre ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Djibrill Bassolé, a été nommé comme médiateur conjoint ONU-UA au Dafour. Quelle lecture faites-vous de cette nomination ?

B.C. : Il a mérité cette nomination.

S. : Il semble qu’il y avait une autre candidature, celle de Ablassé Ouédraogo, ancien ministre des Affaires étrangères. Est-ce vrai ?

B.C. : C’est un choix du secrétaire général des Nations unies. Ce n’est pas le choix du Burkina.

S. : Est-ce que le Burkina avait plusieurs candidatures ?

B.C. : Les candidatures sont libres. Le secrétaire général de l’ONU a certainement apprécié plusieurs candidatures. J’étais en déplacement, quand il m’a téléphoné pour me dire qu’il souhaitait avoir telle personnalité.
Il ne m’a pas dit qu’il y avait plusieurs candidatures.

S. : M. le président, on a beaucoup parlé à un certain moment de votre état de santé, qu’en est-il ?

B.C. : Je ne suis pas invalidant. Je suis encore valide pour servir le Burkina.

S. : Et vos problèmes d’yeux, de reins, etc.

B.C. : J’avais un problème de cataracte. Je me suis fait opérer l’œil gauche, il reste l’œil droit qui le sera aussi, pour mieux voir.

S. : Il semblerait que vos rapports avec Khadafi ne sont plus au beau fixe.

B.C. : Nous n’avons pas de mauvaises relations. Avec le colonel Kadhafi, nous avons souvent des divergences sur les questions africaines et internationales. Mais nous continuons de garder des rapports cordiaux.

S. : Les ARV coûtent 1 500 F CFA et le souhait est qu’ils soient gratuits. Ne pouvez-vous pas peser de votre poids pour qu’ils le soient ?

B.C. : Si c’était le budget national, il est évident que je serais disponible pour aborder le problème. Supposez que ceux qui nous aidaient à avoir les ARV à 1 500 F disent qu’avec la crise, ils ne peuvent plus. Nous serons obligés de hausser un peu le prix. C’est parce que nous n’avons pas la maîtrise du financement et que les partenaires veulent que les malades contribuent à leur prise en charge.

S. : Est-ce que vous rêvez de voir les Etalons au mondial ?

B.C. : La CAN ne serait déjà pas si mal. Je pense qu’il nous faut encore quelque temps pour nous consolider encore un peu plus.
Il nous faut toujours travailler.Il y a encore des points de faiblesse.
Nous avons des difficultés au niveau de la défense. Sinon jusqu’ici, le parcours est honorable.
Le jeu est assez consistant.
Mais dès qu’on sort de ce groupe, on voit plus haut : Guinée, Côte d’Ivoire. Il faut se réjouir et espérer que le progrès puisse se maintenir.

Interview réalisée par Jean-Bernard ZONGO (Editions Sidwaya), Ousséni ILBOUDO (l’Observateur Paalga), et Morin YAMONGBE (Le Pays)

Sidwaya

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