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Francisco H. L. Ou, ministre taïwanais des Affaires Etrangères : "Taiwan vit une situation difficile sur la scène internationale"

Publié le vendredi 5 décembre 2008 à 07h26min

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La République de Chine Taiwan a gagné le pari du développement durable. En l’espace de moins d’une cinquantaine d’années, elle a réussi à passer de l’état de pays sous-développé, en pays véritablement riche. C’est un miracle aux yeux de la communauté internationale. En visite au Burkina dans le cadre de la Commission mixte de coopération Burkina - Taiwan, le ministre Taïwanais des Affaires étrangères qui a bien voulu nous accorder l’interview exclusive qui suit, a dévoilé le secret du miracle de l’économie de Taiwan : développement de l’agriculture, formation professionnelle et bonne gouvernance administrative.

Avec Son Excellence Francisco H. L. Ou, nous avons également parlé du conflit froid entre son pays et la Chine continentale, de même que la question de non-reconnaissance de Taiwan par la communauté internationale et les Nations unies.

"Le Pays" : Quel est le secret du succès de Taiwan qui est parti de rien pour devenir aujourd’hui un pays émergent, sinon émergé ?

Francisco H. L. Ou (F. H. L. O) : Taiwan, comme vous l’avez dit, est vraiment parti de rien. C’est une île de seulement 36 000 km2, paradoxalement très densément peuplée. Le relief y est très montagneux. Seulement le tiers des terres est exploitable pour la production agricole. Le pays n’a donc pratiquement pas de ressources naturelles à partir desquelles il peut bâtir. En plus de cela, le pays a connu une guerre civile à partir de 1949. Il a dû investir environ 90% de son budget dans le domaine de la défense, pour faire face à l’invasion de la Chine populaire. Et depuis lors, le pays déploie d’énormes efforts pour surmonter le problème de reconnaissance officielle. Mais aujourd’hui, Taiwan a réussi à refaire son économie au bout d’un laps de temps. C’est ce que l’on a appelé le "miracle de l’économie taiwanaise" et qui est objet d’admiration partout dans le monde. Pour répondre à votre question, je dirais que le secret du développement de Taiwan correspond au principe d’un proverbe chinois qui dit que c’est dans un état de mort que l’on a le courage de survivre.

La philosophie qui a sous-tendu le succès économique de Taiwan, c’est "se développer dans une situation très difficile". Et ce développement trouve son fondement sur trois aspects principaux. Le premier, c’est l’agriculture. A Taiwan, on n’a pas encore développé l’industrie. On met l’accent donc sur la promotion de l’agriculture. Pour ce faire, le pays a adopté des mesures relatives à la réforme foncière. Et jusqu’aujourd’hui cette réforme est un grand succès et d’autres pays ont même copié le modèle. Dans certains pays, les gouvernements prennent les propriétaires terriens comme leurs ennemis. Il y a toujours des conflits entre gouvernement et propriétaires terriens. Or, les propriétaires terriens chez nous sont des gens généralement bien instruits et très riches. Ils sont donc utiles pour le développement de l’économie. Dans le cadre de la réforme, le gouvernement a décidé d’acheté les terres auprès des propriétaires et de les réattribuer aux paysans pour exploitation agricole. Mais dans le même temps, les paysans ont été mis en garde : « Si vous travaillez, vous gagnez ; si vous ne travaillez pas, vous ne gagnez rien ». Ce fut un mot d’ordre qui a favorisé le succès de notre réforme foncière. Ambassadeur TAO : En Taiwan, la terre n’est pas distribuée gratuitement. Tout est payant. Et le gouvernement ne confisque pas non plus toutes les terres. Une contrepartie est payée aux propriétaires. Et les paysans se doivent d’acheter les terres.

F. H. L. : Le développement de l’agriculture, comme vous le savez, nécessite deux choses essentielles : les ressources humaines et les ressources naturelles. Taiwan, comme je l’ai déjà dit, manque de ressources naturelles. Pour combler ce vide, il s’est efforcé à développer ses ressources humaines à travers la formation. Ensuite, il a été question d’augmenter les capacités d’achat des populations agricoles. Pour ce faire, le gouvernement a décidé d’organiser les paysans. Il a mis en place une Coopération paysanne nationale. A travers cette structure, le gouvernement a décidé d’inculquer aux paysans les bonnes pratiques de production agricole. Il a ensuite développé une stratégie d’accès aux crédits à partir des banques pour permettre aux paysans de pouvoir se doter en équipements agricoles. Et troisièmement, le gouvernement a mis l’accent sur l’organisation des paysans en coopératives au sein desquelles les équipements de production sont mis en location au profit des producteurs agricoles. C’est çà la contribution du gouvernement pour aider les paysans.

Le succès qu’a connu la réforme agraire et la politique agricole a été à la base du développement économique de Taiwan, dans le court terme. Et dans le long terme, la contribution de l’éducation a été assez importante pour la prospérité économique et le développement social de mon pays. La Constitution taiwanaise fixe de façon très précise le pourcentage du budget alloué à chaque secteur d’activité. Pour ce qui est de l’éducation, le budget national annuel ne saurait être inférieur à 15%. Au niveau régional, un minimum de 25% de budget est requis pour le seul secteur de l’éducation. Et au niveau communautaire, ce taux est fixé à 30%. Ceci finalement avait donc pour objectifs de former des experts, de techniciens, pour surtout répondre aux besoins du marché intérieur. C’est en cela que j’ai été très content le 29 octobre dernier, de participer à la cérémonie de pose de la première pierre du Centre de formation professionnelle de Ziniaré, ici au Burkina.

Ambassadeur Tao Weng Lu (TWL) : En Taiwan, contrairement à ce qui se passe ici au Burkina, l’enseignement de base c’est la formation professionnelle, c’est-à-dire l’apprentissage d’un métier. On est parti d’une formation professionnelle massive, afin de former une ressource humaine nécessaire pour débuter l’industrialisation.

FHLO : Le troisième point, c’est la gouvernance administrative. En Taiwan, nous avons un système bureaucratique assez spécial. Les fonctionnaires sont sélectionnés par le biais de concours nationaux. Et malgré l’alternance de pouvoir politique, chaque fonctionnaire garde son poste pour garantir la continuité de la politique mise en place. Lorsque l’on occupe un poste de fonctionnaire public, c’est comme une garantie à vie. Ça ne change pas. Et lorsqu’un fonctionnaire est admis à la retraite, il bénéficie automatiquement d’une pension. C’est ce qui fait qu’en Taiwan il y a beaucoup de gens qui souhaitent réussir à un concours pour devenir fonctionnaire. C’est comme un parapluie.

TWL : Même dans les collectivités territoriales, tout le monde est obligé de passer par un concours national pour obtenir la garantie de carrière et la pension de retraite. Mais il y a aussi d’autres catégories de travailleurs qui sont les contractuels. Ceux-là n’ont pas la garantie de pension. FHL : Il y a bien d’autres facteurs qui expliquent le succès de Taiwan. D’aucuns diraient que le pays doit sa richesse à la force de travail de ses fils. Mais j’ai visité beaucoup de pays et j’ai constaté que les gens travaillent beaucoup plus que chez nous. C’est dire donc que l’essentiel, ce n’est pas de travailler beaucoup. Je voudrais donc insister sur l’importance des trois facteurs que j’ai évoqués tout à l’heure, c’est-à-dire le développement de l’agriculture, la formation professionnelle et la gouvernance administrative. Sans ces éléments, tous les autres efforts sont vains.

Est-ce que vous pensez qu’un pays comme le Burkina qui n’a pas de ressources naturelles peut calquer le modèle de Taiwan et s’attendre aux mêmes succès ?

Ça dépend du choix du peuple, de la politique du gouvernement et surtout de sa détermination. C’est toujours possible. Autrement, il n’y a pas de raison que ce modèle réussisse en Taiwan et pas au Burkina. Et je crois d’ailleurs que votre pays est sur la bonne voie. Je sais qu’avec votre président qui est jeune et ambitieux, vous pourriez avancer très rapidement. Au cours de mon séjour, j’ai constaté que votre pays est en chantier ; il y a beaucoup d’immeubles qui poussent, c’est le signe de l’émergence. Et le gouvernement de mon pays reste toujours disponible pour accompagner votre pays dans ses différentes politiques de développement. Nous allons à cet effet, et autant que faire se peut, effectuer le transfert de compétences vers le Burkina.

Votre pays, on le sait, a repris ses relations diplomatiques et de coopération avec le Burkina depuis 1984. Pouvez-vous rappeler les grands domaines de cette coopération ?

Il s’agit d’abord du domaine de l’agriculture. Depuis plusieurs années, on a fait des efforts pour aider le gouvernement burkinabè à augmenter la production nationale du riz. Parce qu’on sait que le riz est un aliment de base pour le peuple burkinabè. Et, si ma mémoire est bonne, c’est à la suite de la 17e Commission mixte de coopération entre le Burkina et Taiwan, qu’on a mis en oeuvre le projet pour l’augmentation de la production du riz. Et je souhaite que ce projet réussisse avec les efforts conjugués des deux parties. TWL : Annuellement, il y a une trentaine de boursiers burkinabè qui vont en Taiwan pour des études de longue durée, jusqu’au troisième cycle et cela, dans de nombreux et variés domaines. En plus de cela, il y a toujours une dizaine de formations de courte durée que sont offertes à des jeunes Burkinabè par Taiwan. Et avec le Programme de renforcement de la formation professionnelle, qui vient d’être lancé, il y aura, dans quelques années, même jusqu’à une centaine de formations de moyenne et courte durée chez nous. C’est ce grand effort que Taiwan consent dans le cadre de la passation du savoir-faire dans le domaine de l’éducation et très spécifiquement de la formation professionnelle.

FHLO : La coopération embrasse également le domaine de la santé. Taiwan a déjà accordé un prêt au gouvernement burkinabè pour la construction d’un CHU (ndlr : Centre hospitalier universitaire) à Ouaga-2000. Lorsque le chantier sera terminé, vous vous rendrez compte que ce CHU sera le plus grand et le plus moderne de toute l’Afrique subsaharienne. D’autre part, je dois rappeler que l’économie de Taiwan est également basée sur les petites et moyennes entreprises. 90% du produit national de Taiwan est produit par des petites et moyennes entreprises. Nous avons donc prévu, dans l’avenir, d’implanter cette expérience au Burkina. Ce sera un domaine supplémentaire dans la coopération entre Taiwan et le Burkina. Car lorsque nous aurons gagné le pari de la production agricole, il nous faudra penser à la création de beaucoup de petites entreprises partout dans le pays, en vue de la transformation des produits agricoles. C’est une perspective qui est déjà en bonne voie. Mais avant d’en arriver là, il est impérieux de ne pas baisser les bras dans le domaine de la production agricole.

On comprend que Taiwan fait beaucoup pour le Burkina. Mais en retour, qu’est-ce votre pays peut attendre du Burkina, dans le cadre de cette coopération voulue bilatérale ?

FHLO : J’ai évoqué au début le problème de la reconnaissance de Taiwan par la communauté internationale. Nous vivons une situation difficile sur la scène internationale. Et depuis plusieurs années, le gouvernement burkinabè défend le dossier d’intégration de notre pays au sein de la communauté internationale. C’est tout ce dont Taiwan a besoin.

Ce problème de reconnaissance internationale de Taiwan dont vous parlez trouve son origine dans les relations longtemps restées tendues entre Taiwan et la Chine continentale. Voudriez-vous bien nous dire un mot sur cette longue guéguerre entre ces deux pays ?

F. H. L. O : L’avènement de la République de Chine (comprenant les deux entités) remonte à 1911. Au début des années 1920, s’est déclenchée une guerre civile. En 1949, il y a eu la défaite du parti nationaliste. Et du coup, la Chine est divisée en deux. D’un côté, les communistes ont proclamé la république populaire de Chine, et de l’autre, on il y avait l’île de Taiwan qui avait également sa juridiction. Chaque Chine avait sa juridiction sur une moitié de l’ensemble du territoire. Les pouvoirs étaient donc égaux, ou presque. Depuis 1949 donc, le problème essentiel est en l’état ; chacun des deux côtés ne voulant pas regarder la réalité en face. Chaque camp ne voulait pas admettre la réalité, prétendant avoir un pouvoir sur l’autre. En clair, chacun voulait l’exclusivité de la Chine. C’était presque le conflit, avec des velléités d’autres conflits dans les divers domaines de la vie entre les deux communautés. C’est cette situation qui a perduré plusieurs années, de 1949 à maintenant. Mais ce qui est nouveau dans la situation, c’est qu’à la suite de la dernière alternance en Taiwan, il y a seulement quelques mois, le nouveau gouvernement a pris l’initiative de dire à son protagoniste de la Chine continentale que l’heure du réalisme a sonné. Car il fallait bien regarder les réalités en face : "Je ne peux pas vous avaler, et vous ne pouvez pas m’avaler. Nous avons donc intérêt à cesser de se menacer réciproquement…". Aujourd’hui, il y a une évolution notable dans les relations entre les deux pays. On accepte désormais la réalité. Et on va apporter les mesures pragmatiques pour essayer de pacifier les rapports de toutes sortes entre les deux côtés, et surtout avec la communauté internationale.

Pour sa reconnaissance internationale, Taiwan a reçu le soutien de certains pays dont le Burkina. Mais où en est-on aujourd’hui ? Est-ce que vous espérez y parvenir dans un délai bref ?

Je crois que cette question va se résoudre avec l’Histoire. Je ne saurais vous dire quand. Cela d’autant plus que la question de la souveraineté est d’une complexité incroyable ! Maintenant que nous avons adopté une nouvelle attitude vis-à-vis de notre protagoniste, nous espérons que les choses vont aller plus vite. Car c’est ce long conflit qui a obligé les pays de la communauté internationale à choisir chacun son camp. Et la plupart d’entre eux ont bien entendu choisi la Chine populaire. Une partie a quand même choisi le république de Chine Taiwan. Maintenant, nous disons à notre protagoniste qu’il est temps de faire face à cette réalité, à l’évolution de l’Histoire. Entre nous, nous devons essayer de discuter de ce problème de souveraineté. Et comme le problème de souveraineté du côté de Taiwan est beaucoup plus complexe, je ne pense pas qu’on puisse le résoudre dans un délai bref. Bien sûr que ce n’est pas facile que Taiwan soit admise par les Nations unies, mais je pense que la communauté internationale en général a déjà pris conscience de la situation. Elle devrait donc, à partir de bases juridiques, voir la réalité et essayer de trouver une solution, en créant des conditions d’existence de Taiwan en tant que pays souverain.

Combien sont-ils aujourd’hui, les pays qui reconnaissent officiellement Taiwan ?

Il reste juste 23 pays qui reconnaissent officiellement la République de Chine Taiwan. Au cours de ces dernières années, comme il y a une lutte pour essayer de faire basculer les partenaires, chaque côté consacre beaucoup d’énergie et de moyens pour mener cette lutte. Au niveau de notre gouvernement, le message qui a été lancé, je précise que ce n’est qu’un message, c’est d’essayer de piquer quelque chose dans l’autre camp. Et en même temps, nous essayons toujours de renforcer notre coopération diplomatique avec les pays qui nous ont choisi.

Et combien sont-ils en Afrique, ces pays qui vous ont choisi ?

En Afrique, il reste 4 pays qui reconnaissent Taiwan. Il s’agit de la Gambie, de Sao Tomé et Principe, du Royaume de Swaziland et bien sûr le Burkina Faso. Nous entretenons avec ces pays, un partenariat très solide.

Propos recueillis par Paul-Miki ROAMBA

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