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Piraterie au large de la Somalie : Voilà ce que ça coûte de laisser un Etat à l’abandon

Publié le mercredi 26 novembre 2008 à 01h15min

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Terrible ! Pour peu que l’on se désintéresse d’un pays, le risque est grand qu’il sombre totalement dans l’anarchie la plus abjecte C’est exactement le cas de la Somalie, qui est, depuis le début des années 90, un pays de non-droit, une jungle où, pour un rien, on tire sans sommation et où la raison du mieux armé est la meilleure.

Indépendant depuis 1959 et né de la fusion des colonies italiennes (Somalia) au sud, et britannique au nord (Somaliland), ce pays, on s’en souvient, a connu une relative stabilité de 1960 à 1969 avant que le dictateur Mohamed Siad Barré ne s’empare du pouvoir à la suite d’un coup d’Etat et de l’assassinat de son prédécesseur, Abdirashid Ali Shermarke.

Et le départ du général Siad Barré du pouvoir le 26 janvier 1991, suivi de sa mort peu de temps après, sonnera le glas de l’existence même de la Somalie en tant qu’Etat souverain, reconnu par la communauté internationale.

Et pourtant, si la disparition de la Somalie en tant qu’Etat peut avoir des causes intérieures (notamment la barbarie du régime Siad Barré, l’action des forces islamistes qui y prolifèrent, etc.), la négation de ce pays en tant qu’Etat organisé est due aussi en partie à la rivalité terrible que s’y livraient Américains et Soviétiques par Somaliens et Ethiopiens interposés.

C’est ainsi qu’aiguillonnés par les deux superpuissances de l’époque, avec d’un côté les Américains pour la Somalie et les Soviétiques ainsi que les Cubains côté éthiopien, ces deux pays de la corne de l’Afrique s’engagèrent en 1977 dans un absurde conflit armé, baptisé à l’époque la guerre de l’Ogaden. Et 11 ans durant, ce fut une guerre plus que meurtrière entre ces deux pays, avec à la clé des milliers de morts et de mutilés à vie, bref un réel gâchis. Pour la seule Somalie, on dénombra environ 2 millions de réfugiés, qui avaient presque tout perdu.

Mais, véritablement, si les deux superpuissances s’étaient fortement engagées en termes d’apport en armes hautement meurtrières et d’envoi de conseillers militaires au côté de leurs protégés respectifs, elles ne le faisaient pas uniquement pour leurs beaux yeux. Elles y avaient grand intérêt :

car, effet, si les USA, par exemple, ont apporté une aide à la fois humanitaire et militaire à la Somalie, c’est parce qu’en échange, ils voulaient avoir l’autorisation d’utiliser les installations navales de Berbera, qui était une ancienne base soviétique. Et en contrepartie de leur soutien à l’effort de guerre, les Soviétiques purent bénéficier de leurs protégés éthiopiens aussi de stratégiques avantages.

Voilà, disions–nous, la responsabilité qui incombe à la communauté internationale dans la situation de chienlit dans laquelle végète depuis 18 ans la Somalie.

Mais la responsabilité de la communauté internationale ne s’arrête pas que là. Elle se trouve aussi dans sa capacité et surtout dans sa volonté de pacifier la Somalie qui, comme nous le disions, est depuis le début des années 90 un non-Etat.

Certes, cette communauté internationale a fait preuve de quelques timides initiatives pour ramener ce pays sur le chemin d’un Etat souverain. Mais ces quelques tentatives restent d’une mollesse indescriptible et n’ont rien à voir avec la débauche d’énergie et de moyens déployée en Afghanistan, et surtout avec les centaines de milliards de dollars qui sont déversés mensuellement en Irak dans l’ultime espoir de pacifier ce pays et pour le remettre sur le droit chemin comme le conçoit "la communauté internationale".

Ainsi laissée à l’abandon, la Somalie reste durablement inscrite dans le créneau des rivalités ethniques, où prospèrent royalement islamistes, politiciens véreux et bandits de grands chemins, qui ont fini de précipiter le pays dans un chaos politique, social et économique rarement atteint par un autre. Une situation qui, pourtant, n’émeut presque personne.

C’est exactement cette grave situation de non-Etat, dans laquelle se débat le peuple somalien, qui explique à suffisance la naissance, voire la recrudescence de la criminalité maritime dans cette partie du monde avec, en prime, l’impuissance des Occidentaux à y mettre un terme.

Au premier semestre de 2008, on notait 24 attaques de navires dans le golf d’Aden qui reste, pour bien de bateaux, la meilleure voie navigable en termes d’économie d’argent et de temps. L’opération de piraterie la plus spectaculaire menée dans cette zone de l’océan Indien remonte à un peu plus d’un mois, lorsque des pirates somaliens ont arraisonné un superpétrolier saoudien, le Sirius Star, long de 330 mètres et dont la cargaison de pétrole transporté est estimée à 100 millions de dollars.

Aux émirs du pétrole les pirates réclamaient une rançon de 25 millions de dollars pour laisser le supertanker poursuivre sa traversée maritime. Une autre fois, c’était le Centauri, un géant des mers battant pavillon maltais, qui était entre les mains de ces pirates. Et selon des sources kényanes, ce cargo devait débarquer 17 000 tonnes de sel au port de Mombassa. Non loin de ce théâtre des opérations, un autre bateau, le Great création, était à son tour arraisonné.

Et nous avons toujours en mémoire l’arraisonnement, le 25 septembre dernier, du cargo ukrainien le Faina, chargé d’armes en direction du Kenya ou du Sud-Soudan. Et, selon le bureau maritime international, à ce jour, plus d’une dizaine de navires avec leurs occupants sont aux mains des pirates, qui sévissent de plus belle. Une recrudescence de la criminalité maritime, qui commence à être difficilement supportable, tant son coût économique est lourd.

Et voilà ce que ça coûte de laisser un pays à son sort ! Face à cette situation inédite, la communauté internationale semble désemparée et élabore ses stratégies. C’est dans ce contexte que la France, qui assure la présidence de l’Union européenne, a proposé le lancement, en décembre prochain, d’une mission militaire aéronavale antipirate, et la résolution 1816 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée le 3 juin dernier, permet désormais l’entrée de navires de guerre dans les eaux territoriales somaliennes pour traquer les pirates.

Mais, quoi qu’il en soit, cette contre-attaque de la communauté internationale risque fort de n’être pas une partie de plaisir, ce, d’autant plus que les pirates ont, depuis, appris à déjouer la surveillance des navires de guerre. Pis est, la plus grande difficulté, à entendre les spécialistes des affaires maritimes, réside dans l’écart, minime, entre le moment où les pirates se lancent à la poursuite d’un cargo et celui où ils montent à bord : il ne peut s’écouler que 20 petites minutes. Et, une fois à bord, ils sont quasiment intouchables, protégés qu’ils sont par leurs otages.

Cette situation, dans laquelle se démène l’Occident pour résoudre le casse-tête somalien, ressemble, à s’y méprendre, aux rapports teintés d’ambiguïté qu’il entretient avec l’Afrique, où l’aide publique au développement subit d’année en année des coupes claires. Ainsi, pendant que certains s’époumonent à vouloir voir instaurer un plan Marshall pour le continent noir, d’autres pensent qu’il vaut mieux réduire encore cette aide au développement.

Mais c’est sûr qu’en abandonnant l’Afrique à son sort, l’Occident court le risque de ne pas pouvoir dormir tranquille. Et ce qui se passe dans le Golf d’Aden n’est encore qu’un tout petit échantillon des supplices à endurer si toutefois le berceau de l’humanité était irrémmédiablement abandonné à son sort. Occidentaux, vous êtes prévenus !

Boureima Diallo

L’Observateur Paalga

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