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COUPS D’ETAT EN AFRIQUE : L’introuvable antidote

Publié le mercredi 19 novembre 2008 à 05h59min

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Le dernier coup d’Etat en date en Afrique, celui qui a été perpétré en Mauritanie par le général Mohamed Abdel Aziz, continue de défrayer la chronique. Tant sur le plan national qu’en Afrique et dans le monde, une levée de boucliers s’est faite, avec des protestations venant d’opposants farouches à toute prise du pouvoir par la force. Mais en même temps, on a observé un phénomène de forces centripètes qui ont afflué vers la junte et lui ont donné une certaine légitimité. L’expérience mauritanienne amène à se poser des questions sur la sincérité des directeurs de conscience occidentaux, prompts à condamner un putsch, mais inertes quand il s’agit de prévenir les dérives des chefs d’Etat.

Or les coups de force sont consubstantiels, dans la plupart des cas, à la trahison de dirigeants qui, sous le couvert de la légitimité que leur confère leur statut d’élus démocratiques, se croient en droit de prendre en otage les institutions de l’Etat. Les Occidentaux se focalisent sur les coups d’Etat lorsqu’ils sont perpétrés, pour une simple question de principe. Cela fait politiquement incorrect de se taire face , il est vrai, à l’arrêt brutal d’un processus démocratique.

Mais si tous ceux qui poussent des cris d’orfraie à travers le monde pour dénoncer les putschistes étaient moins cyniques, ils prendraient des mesures en amont, avant que le mal ne se déclenche. Car chaque jour que Dieu fait, bien des dirigeants africains créent les conditions d’un coup d’Etat à travers la malgouvernance politique et économique. Ils organisent des coups d’Etat subtils en permanence, en verrouillant, par divers stratagèmes, toute possibilité d’alternance. La corruption, la gabegie, le détournement, le clientélisme sont les pratiques qui fissurent la cohésion sociale dans un pays. Ces faits sont suffisamment connus, et personne ne s’en préoccupe. Sur le plan politique, le tripatouillage des Constitutions, les fraudes électorales, l’embastillement des opposants, les violations diverses des droits de l’homme sont le ferment d’une exaspération nationale qui peut aboutir à un renversement du pouvoir en place. Et chaque pays, selon le niveau de pudeur de son président, dose ces atteintes à la démocratie. L’Afrique est ainsi traversée de pays aux moeurs politiques que l’on peut hiérarchiser, du meilleur au pire.

Il y a ceux - une infime minorité- pour qui la Constitution est sacrée et ne peut être détournée à des fins personnelles pour le pouvoir à vie. Et il y a le reste, pour qui la loi fondamentale n’est pas considéree comme l’incarnation de la nation et l’émanation du peuple, mais un outil au service des tenants du pouvoir. Dans ce dernier lot se trouvent les régimes les plus autoritaires, qui ignorent dans leur lexique le mot "alternance". Rien que deux cas typiques de régimes autoritaires mais très fréquentés par l’Occident : la Guinée Conakry et la Guinée équatoriale. Les firmes internationales et les hauts fonctionnaires d’Europe et d’Amérique se bousculent dans les ascenseurs pour décrocher des contrats avec ces pays dont les dirigeants n’hésitent pas à tirer à balles réelles sur des enfants, ou à faire enlever des opposants.

Lansana Conté et Teodoro Obiang NGuema sont les prototypes achevés des dirigeants insensibles au Discours de La Baule sur la gouvernance démocratique. Et que se passerait-il si un coup d’Etat survenait dans ces pays ? L’Occident s’en plaindrait, pas pour les beaux yeux des peuples qui y voient d’ailleurs une forme de libération, mais pour ses bonnes affaires qui risquent d’être remises en cause. De la même façon, il y a peu de chance que la communauté dite internationale verse des larmes - à moins que ce ne soit des larmes de crocodile- si le président zimbabwéen venait à être renversé. Il a été décrété que Robert Mugabe doit partir, peu importe par quelle porte de sortie. Cette ambivalence de l’Occident ne peut qu’encourager les apprentis dictateurs à s’accrocher au pouvoir en Afrique. Ils savent que l’allégeance aux grandes puissances est un paravent suffisant contre leurs détracteurs.

On avait d’ailleurs cru que la jeune génération de dirigeants changerait la donne. Il n’en est rien. Le coup de semonce de La Baule est aujourd’hui oublié. Après une période d’effervescence où l’on a feint de s’inscrire dans la dynamique tracée par le président français François Mitterrand, les vieilles habitudes ont repris le dessus. L’Afrique francophone a raté cette deuxième chance, après les indépendances, d’embarquer de façon irréversible dans le train de la démocratie. Mais il est vrai que la France, en soufflant le chaud et le froid, en entretenant des relations occultes avec les dirigeants africains, a elle-même contribué à enterrer le projet de La Baule. C’est dire que même dans l’Hexagone, beaucoup ne croyaient pas en l’enracinement de la démocratie en Afrique.

Le successeur de Mitterrand, Jacques Chirac, ne pensait pas à autre chose à travers sa désormais célèbre phrase selon laquelle l’Afrique n’était pas mûre pour la démocratie. Cette vision des choses est certainement encore partagée par bien des Français, même dans les hautes sphères de l’Etat. L’hypocrisie de la France en particulier, et de l’Occident en général, faite d’un grand écart entre leur discours officiel et leur pensée secrète, ouvre la voie à toutes les dérives en Afrique. Les mêmes maux causant les mêmes effets, le coup d’Etat survenu en Mauritanie, aussi condamnable soit-il, ne sera pas le dernier sur le continent. Parce que des mesures préventives ne sont pas prises, celles qui sont le vrai antidote à la prise du pouvoir par la force.

"Le Pays"

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