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ALIOUNE TINE (Secrétaire général de la RADDHO) : "Toucher aux Constitutions est un crime de haute trahison"

Publié le vendredi 14 novembre 2008 à 04h42min

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Alioune Tine n’est plus à présenter. Connu pour son franc-parler et pour ses interventions qui ne laissent jamais de marbre, il s’est construit une solide réputation dans l’univers des organisations de la société civile. Alioune Tine n’est autre que le patron de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO), une ONG créée à Dakar le 21 avril 1990 par un groupe d’intellectuels africains, constitué en majorité de chercheurs et enseignants à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, et qui a pour buts de promouvoir, défendre et protéger les droits de l’homme au Sénégal et en Afrique en général. Présent à Ouagadougou dans le cadre d’un séminaire international sur le "constitutionnalisme et les révisions constitutionnelles en Afrique de l’Ouest", il s’est prononcé sur le phénomène des révisions constitutionnelles en Afrique.

"Le Pays" : Vous prenez part à un séminaire international sur le constitutionnalisme et les révisions constitutionnelles en Afrique. Quelles sont les idées fortes qui pourraient être dégagées de cette rencontre ?

Alioune Tine : Les idées fortes sont les préoccupations exprimées par pratiquement tous les participants au séminaire, sur les révisions à caractère opportuniste des Constitutions africaines, qui affectent négativement le développement et le renforcement de la démocratie. Ces révisions portent généralement sur les points nodaux telle la limitation du mandat présidentiel. Celles-ci sont à inscrire dans un contexte global de régression de la démocratie en Afrique, qui se manifeste notamment par des élections frauduleuses et contestées. C’est le cas pour la quasi-totalité des élections dans la sous-région. Pour y faire face, il importe de respecter tout simplement les principales dispositions contenues dans certains de nos traités. C’est le cas notamment du protocole additionnel (ndlr : de la CEDEAO) sur la gouvernance et la démocratie, sur l’aspect précis des principes de convergences constitutionnelles.

"Les révisions constitutionnelles sont à inscrire dans un contexte global de régression de la démocratie en Afrique"

Ce traité est fantastique. Il contient les meilleures normes en matière de gouvernance politique, démocratique, etc. Il y a aussi la Charte africaine sur les élections, la démocratie et la gouvernance. Je pense franchement qu’on ne peut pas trouver meilleur instrument aujourd’hui. Du point de vue de la qualité, des valeurs et des principes, je vous assure que ce traité va beaucoup plus loin que les normes américaines. Mais qu’est-ce qui fait que sur le plan pratique, on n’arrive jamais à respecter tous ces principes, là est tout le problème.

Je vous renvoie la question. Quelles explications faut-il donner au non-respect de ces principes ?

Il y a des pays comme le Bénin, où la Cour constitutionnelle constitue une espèce de gardienne de la Constitution. Celle-ci peut réagir en cas de dérapages ou de dévoiement des institutions. La Cour suprême du Mali joue à peu près le même jeu. En revanche, dans la plupart des pays africains, les tribunaux n’ont pas compétence pour arrêter certaines dérives du pouvoir. Par conséquent, on a une institution présidentielle très forte, un hyper présidentialisme qui met pratiquement sous son joug l’ensemble des autres institutions. Et franchement, quand on arrive à cette étape, tous les risques sont possibles. Mais nous sommes en train de travailler à la mise sur pied du draft d’un code de conduite en matière de révision constitutionnelle, qui indiquera la démarche à suivre pour mener les processus de révisions constitutionnelles, c’est-à-dire quels sont les préalables, comment faut-il faire et est-il acceptable que des gens qui s’attaquent à des Constitutions puissent le faire à leur seul profit au moment même où ils sont à la tête des Etats.

Je pense que ce sont des réflexions qui viennent à point nommé, et une fois que le code de bonne conduite sera accepté et discuté avec l’ensemble des organisations de la société civile ouest-africaine, nous proposerons le draft aux Etats membres de la CEDEAO afin de discuter avec eux et voir dans quelle mesure nous pourrons ensemble contrôler enfin les processus de révisions constitutionnelles en Afrique, et tous les risques que cela comporte pour la paix et la sécurité. Car, c’est un fait, quelques pays d’Afrique, à cause de quelques modifications dans leur Constitution, ont connu des conflits qu’il est très difficile d’arrêter jusqu’à nos jours. Les questions que nous soulevons lors de la réunion me paraissent donc stratégiques et vitales pour le renforcement de la démocratie dans nos pays.

Une fois le code de bonne conduite élaboré, pensez-vous que votre message sera entendu en haut lieu, notamment des chefs d’Etat africains ?

Je pense qu’on peut avoir des alliés. Car, pour certains Etats, on peut constater qu’il y a des efforts réels qui ont été faits en matière de démocratie. Mieux, il y a une véritable culture démocratique dans certains Etats. Je ne veux pas les citer pour faire des jaloux. Dans ces Etats, l’alternance démocratique se déroule depuis quelque temps de façon pacifique, démocratique et remarquable. On les connaît et ces pays se reconnaîtront. On peut s’appuyer sur ces pays. Tout comme on peut s’appuyer sur les Etats qui veulent faire des efforts.

"Il y a une véritable inflation de normes"

Je voudrais souligner que ce n’est pas la première fois que nous prenons des initiatives en termes de traités que nous soumettons à des Etats avec qui on discute et qui finissent par les accepter. Je ne suis donc pas si pessimiste que cela, de ce point de vue. Cependant, le seul problème que nous avons, c’est la mise en œuvre et l’application des traités, de l’ensemble des conventions et des instruments que nous adoptons, nous Africains, et qui ne sont pas respectés. A ce propos, je constate malheureusement qu’il y a une véritable inflation de normes aussi bien au plan régional que sous-régional. Comment appliquer ces normes ? C’est la grave question que doivent se poser tous les citoyens de l’Afrique de l’Ouest et du continent en général.

Par quels moyens pourrait-on réduire les risques d’instrumentalisation des processus de révisions constitutionnelles en Afrique, selon vous ?

Je pense que dans un premier temps, il faudra procéder à un travail de plaidoyer auprès des Etats. Un travail de sensibilisation auprès de l’ensemble des organisations de la société civile. De mon point de vue, la société civile, ce ne sont pas seulement les ONG. C’est une erreur que de penser cela. La société civile, ce sont les organisations de médias, les médias pouvant permettre de diffuser très largement toutes ces préoccupations. La société civile, ce sont les syndicats, le patronat qu’on oublie très souvent, mais aussi les partis politiques qui ne font pas partie du gouvernement.

"Le respect de la démocratie, c’est le respect de la paix"

Toute la sphère en dehors de l’Etat peut être considérée comme la société civile. En dehors de la société civile, puisque nous avons une démarche inclusive, nous comptons sensibiliser les autorités de l’Etat à cette importante question (Ndlr : sur les révisions constitutionnelles). Mais je pense qu’au terme de ce travail, nous devrions pouvoir nous mobiliser pour montrer que nous manifestons le désir de faire avancer et renforcer la démocratie, la paix et la sécurité. Le respect de la démocratie, c’est le respect de la paix. Quand on a la démocratie, la paix et la sécurité suivent. Et les gens seront tranquilles ! Nous avons besoin d’une véritable mobilisation sociale et populaire pour dire à certains, "stop à l’instrumentalisation politique et populiste de nos Constitutions en Afrique !"

Quelle est votre réaction à ce qui se passe en Algérie où l’on va vers une modification de la Constitution pour permettre au président Abdelaziz Bouteflika de briguer un troisième mandat, et au Niger où le président Mamadou Tandja pourrait faire aussi tripatouiller la Constitution à son profit ?

C’est une honte. Cela va contre les textes de la Charte africaine de la gouvernance et de la démocratie. Je pense qu’il y a certaines dispositions de nos Constitutions dans lesquelles il faut carrément déclarer que le fait de toucher aux Constitutions, de les réviser constitue un crime de haute trahison. Le problème, c’est que nous n’avons pas de pouvoir qui puisse arrêter les pouvoirs des super présidentialismes, ce que j’appelle le Gaullisme tropicalisé chez nous, ce qui crée les conditions d’une impunité totale par rapport à ces coups d’Etat de type constitutionnel.

"Le renouvellement du personnel politique, des générations, c’est cela l’oxygène pour la démocratie"

Il faut que les chefs d’Etat qui les commettent soient comptables de leurs actes devant quelque chose, que ce soit un tribunal, la Haute Cour de Justice ou autre. L’impunité par rapport aux révisions constitutionnelles permet à tout dirigeant qui a besoin d’être président à vie, de faire sauter le verrou constitutionnel qui est pourtant essentiel pour la démocratie, pour sa vitalité, pour le renouvellement des cadres et même pour les nouvelles générations. Nous avons donc besoin aujourd’hui de mettre en place des mécanismes qui protègent ces verrous contre la soif de pouvoir de chefs d’Etat sans scrupules et qui ne pensent qu’à leurs intérêts tout à fait personnels, partisans et opportunistes.

"Ce qu’on ne peut pas faire en 8 ou 10 ans de pouvoir, on ne peut le faire en 20 ans ou plus"

Le président Roosevelt a eu quatre mandats de 4 ans, donc passé 16 ans au pouvoir. Pour corriger les choses, les Américains ont mis un amendement pour limiter les mandats. Dans tous les cas, ce qu’on ne peut pas faire en 8 ou 10 ans de pouvoir, on ne peut le faire en 20 ans ou plus. Le renouvellement du personnel politique, des générations, c’est cela l’oxygène pour la démocratie.

Propos recueillis par Cheick Beldh’or SIGUE

Le Pays

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