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L’Amérique et la question raciale : Le solde de tout compte

Publié le mardi 11 novembre 2008 à 10h08min

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L’élection de Barack Hussein Obama ne finit pas de susciter des commentaires. Maître Mamadou Traoré dans les lignes qui suivent jette un regard rétrospectif avant de se féliciter de cet événement historique.

Ainsi, elle a osé... Ainsi, elle a soldé en ce début du 21e siècle son compte avec l’histoire. Ainsi, elle a osé élire, un Noir originaire de l’Afrique, soldant son compte avec plus de trois (3) siècles de traite des Noirs, de ségrégation, de discrimination de toutes sortes.

Ainsi, l’Amérique a réalisé le rêve américain. L’Amérique à 70% blanche, pays de la suprématie blanche, qui a réduit à néant les Nègres dans les champs de coton. « Ces Nègres paresseux sans cervelle », corvéables, taillables et « tuables » à souhait.

L’Amérique qui a inventé le Klu Klux Klan, cette organisation de la suprématie blanche et de la terreur sanglante, contre les Noirs qui osaient quitter leur coin, qui osaient, aller à l’école, qui osaient réclament les droits élémentaires à tout être humain.

L’Amérique qui a assassiné Martin Luther King, homme de non-violence, homme des droits civiques, qui avait pourtant écrit "I have a dream" pour appeler à la fraternité, à l’amour, en un homme nouveau sur cette terre de Christophe Colomb déjà rouge du sang des Indiens massacrés.

L’Amérique de l’esclavage, qui fouettait les Noirs dans les champs, les marquait au fer rouge, qui pendait dans le Sud profond les Noirs a décidé ce quatre (4) novembre 2008 de solder son compte avec elle-même, les Noirs et le monde.

L’élection de Barack Hussein Obama, comme 44e président des Etats-Unis d’Amérique à une écrasante majorité est le début d’une nouvelle histoire écrite sous nos yeux, avec le battement cadencé de nos cœurs d’Africains à l’unisson du reste du monde.

Cet intérêt inédit dans toutes les villes d’Afrique n’est pas le fait du hasard, mais la conscience vague que cette élection qui se dessine depuis des mois était la fin de l’époque et le début de l’histoire.

L’homme noir inconsciemment, partout où il se trouve, a toujours eu un sentiment confus quant à son appartenance réelle à cette humanité ou il semblait marqué à jamais par le sceau de l’infamie.

L’infamie du seul peuple au monde réduit en esclavage des siècles, durant, commercialisé comme marchandise, pourchassé de sa maison enlevé et muselé, stocké dans les cales de bateaux pour un voyage sans retour.

L’homme noir sans référence

L’infamie de ces siècles révolus, mais tant présents dans le regard des autres. Infamie de cette misère si criarde des peuples noirs, si angoissante, lancinante que chacun s’interroge si quelque part une malédiction originelle n’avait scellé le sort et la destinée de l’homme noir sur cette terre où il y connut à peu de choses près toutes les souffrances, l’exception notable de l’irradiation atomique de Hiroshima et de Nagasaki. L’homme noir, oublié, méprisé, infériorisé, infantilisé, abruti, acculturé était sans référence.

Son passé riche et glorieux ne pesait pas lourd dans la balance des infamies présentes et des spectacles actuels des hordes de jeunes hagards abandonnés dans le désert ou jetés en pleine mer par les nouveaux négriers.

C’est dans ce crépuscule qu’apparurent d’abord comme un balbutiement, ensuite comme une audace insensée, les prétentions d’un Noir à diriger le monde, à partir de sa tour de contrôle, la première puissance militaire, politique, culturelle, économique et scientifique de la terre ; l’hyperpuissance américaine qui dicte sa loi aux Blancs, aux Jaunes, aux Noirs sur terre, sur mer et dans les airs.

Barack Obama est né d’un couple de Blanc et de Noir dans un pays où mariage entre Blanc et Noir était interdit dans la plupart des Etats où le droit de vote n’était pas reconnu aux Noirs.

Ce jeune Noir ne pouvait même pas au départ se prévaloir de l’héritage communautaire de souffrance, de douleur des Afro-Américains fils et arrière-petit-fils d’esclaves ! Qu’à cela ne tienne.

Il va affronter un autre défi : obtenir l’investiture d’un parti où les jeux sont déjà faits. Les décideurs et l’opinion majoritaire du pays a jeté son dévolu sur son Hillary Clinton, femme d’expérience, huit ans à la Maison-Blanche, femme brillante qui a patiemment tissé sa toile et construit sa stature d’homme d’Etat depuis plusieurs années.

Le combat bien que sympathique semblait déséquilibré, inégal, un jeune Noir illustre inconnu, né d’un père étudiant kenyan et d’une mère Blanche et surtout sans sous à la redoutable machine électorale des Clinton. Huit mois plus tard, il était au rendez-vous et arrachait l’investiture démocrate à la surprise générale de tous. Soit, mais...

Le vote des femmes, le vote des Afro-Américains, les dix-huit millions d’électeurs de Hillary Clinton, la longue lutte fratricide avec son challenger, autant de « handicaps » qui annonçaient sa défaite devant l’autre surprise du camp d’en face.

Mais déjà les bonnes âmes l’incitaient à savourer cette victoire, en elle suffisante, celle du premier Noir investi par une convention, celle de la première candidature d’un Noir à la présidentielle américaine.

Le doute historique

Il devrait se contenter de cette victoire historique. Barack Obama n’était pas l’homme des destins contrariés, des histoires inachevées. Sa ténacité, son intelligence, son sens de la communication et son authenticité naturelle vont lui attirer des sympathies mondiales. "Le phénomène" Obama était en marche. Le doute historique des Africains aussi.

- L’Amérique va-t-elle laisser gagner un Noir ?
- L’Amérique blanche n’allait-elle pas tuer Barack Obama ; une fierté et une joie confuse inondaient chaque jour davantage les Africains du Nord au Sud. "Le phénomène" Obama réveillait chaque jour les masses amorphes, apathiques des milliers d’Afro-Américains qui se sont tenus en marge de l’histoire de leur pays. Elles ont décidé de faire l’histoire.

Des murs de Berlin dans les cœurs, dans les esprits étaient en train de voler littéralement sous l’impulsion du "phénomène" Obama.

L’Amérique avait compris la chance historique que lui offrait ce jeune homme d’origine africaine, assumant fièrement son histoire africaine et américaine. Oui l’Amérique a décidé, fièrement, solennellement de faire amende honorable de se racheter d’une histoire de négation de l’homme noir.

Oui, l’Amérique avait décidé de démontrer à la face du monde qu’elle s’était trompée, que l’homme noir est l’égal de l’homme blanc, que c’est le même sang, le même destin, les mêmes valeurs profondes qui unissent les hommes.

Se réconcilier avec les damnés

Oui, l’Amérique avait décidé de se réconcilier avec les damnés de la terre. Elle leur reconnaît le droit d’exister, mais aussi de diriger, de penser, de concevoir. Pour elle, elle bannissait définitivement de sa conscience et de son subconscient le complexe de supériorité vis-à-vis des égaux qu’elle avait convaincus de leur infériorité et de leur inégalité.

L’Amérique a soldé son passé là où la patrie des droits de l’homme, de la déclaration de 1789 du code noir, des colonies s’engagent à peine dans l’immigration choisie et a peur de ces « minorités visibles » de sa « racaille ». L’humanité est : la bestialité, la barbarie, la splendeur, la culture l’histoire, n’est ni blanche ni noire. Elle est humaine.

L’homme est capable du bien comme du mal et cela sans distinction, d’origine, de couleur ni de naissance. L’Amérique a été élu, le 4 novembre 2008 Barack Obama à une écrasante majorité, président des Etats-Unis.

L’Amérique apaisée a définitivement pansé les blessures morales de la communauté noire à travers tous les continents, blessures que cette communauté avait commencé à soigner elle-même, à travers d’autres victoires :

- celle de Jesse Owen dans LA capitale du Nazisme et devant son Führer qui clamait la suprématie blanche aryenne ;
- celle des combattants africains, chairs à canon pendant la grande guerre, qui ont favorisé à leur retour les luttes émancipatrices pour les indépendances ;
- celles plus récentes des artistes, des sportifs et de Nelson Mandela contre l’apartheid, et des intellectuels africains nobélisés.

C’est le début de l’histoire

Ces victoires ont, par morceaux, aidé l’homme noir dans sa quête de reconnaissance et d’humanité ; mais elles étaient trop isolées, trop parcellaires pour opérer la catharsis.

Oui, la victoire de Barack Obama dans la sphère de la décision suprême, celle du pouvoir politique de la première puissance du monde, le pouvoir d’appuyer sur l’arme suprême est incontestable. La charge symbole la plus forte et la plus complète qui hisse l’homme noir un peu au-dessus des autres.

C’est en cela le début de l’histoire. Avec cette victoire, tout redevient possible. C’est le sens de la population des paysans de Kogelo au Kenya, les élite d’Abidjan à Cotonou, de Dakar à Jo’burg.

Barack Obama a démontré que tout est possible dans une démocratie, y compris la réalisation de ses propres rêves. L’Amérique en soldant son histoire s’est réconciliée avec elle-même d’abord, ses communautés, sa communauté noire, elle s’est réconciliée avec le monde entier.

Elle a fait oublier en une seule nuit huit ans d’unilatéralisme de George Bush. Nous ne demandons rien à Obama, nous n’attendons rien. Il a fait sa part, il a accompli son destin. A chacun africain de capitaliser cette victoire, à chaque Africain de rendre fière l’humanité de ce continent, berceau de l’humanité, cela passe d’abord et surtout par la démocratie, la rigueur, la bonne gouvernance, la lutte contre la mal gouvernance contre la faim, la maladie, l’analphabétisme, en somme la lutte contre la pauvreté.

En fait, c’est la pauvreté qui détruit la dignité humaine et la lutte contre la pauvreté est la plus rédemptrice pour la communauté noire, partout dans le monde.

Maître Mamadou Traoré

Avocat à la Cour

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