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Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Professeur Serge Théophile Balima, enseignant-chercheur : “La presse par sa fonction critique, permet d’éviter les dérives sociales…”

Publié le jeudi 6 novembre 2008 à 03h06min

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Serge Théophile BalimaLe monde des médias au Burkina Faso, en Afrique, voire dans le monde, a peu de secrets pour lui. Il s’investit également dans la promotion de la bonne gouvernance. Il a par ailleurs, un faible pour la cause de la femme, la bonne “bouffe” et se veut être “un intellectuel tout à fait libéré”, etc. Il s’agit du Pr Serge Théophile Balima, enseignant-chercheur à l’Université de Ouagadougou au département communication et journalisme, directeur du CERAM, co-directeur de l’IPERMIC. Sidwaya l’a reçu en invité de la rédaction une matinée d’octobre 2008. Pendant trois heures d’horloge, le Pr Balima a laissé libre cours à son franc-parler autour de questions sur l’avenir des médias africains, la gestion du pouvoir du président Blaise Compaoré, son passage comme ambassadeur à Paris, ses divergences de vue avec le Pr Jacques Barrat, co-directeur de l’IPERMIC.

Sidwaya (S.) : Qu’est-ce que vous retenez du Forum médias et développement qui s’est tenu à Ouagadougou du 11 au 13 sptembre 2008 ?

Serge Théophile Balima (S. T. B.) : C’était une rencontre importante. J’ai eu l’honneur d’avoir été désigné pour aller faire le compte rendu devant le parlement européen à Strasbourg, en France. Toute chose qui traduit l’intérêt de l’Union africaine (UA) et de l’Union européenne (UE) pour ce qui s’est dit à Ouagadougou. Il n’y a pas de solution définitive au combat pour le développement. Il doit être permanent Les médias européens et africains ont décidé de travailler davantage ensemble, pour mieux faire connaître l’Afrique dans ce qu’elle compte de difficultés ou de problèmes et de manière plus objective. Parce qu’il y a dans les médias du Nord, beaucoup de préjugés sur le continent noir. Certains sont fondés car nous avons des déficits majeurs. Mais il ne faut pas que les productions médiatiques se focalisent éternellement sur ceux-ci. Puisque de temps en temps, il y a une Afrique qui bouge, crée et marche.

Et il faut souvent faire allusion à ses aspects. On a aussi décidé de créer un partenariat durable entre le Nord et le Sud en matière de médias. En effet si nous n’avons pas l’accompagnement nécessaire, il est évident que nos médias auront des difficultés. Etant donné qu’il s’agit d’entreprises à part entière qui ont besoin non seulement de ressources humaines, mais également d’infrastructures et de la manne financière. Comme les médias sont dans l’antichambre de la gouvernance, on a abordé leur rôle dans la contribution à l’amélioration de la gouvernance en Afrique. Là également, il y a des déficits majeurs parce qu’il y a comme une récupération systématique des médias par rapport au pouvoir établi. Ce qui constitue un problème car si la presse n’observe pas une certaine distanciation vis-à-vis du pouvoir, évidemment, il ne peut pas y avoir de gouvernance qualitative. Je fais allusion à tous les pouvoirs d’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient, économiques, financiers, politico-religieux.

S. : D’aucuns estiment qu’il faut développer l’Afrique avant d’envisager le développement de ses médias. Partagez-vous cet avis ?

S. T. B. : Je pense qu’on ne peut pas dissocier les deux. Si les médias ne se développent pas en Afrique, le continent ne va même pas se développer. Parce que ceux-ci constituent une boussole dans un système de gouvernance. Je trouve que les journalistes africains n’élèvent pas suffisamment le niveau de leur responsabilité par rapport à cela. Ce qui fait marcher les autres pays du monde, c’est la presse, par sa fonction critique qui permet d’alerter l’opinion en cas de problème pour éviter les dérives dans la société. Mais si la presse est silencieuse et démissionnaire, évidemment le pouvoir n’entendra que des sirènes élogieuses et favorables alors qu’en réalité, nul n’est parfait, quel qu’il soit.

S. : Voulez-vous dire que les médias ne sont pas suffisamment critiques sur le continent ?

S. T. B. : En Afrique nous sommes généralement dans des civilisations de l’oralité. Et dans ces civilisations, la subjectivité occupe une place importante. Lorsque vous critiquez un homme public, il a tout de suite ce sentiment qu’il y a une attaque en règle contre sa personne oubliant que ce n’est pas sa personne qui est visée mais l’exercice de sa fonction dans l’intérêt général. Cette incompréhension est permanente et explique les déconvenues entre les différents pouvoirs et les journalistes dans nombre de pays africains.

S. : Les médias burkinabè sont-ils suffisamment prêts à accompagner ce processus de développement ?

S. T. B. : On n’est jamais assez prêt. Mais je pense que les médias burkinabè peuvent toujours mieux faire. De plus en plus, nous avons des ressources humaines de qualité. Ce n’est pas comme il y a 20 ans, 25 ans où on n’avait pas un niveau moyen de journalistes aussi élevé. Aujourd’hui, les journalistes sont pratiquement des universitaires et disposent de facultés nécessaires pour comprendre les problèmes de développement. Il suffit alors de créer les conditions favorables à l’expression journalistique dans sa dimension constructive.
Il ne faut pas confondre alors les missions de la communication avec celles de l’information.

S. : Entre le risque de vivre dans la précarité en exerçant convenablement son métier et la possibilité alléchante de servir les intérêts particuliers pour bénéficier de privilèges divers, que faut-il faire ?

S. T. B. : Il s’agit d’un problème de choix ici. Souvent nous Africains voulons une chose et son contraire. Lorsqu’on fait le choix de servir l’intérêt général, évidemment il y a des exigences qui peuvent se présenter sous forme d’inconvénients. Mais en même temps qu’on souhaite défendre l’intérêt général, on veut également privilégier l’intérêt particulier, clanique, personnel. Toute chose qui pose problème. Je ne peux pas me prononcer parce qu’il s’agit d’une question d’éthique individuelle. On doit faire des choix sans équivoque pour ne pas paraître compromis, boiteux ou approximatif ; faute de quoi,on n’atteindra jamais la performance qu’il faut.

S. : L’Union européenne est-elle véritablement prête à accompagner le développement des médias en Afrique ?

S. T. B. : Le développement des médias en Afrique n’est certainement pas la priorité de l’Union européenne. Parce que les médias sont des domaines absolus de souveraineté. Et s’ils se développent et jouent leur rôle comme il se doit, cela peut entraîner des inconvénients sur le plan international, pour certains pays. Leur fonction critique fait peur à la fois à l’Occident et aux dirigeants africains. Il faudrait que la prise de conscience vienne des animateurs et promoteurs des médias africains pour apprendre à se prendre en charge. D’une manière générale, en Afrique, nous sommes extravertis. Nous nous comparons aux Occidentaux quand on parle de salaire parce que nous avons une monnaie qui est une cousine germaine de l’euro.

Et le problème est de savoir si nous sommes capables en réalité de gérer cette monnaie. Dans certains pays plus développés que le Burkina Faso, comme le Laos, les salaires sont plus bas qu’ici. Dans les pays africains qui ont leur propre monnaie, les salaires sont également plus bas que chez nous mais le niveau de vie est souvent plus élevé. Il faut que nous réfléchissions pour voir ce que nous devons faire pour améliorer le niveau du développement socioéconomique. D’une part, nous avons des salaires excessivement élevés par rapport aux capacités réelles de nos pays sur le plan international mais, en même temps, ces salaires sont extrêmement faibles parce que notre référence c’est l’euro ou le dollar.

S. : Quelle lecture faites-vous du dernier remaniement ministériel qui a abouti à la formation du gouvernement Tertius II ?

S. T. B. : Je ne vois pas de différence entre le nouveau gouvernement et le précédent. C’est la continuité et bonne chance au gouvernement en place.

S. : Qu’est-ce qui explique cette continuité ?

S. T. B. : Certainement, les personnes qui font le gouvernement pensent que tout va bien ainsi. Ils ne trouvent donc pas la nécessité de changer une équipe qui gagne. De nouvelles personnalités ont certes fait leur entrée dans l’équipe mais cela ne modifie pas fondamentalement la configuration du gouvernement. Il y a eu un remaniement technique sans grande ampleur.

S : Mais sont-ils des hommes qu’il faut à la place qu’il faut ?

S. T. B. : Je suis un intellectuel tout à fait libéré qui n’est pas soumis à l’appréciation des partis politiques. Je pense qu’on peut toujours mieux faire. Mais c’est difficile d’apprécier ces hommes. Parce que vous ne les connaissez que lorsque vous les mettez en position d’exercer le pouvoir. Ce que l’on oublie souvent c’est que le pouvoir ne change pas les gens autant qu’on le croit mais révèle plutôt la véritable dimension de ce qu’ils étaient en réalité. Il faut donc attendre de voir ce que chacun des membres du gouvernement va faire. Vous savez, il y a plusieurs façons d’être ministre. On peut être ministre pour traiter le courrier tout simplement, pour être une force de propositions, pour organiser des manifestations, des cérémonies, pour être proactif en travaillant pour le futur,pour se complaire dans la paresse et donner des ordres pour ne pas travailler, etc.

S. : La vie chère ne peut-elle pas être atténuée par les vertus de la solidarité ?

S. T. B. : Je ne pense pas que cette solution soit suffisante. La vie chère devrait aboutir à un meilleur équilibre social. La solidarité africaine n’est pas un handicap mais plutôt une qualité qu’il faut savoir exploiter. Nous ne voulons jamais de solutions endogènes à nos problèmes mais des solutions exogènes. Et tant que nous n’allons pas comprendre que nous devons nous organiser à partir de nos propres valeurs pour gérer notre économie, on aura toujours des problèmes.
Si vous avez une population de 20 millions d’habitants, et les économies fonctionnent pour un à deux millions d’habitants, en général, les autres huit ou neuf millions sont hors économie, hors circuit, ce qui pose problème. Car il faut mettre tout le monde au travail, autrement, on ne peut pas arriver à propulser la dynamique nécessaire du développement.

S. : Les pays africains sont-ils en train de faire fausse route dans la gestion de l’actuelle crise financière en se préoccupant d’autres choses comme la baisse du cours du coton ?

S. T. B. : Nous sommes attentistes vis-à-vis de la crise financière. De fait, nous n’avons pas de marge de manœuvre dans cette crise parce que nos banques dépendent des banques européennes qui, elles-mêmes sont actuellement renflouées largement par le Trésor public. Malheureusement, nos Etats n’ont pas suffisamment de réserves fiduciaires pour venir au secours de nos banques si celles-ci devaient être en faillite. La crise sera moins ressentie par nos banques car il y a moins de richesses dans les pays africains. Dans les pays pauvres, elle concerne une minorité de personnes puisque beaucoup de personnes n’ont pas de compte bancaire. Ce qui n’est pas le cas dans les autres pays du monde où le système de domiciliation en banque est entré dans les habitudes des citoyens.

S. : On s’attendaient à un grand chamboulement au dernier remaniement, ce qui n’a pas eu lieu. Comment expliquez-vous cette donne ?

S. T. B. : Je pense que les gens ont fait un calcul politique. Le moment n’était certainement pas venu pour le grand chamboulement.
Je pense qu’il y aura le chamboulement pronostiqué en 2009 pour préparer les esprits aux élections de 2010.

Si vous faites un grand remaniement en ce moment, les gens seront essoufflés à la veille des élections de 2010. Et comme ce n’est jamais bon signe de remanier tous les six mois, on évite de provoquer une instabilité dans la stabilité. Par ailleurs comme le remaniement a fait partir, il y a quelques temps, un des ténors de la classe politique burkinabè, il ne semblait pas très adroit de faire des chamboulements que les gens pourraient directement relier à son limogeage. Il fallait apaiser le climat et attendre une période propice aux changements.

S. : Dans le fond, s’agissait-il de rumeurs non fondées relayées par la presse, ou bien les décideurs ont déjoué les pronostics au regard des révélations qui ont été faites ?

S. T. B. : Les gouvernements sont dirigés par des stratèges. Si on fait courir la rumeur d’un remaniement et que c’est interprété comme un règlement de compte, évidemment il vaut mieux faire un repli tactique. Et si également on se rend compte qu’on n’a pas toutes les cartes en main pour opérer le grand changement, il vaut mieux adopter la même tactique. Même chose lorsque l’on se rend compte qu’au niveau de la presse, il y a comme une impréparation à l’annonce de cette nouvelle.

S. : Y a-t-il quelque chose à reprocher à la presse dans ce cas ?

S. T. B. : La presse est allée peut-être vite en besogne. Et comme nous sommes dans une civilisation de l’oralité, les gens adorent les rumeurs et tout ce qui touche à la subjectivité des individus. La presse est souvent à la remorque de ce courant. Toute chose qui est regrettable, car elle doit apprendre à confronter ses sources. Je ne suis pas partisan de la publication de rumeurs sous forme de nouvelles et j’ai toujours dit à qui veut l’entendre que je ne cautionne pas les pages de rumeur institutionnalisées comme étant une façon d’informer l’opinion. C’est une méthode extrêmement dangereuse.

S. : Etes-vous d’avis avec le président du CDP que ces deux structures sont réellement complémentaires et non rivales ?

S. T. B. : En politique, la rivalité est permanente, même entre deux amis d’un même parti. Si vous voulez perdre votre ami, entrez tous les deux en politique. Vous finirez tôt ou tard par vous diviser. Lorsque j’ai été amené à assumer certaines fonctions à caractère politique, j’avais des amis fort chaleureux à mon endroit tout simplement parce que par ma modeste personne, je pouvais les mettre en contact avec le chef de l’Etat. Mais depuis que j’ai quitté ces fonctions, très peu connaissent la position géographique de ma maison. Mais cela m’a permis de savoir qui sont mes vrais amis.

Au moins, je vis tranquille maintenant dans une sérénité totale et suis heureux. La politique, c’est aussi l’art d’occuper l’espace. Dès lors que quelqu’un occupe l’espace et que vous vous engagez en politique, vous voulez alors occuper également l’espace. Si le CDP ne montre pas son efficacité par rapport à la FEDAP/BC, il est évident qu’elle finira par occuper l’espace traditionnellement réservée au méga parti. Il appartient donc au CDP de se revitaliser, de se montrer plus offensif, de se faire avaliser par le grand architecte des temps présents.
La rivalité, entre les deux organisations, de même que les “sorties” des Refondateurs constituent cependant une bonne stratégie pour le chef de l’Etat qui peut ainsi jouer sur plusieurs registres, au cas où certains adversaires ou opposants latents internes seraient sur le registre présidentiel.

S. : Est-ce que ces refondateurs ont pu servir de cheval de Troie pour déstabiliser le système politique dominant ?

S. T. B. : Ce n’est pas exclu, c’est une hypothèse de travail qui semble raisonnable. Mais ils ont été un peu naïfs ou plutôt ils ont fait preuve d’une méconnaissance du système Burkina.

S. : Vous ouvriez les portes de la présidence à des amis, dans le passé. Avez-vous été débarqué par la suite ou avez-vous décidé simplement de vous tenir à l’écart de la politique pour vous consacrer à votre activité professionnelle ?

S. T. B. : Je n’ai rien fait pour rester dans le milieu de la politique. Il est évident qu’on ne va pas à l’université par décret. C’est un choix qui n’est pas facile surtout quand on a connu un minimum de protocole. Quand je suis arrivé à l’Université, le recteur de l’époque m’a demandé ce que j’étais venu faire parce qu’il n’y a pas de voiture de fonction, pas de dotation de carburant, etc. Je lui ai dit que j’en suis conscient et que je veux y faire quand même carrière. Il était sceptique sur ma capacité à persévérer dans une recherche relativement solitaire car personne ne vous prend au sérieux. C’est vrai que ma fonction était terminée de l’autre côté mais on m’avait demandé de rester à la disposition de l’Etat. Si j’avais attendu religieusement comme tant d’autres, on aurait fini par me trouver un espace de vie.

S. : Avez-vous aujourd’hui des regrets ?

S. T. B. : Je suis heureux d’avoir opté pour la carrière universitaire. Certains étudiants que j’ai formés sont reconnaissants. En enseignant, j’ai appris à connaître les hommes. Et j’arrive à savoir quels sont les étudiants qui peuvent jouer un grand rôle positif demain. Généralement, je ne rate pas mes analyses. J’ai pu tirer de très bons enseignements pour orienter ma modeste existence. Je suis un homme comblé car Dieu m’a donné tout ce que j’ai voulu. Et je peux dire que je suis un homme heureux. Je prétends même être parmi les Burkinabè que Dieu préfère.

S. :Est-ce à dire que vous n’attendez plus rien de la vie ?

S. T. B. : Non ! j’ai tout, rien ne me manque. Peut-être parce que j’ai des ambitions modestes.

S. : Avez-vous le pouvoir ?

S. T. B. : J’ai le pouvoir intellectuel. Quand on m’appelle à Abidjan, à Grenoble, à Bruxelles et ailleurs pour statuer sur des compétences d’hommes et de femmes qui cherchent à obtenir le grade de Docteur, c’est un pouvoir. Puisque quand je dis que leur compétence n’est pas suffisante, alors ce n’est pas suffisant. Si je dis le contraire, c’est cela. Un ministre ne peut pas forcément avoir ce pouvoir. Je me félicite de prendre régulièrement l’avion sans incidence financière pour mon université et sur financement de structures partenaires qui me font l’honneur d’apprécier mes contributions intellectuelles. Ce n’est pas le cas de certaines personnalités déchues qui végètent, dans l’oubli, sans espoir de résurrection sociale.

S. : Et l’argent ?

S. T. B. : J’ai assez d’argent pour m’occuper des miens, bien manger, bien vivre, me soigner et être tranquille. Je fais partie des privilégiés dans ce pays, relativement parlant.

S. : Quel journal lisez-vous le plus ?

S. T. B. : Je serai incapable de répondre à cette question, parce que c’est en fonction des circonstances et des événements que je choisis mes journaux. Je suis un lecteur avisé et je ne choisis pas à l’aveuglette. J’ai des présupposés qui m’amènent à vérifier le choix de mes lectures.

S. : Quel est votre regard sur la presse d’Etat et la presse privée burkinabè ?

S. T. B. : La presse d’Etat, Sidwaya, a fait beaucoup d’efforts. Il y a une ouverture d’esprit qu’il faut saluer et encourager. Parce qu’il fut un temps où c’était une approche doctrinaire de l’information. Aujourd’hui, des libres penseurs peuvent donner leur point de vue dans le quotidien. Il faut continuer dans ce sens pour que l’information soit équilibrée. Vous êtes un service public mais pas un journal gouvernemental. Et il faut éviter que l’on vous colle cette étiquette. La presse privée, elle, a moins d’appui sur le plan financier, car ce n’est pas facile de gérer une entreprise, rémunérer son personnel, assurer les charges de fonctionnement et faire des investissements. Mais elle fait ce qu’elle peut. La question c’est de savoir si le nombre de titres que nous avons au Burkina Faso est viable à long terme. A mon avis, non. Il faudrait que par l’évolution, le marché puisse déterminer les titres qui sont appelés à survivre. Cette période arrivera d’ici à 2015 selon ma prospective.

S. : Comment appréciez-vous les titres Sidwaya ?

S. T. B. : Je trouve qu’il y a prolifération des titres Sidwaya. Moi j’aurai recentré les titres sur deux ou trois et essayer de travailler à l’amélioration des contenus. Parce que si vous vous dispersez à l’infini vous risquez de ne pas pouvoir répondre à toutes les exigences de qualité. Mais vous avez la chance d’avoir des journalistes déterminés, exaltés qui aiment bien avoir leur signature au bas des articles. Tout cela est motivant mais il faut aussi rechercher la qualité et la rigueur dans ce qui est fait. C’est pourquoi je pense qu’il faut recentrer afin de donner un meilleur contenu aux titres.

S. : La liberté de la presse existe-t-elle au Burkina Faso ?

S. T. B. : Je pense que la liberté de la presse existe au Burkina. Mais le problème se trouve au niveau de la personnalité des journalistes qui n’est pas achevée. Le contexte du pays est favorable globalement à l’expression démocratique.

Les personnalités ne s’affirment pas suffisamment dans les comportements et les productions. Et c’est dommage. Peut-être que cela est une conséquence de notre histoire relativement violente qui frappe encore les esprits. Le fait que la vie politique soit dominée par un parti supra majoritaire qui ne laisse que des interstices d’évolution aux autres partis pourrait également expliquer cette situation. Beaucoup de gens se disent forcément effrayés par la loi du nombre et certains doutent encore du caractère démocratique de nos institutions. Et pourtant…des espaces existent

S. : Sidwaya répond t-il à sa vocation, c’est-à-dire être le journal de tous les Burkinabè ?

S. T. B. : Non. Il aspire à cela et je souhaite qu’il y parvienne un jour. Ce journal répond à sa vocation, à mon avis, à 75%. Un titre ne peut pas évoluer en dehors du contexte.
Par rapport à notre contexte avec les pesanteurs locales, Sidwaya fait des efforts.
Le rapport institutionnel Sidwaya-pouvoirs est relativement étroit. Et en tenant compte de cela, il faut reconnaître que le quotidien fait un travail remarquable.

S. : Concrètement que reprochez-vous à Sidwaya ?

S. T. B. : Ça dépend des jours. Il n’y a pas une tendance à l’insuffisance marquée. Je dois dire que d’une manière générale, en ce qui concerne la titraille, j’ai toujours trouvé que les titres au Burkina ne sont pas très bien réussis. Mais Sidwaya s’en sort mieux que l’Observateur Paalga qui fait souvent des options ou trop simplistes ou en abusant des aphorismes en langues mooré. Je veux dire que ses titres sont d’une simplicité parfois déroutante ou gênante. Je reconnais que la titraille est vraiment difficile, tout le monde ne peut pas la réussir. Un titre doit obéir à des nécessités contradictoires : être bref, accrocheur, informatif, beau, précis, attrayant, incitatif… Il faut donc creuser à ce niveau pour avoir de bons titres.

S. : Etant donné que vous êtes un professionnel de la presse, pouvez-vous nous dire qui peut porter le titre de journaliste ?

S. T. B. : Si vous me chargez de faire ce travail pour vous (les journalistes) je peux le faire sans état d’âme, comme à l’Université. Mais peut-être que vous n’allez pas accepter les résultats et les promoteurs non plus. Parce que ceux qui rendent service aux promoteurs ne remplissent pas souvent les conditions pour être journalistes. De plus, ceux qui rendent service au système politique burkinabè ne remplissent pas toujours les conditions idéales pour exercer le métier de journaliste. Par conséquent, je vais me retrouver en conflit d’intérêt avec vous-mêmes, les promoteurs et le système. Mais comme on ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs, si vous êtes prêts à passer par là, alors vous y passerez. Une méthode très simple consiste pour vous à édicter les conditions d’accès et d’exercice et à les respecter.

S. : Il y a une convention collective en préparation. Pensez-vous qu’elle puisse clarifier la situation de la presse ?

S. T. B. : Je ne crois pas. J’ai toujours eu une position particulière sur la convention collective. Celle-ci est une belle idée mais je ne suis pas seulement séduit par la beauté des idées mais aussi par leur opérationnalité. Je trouve qu’actuellement, compte tenu du tissu professionnel burkinabè dans le domaine de la presse, une convention collective sera difficile à mettre en œuvre. Ce qui paraît surprenant c’est que quand on interroge les promoteurs de la presse privée burkinabè, tous disent qu’ils sont d’accord avec la convention collective. Cela va de soi car il s’agit d’une bonne idée et personne ne va afficher publiquement son opposition.

Mais je suis de ceux qui pensent qu’en réalité, beaucoup ne sont pas prêts pour la convention. Si on veut d’une vraie convention collective, vous-mêmes n’allez pas accepter car elle doit respecter les capacités financières et économiques des entreprises de presse. Ce qui veut dire qu’il va falloir vous donner des salaires à la baisse Mais vous n’allez pas accepter une telle solution. Et je reviens à ce que j’ai dis par rapport à nos salaires à savoir que nos grilles salariales, tout en étant maigres sont très élevées par rapport à la capacité économique de notre pays. Si on devait distribuer ces salaires à l’ensemble des Burkinabè, vous vous rendrez compte qu’ils ne suffiraient pas. Je suis donc pessimiste par rapport à l’opérationnalité de la convention. On va l’adopter probablement, je n’en sais rien, mais sa mise en œuvre va provoquer des problèmes énormes car des promoteurs vont devoir licencier des journalistes, et cela va entraîner des turbulences sociales et intellectuelles..

S. : Le maître de mémoire peut-il être en même temps président de jury ?

S. T. B. : A mon avis, non. On recommande que le directeur de mémoire soit un peu l’avocat de l’étudiant dont il a dirigé les travaux. Mais moi, je ne respecte pas cela.
Ceux qui sont passés par moi, le savent très bien. Quand un travail n’est pas bon, ce n’est pas bon. A des moments donnés, quand vous dirigez un étudiant, vous vous rendez compte que l’étudiant ne peut pas faire davantage pour des raisons objectives, notamment la fatigue. Et si vous savez que son travail est suffisant pour lui permettre d’obtenir le diplôme recherché, vous êtes moralement obligé de le laisser soutenir.

Dans certains cas, on sent que l’ambition intellectuelle de l’étudiant a atteint sa limite. Alors que d’autres intellectuellement plus virils n’accepteraient pas de soutenir s’ils n’ont pas produit un document d’un niveau certain parce qu’ils ont des ambitions intellectuelles plus élevées. Le principe lors des soutenances c’est que le directeur de mémoire ne soit pas en même temps le président du jury. Mais il peut arriver qu’il porte les deux casquettes dans des circonstances particulières.. Par exemple, quand je dirige un étudiant, en tant que professeur titulaire, je ne peux pas avoir un président de jury qui n’ait pas au moins mon grade. S’il est maître de conférence dans le jury, je deviens automatiquement le président même s’il se trouve que c’est moi qui ai dirigé le travail. C’est le mandarinat en quelque sorte

S. : L’Université de Ouagadougou a rouvert ses portes après deux mois d’arrêt des activités académiques avec des innovations contestées par les étudiants : l’instauration d’une police et l’érection d’une clôture. Croyez-vous que ce soit la meilleure option pour donner à l’institution son lustre d’antan ?

S. T. B. : Ces nouveautés ne peuvent pas résoudre définitivement les problèmes de l’Université. Mais il ne faut pas établir de lien entre le mur et la crise ni également entre la sécurité et la crise. En réalité, ces innovations avaient été décidées depuis plusieurs années. Simplement elles n’ont pas été réalisées à cause du manque de ressources. Sinon en soi, il est bon que l’Université soit clôturée mais, c’est le contexte dans lequel il a été construit qui fait qu’on l’a interprété comme une sorte de réplique de guerre. En réalité, il n’en est rien. Le service de sécurité est également une bonne idée car il permet de dissuader certains malfrats qui passent à l’UO. Nous avons besoin d’argent à l’UO. Malheureusement, le budget 2009 qui s’annonce semble être un peu en récession. Toute chose qui peut entraîner de nouveaux problèmes. Or le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter. Mais on peut faire confiance à nos dirigeants pour que des solutions idoines soient trouvées.

S. : Comment voyez-vous la fin de la présente année universitaire et le début de la prochaine ?

S. T. B. : Je pense que l’année universitaire va bien se terminer. Les étudiants n’ont pas toujours raison. On note un laxisme à leur niveau, qu’il faut corriger. Il faut aussi qu’ils apprennent à connaître les capacités réelles du Burkina Faso.
A ce niveau, les gens sont sous informés. Le pays est extrêmement pauvre, les étudiants doivent le savoir. Et on ne peut pas faire tout ce qu’on rêve de faire avec les ressources nationales. Les étudiants doivent s’informer sur les capacités réelles des ressources publiques avant de poser certaines revendications. Sinon il est légitime de revendiquer, manifester. Cela fait partie des droits individuels et collectifs. Mais ils doivent savoir se donner des limites quand ils sont conscients que leur requête est exagérée et qu’ils doivent arrêter leurs actions.

S. : Un intellectuel digne de ce nom doit-il refuser à des étudiants le droit de manifester ou de contester ?

S. T. B. : Je ne pense pas qu’on ait déjà refusé le droit de manifester à des étudiants. Il arrive qu’on refuse un programme d’activités pour des raisons toujours justifiées. Si vous êtes président d’Université, votre souci c’est que la démocratie fonctionne et que le dialogue soit permanent. Mais si dans le dialogue les règles du jeu ne sont pas respectées, le président peut estimer (ça fait partie de ses attributions) que cela peut porter atteinte soit à la sécurité d’ensemble de son institution, soit à la remise en cause de certains acquis majeurs pour la stabilité. Et alors il est en mesure de prendre la décision qui s’impose.

S. : Qu’est-ce qui bloque le développement d’une véritable opposition politique au Burkina Faso ?

S. T. B. : Beaucoup de facteurs bloquent l’émergence d’une opposition forte. D’abord, la surpuissance du parti majoritaire qui a occupé pratiquement tous les espaces de vie dans le pays. Puisqu’en dehors du CDP, il n’y a point de salut. Il ne reste plus que des interstices pour l’opposition sur le plan spatial. Ensuite, on note le manque de moyens.
Lorsque vous êtes dans l’opposition, vous n’avez pas de ressources suffisantes pour mener vos activités. En outre, il y a la monétarisation des rapports sociaux. Aujourd’hui même pour former quelqu’un et renforcer ses capacités, il vous demande de le payer. Les militants également s’attendent à recevoir quelque chose pendant les rencontres. Et si vous n’avez pas dans votre parti grand-chose à leur proposer, ça vous pose des problèmes. Une autre raison, c’est la peur de ne pas avoir de poste administratif parce que si vous êtes à l’opposition, il y aura des gens qui, au lieu de vous apprécier sur le plan technique, vous apprécieront en fonction de votre engagement politique. Ils diront : “Il y a tel poste. Il fait l’affaire mais il n’est pas avec nous”. Et ce sont des propos qu’on entend souvent. Donc on vous dit que vous n’allez pas l’avoir. Tout cela explique que l’opposition ait des difficultés pour s’imposer sur le terrain et entretenir ses militants.

S. : Quel parti de l’opposition peut actuellement prétendre au poste de chef de file de l’opposition ?

S. T. B. : A mon avis, aucun parti ne peut prétendre à ce poste. Parce qu’aucun n’est franchement reconnu en tant que tel par toute l’opposition. Et c’est ça le problème. Donc aucun parti ne peut être considéré comme leader de l’opposition.

S. : Si vous dites cela, Me Bénéwendé Sankara risque de se fâcher parce qu’il déclare ouvertement qu’il est de l’opposition.

S. T. B. : Me Bénéwendé Sankara est carrément à l’opposition mais se pose le problème de sa reconnaissance de la part de ceux qui se réclament de l’opposition comme étant vraiment de l’opposition. Lui, il est à l’opposition mais cela ne suffit pas. Il faut qu’il soit reconnu par les acteurs de l’opposition comme étant un des leurs. Ce qui fait qu’il n’est pas franchement à l’opposition pour les uns et pour les autres. Me Bénéwendé Sankara n’est franchement à l’opposition que par rapport à ceux qui gouvernent. Mais auprès de ceux qui se réclament de l’opposition, sa position est assez controversée. Cette situation pose encore un autre problème des oppositions africaines, à savoir l’existence des dissensions permanentes, une confusion entre contradiction principale et contradiction secondaire.

S. : Est-ce qu’avec l’opposition actuelle, l’alternance est possible ?

S. T. B. : Une alternance est toujours possible dans la vie des hommes. Et c’est une question de circonstances. Mais au regard du statu quo actuel, la réponse est non. Mais la vie est une dynamique. Il peut arriver qu’il y ait une alternance mais ça dépend des circonstances.

S. : Vous avez parlé tantôt d’un manque de dynamisme de l’opposition au Burkina Faso. Quel peut être à votre avis, le remède à cette situation ?

S. T. B. : Non, je suis trop petit pour avoir un remède à cette grande opposition. C’est sûr que je n’en ai pas. Sinon l’opposition existe mais c’est une question de rapport de forces. Si cette opposition existe de manière informelle, périphérique, inorganisée, non structurée, non fédérée, évidemment elle a une existence relativement lâche, flasque. La solution à cette situation est que les opposants fassent preuve de maturité et qu’ils acceptent de reconnaître et soutenir un leader d’opposition pour incarner leur aspiration légitime à gouverner.
Aussi que ce dernier soit plus ouvert pour intégrer les rêves, les sensibilités des uns et des autres pour qu’ensemble ils puissent progresser. Mais s’ils ne peuvent pas créer une unité d’action, il n’y aura pas d’opposition structurée qui puisse secouer suffisamment le pouvoir établi.

S. : Pendant qu’au CDP, un courant milite en faveur d’une refondation du parti, au plan national, des partis politiques appellent à une refondation de la vie politique. Cela signifie-t-il que la politique nationale est en panne ?

S. T. B. : Il est évident que la politique au Burkina est immobile. C’est comme du surplace. Il n’y a pas une évolution très dynamique à l’intérieur même du parti majoritaire qui gère le pays depuis plusieurs années. Tout simplement parce que les débats contradictoires ne sont pas très prisés dans notre système, si bien qu’il y a comme un consensus mou à l’intérieur du parti majoritaire mais qui cache mal des divergences intellectuelles, philosophiques et idéologiques, pour la gestion des différentes crises dans différents secteurs d’activités nationales. Evidemment, cela crée une sorte de malaise dans le système. Je pense que si nous voulons faire évoluer la vie politique, il faut sortir de cela. Les gens calculent un peu trop et ne veulent pas vraiment s’exprimer. A partir de ce moment-là, on ne peut faire que du surplace.

S. : Etes-vous pour ou contre les candidatures indépendantes ?

S. T. B. : Tout à fait pour. J’estime que n’importe qui peut être candidat s’il le souhaite en tant que citoyen. Si le peuple n’a rien contre un candidat, ce dernier peut se présenter… Et je ne vois rien contre ce principe.

S. : Etes-vous également pour le quota des 30% que les femmes souhaitent obtenir dans certaines institutions de la république ?

S. T. B. : Vous savez, j’ai un faible pour la cause de la femme et je pense qu’il faut soutenir la théorie des quotas.

S. : De plus en plus, certains pensent que le président du Faso est beaucoup plus tourné vers l’extérieur. Quel est votre avis ?

S. T. B. : Il est difficile de dire cela. Mais ce qui est sûr, je trouve que le chef de l’Etat dirige le pays en se mettant au-dessus de la mêlée. Ce qui fait dire qu’il ne s’intéresse pas aux questions domestiques. Mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas. C’est une façon, si vous voulez, de prendre de la hauteur et de laisser les gens se dévorer, parfois se détruire. Et lui, paisiblement, lorsqu’il y a une sorte de dérive majeure à venir, il intervient, met le holà et reprend encore de l’altitude. C’est comme cela qu’il fonctionne. C’est peut-être une des façons qui permet à un dirigeant de rester serein au sommet de l’Etat. Sinon à force de vous mêler au quotidien des questions domestiques, vous finissez par laisser des plumes. Je trouve que c’est assez stratégique pour se maintenir durablement au pouvoir. C’est sûr qu’il y a des gens qui font cette critique-là. Mais ils en font une lecture au premier degré. Et le pouvoir ne se gère pas au premier degré. Il se gère au 2nd et au Burkina, au 3e degré.

S. : Le fait de prendre de l’altitude ne risque-t-il pas de lui faire perdre le Nord ?

S. T. B. : Espérons que non, parce que s’il perd le Nord, ce n’est pas bon pour le Burkina. S’il perd le sens des réalités, ce n’est pas bon non plus pour le Burkina. Il faut espérer qu’il ait des relais qui veillent à ce qu’il soit informé tout en étant perché au sommet de l’Etat.

S. : Le Burkina a abrité, il y a quelque temps, un atelier sur la dépénalisation des délits de presse. On sait que vous êtes de ceux qui ne soutiennent pas cette idée. Auriez-vous d’autres propositions ?

S. T. B. : Ce n’est pas que je suis contre la dépénalisation. Mais pour moi, c’est de savoir si nous sommes prêts, aujourd’hui, à aller à la dépénalisation. A mon avis, pour aller à la dépénalisation, il faut assainir le corps professionnel parce que si ce n’est pas fait, c’est même dangereux pour les journalistes. Lorsqu’on ne pourra plus les mettre en prison pour une faute quelconque, ce qui peut leur arriver, est peut-être pire que la prison. Et comme le disait, je crois, Moussa Kaka, “Je préfère être en prison plutôt que d’être ailleurs”. Je crois que les journalistes oublient cela. Lorsque la victime supposée ne peut pas vous mettre en prison, en attendant, je puis vous assurer qu’il y a un autre risque que vous pouvez courir. Donc il faut faire attention.

Pour y aller, il faut préparer le corps professionnel à mériter la dépénalisation. Il faut éviter les effets de mode parce que les contextes diffèrent en fonction des pays. Nous sommes dans un contexte culturel qui est assez différent. Et si les esprits ne sont pas préparés, j’ai bien peur qu’on règle les comptes aux journalistes autrement. Dans certains pays, ça commence à être extrêmement difficile pour les journalistes en Afrique. La dépénalisation est bien mais, à mon avis, il faut assainir le corps professionnel avant d’y aller. La deuxième condition à remplir, est qu’il faut former les magistrats à la dépénalisation. Ceux-ci en fait, ne savent pas ce que c’est que la dépénalisation. Ils ne connaissent souvent que la lettre du droit. Ce qu’on leur demande en la matière, c’est d’en connaître l’esprit. Il faudra donc les former à l’esprit de la dépénalisation parce que s’ils ne s’apprropient pas l’esprit, ils vont seulement dire le droit à la lettre et ça peut être encore malheureux.

S. : Vous avez parlé de la préparation des journalistes. De quoi s’agit-il concrètement ?

S. T. B. : Il faut d’abord tamiser. C’est - à - dire qu’il faut acheter un grand tamis et vous faites passer tout le monde dans ce tamis. Et ceux qui ne passeront pas, ne bénéficieront pas de la dépénalisation. Cela se fera en fonction des critères que vous vous aurez fixés. Si vous jugez que celui qui fait des reportages sur les ouvertures et clôtures de séminaires est un journaliste, alors vous lui accordez la dépénalisation.

S. : L’assainissement dont vous faites allusion est-elle posible, dans un environnement où, certains jouissent de la protection de certains lobbies ?

S. T. B. : Si vous ne pouvez pas faire l’assainissement, qui le fera pour vous ? C’est vous qui pouvez le faire sinon personne ne viendra assainir le corps pour vous. Il sera un dictateur. Or on n’en a pas besoin. Donc il faut que vous preniez vos responsabilités pour définir ce que vous voulez faire de votre corps professionnel. Par exemple, l’autorégulation ne marche pas au Burkina pour la simple raison que les gens ne veulent pas prendre leurs responsabilités. Il faut que vous édictiez vous - mêmes les critères souverains qui permettent à quelqu’un de devenir journaliste. Et il faut les respecter. Sinon vous allez donner le bénéfice de la dépénalisation à n’importe qui, qui du jour au lendemain, arrive dans la presse et dit qu’il est journaliste.

Il écrit ce qu’il veut. On ne peut pas l’envoyer en prison parce qu’il est journaliste. Et ça sera mal compris par l’opinion. Si vous ne préparez pas l’opinion à cela, elle ne vous suivra pas. Déjà, il y a des intellectuels qui pensent que vous demandez un statut de citoyen particulier devant la loi. Alors que ce n’est pas le cas. Ils ne comprennent pas la dépénalisation. En fait, on dépénalise parce qu’on ne met pas une pensée en prison. C’est pourquoi, il faut vraiment la dépénalisation. C’est parce qu’on ne met pas la démocratie en cage qu’il faut la dépénalisation. Et les gens doivent savoir ce que cela veut dire. C’est important de faire comprendre ce que c’est que la dépénalisation à tous les acteurs de la société avant d’y aller.

S. : Moussa Kaka du Nigervient d’être momentanément libéré au Niger. Quelle lecture faites-vous de ce dossier qui a tant défrayé la chronique ?

S. T. B. : Aux yeux des Nigériens, il y avait un consensus assez important autour de la décision prise par Tandja de l’enfermer. Neuf nigériens sur dix que vous rencontriez étaient d’accord que Kaka avait outrepassé son rôle de journaliste. Je n’en sais rien, je ne suis pas Nigérien , ni très avisé des « en dessous » probables. Mais Moussa Kaka est un journaliste et je suis solidaire de tous les journalistes. Lorsqu’on envoie un journaliste en prison, je suis toujours révolté parce que je préfère qu’il soit en liberté et qu’on discute avec lui pour savoir les raisons pour lesquelles il a pu faire ce qu’il a fait. Avait-il d’autres motivations ? Il semble qu’il y avait des charges assez sérieuses contre Moussa Kaka. Je n’en sais rien, je ne suis pas sur le terrain des opérations. Mais je me réjouis qu’il soit aujourd’hui en liberté. J’espère que cela ne cache pas d’autres enjeux de politique intérieure et qu’il pourra exercer librement son métier de journaliste.

S. : Le Sénégal, longtemps présenté comme le pays de la liberté de la presse, a aujourd’hui, un autre visage. Seraient-ce les journalistes sénégalais qui sont devenus peu professionnels ou le pouvoir en place qui veut par tous les moyens, museler la presse ?

S. T. B. : Une analyse sereine de la situation au Sénégal montre qu’il y a une préoccupation majeure. Quand on est défenseur de la liberté de la presse, on ne peut qu’être inquiet de ce qui se passe au Sénégal. On ne reconnaît plus ce pays. Le président Wade a toujours été perçu comme un grand militant de la liberté. On est étonné de voir aujourd’hui qu’il a des réactions un peu trop épidermiques face aux assauts de la presse. Mais il faudrait qu’il garde sa sérénité parce que si vous attaquez un journaliste vous finissez par nuire à vos propres intérêts. Et je trouve que depuis, l’image du Sénégal est un peu ecornée par ces agissements contre les journalistes. Cela dit, ces derniers ne sont pas si blancs que ça parce qu’il leur arrive précipitamment de publier des informations dont la vérification pose problème. Et il faudrait que les journalistes comprennent que ce n’est pas ce qui semble vrai qui doit être forcément publié ou diffusé.

Il faut prendre le temps de la confrontation des sources, de voir si c’est vérifiable et aussi de se poser la question de savoir si l’information ne nuit pas la réputation et à la dignité de la personne avant de le faire. Il y a quand même un certain nombre de textes qui protègent les citoyens contre le pouvoir de la presse. Vous n’avez pas, par exemple, le droit de faire des articles sur la libido d’un homme politique tant que cette libido ne perturbe pas la gestion de l’intérêt général. Il faudrait donc savoir se donner des limites par rapport à ces questions-là. Bien souvent on prête des intentions à des chefs d’Etat sur des problèmes de succession. Vous n’avez pas les preuves de la succession. Et si vous êtes affirmatif dans vos écrits vous risquez de vous retrouver en porte - à - faux avec la loi.

S. : Annoncée pour le 30 novembre 2008, l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire est en passe d’être reportée. Etes-vous d’accord avec le Premier ministre ivoirien qu’il ne faut plus faire la guerre autour des dates ou est-ce que la volonté des Ivoiriens de sortir de la crise n’est pas aussi manifeste que cela ?

S. T. B. : Pour sortir de cette crise, il va falloir encore un peu de temps. J’étais à Abidjan il n’y a pas longtemps. Et je dois vous dire que les esprits sont toujours très interrogatifs sur la sortie de crise. Je pense qu’il va falloir encore attendre un peu. On a proclamé trop vite des victoires qui ne sont pas encore programmées. Il faut encore attendre parce que les esprits sont toujours méfiants. Sur cette base-là, il est difficile d’organiser sereinement des élections. Je pense que ce sera beaucoup plutôt en 2009, voire 2010.

S. : Etes-vous pour ou contre un mandat d’arrêt international contre le président soudanais pour son implication supposée ou réelle dans le génocide au Darfour ?

S. T. B. : Je vous dirai oui à condition que la même règle soit appliquée à tous les chefs d’Etat, partout où ils se trouvent, qui seraient coupables de tels agissements. Si uniquement pour le Darfour, on doit faire table rase sur d’autres chefs d’Etat, pour des raisons de géopolitique, je ne suis pas tout à fait d’accord. Ça devient une injustice. Et cela ne permet pas de résoudre la question

S. : Par rapport à la Côte d’Ivoire, quelles appréciations faites-vous des propos de la première dame qui souhaite qu’on revisite les accords de Ouagadougou ? Et plus généralement, pensez-vous qu’il y a des risques de rechute dans ce pays ?

S. T. B. : Le risque de rechute est toujours permanent. La paix, quel que soit le pays dans lequel on se retrouve, n’est jamais acquise définitivement et éternellement. Donc il faut travailler à la sauvegarder.
Quand au point de vue de Simone Gbagbo, je trouve que les gens ont un peu exagéré. Elle s’est exprimée en tant que citoyenne. Elle est une intellectuelle. Mme Gbagbo a donné son point de vue d’intellectuelle tout simplement en disant que l’applicabilité des accords de Ouagadougou poserait d’énormes problèmes. Elle a seulement relevé que cela nécessiterait beaucoup d’argent et que la Côte d’Ivoire ne serait pas à même de supporter les charges. Je n’en sais rien mais c’est un simple point de vue qui ne remet pas en cause le processus, ni les accords de Ouagadougou. Il est vrai que la paix a un coût mais il faut que celui-ci soit supportable. Je n’en sais rien puisque je ne suis pas dans les caisses de l’Etat ivoirien. Je crois qu’il ne faut pas exagérer la portée de son point de vue.

C’est juste le point de vue d’une intellectuelle. C’est ça aussi le problème avec les intellectuels. Ils ne sont jamais d’accord à 100%. Et c’est ce qui fait le charme de la vie intellectuelle. Ce qui fait que les pouvoirs africains n’aiment pas beaucoup les intellectuels. Alors pour être intellectuel en politique, ce n’est pas facile sous les tropiques. Ou bien vous le mettez en poche et vous suivez par conformisme ou bien vous gardez la vitalité intellectuelle et on dit que vous n’êtes pas engagé, que vous êtes difficile. Pour Simone Gbagbo, je crois que c’est le point de vue d’une intellectuelle, d’une citoyenne et d’une militante politique qu’elle a donné. Je me méfie des unanimismes totaux. Ils sont toujours suspects et ne sont jamais un bon signe. Je crois que c’est bien qu’elle ait donné son point de vue mais ce n’est pas pour autant qu’elle soit contre les accords de Ouagadougou. Je ne pense pas.

S. : Une femme occupe désormais le fauteuil du Premier ministre en Israël. Ce changement peut-il représenter un espoir pour la paix entre Arabes et Juifs ?

S. T. B. : Le sexe du Premier ministre ne peut pas modifier les choses. C’est une femme, n’oubliez pas, qui a un passé assez conséquent. Elle a été un agent de renseignements. Aussi, elle a toutes les ficelles dans ses mains si elle trouve une coalition au parlement. En Israël, il existe une politique nationale. Et le parti qui dirige ce pays se doit de la respecter. Ce qui n’est pas le cas dans les pays africains où il y a rarement de politique nationale mais des politiques gouvernementales. Chaque président qui vient au pouvoir crée son organigramme et décide de qui fait quoi et s’en va.
En Israël, il existe une politique nationale qui définit ce qu’on ne peut pas faire et ce qu’on doit absolument faire. Donc rassurez-vous, il n’y aura pas de changements majeurs.

S. : L’actualité en Chine est dominée par l’intoxication de centaines de milliers de bébés par du lait contaminé à la mélamine. N’est-ce pas là une caution à ceux qui se sont toujours méfiés des produits chinois ?

S. T. B. : Il y a une amplification délibérée de cette affaire de la part de l’Occident pour nuire aux intérêts de la Chine dans le monde. C’est un combat économique qui est engagé. Il y a eu sans doute de la mélamine. Mais là, on amplifie la teneur, la quantité et l’espace géographique concerné par ces produits. Mais c’est une campagne qui ne va pas tenir longtemps tout simplement parce que les Chinois ont plus d’une corde dans leur arc. Vous verrez que la situation va se rétablir rapidement. La Chine est partie pour dominer le monde et personne ne peut arrêter son avancée. La Chine a les hommes et l’expérience qu’il faut. Vous savez ce qui fait plus la richesse d’un pays, c’est plutôt les logiciels que les gens ont dans leur tête contrairement à ce que les gens pensent. Il se trouve que les Chinois ont de bons logiciels dans la tête. Voyez par exemple des pays de l’Afrique centrale qui ont des richesses scandaleuses mais qui sont moins développés que le Burkina Faso qui utilise plus ses ressources humaines que ces pays. Ça veut dire qu’il n’y a pas de pays pauvre en tant que tel si on veut bien voir. Si vous utilisez vos logiciels, vous allez vous développer. Il y a des pays d’Asie et d’Europe qui n’ont pas d’argent, qui n’ont pas de matière première mais qui arrivent à s’en sortir.

S. : Est-ce que cette situation n’est pas liée à notre histoire ?

S. T. B. : Oui et non. Il y a quand même cinquante ans que les pays africains ont eu leur indépendance. On doit pouvoir se prendre en charge. Le nœud du problème est que nous voulons la facilité. Le prix à payer est élevé. Si nous ne voulions pas la facilité, des solutions existent en Afrique. Croyez-moi, nous avons les capacités mais le prix à payer est très élevé. Tant qu’on ne va pas payer le prix, il faut qu’on accepte la situation.

S. : Mais on a l’impression que selon la vision chinoise de l’économie, tous les moyens sont bons. Les Chinois ne reculent devant rien quand il s’agit de la contrefaçon par exemple.

S. T. B. : Mais les autres sont pires. Je ne les nomme pas parce que quand on dit de vilaines choses, il ne faut pas citer les gens. Tout ce qui se passe par exemple, en Irak est scandaleux. Cela ne se justifie pas. C’est plus que barbare et sauvage. Ce qui se passe en Afghanistan n’est pas soutenable. Donc imitation pour imitation, c’est une phase nécessaire. On ne réinvite pas la roue. Si nous pouvons fabriquer des voitures made in Burkina comme les Indiens l’ont fait, ce sera bien. Vous savez comment l’Inde s’est développée. Vous achetez un type de véhicule, genre Renault pour les bus. Arrivé en Inde, il est éventré. Lee pouvoirs publics confient aux professeurs d’université et au ministère de l’industrie et des technologies de fabriquer un véhicule de ce type. Ils en font des modèles qu’on va essayer. Et ça vous fait des bus Tata. Ça ne peut pas être comme les grandes marques mais avec le temps, on verra bien ce que cela va s’améliorer. Mais l’Inde est en train de s’imposer comme une autre puissance planétaire. Ce sont de bonnes guerres.

S. : En clair, les saints n’ont pas droit de cité dans ce bas monde ?

S. T. B. : Mais vous les trouvez où les saints ? Ils sont au ciel. Si vous voulez être saint, vous allez au ciel et vous libérez l’espace.

S. : La situation en Afghanistan, la crise financière. Est-ce que les catastrophes actuelles traduisent la fin de la civilisation occidentale ? La fin du siècle américain ?

S. T. B. : C’est sûr que ce sont des signes avant-coureurs de la fin de la civilisation occidentale. Le siècle américain n’est pas totalement terminé mais il agonise. Le siècle qui commence sera celui de l’Asie avec une nouvelle civilisation qui sera technologique. Déjà ce qu’on rencontre à travers le monde est largement fabriqué en Asie. Ils sont moins chers, disciplinés. Les salaires des cadres chinois les plus importants ne dépassent pas 50 000 F CFA. Mais ils vivent très bien. Les firmes multinationales, presque toutes, seront amenées à investir en Asie parce que les Asiatiques savent travailler avec une grande capacité d’imitation. Ça permet de dominer le monde en proposant des produits bon marché. Si vous allez aujourd’hui dans les grandes villes occidentales (Londres, Paris, Los Angeles, New York), vous trouverez que les Chinois sont nombreux dans le secteur économique. Ils sont propriétaires de grands immeubles. A l’heure actuelle, beaucoup de grands tailleurs sont Chinois et travaillent pour de grands couturiers.

S. : Depuis quelques années, le colonel Kadhafi fait la cour aux chefs d’Etat africains pour créer les Etats-Unis d’Afrique. Croyez-vous que l’aboutissement de cette idée peut résoudre les problèmes du continent africain ?

S. T. B. : Les Etats-Unis d’Afrique sont ce qu’il y a de mieux à faire. Mais on ne peut pas le faire à l’heure actuelle parce que lorsque vous avez des positions acquises et qu’on vous demande de renoncer à vos avantages, c’est difficile. Quand vous avez droit à la fanfare parce que vous représentez un Etat, et un jour, on vous dit que vous n’en avez plus droit, qu’on va vous transformer en gouverneur de région ou de province, ceux qui l’accepteront ne sont pas nombreux. Et c’est ce qui fait que certains ne veulent pas des Etats-Unis d’Afrique.

S. : Le président Thabo M’Beki a été éjecté du fauteuil présidentiel en Afrique du Sud. Qu’est-ce que cela peut avoir comme inconvénient ou avantage dans le processus démocratique de ce pays ?

S. T. B. : Je n’y vois pas d’inconvénients. Je trouve que c’est une expérience positive. Ma vision de la démocratie en Afrique paraît différente de ce qui se fait dans plusieurs pays. Je ne suis pas tellement pour l’élection des chefs d’Etat au suffrage universel direct en Afrique. Je n’ose pas dire que je suis pour un suffrage censitaire sinon on va tirer à boulets rouges sur moi. Mais je suis pour une élection au suffrage indirect. J’aurais préféré qu’on trouve une structure qualifiée pour désigner les chefs d’Etat africains. Le suffrage universel direct ne paraît pas être la meilleure façon d’accélérer notre processus démocratique. C’est trop beau pour être positif à ce stade de notre développement socio-économique et socioculturel.

C’est peut-être une vision élitiste qui m’expose à la critique énorme et facile. Mais la réalité est là. En Afrique du Sud, le président est désigné par le parlement. Et ce n’est pas mauvais. Il y a bien d’autres pays comme cela où le président est désigné par le parlement. Aux Etats-Unis par exemple, ce sont les grands électeurs
Mon point de vue ne veut pas signifier que le maire d’une commune rurale, par exemple, ne connaît pas ce qui est bien pour les habitants de sa commune. Mais je dis que le système qui permet d’élire les chefs d’Etat au suffrage universel direct contient une charge culturelle qu’il faut intégrer dans l’éducation citoyenne de la population. Les gens ne sont pas outillés pour cela. Ça ne fait pas partie de leur représentation du chef.

A partir de ce moment, il y a une confusion de système dans nos pays. Le système n’est pas seulement hybride, il est même noyé par la culture locale. Lorsque vos parlez d’alternance dans beaucoup de pays en Afrique, la question même paraît surannée. Au Gabon, on n’en parle pas. Et vous savez comme moi qu’on n’en parle pas parce que c’est à la limite sans objet puisque culturellement il n’y a pas de problème par rapport à la question. Mais figurez-vous que si c’étaient des assemblées qualifiées ou d’autres structures qui désignaient les chefs d’Etat, il allait falloir que ce dernier négocie plus étroitement avec ces électeurs pour passer à chaque fois. A mon avis, ça deviendrait plus sérieux. Mais ce n’est que le point de vue d’un pauvre citoyen faisant des élucubrations. Et je suis pour ce système.

S. : De quel bord politique êtes-vous ?

S. T. B. : Je n’ai pas de bord politique mais si je devais en avoir, je dirai que j’appartiens au parti du Burkina. Lorsque je regarde la manière dont les gens militent dans les partis, ça ne m’attire pas parce que ça devient des luttes de clans. Pour certains, ça devient du “moutonnisme” parce qu’il faut suivre sans critiquer. Ou alors, il faut faire des guerres de tranchées la nuit, il faut déstabiliser son propre ami, calomnier, etc. Je ne suis pas intéressé par ces genres d’exercices et je n’aurai pas assez de talents pour le faire. Je préfère être un citoyen qui suit de très près ce qui se fait sur le plan politique parce que je n’ai pas le choix. Je suis d’abord un intellectuel, quelqu’un qui est censé s’intéresser à la manière dont le pays est conduit, géré, organisé. Donc je m’y intéresse absolument. Je suis aussi un professeur d’actualité. Tout cela aidant, je ne peux que m’intéresser à la chose publique. Je suis engagé, c’est sûr, mais du côté du Burkina.

S. : On se rappelle que vous avez été ambassadeur sous le Front populaire. Cela ne signifie-t-il pas que vous étiez un militant du parti au pouvoir ?

S. T. B. : Je ne pense pas. La fonction d’ambassadeur n’est pas totalement politique comme les gens le pensent. Le poste fait partie de la haute administration du pays. Je ne suis pas sûr que les ambassadeurs accrédités au Burkina soient forcément des activistes politiques dans leurs pays. A ce poste, je ne crois pas que le chef de l’Etat nomme forcément celui qui prie à la même mosquée que lui. Il nomme quelqu’un qui, à un moment donné, selon lui, est capable de représenter les intérêts du pays. Si vous occupez cette fonction, vous ne représentez pas seulement ceux qui sont au pouvoir mais l’ensemble de la communauté burkinabè.

Cela dit, la nomination peut avoir un caractère politique mais elle peut avoir un caractère technique. Si un diplomate de carrière, devient conseiller des affaires étrangères, puis ministre plénipotentiaire, puis chef de mission diplomatique, c’est la carrière normale d’un diplomate. Le poste n’est pas forcément politique. En Europe, il y a des quotas. Près de 80% des postes d’ambassadeurs sont occupés par des diplomates de carrière. Et les autres 20% sont occupés par des éminentes personnalités que le pays peut désigner pour le représenter dans un autre. Si vous le voulez, le poste est politique, parce qu’on est au Burkina. Mais cela ne me prédestine pas à faire du militantisme dans un club politique. On peut servir honorablement son pays sans une casquette de parti politique.

S. : Au Burkina, on constate que le poste d’ambassadeur tend à être beaucoup plus politique que technique. On se rappelle que cela avait créé des remous au ministère des Affaires étrangères. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?

S. T. B. : Vous avez vous-même la réponse. Si au Burkina, l’usage est ainsi fait, que l’usage se fasse !

S. : Après Paris, on s’attendait à ce que vous poursuiviez une carrière de diplomate. Mais vous avez préféré vous lancer dans une carrière d’universitaire. Pourquoi avez-vous pris cette option ?

S. T. B. : Est-ce que je peux moi-même choisir de faire une carrière de diplomate ? Je ne suis pas un diplomate de carrière. Donc pour faire de la diplomatie, il faut que quelqu’un me désigne pour représenter le Burkina exceptionnellement dans cette fonction.

S. : Et si on vous faisait la proposition, accepteriez-vous d’y aller ?

S. T. B. : A l’heure actuelle, il y a beaucoup plus de serviteurs qu’avant. Ce n’est pas le même contexte. Au moment où il m’est arrivé d’être ministre, c’était vraiment à une période difficile. Pour certains, nous n’étions pas fréquentables. Des gens pensaient que nous étions indésirables et l’on ne se bousculait pas pour nous fréquenter. C’est pendant ce temps que j’ai pu assumer cette fonction. A l’époque, Il fallait rassurer les uns et les autres. Il fallait jouer au modérateur dans un contexte difficile. Ce n’était pas la langue de bois qui pouvait sauver la situation. Au contraire, il fallait concilier les intérêts divergents à Paris. Il fallait, avec beaucoup d’humilité, de modestie, parler à des gens qui étaient fortement remontés contre le système au Burkina. A l’époque, effectivement, ce n’était pas une partie de plaisir. Mais maintenant, Dieu merci, les choses se sont bien arrangées. Il y a beaucoup de serviteurs, ils sont un peu trop nombreux au point que votre question est sans objet.

S. : Tel que expliqué, peut-on conclure qu’il faut être d’une intelligence particulière pour occuper ce poste ?

S. T. B. : Je ne pense pas que ce soit un critère d’intelligence puisque ce n’est pas un concours national. Vous êtes nommé par le fait du prince. Si le président le veut, il fait de vous, d’un tour de main, notre ambassadeur dans un autre pays ami du Burkina. Il le fait en fonction de critères que lui seul définit. Je ne suis pas dans le secret de sa pensée. C’est lui seul qui apprécie de l’opportunité de faire appel à telle personne pour assumer des fonctions ministérielles à un moment donné. Ce qui est sûr, ce n’est pas un concours. Vous ne pourrez pas lier cela ni à l’intelligence, ni forcément au mérite absolu. Il y a toujours plus méritant que soi dans un pays. Il faut donc écarter cette hypothèse.

S. : Plusieurs personnalités du monde du journalisme ont été ou sont actuellement des ambassadeurs. Est-ce qu’il est facile de passer du journalisme à la diplomatie ? Est-ce que les journalistes que nous sommes pouvons espérer ce poste un jour ?

S. T. B. : Vous pouvez espérer occuper ce poste un jour. Vous savez, j’ai une conviction : on devient toujours ce qu’on veut devenir dans la vie mais, à condition de travailler pour ce faire. En général, ce que vous voulez devenir, Dieu vous le donne.

S. : Vous avez occupé de hautes fonctions sous la Révolution. Une vingtaine d’années après, quels souvenirs vous restent-il ?

S. T. B. : J’ai de bons souvenirs et aussi des souvenirs moins réjouissants. Quand j’étais directeur de la télévision, j’ai été séquestré par un certain nombre d’agents qui subodoraient que j’avais des tendances réactionnaires parce que je n’étais pas un militant très actif. Ils ont demandé que je sois destitué, séance tenante. Et ils ont fait venir ce jour-là, le secrétaire général des CDR, le capitaine Pierre Ouédraogo. Il a fait preuve de sérénité et de discernement. Il leur a demandé ce qu’ils me reprochaient. Ils ont dit que je n’étais pas un révolutionnaire militant. Donc le S.G a rendu compte au capitaine Thomas Sankara et le mercredi qui a suivi, j’ai été reconduit à mon poste. Cela, pour leur faire comprendre que l’excitation fébrile ne suffit pas à déterminer la décision du pouvoir d’Etat. C’est pour vous dire qu’en toute chose, il faut garder la sérénité.

Ce qui me fait plaisir c’est que l’histoire m’a quand même donné raison. Ces excités, qui me combattaient chaudement la nuit quand j’étais ministre, sont aujourd’hui devenus les thuriféraires du système en place. Aujourd’hui quand je les vois, ils m’inspirent quelques fois de la pitié parce qu’ils n’étaient pas mûrs et ils ont évolué dans une sorte de pauvreté d’esprit. Ça m’amuse un peu parce qu’ils n’arrivent pas à s’imposer outre mesure en dehors des cabales. Hormis ceux-ci, il y avait d’autres qui ne voulaient pas entendre parler de l’ouverture démocratique du système Compaoré Il fallait les rencontrer le soir à la maison pour les convaincre que le seul moyen de sortir de cette turbulence récurrente était de travailler à stabiliser la gouvernance sur des bases constitutionnelles et légitimes. Avec des textes fondamentaux.

Ce fut également le cas du code de l’information dont j’ai été l’initiateur et le rédacteur de la première mouture. Je croyais absolument qu’il fallait des textes et des lois pour gérer ce pays. Ces gars étaient foncièrement contre et pessimistes quant à la capacité du système innovant à tenir la route. Mais aujourd’hui, la plupart de ces gens sont devenus des ministres de Blaise Compaoré. Ils ne savent même plus où se trouve ma maison. J’ai travaillé pourtant à les défendre, à les faire accepter quand on les trouvait hostiles au processus et cela a parfois suscité des doutes à l’endroit de mes capacités de discernement politique. Tout simplement parce que je croyais en eux et savais qu’ils regorgeaient de talents et qu’ils pouvaient effectivement jouer des rôles bénéfiques. Le temps aidant, j’ai eu raison, même si ces personnes ne connaissent plus la situation géographique de ma maison.

S. : Dans son livre “Géopolitique du Burkina”, le Pr Jacques Barrât a affirmé que la Révolution n’a rien apporté au Burkina. Que pensez-vous de cela ?

S. T. B. : Je ne suis pas de cet avis et je déteste la langue de bois. Je ne suis pas sûr qu’il puisse séduire le président Blaise Compaoré avec un tel langage. Je pense que mon collègue, quoique professeur titulaire de géographie tropicale, se trompe de longitude et de latitude parce que le Burkina est un pays de savane où les gens, généralement, sont humbles et modestes. Mais cela ne signifie pas qu’ils sont incapables de discernement. Il se trouve que ce monsieur pense que l’Afrique est une zone bananière où il n’y a pas d’Etat, où personne ne compte dans le système étatique, où l’organisation institutionnelle est seulement de pure forme, où les échelons inférieurs se fondent comme du beurre à la vue de l’homme blanc. Il a cette attitude outrancière et insupportable qui tend à vouloir faire de nous des étrangers dans notre propre pays. Ces temps sont révolus. Il est vrai que nous dirigeons un institut ensemble mais s’il veut que ça marche, il faut qu’il sache que nous devons collaborer.

C’est-à-dire qu’il faut qu’il respecte le parallélisme des formes, qu’il instaure une communication symétrique entre nous.. Autrement, il ne collaborera pas avec moi. Il le fera avec quelqu’un d’autre. Et ça, je suis ferme là-dessus. Je ne peux pas comprendre qu’il ait des prétentions démesurées sur fond d’arrogance. Il m’impose ses étudiants de 3ème cycle pour donner des cours à mes propres doctorants. Je trouve cela inconvenant. Je ne peux pas l’accepter parce que nos étudiants sont de meilleur niveau et je sais de quoi je parle. Il y en a parmi eux qui soutiennent leurs thèses en 2008 et d’autres en 2009. Lui, ses étudiants ont commencé à faire leurs thèses en 2007 et il veut qu’ils viennent donner des cours de 3eme cycle. J’ai refusé que cela se fasse. De surcroît, lorsque nous avons créé l’IPERMIC, il a proposé qu’il y ait deux présidents d’honneur. Côté Burkina, le président d’honneur est le chef de l’Etat. Je conviens. Mais comme président d’honneur, côté français, il avait choisi Pierre Mesmer.

Ce dernier est décédé depuis fort longtemps. J’ai trouvé que ce parallélisme des formes ne me convenait pas. Ensuite, il a proposé comme président d’honneur côté français, un professeur que je respecte, Francis Balle. Sans doute éminent, mais il n’a pas le rang suffisant pour être coprésident d’honneur avec le Président du Faso. Je ne peux pas accepter cela. Autre élément, quand il vient à Ouagadougou, il a des exigences au-dessus de la moyenne.

Tous les professeurs d’université que nous invitons, qui sont de rang magistral, quand ils viennent, ils n’ont pas droit à des protocoles particuliers. Si je suis invité en France, en tant que professeur titulaire, avec tous les honneurs, j’ai droit à un hôtel deux étoiles. Mais quand il vient ici, il exige d’être logé au Silmandé, avec grosse Mercedes, chauffeur etc. Je lui ai dit que s’il veut collaborer, ce n’est pas de cette manière qu’on collabore. Il y a un problème à ce niveau qui doit être résolu par la hiérarchie du système universitaire. Je ne demande qu’à servir mais je ne peux pas être le garçon de course ou le porteur de mallette d’un professeur qui croit qu’il est encore au 19e siècle.

S. : Vous êtes une référence dans le journalisme. Mais rarement on vous a entendu vous prononcer sur les grandes questions du moment. Est-ce que ce n’est pas parce que vous êtes avare de vos avis que d’autres occupent le terrain ?

S. T. B. : Non, ce n’est pas cela. Je crois simplement que ce sont des gens qui ont des préjugés sur l’Afrique. Parce qu’il fait semblant de donner des compliments aux autorités alors qu’en réalité, il n’a aucune considération pour le Burkina. Il a tenté de faire un travail de mémoire. Mais ce travail, les Burkinabè le font. Seulement si vous voulez éditer un ouvrage, et si vous voulez qu’il soit diffusé, il faut l’éditer, pas forcément à Ouagadougou parce que les circuits de diffusion ne sont pas assez développés, mais en Europe.

Et cela demande de l’argent. La recherche est en panne parce qu’il n’y a pas d’argent. Personne ne finance la recherche. Les gens ont l’impression que c’est de l’argent gaspillé. Sinon à l’Université de Ouagadougou, nous avons d’éminents professeurs, d’éminents chercheurs qui sont respectés de par le monde. Rien que ma modeste personne, je ne peux pas passer un mois sans une invitation à l’extérieur. Je n’arrive pas à honorer toutes mes invitations. Mais ici, personne ne m’a jamais proposé une mission. Le problème est qu’on n’accorde pas beaucoup d’importance à la recherche. Sans doute parce qu’on n’a pas assez de ressources nationales, soit aussi parce que dans le partage du budget public, la recherche n’est pas un secteur prioritaire.

S. Entre vous et votre codirecteur, il semble exister de profonds malaises. Quel sera donc l’avenir de l’IPERMIC ?

S. T. B. : L’institut a de l’avenir. Il ne faut pas lier l’avenir de l’institut à cette parenthèse de collaboration. L’institut est créé et le Burkina a les moyens de le faire vivre. N’oubliez pas qu’avant la création de l’institut, il y a le département qui formait déjà jusqu’à la maîtrise. Et après, j’ai créé moi-même un laboratoire (CERAM) qui forme des étudiants de 3ème cycle. En réalité, l’institut est un montage institutionnel qui permettait de donner plus de visibilité, plus d’envergure à quelque chose qui existait déjà. Evidemment, mon codirecteur a promis de nous aider.
Mais depuis deux (2) ans, c’est le Burkina qui l’aide à supporter ses propres déplacements. Cela pose un problème. Il faudrait peut-être qu’il trouve un partenariat plus porteur. Si nous devons payer les billets d’avion pour lui, prendre en charge son séjour et celui de tous les 15 visiteurs qu’il nous propose par an, notre budget n’en sera pas capable. On n’a pas suffisamment de ressources pour le faire.

S. : Le CERAM et l’IPERMIC forment des étudiants de 3ème cycle. N’y a-t-il pas un doublon ?

S. T. B. : Non, il n’y a pas doublon. Quand vous voulez monter un 3eme cycle, il faut avoir un laboratoire. Si vous n’en avez pas, il n’y a pas de Doctorat. L’IPERMIC, si vous voulez, va faire des formations et le CERAM va servir de laboratoire qui va soutenir les formations doctorales au niveau de l’IPERMIC. Au contraire, ça peut marcher très bien.

S. : Cette année, l’Etat a recruté des journalistes de niveau Licence. Est-ce que vos étudiants n’ont pas été pénalisés du fait que vous ayez supprimé la Licence au département ?

S. T. B. : A mon avis, non. Il vaut mieux avoir plus que moins. Si vous avez la maîtrise et vous voulez travailler comme journaliste, c’est une bonne chose.

S. : Mais celui qui aura la maîtrise, pourra penser qu’il recule en postulant à un concours de niveau Licence ?

S. T. B. : S’il pense comme cela, ce n’est pas la peine qu’il devienne journaliste dans les conditions édictées au Burkina. Mais je crois que ça ne change rien. Si vous êtes journaliste avec le Baccalauréat, ce n’est pas la même chose que si vous l’êtes avec la Maîtrise ou avec la Licence. Il vous appartient sur le terrain de montrer la différence. Peut-être que vous aurez une ascension beaucoup plus rapide si vous travaillez. Au fait le diplôme est vivant. Si vous ne l’alimentez pas, il devient inférieur à ce qu’il prétend être et si vous l’alimentez, il devient supérieur à ce qu’il était.

S. : On assiste, ces derniers temps, au développement des établissements d’enseignement privé. Que pensez-vous de cela ?

S. T. B. : C’est bien qu’il y ait des initiatives privées dans tous les secteurs de l’activité nationale. Mais il faudrait un peu plus de rigueur. Sinon il y a des écoles qui vendent des diplômes. Il va falloir faire le point en vue de recenser le programme enseigné, les enseignants qui y interviennent. Si tout cela est bien réglé, calibré, je pense que c’est une bonne chose pour le développement de l’enseignement supérieur.

S. : Vous avez côtoyé le président Thomas Sankara, de son vivant, quel genre d’homme était-il ? Aussi entre la période révolutionnaire et celle actuelle, quelle est le changement intervenu dans la mentalité humaine ?

S. T. B. : Le changement dans le comportement des hommes est la course effrénée vers l’intérêt matériel. A l’heure actuelle, le nouveau dieu au Burkina s’appelle l’argent. On n’accordait pas aussi d’importance à l’argent. C’était simplement une composante de la vie. Mais maintenant, l’argent est érigé en dieu pour beaucoup de gens. Thomas Sankara était un homme très affable. Il était un homme agréable. C’était intéressant de travailler avec lui même si ce n’était pas toujours facile. C’était aussi un grand rêveur, un peu trop exalté pour un chef d’Etat.

Il était un peu trop excité. Sankara ne prenait pas suffisamment le temps d’écouter et d’intégrer ce qu’on lui dit parce que pour lui seuls son objectif et son idée comptaient. Ce qui faisait, qu’au fur et à mesure qu’on progressait, il s’isolait davantage au point qu’à un moment donné, c’était difficile pour lui de conserver sa position. Pour diriger les hommes, il faut savoir commander en combinant à la fois la vertu, les récompenses, la rigueur, la sanction. Mais Sankara ne savait pas doser. Il faisait un mélange des genres. Et avec le temps, c’était vraiment difficile pour lui. Autrement, Thom Sank était un homme passionné, travailleur, très ouvert, aimant discuter, débattre. Quand il n’était pas d’accord avec votre point de vue, il vous le disait. Il arrivait même des fois que le lendemain il vous rappelle pour continuer la discussion. De ce point de vue, c’était vraiment intéressant.

S. : Que dites-vous de ceux qui se réclament ses héritiers aujourd’hui ?

S. T. B. : S’ils se disent héritiers, nous ne pouvons pas les juger. Alors qu’ils portent bien cet héritage. C’est comme la religion, si vous vous réclamez d’une secte religieuse et que vous en êtes content, c’est tant mieux.

S. : Qui est le professeur Serge Théophile Balima ?

S. T. B. : Je suis enseignant à l’Université de Ouagadougou, naturellement très porté vers la recherche scientifique, et surtout aimant beaucoup mon domaine d’activité que constituent les sciences de l’information, les médias, etc. Je suis très passionné d’actualité et de culture générale. J’estime que tous les jours, je dois apprendre quelque chose si non je ne me sens pas bien.

S. : En dehors de votre, travail qu’est-ce qui vous passionne encore ?

S. T. B. : Je ne sais pas si je dois le dire mais j’ai un faible pour la table. J’aime bien manger et boire un bon vin.
A mes heures perdues, je milite pour certaines causes telles que les débats sur la démocratie. Je suis un militant du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) où nous menons des réflexions sur les systèmes politiques et les meilleures façons d’accompagner les processus électoraux, la bonne gouvernance en quelque sorte .

S. : Avez-vous des principes ?

S. T. B. : J’en ai beaucoup. Mon premier principe, c’est la crainte de Dieu. J’ai eu la chance d’avoir des parents exceptionnels qui m’ont éduqué dans la crainte de Dieu.
Ils m’ont aussi appris, une chose à savoir le culte du travail. Il faut toujours travailler. C’est dans mon sang, je travaille sans arrêt. Par exemple le dimanche est un jour de travail pour moi. Je le dis quitte à choquer certains religieux. Autre chose, j’ai horreur de l’indignité. Je n’aime pas “l’aplaventrisme”. Je préfère rester digne plutôt que de m’aplatir pour quelque raison que ce soit. C’est pourquoi je me mets à l’abri de tout. Je n’ai pas la force de supporter l’indignité.

S. : Quelles leçons tirez-vous de votre parcours de journaliste-reporter ?

S. T. B. : J’en ai tiré beaucoup. J’ai vu les hommes en étant simple reporter au bas de l’échelle. En ayant côtoyé les puissants du jour, j’ai connu des hommes, j’ai découvert les hommes. Avec cette bonne connaissance des hommes, j’arrive à savoir, même au niveau de mes étudiants le futur responsable ou le futur reconnaissant. Je n’ai pas le droit de le révéler, mais au moins je balise ma vie en fonction de cela.
Avec les hommes, je sais à quoi m’en tenir. Je ne prends pas ce qu’on me dit pour argent comptant. Ce sont les expériences de la vie qui me l’ont enseigné. Quand vous aurez mon âge (bientôt 60 ans) vous allez peut-être tirer les mêmes enseignements.

S. : Comment analysez-vous le parcours des Etalons dans les éliminatoires Can/Mondial 2010 ?

S. T. B. : Cette fois-ci, c’est assez bien parti. Ce n’est pas mal. Le Sénégal est déjà hors de la compétition. Nous, nous progressons.

S. : Le sport a-t-il sa place dans un pays comme le Burkina qui n’a pas beaucoup de moyens ?

S. T. B. : Au contraire, c’est parce qu’on nous n’avons pas beaucoup d’argent qu’il faut faire du sport. Notre richesse, c’est le logiciel humain. Et si nous voulons entretenir notre logiciel, il faut que le corps soit bien portant. Le sport est donc à encourager. Ça doit servir à nourrir les neurones, à avoir la santé mentale et intellectuelle pour faire des propositions concrètes afin de sortir de la pauvreté.

S. : A quelques mois du quarantième anniversaire du Fespaco, quel regard portez-vous sur le cinéma africain ?

S. T. B. : L’économie du cinéma est telle qu’il devient de plus en plus difficile pour le cinéma africain. On aime bien ce cinéma, mais il faut sortir des états d’âme. Les cinéastes africains doivent parvenir à faire du cinéma bon marché, destiné au public africain car si nous continuons de réciter le standard international, il nous sera difficile d’être compétitif.
Nous devons faire une mutation, pour aller vers les sitcoms, les feuilletons que les gens regardent ici avec beaucoup de plaisir dans les quartiers populaires.

S. : Le professeur Balima est-il croyant-pratiquant ?

S. T. B. : Je suis très croyant. Je crois en Dieu et je pense à lui au moins 7 fois par jour. Seulement vous ne me verrez pas dans les séances collectives ou à l’église fréquemment. Pour moi, la prière c’est la pensée, c’est le comportement. C’est-à-dire penser chaque fois à Dieu avant d’agir. Et là, vous priez Dieu parce que vous le craignez. Ça ne sert à rien de faire comme ces pharisiens au sortir de l’église, Dieu est partout.

S. : Etes-vous un intellectuel engagé pour une cause ?

S. T. B. : Oui, je suis engagé pour la liberté, la démocratie et militant du Centre pour la gouvernance démocratique.

S. : Qu’aimerez-vous qu’on retienne de vous ?

S. T. B. : Mitterrand a dit au soir de sa vie, lorsqu’on lui a demandé ce qu’il aimerait qu’on écrive comme épitaphe sur sa tombe, ceci : “Il a fait ce qu’il a pu”. C’est la même chose pour moi.

La rédation

Sidwaya

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