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Schisme à l’ANC : Une autre couleur pour une démocratie arc-en-ciel

Publié le mardi 4 novembre 2008 à 02h18min

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La suprématie de Luthuli House, siège du Congrès national africain (ANC), sur le palais sud-africain n’est plus à démontrer. Celui qui perd le contrôle de ce quasi-centenaire perd de facto la réalité du pouvoir dans la nation arc-en-ciel.

Ce qui pourrait se comprendre aisément, car depuis la fin de l’apartheid en juin 1991, qui a permis en 1994 les premières élections multiraciales, ce parti-Etat domine largement la vie politique du pays, avec 60 à 70% des voix aux différentes élections générales de 1994, de 1999 et de 2004.

Longtemps brimés par la minorité blanche à travers une politique ségrégationniste, les Noirs ont pris leur revanche sur l’histoire, en instituant de fait, il faut le dire, une démocratie raciale.

En perdant les rênes de ce maître absolu de l’Afrique du Sud le 18 décembre 2007 au terme d’un congrès orageux au profit du populiste Jacob Zuma, l’ex-président Thabo Mbeki savait que ses jours étaient comptés au palais, surtout que la lutte a été très acharnée et sans merci entre eux. C’est cette rivalité personnelle entre les deux hommes qui a conduit au départ forcé du successeur de Nelson Mandela en octobre dernier avant la fin de son mandat, prévue pour 2009.

Conséquence : les fidèles du déchu, parmi lesquels on compte une dizaine de ministres, comme le bouillant Mosiuoa Lekota, sont entrés en dissidence en promettant de restaurer les valeurs authentiques du parti, dévoyées, selon eux, par Zuma et ses sbires. De jour en jour, les deux camps se radicalisent et rivalisent de violence verbale au cours des rencontres organisées de part et d’autre.

Alors que les rebelles invitent Lekota à "sauver le pays de la tyrannie" ou "à reprendre l’ANC aux seigneurs de guerre", du côté des partisans du très populaire Zuma le Zoulou, on se dit "prêt à prendre les armes et à tuer" pour leur champion tout en mettant au goût du jour un chant de guerre en vogue au temps de la lutte armée : "Qu’on me donne mon fusil-mitrailleur".

Et la tentation de jouer sur la corde du tribalisme se révèle de plus en plus avec des slogans du genre "100% Zulu boy". "Scorpion" ; "Vipère" ; "Cheval à l’agonie"... Cette bestialisation, qui a cours dans la vie politique du pays le plus puissant pays du continent noir, fait craindre la traduction du discours belliqueux en faits, ce qui ternirait davantage l’image de cette nation, où la grande criminalité reste une équation à résoudre.

La faction dissidente semble vouloir aller jusqu’au bout de sa logique, elle qui a annoncé le 1er novembre, par la voix de Mbhazima Shilowa, la formation d’un nouveau parti afin de présenter des candidats aux élections de l’an prochain. Le nouveau parti sera lancé le 16 décembre.

"Nous n’avons pas seulement l’intention de tacler (l’ANC) nous avons l’intention de remporter les prochaines élections", a lancé cet allié de l’ex-président sous les applaudissements de milliers de délégués réunis à Johannesburg.

Pour l’ancien ministre de la Défense, Mosiuoa Lekota, le mal de l’ANC, c’est de s’ingérer dans les institutions de l’Etat et d’enrichir ses dirigeants tout comme les gouvernements blancs l’ont fait du temps de l’apartheid. C’est dire que désormais le schisme a eu lieu, pour répondre à notre question de la livraison du 10 octobre. On est bien curieux de savoir ce que pense l’icône de l’ANC, Nelson Mandela, de cette déchirure. De quel camp peut-il être ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le prix Nobel de la paix assiste impuissant aux divergences profondes au sein du patrimoine qu’il a légué avec une aura mythique aux jeunes générations. Ce patriarche, qui a fêté son 90e anniversaire le 12 juillet dernier, ne peut qu’être ulcéré, alors qu’il est déjà miné par la maladie, de voir la désunion de ses héritiers. Il aurait voulu se reposer dans l’au-delà sans vivre ce spectacle désolant. Mais, comme on le dit, celui qui vit longtemps verra tout.

Doit-on seulement se lamenter face à la désagrégation du monument ANC ? Loin s’en faut, parce qu’à quelque chose malheur est bon. Lorsqu’un parti écrase indéfiniment tout sur son passage dans un pays, il va sans dire qu’il limite le dynamisme de la vie politique, et la liberté d’opinion et d’action en prennent forcément un coup.

La nation arc-en-ciel, multiraciale, doit se ressentir à travers la multiplicité de ses courants de pensée. Dans ce sens, cette autre couleur politique qui se dessine ne peut que rendre l’arc sud-africain plus lumineux. C’est justement parce qu’il manque dans nos démocraties une contradiction politique forte et crédible que la corruption, l’impunité, la gabegie, en un mot la mal- gouvernance, sont le lot quotidien des Africains. Partis-Etats, vous vous servez de la démocratie contre elle, donc contre le peuple. Vous n’êtes plus de votre temps.

Abdou Karim Sawadogo

L’Observateur Paalga

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