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Ouaga-Accra : une relation qui s’impose. A cause de l’économie et malgré l’histoire !

Publié le mercredi 30 juin 2004 à 07h13min

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Sini Pierre Sanou
ambassadeur du Burkina
au Ghana

Il suffit d’ouvrir un atlas pour s’en convaincre. Le Burkina Faso est à califourchon sur le Ghana. Plus encore, Ouagadougou et Accra, les deux capitales, sont pratiquement sur le même méridien (qui est d’ailleurs celui de Greenwich).

Et c’est à l’est d’Accra que les fleuves Volta se jettent dans l’océan Atlantique après s’être rejoints dans le lac Volta. C’est dire que la relation entre les deux pays s’impose d’elle-même.

La colonisation en a décidé autrement. Et l’histoire, parfois, a empêché que les deux pays développent une coopération qui aurait été, sans nul doute, fructueuse. La persistance de la crise ivoirienne, les relations politiques difficiles entre Ouaga et Lomé, justifient une relance des relations économiques entre le Burkina Faso et le Ghana.

Des relations économiques qui sont soutenues par une action diplomatique d’autant plus déterminée que le chef de l’Etat ghanéen joue un rôle essentiel dans la solution de la crise ivoirienne. John Kufuor préside actuellement la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ce qui en fait un interlocuteur privilégié de son homologue Laurent Gbagbo.

Si les colonisations anglaise et française ont, par le passé, éloigné Ouaga d’Accra, c’est surtout l’affaire Sankara qui a été provoqué le pourrissement des relations entre les deux Etats et, surtout, les deux chefs d’Etat. Rappelons quelques faits. Mardi 27 octobre 1987. Jerry Rawlings, ex-capitaine d’aviation, est au pouvoir à la suite du
coup d’Etat du 31 décembre 1981. Sa révolution populiste est d’ores et déjà à bout de souffle, mais il règne encore, au Ghana, cette ambiance anti-impérialiste en vogue alors dans quelques pays d’Afrique noire.
C’est dire qu’il a vu d’un bon oeil, le 4 août 1983, la prise du pouvoir, à Ouagadougou, des jeunes officiers du Conseil national de la Révolution (CNR). Et d’un mauvais oeil, le 15 octobre 1987, la liquidation de Thomas Sankara par ses anciens partenaires.

Le mardi 27 octobre 1987, il est à l’aéroport international d’Accra. Il raccompagne son invité, l’ougandais Yoweri Museveni. Le corps diplomatique est au complet devant le salon d’honneur. Parmi les ambassadeurs présents, une jeune femme, Maïmouna Ouattara. Elle est la représentante du Burkina Faso à Accra. Rawlings va la faire appeler pour s’informer auprès d’elle (pour la première fois depuis la mort brutale de Sankara) sur les raisons politiques de cette exécution. Maïmouna Ouattara ne sait rien d’autre que ce que tout le monde sait. Pas grand chose.

Depuis la mort de Sankara, à Accra, les manifestations d’hommage à l’ancien leader burkinabè n’ont cessé de se multiplier (la place de la Rédemption, la plus célèbre d’Accra, a été rebaptisée Sankara Circle), ce qui indispose Ouaga. Le commandant Jean-Baptiste Lingani y était pourtant venu, une semaine après les événements, pour tenter d’expliquer les enjeux politiques auxquels son pays étaient confrontés. Rawlings ne l’avait pas reçu. Ni le numéro deux du régime, Kojo Tsikata.

Devant la tournure que prend l’évolution politique du Burkina Faso, Rawlings est déstabilisé. D’autant plus qu’il est toujours en mauvais termes avec son voisin togolais et que Gnassingbé Eyadéma a pris fait et cause pour Compaoré. Accra craint par dessus tout que le Burkina Faso rejoigne le clan des modérés, ce qui ne manquerait pas d’isoler, plus encore, la révolution ghanéenne. C’est sur cette incompréhension quasi mutuelle (Compaoré était à Accra quelques semaines avant la mort de Sankara et n’avait pas laissé paraître de quelconques difficultés) que vont se forger, pendant de longues années, les tensions politiques entre Ouaga et Accra.

Georges Minyila,
ambassadeur du Ghana
au Burkina

28 décembre 2000. John Agyekum Kufuor est élu président de la République. Il bat le candidat de Jerry John Rawlings. Premier pays d’Afrique noire à s’affranchir de la domination coloniale, en 1957, dirigé jusqu’en 1966 par un leader charismatique, N’Krumah, le Ghana avait été par le passé un modèle : niveau de vie et taux d’alphabétisation les plus élevés d’Afrique noire ; numéro un mondial du cacao, ayant mis en place un système original de production et de commercialisation ; producteur d’or, etc...

Les années Rawlings avaient fait sombrer l’économie. Son successeur veut gérer le pays comme "une grande entreprise".
Kufuor arrive au pouvoir alors que la situation, déjà, se détériore en Côte d’Ivoire, éternel rival par le passé. Et que les tensions ivoiriennes ne sont pas sans effets sur le développement du Burkina Faso. Seul pays anglophone d’Afrique de l’Ouest, le Ghana va se trouver ainsi confronté, sur deux de ses frontières, à des pays en difficultés politiques, économiques et sociales. Kufuor va donc s’investir totalement dans une solution négociée de la crise ivoirienne.

Pour Ouaga, la donne change. Rawlings parti, le contentieux politique entre les deux pays s’efface (il s’était amenuisé à la suite de la visite à Accra, du 17 au 19 août 1998, de Blaise Compaoré, la première après onze ans de brouille). D’autant plus que les burkinabè, eux aussi, regardent la carte de l’Afrique de l’Ouest. L’accession au pouvoir de Kufuor offre de nouvelles opportunités. Compaoré va rendre rapidement visite à son homologue ghanéen. Et, dans son sillage, les opérateurs économiques vont multiplier les accords.

Le port de Tema va ainsi remplacer celui d’Abidjan, la Chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat du Burkina Faso (CCIA-BF), le Conseil burkinabè des chargeurs (CBC), l’Organisation des transporteurs routiers du Burkina Faso (Otraf) s’installent à Accra. On discute d’amélioration des liaisons routières et on relance effectivement le projet de voie ferrée Ouaga-Kumassi (il existe déjà une liaison ferroviaire entre Kumassi et Accra) : les experts burkinabè étaient au Ghana en mai 2003, les experts ghanéens seront au Burkina Faso en mai 2004.

C’est dans ce contexte que le Burkina Faso vient de nommer un nouvel ambassadeur à Accra. Il s’agit de Sini Pierre Sanou. Il était depuis février 1996 attaché militaire et de l’air auprès de l’ambassade du Burkina Faso à Paris. Ancien élève du Prytanée militaire de Kadiogo (PMK) à Ouagadougou, bachelier en 1979, il va obtenir un Deug à l’université de Ouaga avant de suivre une formation d’officier à l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc.

Sous-lieutenant en 1983, il va prendre le commandement de la compagnie élèves au PMK à Ougadougou avant d’être nommé adjoint au commandant de l’Académie militaire Georges Namoano (AMGN) à Pô. Promu lieutenant en 1985, il va suivre les cours d’application infanterie des troupes aéroportées à l’EAI de Montpellier et à l’Etap de Pau. De retour au Burkina Faso, il sera nommé chef de corps du Groupement d’instruction des forces armées populaires (Gifap) à Bobo-Dioulasso puis directeur général de la Police nationale du Burkina Faso et, enfin, chef de corps de l’Ecole des cadres des forces armées (ECF A) à Kamboinsé.

Elevé au grade de capitaine, il va suivre les cours de perfectionnement des officiers subalternes à Fort-Benning aux Etats-Unis. Après son séjour outre-Atlantique, il va prendre le commandement de la 3ème région militaire et être nommé chef de corps du Régiment parachutiste commando (RPC) à Dédougou. Pendant cette période, il suivra les cours d’état-major à l’EEM Bortal Hayder de Tunis. Le 1er janvier 1995, il est promu commandant. Un an plus tard, en février 1996, il est nommé attaché militaire et de l’air près l’ambassade du Burkina Faso à Paris.

C’est à l’occasion de son séjour en France qu’il sera fait lieutenant-colonel (ler janvier 2000) puis colonel (ler avril 2004). Il mettra à profit ce passage dans la capitale française pour obtenir le diplôme du Centre d’études diplomatiques et stratégiques. Son projet de recherche est, on ne peut plus, dans l’air du temps puisqu’il porte sur "la problématique de la gestion des conflits armés en Afrique".

A Paris, disponible, ouvert, (très) informé, le colonel Sanou s’est montré, au sein de l’équipe de Filippe Savadogo, ambassadeur du Burkina Faso, tout à la fois, officier et diplomate. Cela a été, pour lui, une parfaite préparation au poste d’ambassadeur du Burkina Faso à Accra.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche diplomatique

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