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EDUCATION PRESCOLAIRE AU BURKINA : Chronique d’une pagaille annoncée

Publié le vendredi 24 octobre 2008 à 01h15min

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L’éducation préscolaire ne doit pas être au rabais. Tel est le souhait de Yacouba H.S. Ouédraogo qui, dans cette analyse, démontre en quoi il est important de revaloriser le niveau d’enseignement au Burkina.

"Décidément, dans ce pays, il est souvent utile d’adopter une attitude de fou pour aborder certaines questions de l’heure, ce d’autant plus que l’on ne vous prendra jamais au sérieux. On ira même jusqu’à vous excommunier de certaines réflexions très importantes. L’épineuse question de l’éducation titille toutes les lèvres aujourd’hui. L’éducation est la clé de voûte de toute société, dit-on. Mais, l’on est en droit de se demander si elle n’est pas devenue la "clé de doute" d’une société qui a mal à ses hommes. Cette période scolaire nous offre encore une fois l’occasion d’exprimer "notre folie" sur l’éducation en général et sur l’éducation préscolaire en particulier.

Nous nous étions exprimé dans le quotidien "Le Pays" N°3798 du mardi 30 janvier 2007 à travers la question suivante : "Education préscolaire : une priorité émoussée ?" Le vendredi 1er février 2008, nous revenions dans le même quotidien dans sa livraison N°4046 avec ce titre "Education préscolaire au Burkina : inquiétudes et suggestions d’un acteur". Les fous n’ayant pas d’égards, nous n’avions pas été entendus. Nous ne sommes même pas sûr d’être entendu, après la présente. Mais nous aurions accompli notre devoir citoyen : celui de nous exprimer sur la marche de la nation. L’éducation préscolaire est une partie d’un type d’éducation appelée éducation de la petite enfance. Cependant, l’éducation de la petite enfance ne signifie pas une petite éducation. Bien au contraire.

Selon l’article 2 du décret N°2007-789/PRES/PM/MASSN/MEF/MATD portant organisation de l’éducation de la petite enfance, "l’éducation ou l’encadrement de la petite enfance s’entend de l’ensemble des activités éducatives destinées à des enfants de zéro à six ans en vue de favoriser leur développement global et harmonieux, stimuler leurs potentialités affectives, intellectuelles, motrices, artistiques et leur apprentissage à la vie sociale". L’article 4 du même décret stipule que l’éducation de la petite enfance comprend l’éducation de la prime enfance (pour les enfants de zéro à trois ans en vue de leur socialisation) et l’éducation préscolaire qui est "l’ensemble des activités éducatives destinées aux jeunes enfants de trois à six ans en vue de développer leurs potentialités affectives, artistiques, intellectuelles et physiques et de les préparer à l’enseignement primaire".

Pour remonter dans le temps, c’est en 1958 que le premier établissement préscolaire a vu le jour à Bobo Dioulasso au profit des enfants de soldats. Les garderies populaires de la période révolutionnaire ont été créées dans le but de permettre aux femmes de se libérer et de vaquer à leurs occupations. L’esprit du décret du 28 novembre 2007 suscité respecte l’évolution de l’éducation préscolaire qui n’est plus exclusivement une garde d’enfants mais un cadre d’éducation confié à des professionnels hautement qualifiés même si le commun des Burkinabè est toujours dans un bourbier de conceptions péjoratives. Malgré les dispositions qui réglementent l’éducation préscolaire, quelle image présente-t-elle aujourd’hui ? Ne soyons pas hypocrites. L’image de ce type d’éducation est hideuse.

Ce n’est pas avec le sourire que nous constatons que seulement environ 1,50% des enfants de 3 à 6 ans fréquentent les structures préscolaires. Cependant, les recherches scientifiques dans le domaine ont prouvé que le cerveau de l’enfant atteint 90% de son poids définitif dans les six premières années. "Tout se joue avant six ans", a dit le psychologue. La communauté éducative internationale réunie à Jomtien en Thaïlande a adopté une déclaration et l’article 5 de cette déclaration dit que "l’apprentissage commence dès la naissance". Au regard de tout cela, quelle gloire le Burkina Faso peut-il tirer ? Plusieurs responsabilités se dégagent :

De la responsabilité de l’Etat

Se réfugiant derrière le slogan" dans un pays où tout est prioritaire", ce type d’éducation est seulement encouragé et non soutenu. Si on peut féliciter l’Etat de la qualité des ressources humaines qu’il met à la disposition des structures d’encadrement préscolaires publiques, sa passivité n’est cependant pas excusable dans le fonctionnement de ces structures. La gestion des centres d’éveil et d’éducation préscolaires/publics (ex-garderies populaires) est délicate. Les enfants de ces structures sont vraiment fragiles et les soins appropriés sont nécessaires. A titre d’exemple, dans les centres d’éducation préscolaire, un goûter accompagne quotidiennement les activités. Ce goûter demande de grands moyens. Il existe d’autres frais de fonctionnement non moins importants et tout cela donne des insomnies aux parents d’enfants pour qui (évidemment) la note de la scolarité devient salée. L’éducation préscolaire devient dans ce cas une affaire de classe sociale. On s’étonne ensuite du faible taux de préscolarisation.

Pour être un peu plus sérieux, il n’y a qu’à voir les centres d’éveil et d’éducation préscolaires publics pour se rendre à l’évidence de la précarité de la situation. Ils sont tout sauf des milieux d’enfants car un milieu d’enfants suppose attraction, splendeur, beauté, vie. Un petit constat et la réalité vous contraint à l’indignité. Nous avons cependant accueilli avec joie la nouvelle du projet d’érection de cinq cents (500) centres d’éveil et d’éducation préscolaires d’ici à 2012. Nous craignons cependant que l’objectif d’atteindre 10% de taux de préscolarisation ne soit qu’une utopie au regard de la politique éducative actuelle. L’Etat ne peut pas tout faire, c’est vrai, mais nous pensons qu’il y a un minimum à ne pas occulter.

De la responsabilité de certains acteurs

A ce niveau aussi, l’Etat manque de rigueur. Nous voulons parler des structures d’encadrement privées qui poussent comme des champignons à travers le pays. Il est plus facile actuellement d’ouvrir une structure d’éducation préscolaire que d’avoir une boutique dans un marché. Il faudrait qu’on s’entende. Nous ne parlons pas des structures privées qui ont le souci de l’éducation et qui exercent convenablement dans ce domaine. Nous faisons cas de ces brebis galeuses pour qui, l’éducation des tout-petits est une courte échelle à l’enrichissement. Peu importe. Des maisons d’habitation deviennent subitement des structures d’encadrement. Des vendeuses d’eau deviennent du jour au lendemain des éducatrices. Thomas Sankara disait ceci : "On ne peut parler de rentrée scolaire sans se poser la question de savoir qui rentre, où il rentre, pourquoi il rentre et quel type d’homme en sortira-t-il ?" Combien de promoteurs de ce domaine peuvent s’interroger sur le type d’homme à former.

La plupart ignorant intrinsèquement et notoirement la valeur éducative tiennent le plus souvent des analyses révoltantes : "Ce ne sont que des enfants, on n’a pas besoin de grand-chose". C’est ainsi que beaucoup de criminels de l’éducation sont en train d’exploiter l’ignorance aussi de certains parents pour enfin conduire beaucoup d’enfants à l’abîme. Et là, personne n’en parle. L’impunité aussi, c’est cela. Et chaque année, ces cupides se la coulent douce et contrôlent allègrement leur compte en banque. Ceux qui trouveront ces observations assez aléatoires auront un réveil douloureux. Nous le verrons ensemble. C’est que certains risquent de voir en retard.

De la responsabilité des travailleurs sociaux

L’article 5 du décret N°2007-789/PRES/PM/MASSN/MEF/MATD portant organisation de l’éducation de la petite enfance stipule que "l’éducation de la petite enfance est placée sous la tutelle technique du ministère chargé de l’Action sociale". Mais force est de constater que certains travailleurs sociaux, soit qu’on a un ami ou un parent, agissent aux antipodes de l’esprit de leur serment et tolèrent souvent certains manquements dans l’éducation préscolaire. On érige le mur du silence devant certaines incohérences. Ce type de travailleurs sociaux est très dangereux et devrait revoir sa copie pour qu’enfin nous sauvions l’essentiel. Il est important de signaler au passage aux parents de faire souvent très attention à certaines pédagogies. Il est fréquent aujourd’hui de rencontrer des enfants de 4 ou 5 ans abordant déjà le cycle primaire.

L’éducation préscolaire est très différente de la scolarisation précoce. Nous défions quiconque d’en apporter la preuve contraire. On se réfugie souvent derrière de faux prétextes comme le fait de qualifier ces enfants "d’auditeurs libres". Un auditeur n’est jamais libre. Il est toujours transporté par le message qu’il reçoit. Certains parents aussi sont complices de cette situation. Ils se réjouissent que l’enfant anticipe et gravisse aussi rapidement des étapes. Voici un raisonnement assez plat que nous entendons souvent : "Si l’enfant va très tôt à l’école primaire, il aura au moins deux à trois ans pour redoubler et dans ce cas, il gagne".

Erreur ! Tenez ! Primo : l’enfant qui accède précocement au cycle primaire a eu la malchance d’escamoter certaines étapes de son développement normal. Tôt ou tard, ce préjudice va se ressentir et pèsera négativement sur lui. Secundo : l’enfant sur qui le discours imaginaire des parents a prévu des chances de redoublement, redoublera immanquablement et les années à lui réservées pour cela seront insuffisantes. Il appartient à chaque parent de tuer l’orgueil de voir son enfant atteindre de façon "prématurée" certaines étapes. Ce n’est pas que cet enfant soit plus intelligent que les autres. Il n’est que l’incarnation de l’orgueil de ses parents. Pour être clair, nous refusons souvent de suivre la nature.

Un parent n’acceptera jamais coudre des habits qui dépasseront la taille de son enfant. Faites-en l’expérience ! L’enfant aura de la peine à vivre. Jean Jacques Rousseau dans Emile ou De l’Education disait ceci : "La nature veut que les enfants soient enfants avant que d’être hommes. Si nous voulons pervertir cet ordre, nous produirons des fruits précoces qui n’auront ni maturité, ni saveur et ne tarderont pas à se corrompre. Nous aurons de jeunes docteurs et de vieux enfants. L’enfance a des manières de voir, de penser, de sentir qui lui sont propres, rien n’est moins sensé que d’y vouloir substituer les nôtres, et j’aimerais autant exiger qu’un enfant eut 5 pieds de haut que du jugement à 10 ans". Nous ne saurions marquer un terme à notre cri du cœur sur cette question aussi sensible que capitale sans quelques suggestions. C’est ainsi que nous souhaitons vivement :
- la construction de centres d’éveil et d’éducation préscolaires en quantité suffisante et de très bonne qualité ;
- une subvention, aussi petite soit-elle, aux centres d’éveil et d’éducation préscolaires publics ;
- une rigueur des structures privées. Pourquoi ne pas exiger que les promoteurs inscrivent leur nom sur les plaques d’indication ainsi que leur qualification à l’image des pharmaciens ? De toute façon, nous pouvons continuer de porter des œillères et de tricher dans ce domaine. Nos enfants que nous aurions à sacrifier grandiront dans ce "village planétaire" et auront à côtoyer d’autres. Les nôtres se rendront à l’évidence d’une chose, à savoir que leurs devanciers avaient démissionné et que leur souffrance n’est qu’une conséquence de cette démission."

Yacouba H.S. OUEDRAOGO Direction provinciale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Yatenga

Le Pays

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