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Crise financière : Comprendre les causes et prévoir les concéquences

Publié le mercredi 22 octobre 2008 à 01h00min

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Depuis un certain temps, on ne parle que de la crise financière avec ses conséquences désastreuses pour les sociétés cotées en bourse et les grandes banques internationales. Mais pour dire vrai, peu sont nos lecteurs qui comprennent les fondements de cette crise, ses causes et surtout leurs prévisibles conséquences. C’est ce que nous explique, à travers cette tribune, Taladidia Thiombiano, professeur émérite d’Economie à l’université de Ouagadougou.

Il y a quelques jours, le monde entier semblait être surpris de l’annonce d’une grave crise financière dont les conséquences pourraient être aussi désastreuses que celle de 1929.

En réalité, le processus couvait depuis fort longtemps et l’éclatement de la bulle ces jours-ci n’est que l’effet du trop plein de cette bulle. Il faut se rappeler que depuis deux décennies, le cours de la finance internationale n’est qu’une succession de crises dont les principales sont : 1987, krach boursier ; 1990, crise immobilière aux Etats-Unis, en Europe et au Japon ; 1994, crise obligataire américaine ; 1997-1998, crise financière internationale ; 2000-2002, krach internet ; 2007-2008, crise immobilière ; 2008-2009, crise financière et tendance vers une crise économie internationale.

Au regard de ces crises répétitives, on peut dire qu’il y avait des signes annonciateurs d’une crise mondiale beaucoup plus grave que celles précédentes. En dépit de tout, les politiques économiques ont continué à se fonder sur les théories néolibérales et monétaristes de Milton Friedman, prix Nobel d’Economie.

Les fondements de Friedman, outre qu’ils privilégient la monnaie comme dynamique économique, ils recommandent la non-intervention de l’Etat dans la régulation de la masse monétaire. C’est donc, le « laisser-faire, laisser-aller ». Tel est situé le contexte scientifique dans lequel a évolué le système financier international et de façon générale, l’économie mondiale depuis une trentaine d’années.

Dans cet article, nous examinerons : (1) les fondements de la crise, (2) les mesures d’urgence et leur efficacité, (3) les prolongements de la crise

1- Les fondements de la crise financière actuelle

La crise financière actuelle, que d’aucuns commencent à qualifier déjà de la plus grave depuis celle de 1929, est le résultat d’un processus cumulatif de facteurs.

1.1.Les causes théoriques

a) Pour l’économiste américain Milton Friedman, rien dans le système économique n’a autant d’importance que la quantité de monnaie. Partant de là, il estime que la régulation de la masse monétaire ne doit pas être abandonnée au jugement des autorités de l’institut central d’émission, comprenez par là, de la banque centrale – malgré toute leur bonne volonté, dit-il, ces personnages ne parviendront jamais à adapter exactement la masse monétaire aux nécessités du moment.

Il affirme que de cette façon, la masse monétaire s’adaptera au besoin d’augmentation des salaires, des stocks et prêts d’une part ; et d’autre part, la régularité de son augmentation permettra de maintenir l’économie dans la voie de la croissance. Tel est, en substance, ce que préconise le prix Nobel d’économie, bien écouté du Parti Républicain aux USA. On est en plein cœur d’un libéralisme guidé par les politiques monétaires avec la bénédiction du marché. L’Etat n’a aucun rôle à jouer.

b) La seconde cause qui découle bien entendu de la première est les subprimes ou les prêts immobiliers qui ont été accordés de façon inconsidérée aux Etats-Unis par les banques. Comment en est-on arrivé à la construction d’un système aussi incertain ou pour parler comme le Secrétaire au Trésor américain de « risque systémique ». Motivés par les profits, les organismes de crédits hypothécaires ont prêté à un secteur de la population déjà fortement endetté.

Il faut cependant retenir que les conditions de ces prêts à haut rendement (pour les banques) constituent une véritable arnaque comme le soulignent Millet D. et Toussaint D. (30 mars 2008). En fait, le taux est fixe et raisonnable au cours des deux premières années ; puis, augmente fortement ensuite. Par ailleurs, les institutions financières (prêteurs) affirmaient aux emprunteurs que le bien qu’ils achetaient, gagnerait rapidement de la valeur au regard de l’augmentation de son prix.

Le résultat, c’est que la bulle du secteur a fini par exploser en 2007, et les prix ont commencé à baisser. Attendu que le nombre d’incapacités de paiement s’est substantiellement accru, les institutions de crédits hypothécaires (1) se sont retrouvées dans des difficultés de remboursement de leurs dettes. Il faut rappeler que les deux principales banques en faillite au début de la crise ont une longue histoire. En effet, la Fannie Mae, créée en 1968, d’origine publique, avait pour objectif, lorsque la décision fut prise de la coter en bourse, de financer la guerre du Vietnam. En 1980, est créée la Freddie Mac qui est venue compléter le rôle de la première.

L’objectif de ces deux banques était d’assurer la transparence du marché immobilier en garantissant les prêts immobiliers ou en les rachetant aux banques. Ainsi que le rapporte le journal Le Monde Diplomatique, en 1990, les deux institutions détenaient 740 milliards de dollars de crédit.

Dans les prévisions, ce chiffre devait atteindre 1250 milliards de dollars en 1995 et dépasser 2000 milliards de dollars en 2005. A la veille de leur nationalisation récente, leur portefeuille était de 5 400 milliards de dollars soit 45% de l’encours total du crédit immobilier aux Etats-Unis.

Dans le même temps, les deux sociétés soutenaient 97% des titres adossés à des prêts hypothécaires. Avec le soutien d’Alain Greenspan, ancien directeur de la Réserve fédérale américaine (Fed) qui affirmait en 2004 qu’« une baisse sévère du marché immobilier était peu probable aux Etats-Unis… ». cet enthousiasme et ces déclarations ont soutenu l’investissement dans les actions et obligations des deux banques qui connurent un âge d’or sans précédent.

Mais cette croissance était déjà entachée de nombreuses irrégularités et fraudes qui ont conduit dans les années 2004-2006 à la condamnation de chacune d’elles à des amendes. En réalité, d’un rôle qui devait permettre au plus grand nombre d’américains d’avoir accès à la propriété immobilière, les deux géants ont plutôt cherché à maximiser les revenus de leurs actionnaires et principalement de leurs dirigeants. A titre d’exemple, rapporte Le Monde, le salaire de chacun des patrons de ces deux banques était de 70 millions de dollars par an.

Elles étaient devenues tellement puissantes qu’elles influaient sur les décisions du Congrès en matière réglementaire. C’est dans ce contexte que les deux banques ont accumulé les dettes, et les « marchés » constatèrent la « catastrophe » : d’où la crise. En effet, en 12 mois, les deux sociétés avaient accumulé des pertes de 14 milliards de dollars et dans le même temps leurs actions avaient perdu plus de 90% de leur valeur. Elles devaient rembourser une dette de 1600 milliards de dollars dont 230 milliards venaient à échéance fin septembre.

Les grandes banques, par souci de protection, ont refusé de leur octroyer de nouveaux crédits ou tout simplement ont préconisé le relèvement des taux d’intérêt. Il y a eu d’autres opérations plus complexes dans le même secteur immobilier qui ont fini par saper l’ensemble du système financier américain.

(1) Les prêts hypothécaires aux Etats-Unis remontent aux New Deal. Ce dernier, lui-même, était un programme de relance de l’économie après la crise de 1929.

C’est dans ce contexte que le Trésor américain est intervenu, début septembre, pour leur injecter 200 milliards de dollars. Ce fut les premières nationalisations qui ont fait dire au sénateur républicain du Kentucky, Jim Bunning, dans son interpellation du Secrétaire au Trésor, ceci : « Quand j’ai ouvert mon journal hier, j’ai cru que je m’étais réveillé en France. Mais non, il s’avère que le socialisme règne en maître en Amérique ».

c) La troisième cause est la hausse du prix du pétrole qui a renchéri les coûts de production des entreprises industrielles, entraînant une baisse de compétitivité ; l’augmentation des prix ; une baisse de la consommation des biens durables des ménages ; une « chute libre » de l’investissement résiduel et l’accumulation de stocks invendus par les entreprises. Toutes choses qui ont réduit la croissance économique du pays. Inexorablement, on s’est acheminé vers une réduction des emplois. On sait que depuis 2001, environ 30% de l’augmentation des emplois aux Etats-Unis est liée à l’immobilier (cf. AFP du 23/08/08 : les USA : l’ampleur du ralentissement immobilier commence à devenir inquiétante et également USA : le ralentissement immobilier risque de déteindre sur toute l’économie ; AFP du 24/08/08).

d) Le renforcement des oligopoles et monopoles au détriment de la concurrence.

e) La forte concentration mondiale des fortunes entre les mains d’une minorité.

f) Le développement de la spéculation financière qui a pris une ampleur sans précédent dans l’histoire du système capitaliste mondial, favorisé par un système libéral sans gouvernail.

1.2. Les causes militaro-financières

Dans son discours d’adieu du 17 janvier 1961, le président (et ancien général) Dwight Eisenhower avertit les américains que le lobby militaro-industriel pourrait faire planer un jour une menace sur la liberté et la démocratie. Il disait en substance : « La présence simultanée d’un énorme secteur militaire et d’une vaste industrie de l’armement est un fait nouveau dans notre histoire. Cette combinaison de facteurs a des répercussions d’ordre politique, économique et même spirituel, perceptibles dans chacune de nos villes, dans les chambres législatives de chacun des Etats qui constituent notre pays, dans chaque bureau de l’administration fédérale.

Certes, cette évolution répond à un besoin impérieux. Mais nous nous devons de comprendre ce qu’elle implique, car ses conséquences sont graves. Notre travail, nos ressources, nos moyens d’existence sont en jeu, et jusqu’à la structure même de notre société.

Dans les organes politiques, nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée, qu’il l’ait ou non consciemment cherchée. Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir : qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant.

Nous devons veiller à ne jamais laisser le poids de cette association de pouvoirs mettre en danger nos libertés ou nos procédures démocratiques. Nous devons nous garder contre le risque de considérer que tout va bien parce que c’est dans la nature même des choses.

Seul un ensemble uni de citoyens vigilants et conscients réussira à obtenir que l’immense machine industrielle et militaire qu’est notre secteur de la défense nationale s’ajuste sans grincement à nos méthodes et à nos objectifs pacifiques, pour que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble ».

- De façon concrète, cela s’est traduit au début de ce 21e siècle par un excès de financement des guerres contre le terrorisme (Irak, Afghanistan, etc.). Le déficit budgétaire des USA en 2003 était de 455 milliards de dollars. L’occupation de l’Irak coûte aux contribuables américains, 1 milliard de dollars par semaine. En extrapolant, nous avons 52 milliards de dollars par an, soit 260 milliards de dollars durant les cinq premières années de la guerre.

- A l’actif de ces lobbys militaro-financiers, il faut noter les boucliers antimissiles en Europe, et dont les experts en la matière s’accordent à reconnaître le coût très élevé de l’opération. Il en est résulté comme solde de tout compte, des conséquences désastreuses sur l’économie mondiale et le développement de dizaines de nations démunies de tout instrument de protection et de réplique.

2- Les mesures d’urgence et leurs efficacités

Il est aujourd’hui difficile de prévoir toute l’ampleur de cette crise financière sur l’ensemble du système économique international. Les mesures d’urgence actuelles semblent dans les premiers jours avoir redonné confiance aux marchés et aux agents économiques. Toutefois, on peut se poser la question : pour combien de temps ?

Quoi qu’il en soit, il est certain que ces mesures relatives aux rachats des titres des banques par l’Etat ou à la nationalisation de certaines institutions financières n’arrêteront pas les incertitudes ou les risques systémiques. Le problème fondamental étant qu’il s’agit d’une crise structurelle du système capitaliste et non comme les crises précédentes (dont nous en avons parlé) de crise conjoncturelle.

Dans la situation actuelle, seule une approche systémique ou multidimensionnelle permettra de comprendre les différents contours de ce problème. Pour ce faire, essayons de dégager les principales raisons des difficultés de la réussite de ces nationalisations précipitées :

2.1. Raisons des difficultés pour l’impact des mesures d’urgence

De nombreuses raisons expliquent l’inadaptation, voire l’inefficacité des mesures d’urgence actuelles. Parmi celles-ci, il y a :

a) L’injection de quantité de monnaie au système financier et la baisse probable des taux d’intérêts pour relancer la dynamique économique. De telles mesures peuvent accélérer les tensions inflationnistes déjà manifestes tout au long de l’année 2008 ;

b) les fluctuations assez fortes du prix du baril de pétrole et les incertitudes quant à l’évolution des cours peuvent faire échouer ce programme de renflouement des caisses. La conséquence sera l’augmentation des coûts de production ;

c) l’existence d’un fort taux de chômage dû aux chocs successifs précédents qui exclut de nombreux ménages de la consommation ;

d) l’inadaptation du système monétaire international actuel. C’est un système qui ne correspond plus aux réalités d’après guerre avec le leadership américain. Aujourd’hui, il y a de nouvelles puissances économiques : Japon, Chine, Inde, Russie, sans oublier l’Union européenne. Le dollar ne peut plus continuer à être la monnaie de réserve ou de paiement du monde ; e) le trop grand endettement des Etats-Unis vis-à-vis des pays comme la Chine, et de façon générale, du reste du monde ;

f) les incertitudes à court terme du candidat qui sera élu comme président des USA. Etant entendu que si c’est le républicain McCain qui arrive au pouvoir, il poursuivra la même politique militaro-financière de son prédécesseur. Dans tous les cas, la situation présente ne projette pas des thérapeutiques capables de lever les inquiétudes au niveau mondial. Depuis des années, le système néolibéral est à bout de souffle et les remèdes actuels ne sont que des palliatifs qui ne peuvent pas guérir le mal.

2.2. Evolution de la situation aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, 84 sociétés de crédits hypothécaires ont fait faillite ou cessé leur activité entre janvier et le 17 août 2007, contre seulement 17 sur toute l’année 2006. La Carlyse Capital Corporation (CCC), très proche de la famille Bush, s’est effondrée et ses dettes représentent 32 fois ses fonds propres. Tous ces faits sont rapportés par le Journal « Le Grand Soir », journal militant d’information alternative.

Selon l’économiste en chef de Morgan Stanley, ce serait une « grave » erreur d’anticiper un taux de croissance mondiale de 4,8% pour les trois prochaines années. Poursuivant son analyse, il estime que le principal moteur de la croissance mondiale, les Etats-Unis, est au ralenti. Il note que le marché de l’emploi est en baisse de 35% au cours des quatre derniers mois par rapport à la moyenne depuis 2004.

Dans l’immobilier, la chute dans la construction a déjà englouti 1% de la croissance du PIB au cours des trois dernières années. Ces faillites en cascade et ce chômage vont avoir des répercussions sur le reste de l’économie internationale, car, en fait, la croissance mondiale n’était qu’un mirage en ce sens qu’au cours des quatre dernières années, elle n’a jamais été soutenue.

C’était le résultat de l’excès de cycle de liquidité, dû à des mesures d’urgence anti-inflationnistes prises par les grandes banques centrales du monde. Finalement, la croissance qui s’en est suivie a été le fait d’une domination de la demande de consommation des américains.

2.3. Les répercussions dans les autres pays développés et émergents

Pour comprendre l’ampleur de la crise actuelle sur le reste du monde, il faut savoir que l’économie mondiale reste fortement et de plus en plus dépendante des dépenses de consommation comme source de la demande finale. Dans la zone euro, le taux de croissance au départ estimé à 2,5% pourrait ne pas dépasser 1,5% sinon être négatif de l’ordre de 0,5%.

Les analystes pensent que l’économie japonaise, quelle que soit sa force, ne pourra combler le gouffre laissé par les Américains. Il est à penser que le taux de croissance du pays qui, au départ était envisagé comme positif, pourrait lui aussi connaître une croissance négative en 2008 et 2009.

Malgré l’optimisme qui règne à l’heure actuelle en Europe, la crise financière pourra avoir des conséquences plus désastreuses qu’aux Etats Unis et de façon plus prolongée, car il s’agit d’effets rampants (contagion lente mais certaine). Le Dow Jones a enregistré depuis 75 ans sa plus grande perte soit 18% durant la semaine du 6 au 12 octobre 2008.

Qu’adviendrait-il de la Chine et du Japon ?

Au cours des dix dernières années, le taux de croissance économique asiatique a été plus élevé que celui des USA, mais la part des exportations de la région vers les USA est restée identique. En d’autres termes, les économies de la zone asiatique sont devenues plus dépendantes de la demande des consommateurs américains. Donc, elles ne pourront parer à la crise, au contraire elles en seraient profondément affectées.

L’ampleur de cette dépendance est indiquée par les données des exportations. En 2005, 32% des exportations de marchandises de la Chine sont allées aux Etats-Unis ainsi que 23% de celles du Japon et 20% de celles des 10 pays de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). Selon Fabio lo Verso dans Le Courrier du 22 janvier 2008, www.lecourrier.ch.

« Pékin a uni son destin à Washington, en alignant le yuan au dollar. L’Etat communiste détient en outre dans ses réserves quelque 1200 milliards de dollars en forme de bons du Trésor américain. Il finance, de ce fait, la consommation américaine ». En un mot, les deux puissances forment une même zone économico-monétaire. Si l’un se noie, l’autre suivra.

De façon spécifique, il faut savoir que la Chine est engagée à hauteur de 395,9 milliards dans Fannie Mae et Feddie Mac, le Japon pour 228,2 milliards de dollars, la Russie, pour 75,3 milliards de dollars, la Corée du Sud, pour 63 milliards de dollars, Taïwan, pour 54,9 milliards de dollars, rapporte le Journal français « Le Monde Diplomatique » octobre 2008.

On comprend pourquoi la crise du « lundi noir 2008 » risque d’être plus grave que celle du « jeudi noir 1929 », compte tenu de ce qui est appelé depuis plus d’une décennie, la globalisation. Pour s’en convaincre, prenons quelques dépêches d’agence, notamment l’AFP. Selon cette Agence d’information, Général Motors envisage de vendre son siège de Détroit.

La Bank of America, qui est la première banque américaine, a vu la valeur de ses titres chuter de 26,23% ; le Nasdaq, à dominance technologique, a perdu 100,08 points dans la journée du 07/08/08. Cette crise n’a pas épargné les bourses du Moyen Orient, notamment l’Arabie Saoudite qui a clôturé avec une baisse de 7% et l’Egypte de 16,47% le même jour.

Les mesures de renflouement actuelles à coups de milliards de dollars ou d’euros seront-elles suffisantes pour ramener le système sur sa trajectoire de croissance de long terme ? La reprise actuelle des valeurs boursières ne suffit pas à être optimiste, car il s’agit d’un simple plan de secours pour éviter un naufrage collectif du système financier international. Il y aura des séquelles et c’est ce que nous allons examiner maintenant.

3- Les prolongements de la crise financière

Les incidences à moyen et long terme de cette crise financière seront à la fois d’ordre économique, social et politique. Nous examinerons les deux premiers seulement en laissant le soin aux politologues de tirer les conséquences politiques.

3.1. Incidences économiques

Au plan économique, les mesures actuelles ont eu pour conséquence d’éviter la propagation, le prolongement de la crise financière au marché boursier où sont cotés les titres des principales sociétés industrielles et technologiques. Ce qui donne un nouveau souffle pour différer les effets économiques. Mais, il faut se souvenir que le système économique lui-même est en crise depuis quelques années et la plupart des pays de l’OCDE revoient chaque année à la baisse les prévisions optimistes des taux de croissance du PIB. Cette année, ce taux se situerait aux environs de 1,2 à 1,4%.

Quoi qu’il soit, en théorie, et disons même en pratique, une crise financière est souvent suivie d’une crise économique. Cela est expliqué en partie par des motifs psychologiques et de précaution à la fois de la part des ménages pour la consommation et des entrepreneurs pour l’investissement.

Dans la situation présente, l’excès de liquidité sur le marché financier et la baisse probable des taux d’intérêts pour rendre le crédit plus facile en vue de relancer l’investissement et la consommation peuvent accélérer les tensions inflationnistes. Au plan fiscal, la plupart des pays ont des problèmes budgétaires et les mesures actuelles peuvent aggraver ces déficits.

Le contexte actuel favorise la propension aux monopoles, suite aux faillites de certaines sociétés et au rachat par celles qui ont pu résister à la tempête. Au plan du commerce international, il y aura probablement une baisse de la demande de matières premières. Une telle situation pourrait ruiner les plans de développement de nombreux pays africains déjà fortement dépendants de l’aide internationale.

Enfin, on pourra noter d’éventuelles baisses de taux horaire de salaire, ce qui serait en contradiction avec le souci de l’Etat d’amener les ménages à consommer plus à travers la baisse des taux d’intérêt.

3.2. Incidences sociales

La socialisation des pertes et la privatisation des profits par les lobbys militaro-industrialo-financiers montre à quel point les responsables politiques des pays développés se soucient très peu de l’avenir de leurs concitoyens. En effet, il résulterait des conséquences économiques précédentes, une baisse du niveau d’emploi, un fort taux de chômage (nombreux licenciements). Devant le souci de l’Etat de vouloir sauver de nombreuses sociétés financières et industrielles, il n’est pas exclu que des secteurs sociaux entiers soient abandonnés ou voient la part budgétaire qui leur était consacrée diminuer (santé, éducation, aide aux personnes démunies, etc.).

Déjà, la nationalisation de plusieurs banques avec des fonds publics constitue un coût pour la société et singulièrement pour les agents économiques les plus pauvres. A titre d’exemple, le renflouement de la banque franco-belge DIXIA coûte 100 euros par Français. L’injection de 360 milliards d’euros par la France sera un lourd fardeau pour les pauvres. C’est pourquoi certains ont pu dire qu’il s’agit pour le capital de « privatiser plus les profits et de socialiser les dettes ». Historiquement, on sait aussi que le capitalisme, c’est la guerre pour la conquête de plus d’espace pour son expansion.

Du fait de l’existence au pouvoir dans certains pays occidentaux de coalitions militaro-industrialo- financiers, il n’est pas exclu qu’il y ait des tendances guerrières comme en 1929, afin d’ouvrir de nouveaux marchés à leurs économies dans le but de refaire un nouveau partage du monde. Toutefois, ce scénario est réalisable, mais peu probable, car il peut conduire à la destruction du monde compte tenu des potentiels militaires en présence.

La plus grande probabilité, c’est des conflits localisés genre Irak, Afghanistan, etc. La relance de l’industrie de l’armement pourrait être une source de relance des économies en faillite. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que ces militaro-industriels élargissent le champ des « nouveaux Etats voyous » ou l’« axe du mal » (Iran, Venezuela, etc.) pour justifier leurs interventions.

Enfin, cette crise sera rejetée sur les immigrés qui verront leurs conditions de vie devenir plus précaires avec un accroissement du nombre de charters remplis d’Africains, à destination de leur pays.

Conclusion

Dans le contexte actuel, il y a deux problèmes : les mesures d’urgence qui sont celles prises à l’heure actuelle pour redonner une confiance aux épargnants afin qu’ils ne se bousculent pas aux portes des banques pour retirer leur argent, ce qui va accélérer la crise financière avec des faillites en cascades ; et les mesures de long terme qui reposent sur une réforme fondamentale du système monétaire international qui prendra en compte les nouvelles monnaies fortes autres que le dollar, à savoir l’euro, le yen japonais et le yuan chinois.

Par ailleurs, toute une réflexion doit être faite en ce qui concerne la croissance fondée sur le libéralisme total avec comme support la monnaie (l’offre) telle qu’elle a été menée au cours des trente dernières années et le retour au keynésianisme basé sur un capitalisme ponctué par l’intervention de l’Etat, en d’autres termes, une « économie mixte ».

Nous ne pouvons terminer cet article sans nous interroger sur deux questions théoriques : que deviennent les théories des cycles et notamment le cycle long de 50 ans, le Kondratiev ? Logiquement, la crise aurait dû se produire en 1979 et éventuellement avec une probabilité en ± 10% soit en 1974 ou en 1984. Or, elle s’est produite 29 ans plus tard soit une erreur de 58%. La seconde question qui est pendante à la première est : quelle a été l’influence de la théorie quantitative de la monnaie dans ce retard de la crise ? Bien sûr nous n’avons pas de réponse, c’est une invite des économistes à la réflexion. En résumé, la crise financière actuelle, même si momentanément elle est jugulée, aura des conséquences certaines à moyen terme sur les tendances d’évolution de l’économie mondiale.

Au regard des interactions dont nous avons parlé plus haut, quoi qu’il en soit, à court terme, les incertitudes vont se poursuivre en attendant le nouveau locataire de la « Maison Blanche » aux Etats-Unis. Il faut savoir aussi que la crise ne se résoudra pas par de simples injections financières, mais par la découverte de nouvelles théories économiques, conduisant à de nouvelles politiques économiques. Nous analyserons les conséquences sur les économies africaines et notamment celles au sud du Sahara dans le prochain numéro.

Par Taladidia Thiombiano, Professeur d’Economie, Université de Ouagadougou

L’Observateur Paalga

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