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S.E.M. Jules Savaria : « Le Canada sera le premier pays du G8 à respecter ses engagements envers l’Afrique »

Publié le jeudi 16 octobre 2008 à 07h23min

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Jules Savaria

A la veille du XIIe sommet de la Francophonie qui se tient dans la ville de Québec au Canada du 17 au 19 octobre, Lefaso.net a rencontré l’ambassadeur du Canada dans note pays, S.E.M. Jules Savaria pour faire le point de la coopération entre nos deux pays. Cette coopération, vieille bientôt d’un demi-siècle, a doublé de volume au cours des cinq dernières années. Bon connaisseur du Burkina pour y avoir déjà séjourné entre 1997 et 2001 au même poste, le diplomate canadien avoue être impressionné par le développement des infrastructures et l’accroissement de l’influence diplomatique de notre pays au cours des dernières années.

Vous êtes de nouveau au Burkina après y avoir effectué un premier séjour au même poste ; pourquoi un tel retour ?

Ce n’est effectivement pas une tradition dans le milieu diplomatique, mais ce n’est pas non plus exceptionnel, du moins pour le Canada. Quand il s’agit de désigner un ambassadeur, plusieurs éléments sont pris en compte. Nommer quelqu’un qui a déjà servi à ce titre dans un pays fait partie de ces éléments. On y a recours quand on pense que ce retour peut présenter des avantages par rapport à d’autres options, ne serait-ce qu’en raison de la possibilité d’une reprise plus rapide des relations à leur rythme de croisière, ce qui prend habituellement beaucoup plus de temps quand il s’agit d’une nouvelle nomination. Dans le cas d’espèce, mon prédécesseur était déjà parti et son successeur n’avait pas encore été désigné, ceci pour des raisons internes, des raisons canado canadiennes, si je puis m’exprimer ainsi. C’est ainsi qu’après avoir consulté les autorités de votre pays, on m’a fait la proposition.

Vous comprendrez qu’eu égard aux souvenirs merveilleux que je gardais de mon premier séjour ici, cela a été une joie pour moi d’accepter. Puis-je vous avouer que ce qui m’a fait le plus plaisir a été l’écho extrêmement chaleureux qu’on m’a transmis de la part des autorités d’ici lorsqu’on les a consultées à cet égard, ainsi que de mes anciens collaborateurs et collègues. Donc, je résumerai ma réponse à votre question en vous disant que le retour d’un diplomate dans un pays constitue un atout supplémentaire que notre gouvernement utilise à l’occasion quand il lui semble que ce soit la meilleure option qui se présente dans une conjoncture donnée. C’est une indication également de la volonté de notre pays qu’il n’y ait pas d’hiatus dans la représentation, quand les circonstances le demandent. Et quand toutes les parties impliquées reçoivent la nouvelle aussi chaleureusement que cela a été le cas, croyez-moi, cela est source d’intense satisfaction, ce qui ne peut qu’augurer au mieux pour la suite du mandat.

Quelles sont les priorités de votre nouveau mandat ?

Vous comprendrez qu’après ce que je viens de vous dire, j’ai une obligation de résultats encore plus que s’il s’agissait pour moi d’une nouvelle affectation. J’aurai d’ailleurs plus de temps à consacrer aux divers programmes de l’ambassade, étant donné que le programme coopération, lequel accaparait la plus grande partie de mon temps lors de mon premier mandat, bénéficie maintenant d’un gestionnaire de programme à plein temps. Ce qui n’était pas le cas précédemment, alors que, pour utiliser une expression familière, je portais deux chapeaux... Je pourrai donc encore mieux que durant mon premier mandat, m’assurer que les divers programmes de l’ambassade (diplomatie, politique, économique, culture, coopération, commerce et investissement, consulaire et immigration...) reçoivent toute l’attention voulue.

L’intensification des relations entre nos deux pays est bien reflétée à son niveau par la présence d’une communauté de quelques 400 Canadiennes et Canadiens présents au Burkina Faso, ceci dans les domaines les plus divers. Une note particulière pour le programme commerce et investissements privés qui représente un pan de plus en plus important des relations entre nos deux pays. J’en prends pour exemple la présence importante des sociétés canadiennes dans la valorisation du potentiel minier au Burkina, notamment l’or. Comme vous le savez, des quatre mines d’or ayant démarré leurs activités d’exploitation cette année, trois font l’objet d’un partenariat avec des sociétés canadiennes. Mon ambition est que dans tous les domaines, les relations entre nos deux pays connaissent un nouvel essor. Je relève d’ailleurs dans ce domaine une parfaite convergence de vues avec les autorités d’ici quand je lis dans le compte rendu des travaux du Conseil des Ministres du 8 octobre dernier que le Premier Ministre informe les membres du Conseil que, je cite, « Le sommet d’Accra (Sommet des pays ACP/UE tenu à Accra les 2 et 3 octobre dernier) a permis aux pays africains … de réaffirmer le constat que l’aide publique, pour enclencher le développement, devrait s’adjoindre d’autres types de leviers commerciaux susceptibles de créer des opportunités de marché » (fin de citation).

J’ajoute que sur plusieurs grands dossiers, nos deux pays partagent des objectifs communs, notamment, ce touche la paix et la sécurité. Un partenariat accru avec votre pays est devenu un impératif compte tenu de la hausse considérable de profil et d’influence que le Burkina Faso a connue sous cet angle. Non seulement dans la sous-région, mais également au niveau du continent et au-delà. Il n’est que de se référer à la façon remarquable dont le Burkina s’acquitte de son mandat au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Vous me permettrez de saluer au passage la nomination de l’ex-Ministre Djibril Bassolé comme Médiateur en chef conjoint UA/NU sur le Darfour. Le Canada est membre du Groupe de contact qui appuie le processus de retour à la paix dans cette région. Le rétablissement de la paix au Darfour est une priorité pour nous tous. Le Canada y a contribué pour plus de 477 millions de dollars depuis 2006.

Comment se porte alors la coopération entre le Burkina et le Canada aujourd’hui ?

Reprenant ce que je disais lors de mon discours le premier juillet, je vous dirai simplement qu’elle a atteint pour l’année 2007-2008 un niveau inégalé à ce jour. Entre 2004 et 2008, nos déboursés bilatéraux ont doublé, passant de 7,3 millions de dollars canadiens à 15,4 millions en 2007-2008. C’est vous dire la rapidité de la progression. Plus encore, si l’on ajoute les autres programmes financés par l’ACDI, on double grosso modo les déboursés, lesquels ont ainsi atteint le niveau de 31 M $ pour l’année qui vient de se terminer. Bien entendu, comme toute entreprise humaine, notre coopération a connu dans le passé ses périodes fastes et ses périodes moins faste. Mais la volonté de faire mieux a toujours dominé.

Avec les autres partenaires au développement, nous accompagnons le Burkina avec des ressources sujettes à des aléas divers qui peuvent les affecter. Prenez la situation actuelle alors qu’une crise financière sans précédent récent s’est développée. Personne n’est à l’abri de ces turbulences qui compromettent la croissance mondiale. Mais je voudrais vous assurer que les engagements de notre pays envers l’Afrique seront tenus. Il me plaît d’ailleurs de souligner au passage que nous avons déjà tenu celui de doubler l’aide envers l’Afrique par rapport à ce qu’elle était en 2002/2003. Et je suis content d’ajouter que le Canada sera sans doute le premier pays du G-8 à respecter cet engagement dès 2009.

Quels sont les principaux domaines d’intervention de la coopération canadienne au Burkina ?

Nos domaines d’intervention de même que leur nature ont évolué avec le temps. Pour faire un bref rappel historique, le Canada célébrera en 2012, un demi-siècle de présence diplomatique au Burkina. En résumé, nos deux pays ont établi des relations bilatérales officielles en 1962. Les activités de coopération ont connu un tour d’accélérateur en janvier 1975 avec l’ouverture d’un bureau d’Ambassade à Ouagadougou, suivie en 1977, de l’établissement du Groupe d’Études en Développement, devenu aujourd’hui l’Unité d’appui au programme de coopération Canada / Burkina Faso, et enfin de l’installation d’une Ambassade résidente au Burkina Faso en juillet 1995.

L’Accord général de coopération de 1986 est le principal document qui régit jusqu’à présent le cadre légal de la coopération bilatérale entre le Canada et le Burkina Faso. Notre programme actuel distingue deux axes majeurs que sont l’éducation de base et la croissance économique par l’appui au secteur privé productif local. Mais également, la prise en compte de la problématique du genre et développement, de l’environnement et enfin de la gouvernance sont des dimensions transversales en ce sens qu’elles se retrouvent dans tous les programmes que nous appuyons.

C’est toute une évolution qui nous a conduit vers ces choix qui sont en parfaite congruence avec les enjeux prioritaires du Burkina. Comment ne pas se réjouir des résultats atteints, notamment en éducation de base, alors qu’entre 2002 et 2008, le taux de scolarisation a doublé passant de 35% à 70%. Notre appui prend ici la forme d’un transfert liquide au gouvernement et ce sont les institutions nationales qui agissent comme maître d’ouvrage de la réalisation du Plan décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB), conformément aux principes de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, principes sur lesquels le Canada s’est résolument engagé.

Dans le deuxième axe, l’appui au secteur productif privé, nous soutenons le développement de la production, de la transformation et de la commercialisation dans trois filières agricoles : lait, karité et bananes. Nous ciblons en réalité le développement de petites et moyennes entreprises, d’entrepreneurs qui avec l’appui du projet de dynamisation des filières bio-alimentaires (DYFAB) produisent, transforment et commercialisent des quantités de lait, de karité et de bananes toujours plus importantes d’une année à l’autre. Dans le même axe, nous appuyons le développement de la micro finance parce que nous sommes, avec nos partenaires, convaincus que la micro finance est un vecteur clé pour le développement des petites et moyennes entreprises et du pays.

Nous avons enfin des ONGs qui travaillent dans tous les secteurs de développement local. On y compte une diversité d’organisations qui reflètent bien la diversité de la société civile canadienne : organisations non gouvernementales (ONG) ou organismes de coopération volontaire, établissements d’enseignement, conseils provinciaux et régionaux, établissements de formation associatifs et spécialisés, coopératives, syndicats et associations professionnelles... Les Communautés religieuses ne sont pas en reste. Elles interviennent à travers une multitude d’activités auprès des populations, notamment dans les domaines de l’éducation, la santé, le développement communautaire, l’appui au secteur privé rural, l’environnement et la formation professionnelle. J’aimerais ici leur rendre hommage, ainsi qu’aux milliers de Canadiennes et de Canadiens, qui depuis des dizaines d’années travaillent auprès des communautés burkinabè.

Cette présence est quelque part, le socle de nos interventions. En vérité, et sans fausse modestie, je puis me réjouir de ce que les ONGs canadiennes se soient généralement distinguées sur le terrain par l’originalité et la qualité de leurs apports ou suggestions d’interventions. L’ACDI est bien consciente de cet apport important ; elle appuie ainsi plus de 270 organisations canadiennes de volontaires.

Je ne puis enfin passer sous silence le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) qui est un aussi un important organisme de financement canadien, créé en 1970 pour appuyer le développement de la recherche endogène appliquée au développement. Pour s’acquitter de sa mission, le CRDI offre une aide financière à la recherche appliquée réalisée par les chercheurs des pays en développement, sur des problèmes qu’ils considèrent primordiaux pour le développement de leur pays. Les chercheurs burkinabés connaissent bien le CRDI, dont le bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest est à Dakar.

Depuis votre premier séjour, vous êtes sans doute resté intéressé par le pays ; comment appréciez-vous l’évolution du Burkina aujourd’hui ?

Le plus visible, pour qui revient au Burkina Faso après en être demeuré absent pendant quelques années, c’est évidemment le développement impressionnant des infrastructures dans la capitale. Ouaga 2000 symbolise bien ce développement des infrastructures, auquel s’ajoute une extension considérable du réseau routier bitumé. Mais au-delà de ce développement des infrastructures, on retrouve chez les femmes et les hommes de ce pays ce même courage, cette même volonté de tirer le meilleur profit de ressources limitées pour asseoir le pays sur la voie du développement.

Les Burkinabè sont de grands travailleurs. On se plaît à imaginer ce que serait le pays si on y retrouvait une dotation en ressources équivalente à ce qu’on trouve dans d’autres pays… Une autre évolution remarquable du Burkina, et pour celle-ci nul n’est besoin de revenir pour s’en rendre compte, c’est l’essor impressionnant de la diplomatie burkinabè et l’accroissement de son influence non seulement dans la région, mais sur tout le continent et même au-delà, comme on a pu le constater encore tout récemment alors que le Burkina assurait la présidence du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Le Burkina Faso s’est signalé sur la scène internationale pour tout ce qui touche les règlements de conflits, le rétablissement de la paix et de la sécurité, et est ainsi devenu un interlocuteur majeur sur toutes ces questions. (Vous savez, l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center, le 11 septembre 2001, n’a eu lieu que quelques jours après mon départ du Burkina. Cet effondrement a mis dramatiquement en relief l’importance des questions de sécurité dans la construction mondiale).

Le sommet de la Francophonie se tient cette année dans la ville de Québec ; qu’en attendez ?

Le sommet 2008 se tient dans un contexte de crise internationale et c’est un véritable challenge pour notre pays et pour la communauté francophone. À regarder les quatre principaux thèmes qui seront débattus lors du Sommet, démocratie / État de droit, gouvernance économique, enjeu de l’environnement et enjeu de la langue française, l’on constate une continuité évidente avec les thèmes des Sommets précédents, notamment celui qui s’est tenu à Ouagadougou en 2004. Ce Sommet se situera donc dans une continuité, mais dans une optique de renforcement des grandes orientations dégagées lors des derniers Sommets. Pour répondre plus précisément à votre question, je dirai que j’attends du Sommet qu’il renforce la pertinence de l’organisation internationale de la Francophonie et son influence réelle, sa capacité d’intervention, notamment dans la sphère politique.

À l’instar du Commonwealth qui bénéficie d’une structure de suivi et d’intervention au niveau ministériel qu’on appelle CMAG (Commonwealth Ministerial Action Group). Une telle structure permet d’intervenir rapidement et avec détermination quand la situation l’exige au sein de l’un ou l’autre État membre. Elle permet de passer plus rapidement et plus décisivement à l’action. Comme vous le savez sans doute, le Canada, pays bilingue, est l’un des quelques 7 ou 8 pays au monde qui soit à la fois membre de la Francophonie et du Commonwealth. Nous sommes donc bien en mesure de voir ce qui fonctionne bien dans chacune de ces organisations et qui pourrait éventuellement bénéficier à l’autre. Une Francophonie plus pertinente qui dépasse le niveau des discours rituels et recommandations qui jalonnent chaque sommet ?

C’est ce que veulent nombre de participants au Sommet et que répercutait le quotidien Le Devoir dans sa livraison du 14 octobre : À Québec, il est vital que des voix s’élèvent pour afficher l’ambition et tracer les chemins d’une Francophonie plus offensive. Enfin, je remarque avec plaisir que l’organisation du Sommet a demandé au Président Compaoré d’introduire le thème de la démocratie et de l’État de droit, en faisant fond des expériences réussies en matière de rétablissement de la paix. Une autre reconnaissance du rôle remarquable joué par le Burkina Faso et son Président dans ce domaine.

Quelle est la place de la Francophonie dans les relations entre le Burkina et le Canada ?

La Francophonie internationale est l’un des grands axes de la politique étrangère canadienne. L’action du Canada en Francophonie s’articule tant dans l’affirmation des valeurs démocratiques et économiques que culturelles. Le fait d’appartenir à une même communauté linguistique a toujours constitué un atout dans nos relations avec le Burkina. Je vous rappelle que le Canada et le Burkina, en son temps, étaient présents ensemble à la création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) aujourd’hui Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ! Par le biais des structures de coopération spécifiques à l’OIF, le Canada a pu soutenir un grand nombre de projets et programmes de formation, des programmes culturels et des programmes d’appui institutionnel dont le Burkina, parmi d’autres, a bénéficié.

Aujourd’hui, nous avons de nombreux jeunes Burkinabé qui vont étudier dans des universités d’enseignement francophone au Canada. Une tendance à relever : une coopération décentralisée de plus en plus importante est en train de se construire entre le Burkina et le Canada, notamment par le canal d’organisations non gouvernementales, des associations de femmes et de jeunes. Cette coopération décentralisée fait aussi une large place à la coopération universitaire et aux jumelages entre villes (i.e. Ouaga et Québec) et entre institutions (i.e. Fespaco-Vues d’Afrique).

Interview réalisée par Cyriaque Paré
Lefaso.net

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