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COMMERCIALISATION DES PRODUITS AGRICOLES : La vraie bataille à gagner

Publié le mercredi 15 octobre 2008 à 02h17min

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L’auteur de l’écrit ci-dessous évoque la problématique de la commercialisation des produits agricoles qui, à ses yeux, est la vraie bataille qu’il faudra gagner.

Courant mars et avril 2008, le monde a connu des manifestations populaires contre la « vie chère ». Au Burkina Faso, la hausse vertigineuse des prix des produits de première nécessité, donc des produits alimentaires était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et mouillé la rue. Ventre affamé n’a point d’oreille, a-t-on coutume d’entendre. Ces « shows » populaires observés dans la plupart des capitales ouest- africaines venaient rappeler que la sécurité alimentaire est aussi une condition sine qua non d’un climat social apaisé, de la paix tout court. En témoigne, la démarche d’apaisement entreprise par les Etats qui ont allié prudence et sacrifice dans le traitement de ces crises alimentaires en renonçant aux taxes et autres impôts perçus sur ces produits et en fixant leur prix sur les marchés pour soulager des populations aux pouvoirs d’achat en constante baisse.

Depuis lors, la crise alimentaire semble s’être installée définitivement car en dépit des colloques, des conférences, des ateliers et autres rencontres organisées çà et là, le constat est que la vie est de plus en plus chère. Du même coup, le secteur agricole, qui avait connu le désengagement des Etats depuis les douloureuses épreuves du PAS (Programme d’ajustement structurel) des années 90, revenait sur la scène et était plus que jamais interpellé pour contribuer à résoudre la question alimentaire.

Constat d’un secteur agricole, jadis monopole de l’Etat

Jusqu’à la décennie 90, le secteur agricole burkinabè fut marqué par la présence permanente et des offensives tous azimuts de l’Etat. De l’ère des ORD (Organismes régionaux de développement) jusqu’aux CRPA, l’Etat n’a pas lésiné sur les moyens et s’est toujours engagé résolument dans l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire grâce à un système d’encadrement rapproché ainsi qu’à divers investissements (aménagement de vallées, de barrages, etc.). A partir des années 90, comme la vie évolue et les stratégies avec, il fallait désormais compter avec les différentes réformes institutionnelles. D’où le PAS qui n’épargna pas le secteur agricole considéré à juste titre comme secteur productif, car étant le pilier de notre économie. Cette nouvelle ère consacrait dans le secteur agricole « un moins d’Etat pour un mieux d’Etat » afin de faire la place au secteur privé, moteur de tout essor économique. Le secteur agricole burkinabè, issu des périodes de grandes sécheresses des années 70, a été marqué par l’intervention permanente et tous azimuts de l’Etat.

Depuis la Haute-Volta, et plus tard le Burkina Faso, l’Etat a toujours assisté une paysannerie en proie aux caprices de la nature. Les agents de l’agriculture de la vieille génération se souviennent encore des grandes offensives agricoles des années 70 et 80, faisant du « Kôb Naba » le détenteur du savoir qui devrait être au chevet, nuit et jour, des paysans grâce à un système d’encadrement et de visite régulier. Par exemple, les semis en ligne, devenus une tradition chez les paysans de nos jours, sont le fruit de dures batailles de ces techniciens qui ont su résister aux us et coutumes de ces populations qui ont du mal à se départir des longues traditions qui étaient devenues improductives. Les résultats sont en-deça des attentes à la lumière des moyens injectés. Cela a au moins eu le mérite de mettre en orbite des chaînes de production, de transformation et de commercialisation dont les renommées transcendaient parfois les frontières du pays, même si elles n’ont pas résisté au temps. L’on a en mémoire le haricot vert produit au Sourou, l’OFNACER, les industries agroalimentaires telles la SAVANA et plus récemment la SOPROFA.

Conséquences des changements opérés

Secteur productif par excellence, le domaine agricole n’a pas échappé aux réformes institutionnelles et organisationnelles des années 90. Le PAS, qui s’en est suivi, se basait sur des principes dont :
- Premièrement, l’adoption de nouvelles orientations avec, à la clé, le désengagement de l’Etat des secteurs productifs dont celui agricole à l’image du domaine du commerce, et dans une moindre mesure l’éducation. Cette démarche favorisait du même coup l’émergence d’un secteur privé qui devrait prendre le relais de l’Etat, là où il n’existait plus. Seulement, très peu d’acteurs privés s’y étaient investis et, hormis quelques coopératives et groupements professionnels agricoles, le secteur était marqué par l’inexistence de privés, encore moins d’industries agricoles, la situation, pendant longtemps, n’ayant pas favorisé leur éclosion et / ou leur émergence avec un marché rarement parfait avec la fixation des prix des produits, l’insécurité des investissements fonciers en milieu rural, etc.

Dans ces conditions, le choix effectué apparaissait comme couvrir la flamme avec un tissu au lieu de l’éteindre ; car avec le démantèlement de tout le réseau qui s’en est suivi, le secteur agricole plongeait dans une léthargie, avec pour corollaire la faiblesse des rendements, les pratiques traditionnelles néfastes, la persistance des déficits céréaliers. Un tour rapide à travers quelques sites aménagés et brousses pour constater les vestiges d’un passé récent du passage de l’Etat laisse entrevoir des pancartes, des magasins abandonnés, du matériel et autres engins qui font le bonheur des artisans locaux qui ne se font d’ailleurs pas prier pour leur donner un autre usage. Au sein de nos techniciens, une autre catégorie d’acteurs est née : il s’agit des agents – producteurs qui, le plus souvent, sont réduits à fournir des informations agro – écologiques (relèvement journalier de la pluviométrie, prévisions agricoles annuelles) mais qui deviennent par la suite des producteurs, rivalisant l’espace avec ceux pour qui et par qui ils existent.

- Deuxièmement, la consécration d’une plus grande responsabilisation des acteurs concernés, désormais comme des acteurs du développement, et non des sujets qu’il faut développer. La conception, la mise en œuvre et le suivi-évaluation des politiques agricoles devaient requérir leur consentement préalable. L’Etat venait ainsi de confier la chèvre au propriétaire tout en gardant la corde nouée à son cou. Dans tous les cas, cette démarche fondée sur l’existence d’un secteur privé, tout comme dans le premier principe évoqué, s’est vite confrontée aux nombreux maux qui assaillent ce milieu : analphabétisme, attentisme, pauvreté, ignorance, faibles capacités techniques et organisationnelles, etc. Toutes les tentatives en matière d’organisation des paysans ayant abouti à la multitude des structures en milieu agricole (coopératives, groupements villageois, comités d’irrigants et de gestion de l’eau, plus récemment les institutions consulaires comme les Chambres d’agriculture) ne semblent pas avoir permis aux paysans de s’accommoder avec les nouvelles démarches, du moins aux réformes.

Cadres gracieusement offerts aux politiciens en quête d’onction populaire pour asseoir des bases écartant, du même coup, les vrais acteurs, c’est-à-dire les paysans, ils disparaissent sous le coup de la contradiction politique une fois mis en place. De tout ce qui précède, la seule certitude qui demeure est que les réformes ont accouché d’une souris. Et le miracle annoncé sur les plans de l’autosuffisance alimentaire et de la sécurité alimentaire n’a toujours pas eu lieu. Le secteur est toujours miné par les maux originels, plongeant les acteurs du développement dans un perpétuel recommencement. Les programmes et projets se sont succédé mais les problèmes demeurent en matière de production (faible persistance des résultats technico-économiques des exploitations agricoles), et même au niveau de la commercialisation, troublant le sommeil du producteur après la récolte.

Les efforts consentis à la production doivent être poursuivis à la commercialisation

C’est un secret de Polichinelle que de dire que la commercialisation des produits a toujours été et demeure une préoccupation des paysans, et certainement de l’Etat dans sa lutte constante contre la pauvreté. Le problème est encore plus crucial sur le plan de la commercialisation des produits où le retrait de l’Etat s’est soldé par le démantèlement progressif des réseaux jadis mis en place ; les tentatives ont produit peu d’effets. Si dans le contexte de renchérissement des cours mondiaux des produits alimentaires, des mesures ont été prises au niveau interne pour accroître l’offre et réduire la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, la problématique de la commercialisation semble susciter peu d’actions. Durant cette campagne encore, des spéculations ont été faites dans ce sens, notamment pour le riz, et, dans une moindre mesure, le maïs ; mais ce qu’on ignore jusqu’à présent, c’est comment ces braves paysans pourront bénéficier des retombées de la sueur de leur front.

La garantie d’un prix rémunérateur au producteur demeure une équation non résolue en cette fin d’hivernage. La saison des foires et autres journées promotionnelles est pour bientôt où les discours mettront en exergue la problématique. Mais dans la pratique, rien ne semble être fait pour soutenir les paysans une fois la production réalisée. En tout temps et en tout lieu, les paysans sont à la merci des commerçants qui ne se font pas prier pour « piller » les produits à la récolte, les stocker et les revendre plus tard à des prix exorbitants. Au regard des investissements dont a bénéficié le secteur agricole pour répondre aux besoins alimentaires des populations, il est urgent de prendre des mesures pour soulager les paysans qui ont pour unique source de revenus leurs produits, au risque de voir l’engouement actuel pour la production des céréales s’effriter.

Car, comme le fait remarquer Jean Marie YUNG à propos de la rationalité du paysan dans ses différents choix de production, celui-ci « décide annuellement de pratiquer telles ou telles spéculations en référence à la conjoncture pluviométrique, aux résultats de la campagne passée, et à la conjoncture des prix ». « Dans ces conditions, la filière coton a de beaux jours devant elle car là au moins l’on est sûr d’écouler sa production », nous a confié un paysan. L’évolution actuelle de la campagne agricole, version saison humide, donne l’espoir d’une bonne récolte.

Une bataille est gagnée et, sauf catastrophe de dernière minute, ce que nous ne souhaitons pas, les enfants vont se lapider avec des boules de tô. Pour gagner la bataille contre la hausse des prix des denrées alimentaires par le truchement d’une production nationale suffisante, la question de la commercialisation serait la prochaine bataille. C’est en cela que la profession agricole fera vivre son homme et la pauvreté boutée hors de la paysannerie burkinabè. Aujourd’hui plus que jamais, la problématique de la commercialisation des produits alimentaires semble mettre l’Etat entre l’enclume des producteurs et le marteau des consommateurs. Souveraineté alimentaire oblige.

Silamane KABORE Ingénieur agronome en service à la Chambre d’agriculture du Centre- Sud (Manga) E-mail : silamane_kabore@hotmail.com

Le Pays

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