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Rentrée judiciaire : La corruption n’a pas daigné comparaître

Publié le lundi 6 octobre 2008 à 01h09min

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Magistrat il n’y a pas si longtemps, Guy Hervé Kam exerce aujourd’hui la profession d’avocat. Dans cet écrit qui porte sa signature, il déplore le fait que, lors de la rentrée judiciaire, le 1er octobre 2008, "la haute magistrature n’a pas réaffirmé avec force son attachement au respect des règles éthiques et déontologiques par les magistrats et à la lutte contre la corruption".

A l’occasion de la présente rentrée judiciaire, la magistrature burkinabé s’est avisée de mettre au banc des accusés Dame corruption à travers le thème « le cadre juridique et institutionnel de la lutte contre la corruption ». Bien qu’à première vue, le thème ne semblait pas de nature à saisir l’entier défi que la corruption pose à la Justice dans son ensemble et à la magistrature en particulier, je me suis surpris à espérer entendre la haute magistrature réaffirmer avec force son attachement au respect des règles éthiques et déontologiques par les magistrats et à la lutte contre la corruption. L’espoir a été vain.

En effet, le rapport présenté sur le thème ressemble bien plus à un répertoire des textes et institutions de lutte contre la corruption. Pile comme face, il n’y existe aucune référence au rôle et à la place de la Justice dans la lutte contre la corruption au Burkina Faso. C’est donc avec regret, un grand regret que l’on a constaté l’absence de Dame corruption à ce procès qui était pourtant le sien.

Un recours suite à un procès qui n’a pas eu lieu

Intervenant après la rentrée solennelle des cours et tribunaux, mes propos constituent donc un recours suite à ce procès qui, en réalité, n’a pas eu lieu, la corruption n’ayant pas, comme à son habitude, daigné comparaître. Il n’est pas juste de juger la corruption par défaut, car ce n’est pas tous les jours qu’elle est invitée à comparaître…

Appliquée à la Justice, la corruption me paraît poser deux problèmes fondamentaux. D’une part, il s’agit de savoir quelle est la capacité de notre Justice à lutter contre la corruption en identifiant et en sanctionnant les manquements : c’est la question de la corruption devant la Justice. D’autre part, il s’agit de s’interroger sur la problématique de la corruption des acteurs de la Justice eux-mêmes : c’est la question de la corruption dans la Justice. C’est sur ces deux problèmes que les justiciables burkinabé auraient aimé, je le pense, entendre notre magistrature.

La corruption devant la justice d’abord. Le ministre de la Justice l’a affirmé dans son propos et il convient de lui en donner acte : « La Justice doit être au cœur de la lutte contre la corruption ». Mais, la Justice burkinabé est-elle outillée pour jouer ce rôle ? La réponse est non, car la Justice manque cruellement de moyens pour accomplir les tâches qui lui sont dévolues. S’agissant des moyens humains, nos cabinets d’instruction sont animés par des juges qui, en général, ont moins de cinq ans de magistrature. Malgré leur bonne volonté, leur inexpérience et le déficit de formation spécialisée les rend impuissants face à cette infraction particulière qu’est la corruption, à moins que l’on ne veuille limiter la lutte contre la corruption à une traque organisée contre la petite corruption (les rackets).

Ensuite, l’on note qu’il n’existe pas de personnel (juges, procureurs, agents et officiers de police judiciaire) spécifiquement affecté à lutter contre la délinquance économique et financière, ce qui aurait pour avantage d’avoir un pool spécialisé. A l’heure où la délinquance économique et financière se perfectionne, où le produit du crime de la corruption peut faire le tour du monde en l’espace d’une heure, il est illusoire de continuer à penser qu’un magistrat qui n’a que de vagues souvenirs d’en avoir déjà entendu parler puisse la comprendre et la sanctionner.

Dans un tel contexte, il y a un risque sérieux de voir la corruption traitée comme n’importe quelle autre infraction. Or, elle n’est justement pas une infraction comme les autres ; la corruption est différente tant dans ses éléments constitutifs, dans ses manifestations et ses conséquences que dans sa sensibilité. S’agissant des moyens matériels, il ne me semble pas utile de faire quelque développement sur la misère de la Justice.

L’appareil judiciaire ne dispose pas du minimum d’instruments de travail pour faire face à ses charges, éviter la perte de certains éléments importants, indispensables à la manifestation de la vérité par exemple. A ces deux difficultés, l’on peut ajouter la non-effectivité des mécanismes de coopération et d’entraide judiciaire qui sont pourtant nécessaires dans un contexte où la corruption se mondialise, non parce qu’elle se retrouve dans tous les pays (Y-a-t-il un pays où elle n’existe pas ?), mais parce qu’elle disperse ses éléments constitutifs sur plusieurs pays.

Des doutes sérieux

Au regard de ce qui précède, il y a des doutes sérieux sur la capacité de la Justice burkinabé à traiter efficacement les problèmes de corruption (la grande surtout) lorsqu’ils se posent devant elle, surtout lorsqu’elle-même n’est pas à l’abri de tout soupçon. La corruption dans la Justice ensuite. Cette proposition postule que les auteurs de la corruption se recrutent au sein des agents de Justice. En choisissant le thème de la rentrée judiciaire et en le développant comme il a été fait dans le rapport, la magistrature donne le sentiment de n’avoir pas voulu admettre cette proposition.

Peut-être qu’elle a voulu éviter que l’on puisse parler de corruption dans la Justice. C’est une réalité que la corruption soulève beaucoup de refoulement au sein du corps judiciaire, surtout dans sa frange moins jeune. Pour nombre d’anciens magistrats en effet, il est inconcevable que les acteurs de la Justice, les magistrats en particulier, puissent être soupçonnés de sympathie avec la corruption. Il me souvient qu’un magistrat trouvait même indécent un mariage, ne serait-ce que sémantique, entre corruption et Justice.

Pourtant, la corruption dans la Justice est loin d’être un plan concerté en vue de discréditer la magistrature et de déstabiliser les juges. Depuis que la corruption a étalé sa natte dans notre pays, elle s’est propagée à tous les secteurs de la vie sociale, y compris la Justice. Cette crainte d’une justice atteinte de corruption a été confirmée par l’étude du Conseil Supérieur de la Magistrature sur le phénomène réalisé en 2005, lequel a montré sans équivoque que la corruption touche la magistrature.

Aurait-il pu en être autrement dans un pays en crise identitaire où tout se fonde sur la richesse matérielle ? Dans un tel contexte en effet, certains magistrats sont beaucoup plus enclins à tirer les avantages de leurs charges en accédant au cercle vicieux de la corruption. Beaucoup de magistrats ont, malheureusement, franchi le pas, créant ainsi une perte de confiance qui s’est transformée en crise de confiance entre la Justice et les justiciables. C’est ce que relève le ministre de la Justice dans son discours à l’occasion de la présente rentrée judiciaire lorsqu’il affirme que « le secteur de la Justice est considéré aux yeux de l’opinion publique comme l’un des plus touchés par la corruption dans notre pays ».

Plus de 15 ans avant lui, le 06 octobre 1992, le ministre de la Justice, lors de son discours à l’occasion de la rentrée judiciaire, faisait le constat suivant : « … beaucoup de justiciables sont convaincus que sur les causes qui sont soumises aux juridictions, celles-ci tranchent, soit selon l’appartenance politique, soit en faveur du riche contre le pauvre… ».

La justice a mal à sa dignité

La corruption dans la Justice n’est donc pas un phénomène nouveau. Depuis plusieurs années déjà, la Justice a mal à sa dignité à cause de la corruption. « Sacrée vainarde, depuis là qu’on en parle, elle n’est pas encore morte », s’était exclamé en l’an 2000 un haut magistrat burkinabé. Le problème de la corruption dans la Justice est donc réel et grave. Loin de se perdre à vouloir « constitutionnaliser les valeurs éthiques » pour la combattre tel que proposé dans le rapport sur le thème, proposition dont le sens et la faisabilité échappent au raisonnement juridique, il faut sanctionner sans complaisance les auteurs ou complices de la corruption, surtout lorsqu’ils appartiennent au corps judiciaire.

A propos de sanction, de nombreuses voix diront qu’il n’existe pas de cas avéré de corruption, que la corruption ne laisse pas de traces, bref, qu’il n’y a pas de preuve. Je suis d’accord. Tout le monde est d’accord. Mais, est-ce parce que l’on n’a pas vu le meurtrier que le mort n’est pas mort ? La question est ouverte. Reste qu’ il est constant qu’en regardant bien dans le sens de nos Tribunaux, l’on peut être sûr de voir des décisions qui heurtent tellement le simple bon sens, que seule la corruption peut les avoir inspirées. Regardez et vous verrez. Certaines affaires, celles qui concernent la liberté individuelle par exemple, sont même perçues comme des nids où se conçoivent et s’envolent les actes de corruption.

Au regard de ce qui précède, la corruption apparaît aujourd’hui encore et surtout, comme un grand défi pour la Justice burkinabé. En choisissant un thème y relatif, la magistrature a eu le mérite de lancer le débat. Il ne reste plus qu’à souhaiter que cette année judiciaire soit celle de la tolérance zéro en matière de corruption, afin que vive la Justice. Dans l’espoir d’un tel sursaut, je remercie la Justice burkinabé de faire inscrire sur sa tour d’ivoire, par ses actes et décisions, l’épitaphe « ci-gît la corruption ». Et ce sera Justice. Ouagadougou, le 3 octobre 2008

Maître Guy Hervé Kam Avocat à la cour

L’Oservateur Paalga

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