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Côte d’Ivoire : maintenir Seydou Diarra au poste de Premier ministre et renforcer ses prérogatives !

Publié le lundi 28 juin 2004 à 12h01min

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Seydou Diarra

Les Jeunes Patriotes de Gbagbo ne désarment pas. Rassemblés le samedi 29 mai 2004, au stade Houphouët-Boigny, à Abidjan, ils ont réclamé la démission du premier ministre Seydou Diarra que Charles Blé Goudé, le leader extrémiste ivoirien, a qualifié de "premier ministre de Marcoussis et non pas des Ivoiriens".

Depuis que la commission d’enquête des Nations unies a mis en cause le régime Gbagbo dans le traitement des "manifestants" du jeudi 25 mars 2004 et, plus encore, depuis que "l’affaire Kieffer" révèle les étranges dérives de l’entourage du chef de l’Etat, Gbagbo s’efforce de détourner l’attention de la communauté internationale de son mode de gestion "familial" de la Côte d’Ivoire en mettant la pression sur le premier ministre, Seydou Diarra.

J’ai dit, déja (cf LDD Côte d’Ivoire 01l3/Lundi 24 mai 2004), ce qu’il fallait penser de cette nouvelle initiative politique de Gbagbo. J’y reviens. Le départ de Diarra serait une victoire de Gbagbo et, désormais, des Jeunes Patriotes puisque c’est leur revendication actuelle. En faisant l’amalgame Diarra = Marcoussis, ce n’est pas l’homme mais le processus enclenché à la suite des accords signés en janvier 2003, que le pouvoir abidjanais entend contester.

Au lendemain de Marcoussis, la démarche de Gbagbo a été simple : "Je n’ai pas de raison de croire que cela peut marcher, mais je vais faire preuve de bonne volonté et essayer". Dix-huit mois plus tard, la démarche est encore très simple : "Voyez ma bonne volonté, j’ai essayé d’appliquer Marcoussis, mais cela ne marche pas" ! Conclusion : revenons à la case départ : "Je fais ce que je veux, comme je le veux et avec qui je veux" !

C’est sûr : cela ne marche pas ! Mais la raison n’est pas imputable à Diarra ; mais à Gbagbo. Et à tous ceux qui ont pensé, ou ont laissé penser, que mis au pied du mur, le chef de l’Etat ivoirien se soumettrait.

Il est indéniable, également, que la personnalité même de Diarra (et je me suis récemment exprimé sur ce point) laissait penser qu’il aurait, face à la détermination et au savoir-faire politique de Gbagbo, bien des difficultés. Celles-ci n’ont pas manqué. Mais cela fait maintenant dix-huit mois que les deux hommes se font face. Et, dans dix-huit mois, il faudra faire face à une autre échéance : la présidentielle d’octobre 2005. Si tant est que son organisation soit possible !

En attendant, Diarra s’affirme comme la mémoire vive de Marcoussis et le plus grand dénominateur commun à tous les protagonistes de la crise ivoirienne, qu’il s’agisse des responsables politiques locaux ou des innombrables "intervenants" étrangers. Qui plus est, bien que Premier ministre de la Côte d’Ivoire pour la deuxième fois, ce n’est pas un politique ! Pierre Mazeaud, qui a présidé la rencontre de Marcoussis (cf LDD Côte d’Ivoire 056/Jeudi 16 janvier 2003), le rappelait dans l’entretien qu’il a accordé à JA/L’Intelligent daté du 30 mai 2004 : "Diarra, un homme d’une grande sérénité, [...] n’était pas là en tant que représentant d’une
formation politique, mais un peu comme un ,sage qui apportait ses réflexions pour qu’on aboutisse". C’est tout l’art de Diarra.

Il y a 35 ans déjà, quand il a quitté son poste de représentant permanent de l’Organisation africaine et malgache du café (Oamcaj) auprès de l’Organisation internationale du café (OIC) à Londres, on disait déjà de lui qu’en matière de négociation, il savait "ne s’aliéner personne".

C’est que pour l’essentiel la carrière de Seydou Diarra est celle d’un spécialiste des matières premières agricoles. Né le 23 novembre 1933 à Katiola, où son père était affecté comme infirmier colonial (ses racines familiales se trouvent à Dioulatiédougou, entre Odienné et Touba, dans l’extrême Nord-Ouest), il rejoindra la France pour y suivre les cours du lycée Fénelon à La Rochelle. Bac math-élem et Ecole nationale supérieure agronomique de Montpellier.

En 1961, ingénieur, il est de retour en Côte d’Ivoire. Il va rejoindre le Bureau d’études du ministère de l’Agriculture avant d’être nommé directeur des marchés agricoles (décembre 1961-juillet 1962) puis du Centre national de la coopération et de la mutualité agricoles (juillet 1962-septembre 1964) et, enfin, directeur commercial de la Caisse de stabilisation des prix des productions agricoles (septembre 1964-octobre 1966).

Ce que son CV officiel ne rapporte pas, c’est son arrestation, en 1963, dans le cadre des "complots" réprimés par Houphouët-Boigny, qui verront les "élites" du PDCI, le parti unique, connaître la prison, parfois même la torture. Pendant vingt-six mois, à Yamoussoukro puis à Abidjan, Seydou Diarra va vivre l’enfer carcéral. Ce qui le conduira à relativiser beaucoup de choses ! En 1965, il est libéré.

A compter d’octobre 1966, il rejoint l’Oamcaf à Londres et sera un des négociateurs de la révision de l’accord de 1962 sur le café qui a permis une plus grande prise en compte du groupe producteur. Il s’affirmera comme un homme de contact. Il nouera des relations privilégiées avec les latino-américains, notamment les Brésiliens et les Colombiens, tout en maintenant fermement sa ligne en ce qui concerne la défense des intérêts africains.

Le 14 novembre 1969, Diarra quittera Londres. Il fera alors un passage par la Société africaine de cacao (Saco), filiale du groupe Cacao-Barry, avant que Houphouët-Boigny en fasse son premier ambassadeur à Rio-de-Janeiro (juillet 1971-octobre 1977). Le Brésil est alors dirigé par Emilio Garrastazu Medici, un des généraux qui, de 1964 à 1985, vont se succéder à la tête de dictature militaire. Diarra va cependant multiplier les efforts pour impulser la coopération avec la Côte d’Ivoire ; il négociera la mise en place d’un accord commercial entre les deux pays.

Il se verra, par la suite, confier les ambassades de Côte d’Ivoire à Bruxelles (octobre 1977 -novembre 1983) et à Londres (novembre 1983- février 1986). A Bruxelles, il sera le porte-parole et le président des pays A CP pour les négociations qui déboucheront sur Lomé II.

Le 1 er février 1986, c’est le retour à Abidjan. Il est nommé membre du Conseil économique et social. L’ex-expert en café-cacao, après dix années dans la diplomatie, entend se consacrer aux affaires. Il va obtenir le poste de PDG des filiales du groupe Cacao-Barry, la Société africaine de cacao (Saco) qui exploite une usine d’extraction de poudre de cacao, et la société Chocolaterie-confiserie de Côte d’Ivoire (Chocodi). Le 26 juillet 1992, il sera élu à la tête de la Chambre de commerce et d’industrie. Il est devenu un homme d’affaires prospère !

Mais les hommes politiques vont le rattraper. Pas tout à fait les "politiques" ; il s’agit du général Gueï qui, ayant pris le pouvoir, va en faire un ministre d’Etat chargé de la Coordination gouvernementale et de la Planification du développement puis son premier ministre. Mais Gueï occupe le devant de la scène et Diarra ne va guère se faire remarquer pendant cette période. C’est sa nomination, par Gbagbo, à la présidence du Forum national de réconciliation, en 2001, qui va le sortir de l’ombre dans laquelle il se complaisait sous Houphouët-Boigny et Bédié.

Il a vécu sur le terrain, plus que beaucoup d’autres, au cours des cinq dernières années, la dramatique histoire de la Côte d’Ivoire. Il est le mieux placé pour sortir ce pays du bourbier. Avec le soutien de tous les démocrates et républicains ivoiriens et de la communauté internationale. Avec des moyens politiques accrus. Mazeaud le dit à JA/L ’Intelligent : "Diarra essaie de gérer au mieux, mais il n’a pas tous les pouvoirs pour le faire, alors que nous avions prévu une délégation de pouvoir au Premier ministre Diarra par voie de décret. Or cette délégation ne s’est pas faite suffisamment vite".

Il y a unanimité sur le diagnostic ; il est temps d’appliquer le rémède. Avec vigueur et détermination. Diarra doit-être, dans la perspective d’élections libres et transparentes, un véritable président du Conseil. Ce qui veut dire aussi qu’il doit forcer sa nature face à Gbagbo !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diploamtique

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