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Rentrée judiciaire : "Messe de requiem de la Justice ou marché de dupes ?"

Publié le mercredi 1er octobre 2008 à 12h12min

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A quoi sert la cérémonie de rentrée solennelle des cours et tribunaux, autrement appelée rentrée judiciaire, qui a eu lieu le premier jour ouvrable du mois d’octobre ? A rien, selon l’auteur des lignes ci-dessous, avocat de son état, qui estime que sans réforme de la formule actuelle de ce cérémonial, il ne faut rien en attendre de bon.

L’audience solennelle de rentrée judiciaire dans sa version de depuis toujours, a-t-elle quelque utilité pour notre justice ?

L’on ne peut, de manière avertie, répondre par l’affirmative. En effet, elle a plutôt les allures sinon d’une messe de requiem de la Justice, du moins d’un marché de dupes où différentes personnes défilent à la barre des hautes juridictions réunies (Cour de cassation, Conseil d’Etat et Cour des comptes) pour dire des choses dont elles ne sont ni auteurs ni adeptes. En général, ce sont de beaux discours grammaticaux, pour la beauté de la langue française.
La grande masse du personnel judiciaire grouille à l’entrée du Palais, abusée par le tapis rouge du chef de l’Etat et tout le cérémonial fait sciemment pour les appâter, sans oublier la Chaîne du plaisir partagé et le dispositif du Régiment de sécurité présidentiel installé pour perquisitionner leur robe : ils font tous l’objet d’une fouille en règle avant d’accéder à la salle d’audiences. Pour cause de sécurité du chef de l’Etat : mon œil...

Après les discours et le cocktail toujours offert en pareille circonstance, c’est fini. On oublie jusqu’au thème de la rentrée, en attendant l’année suivante pour un autre thème.

La rentrée judiciaire, dans sa version actuelle, ne sert en rien la justice. Il n’y a d’ailleurs pas pire négation du principe de la séparation des pouvoirs lorsque les dépositaires du pouvoir judiciaire semble particulièrement intéressés à rencontrer l’Exécutif en lui faisant pratiquement allégeance ou en tout cas en le portant sur un piédestal.

Il faut repenser la Rentrée Judiciaire au lieu de mal copier la métropole, ou, pour éviter de choquer l’ego de certains, ... l’ancienne métropole. On aurait compris une rentrée judiciaire où tout le personnel judiciaire est consulté pour déterminer le thème. Une rentrée où tout le personnel judiciaire vient dire sa lecture du thème arrêté. Une rentrée où un débat contradictoire est mené entre les acteurs de la justice (avocats, huissiers,magistrats) sur les maux qui la minent. Un débat contradictoire entre les mandataires du peuple (les juges) et le peuple lui-même sur l’état de la justice.

Bref, une rentrée où on peut situer les responsabilités sur la lenteur légendaire de la justice, la partialité des magistrats, la déloyauté des avocats, la fourberie des huissiers, les sollicitations illicites du justiciable, la corruption, etc.

Malheureusement, cette année encore, la rentrée judiciaire semble avoir tout d’un raté judiciaire. Le thème est choquant. Encore des discours de trop sur le cadre institutionnel et juridique de la lutte contre la corruption ... Vraiment ! Comme si les cadres n’avaient jamais manqué !

Les véritables problèmes qui minent la justice sont bien connus de tous. Les solutions aussi. Depuis, de nombreux rapports d’enquête, de séminaires et autres ateliers sur l’état de la justice et plus précisément de la corruption dorment paisiblement comme les personnes qu’ils ont mises en cause. Ce ne sont donc pas de trente minutes de discours de rentrée judiciaire que surgira une solution magique.

Cela est d’autant plus évident que tout le monde sait qu’au Burkina Faso, la corruption est même parfois la colonne vertébrale de certaines institutions. Sinon pourquoi nomme-t-on dans les institutions dites de lutte contre la corruption, des personnes dont la preuve d’incorruptibilité passée ou a venir ne peut guère être rapportée ?

Dans ces conditions, c’est une injure que de parler de "cadre institutionnel et juridique de lutte contre la corruption".
C’est d’autant plus injurieux que, manifestement, il n’y a, en dehors du discours politique, aucune volonté politique d’aller en guerre contre la corruption. Jusque-là la sanction contre la corruption, c’est la promotion et, au pire des cas, juste une mutation.

Pourtant, la place du corrompu ou du corrupteur ne se trouve nulle part dans l’Administration mais dans une maison de correction. Cette ère-là relève malheureusement encore du rêve au sens propre.

Dans le domaine judiciaire par exemple, la corruption n’a même plus l’importance d’un fait divers : on rit et... on continue.
L’on se demanderait alors au nom de quel principe ces hommes et femmes dits de lois s’acharnent sur les voleurs de poulets d’un soir. Diable ! Quand ces "gens de robe" vont-ils comprendre que les conséquences de la corruption sont si fatales que tout le monde les regarde pour voir le pays épargner de la catastrophe ?
Conséquences ? Mais bien sûr !

Sur le plan social, l’on vivra davantage la "décrédibilisation" et la "délégitimation" des institutions de l’Etat, du personnel, un accroissement du déficit de l’Etat de droit qui se traduira par le droit de la force (politique, financière) et non la force du droit...
Sur le plan économique, se manifesteront l’insécurité des opérations économiques, des investissements, la faiblesse de la fiscalité, l’inégale répartition des ressources au profit d’une minorité, une crise économique plus profonde. Bref, le chaos !

Pour paraphraser cet ancien secrétaire général de l’UNESCO, il faut plutôt dire que la corruption prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de l’indépendance, de l’intégrité et de la probité.
Il faut commencer par améliorer les conditions de travail des magistrats, greffiers et autres secrétaires de greffes. Il faut en plus de cela :
- Publier systématiquement les décisions de justice rendues au nom du peuple ;
- Appliquer systématiquement et strictement les sanctions disciplinaires et pénales aux manquements des règles professionnelles par les membres des professions judiciaires (magistrats, avocats, huissiers, notaires, OPJ) ;
- Former le personnel judiciaire en déontologie et éthique professionnelle ;
- Former le ministre de la Justice sur sa mission véritable qui est de faire en sorte que personne d’autre que les magistrats ne puisse s’occuper de rendre la justice ;
- Repenser la composition des institutions dites de lutte contre la corruption.
Les magistrats et les avocats qui croient à l’idéal de Justice doivent agir et réagir car il y va de l’image de tous et que plus tard, ce sera trop tard : "Quand les peules auront fini de perdre leur âme, dit le griot mandingue, c’est de par la justice qu’on le saura" (cité par Norbert Zongo in "L’Indépendant" n°213 du 23 septembre 1997, p.2)
A bon entendeur...

Batibié BENAO, Avocat à la Cour

Le Pays

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