LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Débat : A quoi servent ces rentrées judiciaires ?(1)

Publié le lundi 29 septembre 2008 à 00h48min

PARTAGER :                          

Après des vacances bien méritées, écoliers, élèves et étudiants effectuent, si ce n’est déjà fait pour beaucoup, leur rentrée. A la justice, ce rituel sera sacrifié. Une rentrée judiciaire prétexte à débat sous la plume du président de l’Union des jeunes avocats.

Comme dirait l’autre, demain, c’est la rentrée. Et j’ajouterai judiciaire. Cette année encore, le personnel judiciaire va satisfaire à un rituel, à savoir la rentrée judiciaire.

Pour la deuxième année consécutive, les hautes autorités judiciaires de notre pays ont décidé de commencer l’année judiciaire nouvelle 2008/2009 par une audience qui frise l’illégalité, mais s’accommode fort bien de la mondanité : celle de tenir l’audience solennelle de rentrée judiciaire, non au siège d’une juridiction, comme c’est le principe, mais de la tenir dans une salle de banquet, à savoir la salle des banquets de Ouaga 2000.

Ainsi, alors que les écoliers reprennent le chemin de l’école, magistrats, avocats, greffiers et huissiers reprendront, eux, les chemins des palais de justice. Si pour les élèves, la rentrée n’est pas soumise à un formalisme particulier, pour les hommes de la justice, le top départ de cette rentrée est donné par la cérémonie, que dis-je, l’audience de la rentrée judiciaire.

Le parallèle entre « rentrée scolaire » et « rentrée judiciaire » indique que les points de similitudes se limitent à la seule coïncidence de calendrier. Pour le reste, la rentrée scolaire est bien plus significative et a plus de portée que la rentrée judiciaire.

En effet, une rentrée scolaire signifie, pour un écolier de CE1 par exemple, qu’il a travaillé toute l’année écoulée sur un programme déterminé et que, en fin d’année, ses acquis en termes de connaissance ont été évalués selon des critères de performance.

De cette évaluation, soit il a bien travaillé et ce faisant il a validé le programme d’enseignement de sa classe pour passer au CE2, soit il n’a pas suffisamment travaillé, et dans ces conditions, doit reprendre sa classe pour mieux apprendre.

Ce qui est qualitatif dans cette rentrée, c’est l’existence de deux paramètres importants : un programme conçu et connu à l’avance qui doit être appliqué et l’existence de critères d’évaluation permettant de passer à une étape supérieure.
Un thème gardé secret tel un lustre

Dans le cas de la rentrée judiciaire, il y a lieu de déplorer l’inexistence de tels paramètres. D’abord les rentrées judiciaires se caractérisent par l’inexistence d’un programme connu par tous les acteurs de la justice.

En principe, pour être bénéfique, le thème de la rentrée judiciaire retenu doit répondre à un besoin d’amélioration du fonctionnement de la justice. Ensuite, il doit être communiqué à tous les acteurs de la justice. Ceux-ci mènent des réflexions sur ce thème pour aboutir à des conclusions.

A l’audience solennelle, un rapporteur donne lecture de la synthèse des travaux des magistrats, pendant que le Bâtonnier de l’ordre des Avocats plaide le thème au nom du barreau. Ainsi, tous les acteurs de la justice connaissent les résolutions qui ont été prises et qui doivent, dorénavant, être appliquées à partir de l’année judiciaire nouvelle.

Ensuite, chaque rentrée judiciaire doit être un moment d’évaluation de la mise en application des résolutions prises l’année d’avant, faire ressortir les acquis et relever les insuffisances en vue d’aller de l’avant.

C’est à ce prix que l’organisation des rentrées judiciaires contribue à l’amélioration de la qualité de la justice dans un pays. Malheureusement, au Pays des hommes intègres, la rentrée judiciaire répond à une toute autre logique, s’il en existe.

D’abord, le thème retenu, gardé en secret tel un lustre, n’est révélé aux acteurs de la justice que lors des invitations à prendre part à l’audience solennelle de rentrée judiciaire et aux justiciables que lors de l’affichage des banderoles publicitaires.

Dans ces conditions, aucune contribution des auxiliaires de justice, notamment de l’ordre des avocats, pas même celle des juges autres que ceux des hautes juridictions, ne vient enrichir le rapport de la haute juridiction (pas toujours au fait des vrais problèmes de la justice) en charge de l’organisation de la rentrée.

Il n’y a pas, comme on peut le constater, un contenu du thème de la rentrée qui soit arrêté, connu, mis en application par tous les acteurs de la justice. S’agissant du manque de mécanisme d’évaluation, c’est le comble. Une faible proportion de ceux qui seront présents à l’audience de la rentrée judiciaire cette année se souvient du thème de l’année dernière.
L’avocat ne peut assister son client à la police

Pendant qu’on y est, quel bilan tiré du thème de l’année dernière, qui portait sur les droits de la défense ? Un triste bilan.

En effet, qu’a-t-on fait, depuis la célébration à la salle des banquets de Ouaga 2000 en début octobre 2007, pour améliorer les droits de la défense au Burkina Faso ? Rien, absolument rien.

Et l’ordre des Avocats, pour qui cette question constitue l’essence même de son existence n’a, à notre connaissance, eu la moindre initiative pour interpeller les autorités sur les graves atteintes aux droits de la défense au Faso et leur proposer des solutions.

Ainsi, au sortir d’une année judiciaire consacrée aux droits de la défense, le Burkina Faso demeure l’un des rares pays au monde où l’Avocat ne peut pas assister son client interpellé à la police ou à la gendarmerie. Il s’en suit :

- des détentions arbitraires et de complaisance ;
- l’usage de la garde à vue à des fins de recouvrements de créances civiles ou commerciales ;
- l’établissement de procès-verbaux d’enquête complaisant ;
- des actes de tortures ou de traitements dégradants et humiliants ;
- des détentions illégales sur base des fameux OMD (ordre de mise à disposition).

Dans tous les pays limitrophes du Burkina, le débat sur la présence ou non de l’avocat en enquête préliminaire est enseveli dans un passé lointain.

Ensuite, l’indisponibilité des décisions rendues pour un exercice efficient des droits de la défense. Sur ce dernier point, il convient d’apporter une nuance et féliciter certaines juridictions particulièrement diligentes telles le tribunal administratif de Ouagadougou, les tribunaux de travail de Ouagadougou et de Bobo, où, la plupart du temps, le factum est disponible au moment où le juge rend sa décision.

Enfin, c’est au cours de cette année consacrée aux droits de la défense que la loi anticasse, une loi indigne d’un régime démocratique tant elle porte atteinte aux droits élémentaires de la défense, a été adoptée.
Veut-on vraiment lutter contre la corruption ?

Alors, quel message véhicule aujourd’hui la tenue d’une audience solennelle de la rentrée judiciaire ? Franchement, à quoi sert-il de continuer à tenir de telles audiences dont on ne tire rien pour améliorer le fonctionnement de la justice ? Bref,...

Cette année, le thème de la rentrée judiciaire est : « Le cadre juridique et institutionnel de la lutte contre la corruption au Burkina Faso ». Ce thème a-t-il un intérêt pour une rentrée judiciaire ? Pour l’Union des jeunes avocats, une réponse par l’affirmative paraît sérieusement difficile à donner.

La première raison de ce pessimisme tient au fait que, juridiquement, un tel thème ne comporte pas d’intérêt. En effet, après avoir énuméré les dispositions légales du droit positif réprimant la corruption (cadre légal) et les institutions chargées de lutter contre ce phénomène (cadre institutionnel) il n’y a rigoureusement plus rien à ajouter.

La multiplication des structures de lutte contre la corruption nous inquiète du reste. En effet, la corruption est une infraction à la loi pénale prévue par le code pénal. Ainsi, prévoir une commission pour lutter contre une infraction traduit, à l’évidence, l’inefficacité de la justice à lutter contre une telle infraction.

L’on se demande alors pourquoi ne pas créer des commissions de lutte contre les autres infractions telles l’abus de confiance, l’escroquerie, l’émission de chèque sans provision, l’assassinat, le viol. C’est donc à se demander si la corruption est un problème judiciaire ou pas.

La seconde raison tient au fait que ce thème n’a pas intérêt pratique. Le problème qui se pose aujourd’hui dans notre pays n’est pas celui du cadre juridique et institutionnel de la lutte contre la corruption, mais bien celui de réflectivité de la lutte contre la corruption.

Que fait-on pour lutter contre la corruption, ou, plus sérieusement, veut-on lutter contre la corruption malgré le rang de plus en plus inquiétant qu’occupe le Burkina selon les récents classements mondiaux ? Tout semble indiquer qu’on élude les vrais problèmes pour poser ceux qui ne dérangent personne.

Déjà critique quant à sa pertinence de manière générale, le thème de la rentrée de cette année ne nous semble pas revêtir un intérêt pour la justice en particulier. Pour nous, le thème qui s’impose à la justice aujourd’hui est « Que faire pour lutter contre la corruption dans le milieu judiciaire ? ».

En effet, nul ne doute que la corruption existe dans notre justice. Depuis quelques années, des cas de corruption de magistrats sont tristement évoqués dans la presse sans qu’aucune enquête soit ouverte pour, soit blanchir les magistrats indexés et poursuivre ceux qui discréditent alors injustement la justice, soit pour sanctionner les magistrats auteurs de ces actes et leurs complices, auxiliaires de justice ou simples justiciables.

Lors de la rentrée judiciaire 2005/2006, où le thème portait justement sur la déontologie du magistrat, le rapporteur de la Cour de cassation avait reconnu l’existence de la corruption dans le milieu judiciaire.

Enfin, l’ancien ministre de la Justice Monsieur Boureima Badini avait également reconnu l’existence de la corruption dans notre justice. Mais alors, pourquoi rien n’est, à ce jour, entrepris pour la réduire sérieusement, à défaut de l’éradiquer de notre justice ?
La justice est assujettie au politique

Nous pensons que l’imputabilité de cette responsabilité est au politique et nulle part ailleurs. En effet, dans une situation où la justice est assujettie de fait comme de droit au politique, comme c’est le cas au Burkina, il appartient au politique, de prendre les dispositions pour que ceux qui prennent des libertés vis-à-vis des règles déontologiques et républicaines soient sanctionnés. Malheureusement, les choses ne semblent pas indiquer que les politiques veuillent vraiment sanctionner les auteurs de faits de corruption dans notre pays.

Pour trouver une explication à l’absence de sanction, l’ancien ministre de la Justice, après avoir reconnu l’existence de la corruption, avait indiqué qu’il n’y avait cependant pas de preuve.

Voilà une situation difficilement saisissable par l’esprit. N’est-ce pas ?
Comment peut-on affirmer qu’une chose existe, tout en indiquant qu’on n’a pas la preuve de son existence ? C’est une situation bien plus ambiguë que « l’Aventure ambiguë », de Cheik Hamidou Kane. Pour nous, la vraie question n’est pas celle de savoir si des preuves existent ou non.

Les questions sont au nombre de deux :
c’est d’abord celle de savoir si on peut avoir des preuves. La réponse est nécessairement, techniquement unique ; et dans notre cas, elle est « oui ». C’est ensuite celle de savoir si on veut obtenir des preuves. La réponse est nécessairement, techniquement : « ça dépend ».

Alors, on aura compris qu’on peut répondre à ces deux questions par deux phrases qui s’excluent nécessairement : soit si on veut on peut ; soit, si on ne veut pas on ne peut pas.

L’Union des jeunes Avocats est d’autant plus convaincue de ce manque de volonté politique qu’en 2006 une commission d’enquête a été mise en place pour rechercher des situations de corruption qui existent dans le milieu judiciaire.

Cette commission, dirigée par Madame la présidente du Conseil d’Etat a déposé son rapport en 2004. Depuis lors, silence absolu. Les résultats de cette enquête n’ont pas été rendus publics à ce jour au peuple, qui a droit à la vérité sur le fonctionnement de sa justice.

En effet, c’est avec l’argent du contribuable que cette commission a été mise en place et il est juste que compte soit rendu au contribuable des résultats atteints. Pire, aucune action n’a été entreprise à la suite de ce rapport.

Enfin, lorsque l’on décide de faire quelque chose, c’est, très souvent, des actions aussi inefficaces qu’irrégulières. Il nous revient en écho que certaines affectations de magistrats sont consécutives à des agissements pas en odeur de sainteté avec la déontologie.

Si cela est établi, c’est très dommage. En effet, l’affectation n’est pas une sanction disciplinaire encore moins pénale contre des personnes qui sont en porte à faux vis-à-vis de la loi, de la déontologie et de la morale même. Il n’y a pas une place dans la justice qui conviendrait à des fautifs.

Pour terminer, l’Union des jeunes Avocats tient à féliciter ceux des magistrats qui - et nous le savons, ils sont nombreux - dans le strict respect de leur serment, s’acquittent honorablement et dignement de leurs missions.

Bonne année judiciaire 2008/2009
à toutes et à tous !

Pour l’Union des jeunes avocats

Maître Pierre Lassané Yanogo
Président

(1) La titraille est du journal

L’Observateur Paalga

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?