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Zéphirin Diabré revisite la réfondation : « Réflexion très intéressante »

Publié le lundi 22 septembre 2008 à 08h42min

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Zéphirin Diabré

Quand on parle de Zéphirin Diabré, ancien ministre de l’Economie et des Finances, ancien Directeur général adjoint du PNUD, ce qui frappe, c’est l’image de l’homme aux humanités, du Sherpa, d’un intellectuel des finances et des relations internationales, et qui, pour être en prise avec les phénomènes de ce monde n’est cependant pas en apesanteur par rapport aux problèmes de son pays. Valeur refuge, il est régulièrement mentionné dans les pronostics lorsqu’on parle de premier Ministre, de président de l’Assemblée…

Mais ce qui frappe aussi, c’est que si l’homme donne l’impression d’attendre le moment le plus opportun pour donner libre cours à ses ambitions, il y a aussi qu’il semble hésiter à franchir le rubicond parce qu’il se sent surveillé comme le lait sur le feu, comme c’est souvent le cas dans les palais où la compétence est toujours regardée avec jalousie par les courtisans. C’est donc cet homme, actuellement représentant d’AREVA pour l’Afrique que nous avons eu le privilège d’interviewer pour obtenir son point de vue autour d’une question dominante de la vie nationale, la Refondation, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre Johannesburg, une de ses trois résidences pour faire face aux missions qui sont les siennes à AREVA.

Quelle appréciation faites vous du travail sur la Refondation ?

C’est une réflexion très intéressante. Ceux qui l’ont menée sont bien connus pour leur engagement et leur combativité, et ils ont, chacun à sa manière, beaucoup apporté à notre expérience démocratique. Je pense notamment à Maître Hermann Yaméogo, dont tout le monde convient qu’il est un baobab du combat pour la démocratie dans notre pays. Ils ont fait ce que l’on est en droit d’attendre d’une opposition : relever les insuffisances, critiquer, mais aussi proposer. De plus, leur démarche se justifie entièrement, parce qu’il est toujours bon, en matière de démocratie, de prendre le temps de faire un bilan, de noter les insuffisances, de s’entendre sur l’essentiel, et de recréer les meilleures conditions pour pouvoir aller de l’avant.

Dans tous les cas, eux au moins ont pris le courage, le temps et la ressource intellectuelle qu’il faut pour proposer quelque chose. Même si on n’est pas d’accord avec eux, et on a le droit, il faut au moins leur reconnaître ce mérite.

Parmi les propositions qui figurent dans ce manifeste, lesquelles ont particulièrement retenu votre attention ?

Il y a de très bonnes idées dans le Manifeste qui a été proposé.

Un des points qui ont particulièrement attiré mon attention, c’est le renforcement du rôle du parlement. Notre parlement doit avoir plus de pouvoirs, pour mieux contrôler l’action du gouvernement. Il doit aussi prendre plus d’initiatives, notamment dans le domaine de la loi. Et de manière générale, il faudrait un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du parlement.

Un autre point est relatif à notre constitution. Il est bon que son préambule réaffirme un certain nombre de principes auxquels nous adhérons tous, et qui ne sont pas sujet à débat : sur la république, sur la laïcité, sur nos cultures. Ensuite, il faut inscrire dans la constitution des dispositions qu’on ne peut pas changer au gré des humeurs politiques ou des rapports de force.

D’après vous quelles sont les insuffisances de cette contribution ?

D’abord une refondation telle que proposée, pour avoir lieu, doit s’appuyer sur un très large consensus. Cela nécessite donc de rassembler le plus grand nombre : les élus, la société civile, l’exécutif, etc... Il reste donc un énorme travail de persuasion à faire. En lisant la presse qui relate leurs tournées à travers le pays, je vois que les auteurs du manifeste se sont mis à la tache.

Deuxièmement, je pense que l’un des problèmes de notre démocratie, c’est la situation de l’opposition. La majorité se porte bien et augmente de taille à chaque scrutin. Or l’opposition reste très faible et continue de se diviser. Il serait donc bon qu’en plus ou à côté d’une réflexion sur la refondation nationale, l’opposition fasse un travail allant dans le sens de sa propre refondation. Beaucoup de gens dans notre pays soutiennent le régime en place parce qu’ils pensent que le pays avance très bien. Mais beaucoup aussi souhaitent l’alternance, parce qu’ils pensent que les choses vont très mal. Or en démocratie, pendant que la majorité défend le statut quo, c’est à l’opposition républicaine que revient la mission historique de préparer et conduire le changement. La nôtre le peut elle dans sa configuration actuelle ? Et si oui, quelle stratégie doit-elle mettre en œuvre ? Ça, c’est un grand sujet de refondation !

Quelles sont les meilleures modalités pour mettre en œuvre ces propositions ? Pensez vous par exemple que les refondateurs devraient participer au gouvernement ?

Tout dépend des contacts politiques qu’ils ont eus, et des promesses ou accords qui en ont résultés. Leur objectif, me semble t-il, c’est de faire aboutir les réformes auxquelles ils croient. Quel prix politique leur demande-t-on pour accéder à leur requête et sont-ils prêts à le payer ? Qu’est ce qu’ils auront en retour ? Je ne le sais pas. De toute façon, ce sont des hommes politiques avertis. Certains d’entre eux sont déjà rentrés et sortis des gouvernements, et ils savent ce que cela peut leur apporter. Mais ils savent aussi ce que cela peut leur coûter sur le plan politique. C’est à eux de juger !

De manière générale, comment jugez vous la participation de certains opposants de notre pays à la gestion du pouvoir d’Etat ?

Chaque formation politique est libre de suivre la stratégie qu’elle estime la plus appropriée pour réaliser ses ambitions, et n’a de compte à rendre qu’à ses électeurs ou ses militants. Il faut donc éviter de juger ou de donner des leçons dans ce domaine.

Sur le principe, il n’est pas interdit à un parti d’opposition de collaborer ponctuellement avec un pouvoir qu’il combat. D’ailleurs dans une démocratie pluraliste, on ne va nulle part si on reste radicalement opposé à tout et à tout le monde, tout le temps. Sans compter que parfois, une opposition a besoin aussi de faire l’expérience de la gestion des affaires de l’Etat. Pour avancer, un opposant doit parfois accepter le compromis. Mais il doit toujours refuser la compromission.

En fait, tout dépend des circonstances et des bases sur lesquelles cette collaboration se déroule. En cas de crise très grave, ou dans le souci de conduire des réformes politiques consensuelles, de répondre à une demande pressante de l’opinion, de défendre le pays contre une agression extérieure, etc. la majorité et l’opposition peuvent former des gouvernements d’union, d’ouverture, de protocole etc.…. qui associent tout le monde. On a vu cela ici dans un passé récent. Et je crois que cela a parfois permis des avancées intéressantes sur le plan des réformes démocratiques. On le voit aussi au Kenya et au Zimbabwe.

Même s’il n’y a pas crise, un parti d’opposition peut répondre à une invitation à participer à un gouvernement. Parfois, cette participation se fait sur la base d’un programme minimum commun négocié sérieusement, dans lequel chacun apporte son propre programme, et fait des concessions sur un certain nombre de points. C’est le cas en Allemagne.

Cela dit, en dehors des situations exceptionnelles, je crois qu’il est bon que la majorité gouverne et assume, pendant que l’opposition s’oppose, critique, propose, et prépare l’alternance. C’est ça la démocratie. On ne peut pas être une chose et son contraire. Un opposant est d’abord fait pour s’opposer ! Ensuite pour proposer ! Et une opposition sérieuse, républicaine et patriote, doit prendre cette mission historique à cœur. C’est même un partage des rôles qui est très utile pour le pays. En dénonçant les erreurs, l’opposition permet au pouvoir de se corriger pour le bien du pays. De plus, elle canalise les mécontentements et évite ainsi que la rue ou des forces anti-démocratiques n’en profitent pour confisquer le pouvoir.
Au-delà des questions de participation ou de non participation aux gouvernements qui relèvent en fait de la simple tactique politique, le plus important c’est ce que l’opposition propose, et les principes et valeurs autours desquels elle organise son action.

À côté de la réflexion des refondateurs, on assiste aussi à la révolte des rénovateurs au sein du CDP. Quel jugement portez-vous sur cette question ?

En lisant la presse, j’ai cru comprendre qu’ils posaient des questions fondamentales sur le fonctionnement démocratique de leur parti. Sur le principe, c’est toujours bien qu’à l’intérieur de nos formations politiques, il y ait des débats francs autour des questions touchant à la vie interne. C’est important pour l’enracinement de la culture démocratique.

Sur un plan personnel, je dois dire que certains de ces rénovateurs sont des grands frères pour lesquels j’ai toujours eu respect et estime. Au début de notre processus démocratique, Pierre Tapsoba m’a impressionné par la fermeté de ses positions. J’admire chez Yao Marc son goût sympathique de la polémique et l’élégance des ses répliques. En 1992, avec très peu de moyens, et alors qu’ils sortaient d’une longue période de « dégagement » par le pouvoir révolutionnaire, ils ont réussi la prouesse de constituer la deuxième force parlementaire de notre pays. Ce n’est pas rien.

Jusqu’où sont-ils prêts à aller dans ce nouveau combat pour défendre leurs convictions ? Je ne le sais pas. Certaines de leurs revendications paraissent fort intéressantes. C’est à eux de voir si ces revendications peuvent vraiment être satisfaites à l’intérieur du CDP, et d’en tirer les conséquences.

Aristide Ouédraogo

San Finna

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