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Evènements de février 2008 au Tchad : Un rapport sans crédibilité

Publié le jeudi 4 septembre 2008 à 03h42min

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Le président Idriss Déby

Le président Idriss Déby est un homme heureux. II peut croire en sa bonne étoile. En février dernier, ses opposants en rébellion armée entrent dans sa capitale N’Djamena, et l’assiègent dans son palais présidentiel. Et alors que l’on croyait que tout était perdu, il est sauvé in extremis par l’armée française. Dans la foulée, il en profite pour régler ses comptes avec l’opposition politique républicaine.

Les exactions vont des expulsions arbitraires des quartiers rasés, aux disparitions et aux morts dont, évidemment, le régime de N’Djamena ne se reconnaît aucune responsabilité. Emotion au sein de la communauté internationale devant la violation impudente des droits de l’homme. Un opposant de premier plan, Ibni Oumar Saleh, est porté disparu.

La France de Nicolas Sarkozy, l’homme qui avait promis la rupture dans les relations entre l’Afrique et son pays, est au comble de la gêne. L’Arche de Zoé avait échoué corps et biens dans les prisons d’Idriss Déby et le bouillant Sarkozy avait essayé en vain de soustraire ses concitoyens aux rigueurs d’un procès à N’Djamena ; ses troupes avaient sauvé la vie au président tchadien qui apparaissait comme un dictateur. Paris était de nouveau embourbé dans les marais de la Françafrique qui impliquait des copinages de mauvais genre avec des régimes peu respectueux des droits de l’homme proclamés glorieusement par les révolutionnaires de 1789.

Nicolas Sarkozy et son sémillant ministre des Affaires étrangères ne pouvaient pas rester sans réaction au risque de se compromettre aux yeux du monde, avec ces atteintes les plus graves aux droits de l’homme. C’est pourquoi, ils joignirent leurs voix à celles de tous ceux qui exigèrent que la lumière soit faite sur les graves événements, que la vérité soit dite et les responsabilités situées.

Or, pour la recherche de cette vérité, si nécessaire, le régime du président Idriss Déby eut la grâce de constituer lui-même la commission à sa seule discrétion. Nombreuses furent les voix qui protestèrent contre le fait de s’en remettre à une commission nationale, c’est-à-dire pour dire les choses comme elles sont, gouvernementales. Le gouvernement Déby était à la fois juge et partie. En butte aux accusations les plus graves de la part de son opinion publique et de la part de l’opinion internationale, il avait le bonheur inouï de mener lui-même l’enquête, d’élaborer lui-même la vérité. Dès le départ donc, le ver était dans le fruit.

C’est, par conséquent, sans surprise que l’on assiste aujourd’hui aux circonstances rocambolesques qui entourent la publication du rapport de la commission qui a enquêté sur les événements de février 2008. Le rapport a d’abord été remis au président Déby le mardi 5 août. Il aura donc fallu presqu’un mois pour qu’il soit livré au public. Comment veut-on que l’opinion ne soit pas alertée sur les probabilités d’une manipulation dont le but est d’épurer le texte de tout ce qui peut déplaire au régime, de tout ce qui l’accuse ?

Compte tenu des difficultés qui ont entouré la mise en place de la commission, le gouvernement tchadien aurait dû tout faire pour, du moins, donner l’apparence d’une enquête menée de façon indépendante, et dont les conclusions sont publiées dans des conditions de transparence idéale. Or, force est de constater que le régime d’Idriss Déby n’a même pas besoin de ce genre de précautions. Il fait, littéralement, ce qu’il veut.

Qui plus est, le régime de N’Djamena n’a pas mis longtemps à instruire le procès de l’ancien président Hissein Habré condamné rapidement par contumace dans le cadre de ces événements. C’était pour mieux nier ses responsabilités. Déby fait ce qu’il veut.

Et le peuple tchadien semble condamné à subir le joug de ce régime, puisque Déby est soutenu, malgré maintes bouderies, par des parrains occidentaux dont la défense des droits de l’homme sait reconnaître les limites qu’impose la logique des intérêts. Mais quels intérêts peuvent entraîner la France dans un soutien aussi ferme au régime tchadien ? Au-delà du pétrole, il faut reconnaître les logiques obscures de la Françafrique.

Désireuse de tenir son rang de grande puissance, la France ne peut pas renoncer à son influence sur les pays africains. Le moment serait mal choisi, et Nicolas Sarkozy l’a rapidement compris. Chine, Inde, Brésil, on ne compte plus les pays pour lesquels de bons arguments s’accumulent pour bousculer la prééminence d’États comme la France. Les limites des frontières hexagonales, les soixante millions d’habitants sont des données de moins en moins décisives pour appuyer la grandeur de la France. C’est pour cela qu’il lui faut pouvoir défier la Libye dans le désert tchadien.

Et c’est pour cela que les familles des victimes de février 2008 ne peuvent pas savoir la vérité sur les événements, savoir ce qui s’est réellement passé, obtenir des réparations, pouvoir faire leur deuil. C’est pour cela que l’opposition tchadienne voit, une fois encore, ses efforts échouer devant l’inflexible volonté d’Idriss Déby : elle avait fait de la clarification de ces événements, un préalable à tout dialogue politique avec le pouvoir.

Certains d’entre eux avaient, dans cet esprit, refusé d’entrer dans le gouvernement d’ouverture d’Idriss Déby, exigeant que la vérité soit d’abord dite sur les disparus, sur les morts. Le rapport évoque certes la probabilité du décès de l’opposant Saleh, mais beaucoup de zones d’ombre subsistent. Il est donc clair que ce n’est pas ce rapport qui apaisera les opposants tchadiens.

"Le Pays"

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