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Affaire Farba Senghor : Wade va-t-il enfin laisser la presse en paix ?

Publié le mercredi 3 septembre 2008 à 04h05min

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Farba Senghor

On peut se demander si Farba Senghor, à l’instar d’Abraracourc le Gaulois, avait peur qu’un jour le ciel lui tombât sur la tête. Question désormais inutile puisque depuis le 28 août dernier, le fait est avéré : le président Wade a signé depuis Genève où il se trouvait, le décret limogeant le désormais ex-ministre des Transports et de l’artisanat du Sénégal.

Au pays de la Téranga, ils sont nombreux ceux qui applaudissent et se réjouissent de la décision. Tous bords confondus, majorité comme opposition. Car l’homme s’était, en relativement peu de temps, créé de nombreux ennemis. On le craignait, le sachant vindicatif et impulsif, aux dires de certains milieux.

Farba Senghor est-il politiquement fini ? Il serait sans doute prématuré aujourd’hui de l’affirmer ; même relevé de ses fonctions de ministre, il demeure jusqu’à preuve du contraire (jusqu’à nouvel ordre ?), chargé de la propagande du Parti démocratique sénégalais. Ce qui n’est pas une fonction banale. De plus, "Le Soleil" dakarois fait remarquer si justement que Farba bénéficie jusqu’à présent de la présomption d’innocence. Ce qui est sans doute vrai. Mais ce limogeage vaut son pesant d’or et ceux qui, aujourd’hui jubilent, mesurent avec justesse la portée réelle de la chute ; on peut le dire, ils se réjouissent à bon escient.

Mais au-delà et plus profondément, on peut se demander ce qu’apportera cet imbroglio politico-judiciaire à l’univers médiatique sénégalais et à sa presse en particulier. La presse privée sénégalaise a, dans sa quasi- unanimité, salué la décision de limogeage de Farba. Reprenant des morceaux choisis du riche vocabulaire de l’ex-ministre, celle-ci s’est gaussée et n’a pas du tout boudé son plaisir de voir que l’aigle de fer a désormais les ailes brisées.

Mais on imagine qu’elle s’attend à mieux. Car, voici un pays que d’aucuns n’hésitent pas un instant à présenter comme un modèle en Afrique, en matière de gouvernance, d’alternance, de liberté, mais qui a mal à sa presse. Le fait relève du paradoxe.

Farba, et c’est un secret de polichinelle, ne portait pas la presse dans son coeur ; en témoignent les différentes déclarations qu’il a maintes fois tenues ainsi que les menaces plus ou moins graves qu’il a régulièrement proférées à son encontre. Maintenant qu’il est "hors d’état de nuire", ne serait-ce que momentanément, peut-on affirmer désormais que la presse sénégalaise recouvre toute sa liberté et bénéficie de tous ses droits ?

C’est connu, se révélant comme l’un des personnages les plus truculents de la scène politique sénégalaise, ces dernières années, Farba Senghor s’était fait une solide réputation de "prédateur" de la presse, et ses postures vindicatives ainsi que son hostilité face à la liberté de ton des hommes de médias étaient devenues presque légendaires. Mais on sait aussi que l’homme était connu pour dire très haut ce qu’autres pensent tout bas. On peut alors se demander la vraie raison qui l’a emporté. N’a-t-il pas été victime d’un geste de trop ? En effet, depuis l’avènement de l’Alternance en mars 2000, les faits sont nombreux qui poussent à croire que la presse est loin d’être libre et sans souci au pays de la Téranga. Faits qui ne sont pas l’oeuvre de Farba.

Il suffit de se rappeler quelle tourmente s’empara de Abdou Latif Coulibaly à la publication de son ouvrage intitulé "Wade, un opposant au pouvoir". Le "brûlot" attira certaines foudres et valut à son auteur des menaces de mort. On se souvient aussi de l’affaire Madiambal Diagne, du nom de ce directeur de publication d’un journal de Dakar. Lui fut embastillé quelques semaines pour avoir révélé au grand jour des informations qu’il n’était pas censé posséder. Et si la dépénalisation du délit de presse fut obtenue pour les hommes de médias sénégalais, on peut le dire, ce fut au prix d’un accouchement au forceps.

Alors Farba a-t-il été sacrifié pour un dérapage de trop ? N’a-t-il pas fini par lasser, énerver, irriter des amis politiques qui, au fond, n’en demandaient pas tant ? Des amis qui en avaient peut-être assez de compter dans leur sérail un compagnon qui devenait de moins en moins "gérable" et politiquement de moins en moins recommandable ?

Il est vrai que l’intéressé soutient que même déchu, il "émet sur les mêmes longueurs d’ondes que le président Wade". Et tout le monde s’accorde pour dire que l’homme est (était ?) un des proches parmi les plus proches du chef de l’Etat ; certains voyaient en lui un prochain premier ministrable. Mais il existe comme un syndrome du numéro deux, au Sénégal comme dans d’autres pays africains. Macky Sall, Idrissa Seck sont passés avant lui, pour d’autres raisons, il est vrai. Pouvait-il raisonnablement se prévaloir de l’amitié personnelle d’un fin politicien de la trempe de Wade pour tout dire et tout faire ? Il semble que Farba ait peut-être manqué un tant soit peu de clairvoyance politique. Il est des domaines où il n’est pas indiqué de danser plus vite que la chanson.

Karim, le fils du président, a été reçu récemment par Nicolas Sarkozy. On sait aussi que la question de la succession d’Abdoulaye Wade à la tête de l’Etat sénégalais alimente plus d’un commentaire à Dakar ; le président lui-même le sait, qui a dressé le portrait robot de celui qu’il souhaite voir à la présidence après lui ; un portrait dont on dirait qu’il est taillé sur mesure pour... Karim.

Dans ce contexte où le Sénégal cherche sa voie, tient à conserver son étiquette de modèle africain, était-il opportun de permettre certains écarts de conduite, certaines injures, certaines menaces ? Il n’est peut-être pas trop hasardeux de se risquer à dire que Farba Senghor paie pour lui et pour d’autres.

Mais au-delà des calculs politiques et des questions de personnes que recèle l’affaire, il faut revenir à l’essentiel : ce qu’en retiennent les uns et les autres. Abdoulaye Wade, c’est évident, en retire des dividendes certains : une fois de plus, il aura accédé à la demande du peuple ; il a joué et gagné ; normal qu’il s’attende à des bénéfices politiques. Mais si victoire il y a, elle est à n’en point douter celle de la presse. Gageons que celle-ci n’en restera pas là, que elle-ci ne se contentera pas du limogeage d’un Farba qui, après tout, n’aura peut-être été que l’agneau du sacrifice. Sa vraie victoire sera celle de la démocratie.

Car à travers cette affaire Farba Senghor, c’est la question des vrais fondements de la démocratie qui, une fois de plus, se trouve posée sur notre continent.

"Le pays"

 
 

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