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Rupture de ponts au Togo : L’onde de choc ressentie à Ouaga

Publié le jeudi 28 août 2008 à 09h44min

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Pays sans littoral, le Burkina Faso a une économie qui repose sur le trafic routier. Du fait de la crise ivoirienne, le port autonome de Lomé a ravi la vedette à celui d’Abidjan, et l’essentiel de nos importations et de nos exportations se fait via le pays de Faure Eyadéma. Dame Nature vient de mettre un frein à cet état de fait avec la rupture du pont d’Amakpapé, situé à 75 km de Lomé sur la route nationale n°1 par suite d’une pluie diluvienne dans la nuit du 26 au 27 juillet 2008.

Il pleut des hallebardes dans la sous-région ouest-africaine, comme l’a, du reste, prévenu les spécialistes en prévision climatique à Niamey en mai dernier. Malheureusement, certaines pluies laissent derrière elles d’importants dégâts matériels et, hélas, des pertes en vie humaine. Sont de celles-là le déluge qui s’est abattu sur Lomé dans la nuit du 26 au 27 juillet 2008.

En termes de dégâts matériels, on note la rupture de 7 ponts, dont celui d’Amakpapé, sur la nationale n°1 reliant nos deux pays par le nord. Pour avoir une idée de l’importance de ce corridor, 600 camions en majorité burkinabè y étaient floqués le 12 août dernier.

En attendant la construction d’un pont-rail, promise par les autorités togolaises, des centaines de camions de marchandises sont en souffrance, et l’inquiétude monte à Ouagadougou parmi les opérateurs économiques.

En effet, depuis le déclenchement de la crise ivoirienne, le port autonome de Lomé a conquis le cœur des opérateurs économiques burkinabè. Pour faire face à la situation, les autorités togolaises ont envisagé deux déviations : l’une sur 181 km et l’autre sur 51. Des mesures qui ne semblent pas avoir résolu le problème.

« La déviation est très mauvaise sur 51 km, les camions qui réussissent à s’en sortir mettent au minimum 7 jours pour les parcourir ; il n’est pas possible de faire un dépassement, ce qui contraint la multitude de véhicules à s’aligner et si un se bloque, tous les poursuivants doivent attendre jusqu’au solutionnement de son problème. Ce qui est malheureux, c’est que beaucoup s’embourbent et certains se renversent, c’est un spectacle qui vous coupe le goût du métier », nous confie, entre deux soupirs, un transporteur qui est rentré de Lomé le vendredi 22 août.

Le chauffeur Karim Kaboré, qui est arrivé le lundi dernier, partage le même sentiment : « La déviation, souligne-t-il, n’est pas en bon état. J’ai vu au moins une dizaine de camions, les quatre fers en l’air, tous ceux qui ont voyagé dans ces conditions n’ont plus le courage d’emprunter ce tronçon ; avant l’endommagement du pont, deux jours nous suffisaient pour regagner le pays, mais maintenant nul ne peut définir le temps qu’il mettra dans la traversée ». Il va sans dire que, dans ces conditions, les opérateurs économiques et les commerçants ont du souci à se faire.

C’est le cas du directeur général de la société Pro-Agro, Bonaventure Ouédraogo, qui a deux containers à Lomé, l’un de pomme de terre et l’autre de matériel agricole, bloqués depuis trois semaines. Ces intrants agricoles sont prévus pour la campagne sèche, qui doit en principe commencer dès mi-septembre.

« En temps normal, le transit Port de Lomé-Ouaga dure au maximum 10 jours, mais avec cette situation, nous sommes impuissants et nous ne saurions vous dire quand est-ce que les containers vont rentrer », regrette-t-il.

Pour le directeur général d’Impricolore, qui préfère mettre en avant le nom de sa société, il a un container de papier qui lui a été livré le 25 août après un mois d’attente. Face à la lenteur des camions, il n’a pas manqué d’ironiser : « Même à pied, pour parcourir 1000 km, ça va plus vite ». Alors qu’il attend sa marchandise depuis longtemps en provenance de Lomé, il a détourné certaines commandes sur Abidjan.

« Pour le Togo, nous explique-t-il, c’est une perte importante d’argent, parce que bon nombre d’entrepreneurs, comme moi, détournent leurs marchandises sur Accra et Abidjan ». S’il est plus facile de détourner les chargements encore en pleine mer, tel n’est pas le cas pour ce qui est déjà sorti des eaux. A en croire Drissa Nikièma, un aide-commerçant, son frère a 150 camions de ciment en souffrance sur la voie de Lomé, ce qui leur donne des migraines parce que les stocks sont en train de s’épuiser :

« Mon frère est allé voir à Cotonou pour que les camions y passent, mais il a fallu payer une importante somme d’argent ; les marchandises sont en route depuis lundi ; nous n’avons pas le choix, il faut payer le prix pour satisfaire la clientèle », a-t-il relevé. A l’instar de la Société nationale des hydrocarbures, bien de sociétés ont fait l’option du détour, en passant par Cotonou.

Le pont-rail, où es-tu ?

Pour certains, la rupture des ponts n’est pas le seul fait de la pluie diluvienne de juillet dernier, ils mettent aussi à l’index les surcharges. « Il faut que les surcharges des camions ghanéens soient réprimées ; ils prennent jusqu’à 150 tonnes de marchandises ; même si on construit le pont, il ne durera pas avec de telles pratiques », prévient un transporteur.

En attendant, bien de transitaires broyent du noir : « On se plaignait de nos affaires qui ne marchent pas du fait de l’arrivée en nombre restreint des camions, mais maintenant, la situation s’est aggravée. Ceux qui arrivent à contourner le blocus pour rentrer sont sous le poids des taxes, et les quelques rares camions qui sont ici viennent de Dakola et d’Abidjan. Si ça continue, nos familles souffriront autant que les camions », relate, mélancolique, le transitaire Marcel Bouda.

Et Ali Balboné de renchérir sur le poids des taxes : « Ils ont essayé de négocier avec le Bénin, mais les taxes y restent élevées alors que du côté togolais une somme de 20 000 FCFA par camion est perçue au péage ; cela devait suffire pour réparer le pont, partout c’est dur ».

Sachant que cette situation peut porter un coup dur à leur économie, les autorités togolaises s’affairent à construire un pont-rail. Selon un transporteur joint au téléphone hier, les autorités ont annoncé que ce joyau sera prêt ce mercredi.

Ce qui ne semble pas convaincre son camarade déjà rentré : « Lorsque nous y étions, nous avons mené un mouvement de grève de concert avec des structures syndicales et les autorités togolaises ont annoncé l’imminence de la construction du pont-rail, elles ont plusieurs fois fixé des dates, mais nous attendons toujours ; cette fois-ci, encore qui sait si ce n’est pas l’effet d’annonce qui est recherché ? » marmone-t-il, sceptique.

Mais que font les institutions et structures burkinabè pour faire face à la situation ? On aurait voulu savoir les mesures prises par la Chambre de commerce, elle qui est pour le moins concernée par le problème. Nous n’avons pas pu rencontrer le directeur chargé de mission, que nous avons absenté à son bureau.

Nous avons attendu en vain l’appel de sa secrétaire, qui a promis de nous donner la réponse de son patron. Notre étonnement a été plus grande à la Société nationale de transit du Burkina (SNTB), où nous avons été accueilli par « un silence radio ».

Après nous avoir fait balader de bureau en bureau, on n’a finalement pas eu une seule information sur ce sujet préoccupant de l’heure. Qu’à cela ne tienne, le directeur général du Conseil burkinabè des chargeurs (CBC), Ali Traoré, nous a ouvert ses portes.

D’ailleurs, il ne pouvait pas en être autrement, lui dont l’institution a pour mission de faire en sorte que « l’approvisionnement du Burkina se fasse dans les meilleures conditions de coût, de célérité et de sécurité ».

A l’en croire, le ministère des Transports et la direction générale du CBC se sont mobilisés pour guider les opérateurs économiques dans la recherche de solutions. En effet, le ministère a demandé aux autorités béninoises d’accorder des facilités en revoyant à la baisse les différentes taxes et éviter qu’il y ait une double imposition.

A l’en croire, les autorités béninoises sont favorables à ces mesures. Quant aux autorités portuaires du Togo, dans une note circulaire aux manutentionnaires datée du 20 août, elles ont souligné : « En vue de soulager les transporteurs fortement éprouvés, la direction générale du port autonome de Lomé demande aux manutentionnaires d’accorder des réductions tarifaires substantielles tant sur le stationnement que sur le relevage pour les containers à destination des pays du Sahel.

Ces efforts permettront de maintenir un tant soit peu le trafic à destination ou en provenance de ces pays et constituent un acte concret de solidarité des manutentionnaires à l’endroit des opérateurs économiques de ces pays qui utilisent la place portuaire de Lomé ».

Le DG du CBC a assuré que, selon des informations récentes, les travaux du pont-rail ont commencé. Seulement, comme l’a fait remarquer un transporteur, l’accès à ce pont sera limité aux camions dont la hauteur ne dépasse pas 3,80 m alors que les containers et les carrosseries ont une hauteur qui excèdent parfois 4 m. C’est dire que cette infrastructure en construction ne résout qu’une partie du problème.

Au dire d’Ali Traoré, des équipes du CBC sont sur le terrain et font de leur possible pour aider les transporteurs. A son avis, Lomé est de loin le premier port de transit de nos opérateurs économiques, mais Abidjan retrouvant sa paix d’antan, elle a doublé, de mars 2007 à mars 2008, le nombre des clients burkinabè.

Du fait de la crise ivoirienne, notre pays a diversifié ses sources d’approvisionnement, qui sont désormais Lomé, Abidjan, Cotonou, Accra et Takoradi. Il va sans dire que la concurrence est rude, et c’est le port qui offrira les meilleures conditions de trafic qui aura le plus de clients. L’intégration sous-régionale voulue par l’UEMOA passe par le développement des routes et une solidarité africaine agissante.

Abdou Karim Sawadogo
Patenema Oumar Ouédraogo (stagiaire)
L’Observateur Paalga

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