LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Traité d’amitié ivoiro-burkinabè : La CPJ critique certains aspects

Publié le mardi 26 août 2008 à 10h47min

PARTAGER :                          

La visite d’Etat de 72 heures effectuée en fin juillet au Burkina par le président ivoirien, Laurent Gbagbo, a été sanctionnée par la signature d’un traité d’amitié ivoiro-burkinabè. Si tout le monde a applaudi ledit traité, ce n’est pas le cas de la confédération panafricaine de la jeunesse (CPJ). Son porte-parole a adressé la lettre ouverte ci dessous à Laurent Gbagbo dans laquelle il critique certains de ses aspects.

Monsieur le Président,

En ces moments particuliers où la Journée internationale de la Jeunesse fait suite à la date célébrant la 48e année d’accession de votre pays à l’indépendance formelle, la Confédération panafricaine de la jeunesse (CPJ) vous adresse la présente lettre ouverte.

A ces deux dates, il faut ajouter la visite d’Etat de 72 heures que vous avez effectuée au Burkina Faso pour comprendre pourquoi c’est maintenant que la CPJ choisit de s’entretenir avec l’auteur des "Réflexions sur la Conférence de Brazzaville" sur le thème pratique de jeunesse, indépendance et panafricanisme. Nous disons bien pratique parce que nous allons aborder ce triptyque en relation avec les faits et à la lumière de la praxis panafricaniste.

Monsieur le Président,

Il sera difficile de distinguer l’homme d’Etat de l’homme tout court. Du reste, ceux qu’on dit savants affirment que pour accéder à la stature d’homme d’Etat, il faut avoir tué en soi l’humain, l’homme tout court. Nous ne partageons pas cette pensée.

Nous pensons, peut-être naïvement, que l’homme véritablement d’Etat se construit sur l’homme tout court et que le panafricanisme est une forme élevée d’humanisme. C’est pourquoi, permettez-nous de nous adresser à Laurent Gbagbo, militant panafricaniste ; celui qui, à travers conférences et livres, s’est très tôt mis au service de la cause africaine ; celui qui devant un public de jeunes auditeurs composé essentiellement d’élèves des lycées et collèges a compris comment et pourquoi il urge de faire connaître et de se battre pour l’Afrique, la vraie. Permettez-nous de nous adresser au camarade Laurent Gbagbo.

Camarade Président,

"Laurent Gbagbo est un monsieur en difficulté parce que président d’un pays convoité. La solidarité africaine exigeant de venir en aide à un frère en difficulté, rien ne nous semble plus normal que de voler au secours du président Gbagbo, car le combat que celui-ci mène dans son pays est héroïque à l’instar de celui mené jadis par Lumumba, N’Krumah, Nasser, Sankara…Nous condamnons et dénonçons l’apathie de ces leaders africains qui observent sans rechigner une ancienne puissance colonisatrice (la France) s’acharner sur un pays indépendant dont le seul crime est d’affirmer son droit à la liberté et à la maîtrise de ces richesses nationales. Maître Hermann Yaméogo est le seul à s’être clairement positionné au sujet de la crise ivoirienne." Telle a été la substance de la conférence de presse organisée par la Confédération panafricaine de la jeunesse le 4 octobre 2006 à Ouagadougou.

C’était la veille de l’examen du dossier ivoirien par le Conseil de sécurité devant se pencher sur le projet de résolution de la France. Dans de pareilles circonstances, vous pouvez mesurer ce que notre conférence de presse a pu provoquer comme incompréhension, furie et hystérie.

Il faut cependant reconnaître et mettre à l’honneur des hommes et des femmes du pouvoir de n’avoir pas visiblement manifesté leur hostilité à l’égard de la CPJ même si on peut nous répondre en disant que c’est parce qu’ils avaient délégué la riposte aux hommes de paille qu’ils tenaient en laisse.

En tout cas, l’opinion nationale retient que sur la question des "jeunes Burkinabè au secours de Gbagbo", c’est une croisade apparemment hétéroclite conduite par un opposant au pouvoir en place qui a bruyamment condamné notre position.

En tant que panafricanistes, nous étions convaincus que notre position était juste ; que notre combat est noble : qu’il ne pouvait y avoir de solution dans la crise ivoiro-sous régionale que panafricaine et qu’une telle solution panafricaine impliquait de convier à la discussion tous ceux qui ont souffert de cette crise dont Monsieur Laurent Gbagbo.

C’est pourquoi nous nous Sommes abstenus de toute surenchère. Nous avons fait nôtre la parole de l’homme, nous citons : "aujourd’hui apparaîtrons-nous comme des conquérants de l’inutile, mais peut-être, aurions nous ouvert la voie dans laquelle, demain, d’autres s’engouffreront allègrement, sans réfléchir." Nous avons donc laissé le soin au temps de décider qui de la ligne défendue par la jeunesse panafricaine et de celle défendue par cette alliance contre-nature collait le plus aux aspirations des peuples africains.

Camarade Président,

Vous avez, sur invitation du Chef de l’Etat Blaise Compaoré, effectué du 27 au 29 juillet 2008 une visite d’Etat au Burkina Faso. De mémoire de jeunes Burkinabè, panafricanistes ou non, c’est la première fois qu’un chef d’Etat, au demeurant Africain, aura été reçu avec autant de faste et de solennité. De surcroît, ce sera vous qui êtes loin d’être à votre premier séjour ou à votre première visite au Faso, qui avez reçu pour la première fois un hommage exceptionnel : 21 coups de canon, décoration de la Grande-Croix de l’Ordre national, adresse à l’Assemblée nationale, signature d’un traité d’amitié et de coopération entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, félicitation unanime de la classe politique nationale, etc.

En tant que camarade, la CPJ comprend parfaitement et se félicite de ce que deux années plus tard, toute la classe politique formelle du Burkina Faso a réalisé une union sacrée autour du Président Blaise Compaoré pour "voler au secours de Monsieur Laurent Gbagbo".

Ainsi donc, les faits une fois de plus, confirment la justesse de notre position exprimée le 4 octobre 2006. En affirmant urbi et orbi qu’il fallait vous impliquer fortement dans la solution, nous entendons créer l’une des deux conditions d’une solution panafricaine à l’intégration de la sous- région : la condition subjective. Cette condition implique que toute solution, pour être véritablement panafricaine, doit être le fait de ceux qui ont le plus souffert de la crise. L’unanimisme ambiant le démontre à suffisance : la rencontre des premiers responsables de "la colonne vertébrale de l’intégration sous-régionale", au-delà de ses flonflons (bling bling ?) était nécessaire dans la recherche d’une solution véritablement panafricaine à la crise ivoiro-sous régionale. Elle porte une occasion nouvelle d’une solution en faveur des peuples.

Pour ne prendre que le traité d’amitié et de coopération entre votre pays et le Faso, qui, pour nous, constitue la quintessence de la visite d’Etat, il offre des garanties pour les populations de la sous-région dont la plus immédiate est celle fondée sur la sécurité politique : la sécurité et la durée nécessaires à la mise en œuvre du traité implique la sécurité même et la durée des gouvernants signataires qui, à leur tour, garantissent les populations d’une stabilité ne fut-ce que temporaire ou relative. En cela, cette visite d’Etat est en rupture avec les autres traités signés entre les deux pays. La condition subjective est réunie.

Si la CPJ a osé braver les interdits d’octobre 2006 pour inciter à la création de cette condition subjective, c’est parce que nous voulons savoir vaincre. Nous pensons que cette première allait entraîner la seconde condition, objective celle-là. C’est que pour une solution panafricaine, il faut non seulement qu’elle soit le fait de ceux qui ont le plus souffert de la situation de crise et il faut surtout qu’elle entraîne une rupture de l’ordre ancien. C’est donc dire que pour être une rupture panafricaniste, il faut qu’elle soit révolutionnaire. Il faut qu’elle s’attaque à tous les aspects de la crise (aspects idéologique, politique, économique et culturel).

Or c’est à cette rupture de l’ordre ancien que la visite d’Etat que vous avez effectuée au Burkina Faso a été incapable de répondre. C’est le manque de cette vertu germicide du traité en date sur la crise qui nous fait dire qu’après l’orage le péril demeure. Sinon par peur de jouer au cassandre, la CPJ aurait pu (comme la classe politique) s’en contenter, tout en ayant une pensée pour le frère Doug Saga (qu’il repose en paix), "on nous a critiqué ; on nous a insulté mais pour finir tout le monde a sagacité".

Camarade Président,

Permettez à la jeunesse panafricaine de vous soumettre ses réflexions tout en vous confiant une mission révolutionnaire.

La crise qui a secoué votre pays et la sous-région depuis le 19 septembre 2002 tire son origine de la politique coloniale de la France. La présence massive de la forte communauté burkinabè dans votre pays en effet, est la conséquence de la politique coloniale de la France. C’est à l’occasion des travaux forcés que des millions de Burkinabè ont été transférés dans ce pays. C’est ainsi que les grands travaux coloniaux du port d’Abidjan, de San Pedro, le canal de Vridi, le chemin de fer Abidjan-Niger, ont été bâtis par la sueur et le sang de travailleurs et de forçats dont la majorité étaient des jeunes.

C’est également grâce à cette main-d’œuvre taillable et corvéable à merci que des milliers d’hectares de café, de cacao, d’hévéa ont pu être développés. C’est ce rapport "du cavalier et du cheval" en fonction des intérêts du colonisateur qui a été l’essence même de l’existence des deux pays.

Après les indépendances formelles, incapables d’assurer des conditions de vie décente aux peuples et à leur jeunesse et d’œuvrer au progrès économique et social des pays, l’émigration a toujours été une aubaine pour les différents régimes de la sous-région (exceptés ceux progressistes). C’est ainsi qu’ils vont maintenir et codifier cette politique coloniale à travers des accords signés entre eux (SIAMO, traité avec le Gabon, etc.). Ces pouvoirs n’ont jamais pris en compte les intérêts de leurs communautés nationales vivant dans les pays limitrophes. Les représentations diplomatiques par exemple n’ont mis aucune po

litique d’assistance en place et les citoyens émigrés ont été de fait transformés en citoyens de seconde zone. Leurs droits civiques ont été niés. Ils sont exclus de toutes les consultations nationales dont les élections.

C’est à ces questions d’essence coloniale et néocoloniale, germes de la crise, que la visite d’Etat et le traité y consécutif devraient s’attaquer. Au lieu de cela, ils se font forts de les consolider et de les complexifier et se placent ainsi dans la tradition de la politique africaine de la France qui veut qu’à la faveur de chaque crise, on ait recours à des replâtrages et à des bricolages, quitte à reprendre le lendemain ce dont on avait posé le principe la veille. Deux exemples sur le tas.

Sur ses objectifs par exemple, l’article premier, point 2 du traité stipule qu’il a pour objectif entre autres de "(…) consolider les relations privilégiées de fraternité et de coopération dans les grands domaines d’intérêt commun notamment politique, socioéconomique, culturel (…)". "Consolider" les relations dans ces domaines revient en fait et une fois de plus en droit à renforcer les relations entre nos deux pays telles qu’issues et voulues par le colonisateur. Pour ce qui est de la culture pour ne prendre que ce cas, il faut en toute honnêteté admettre que renforcer la coopération culturelle en l’état sans au préalable évaluer et renforcer les cultures nationales, revient à aggraver la dépendance et à signer l’acte de mort d’une culture burkinabè déjà sous- culture ivoirienne.

Cela saute aux yeux. De plus en plus, on parle au plan politique de la double nationalité. Mais peut-on sérieusement parler de la double nationalité à ceux qui n’en ont pas encore une ? Avant le double, nous voulons la nationalité.

Pour tout vous dire sur ces questions et bien d’autres, votre visite d’Etat n’a pas été à même d’entraîner une rupture de l’ordre ancien colonial. Elle n’a pas été capable d’entraîner une rupture révolutionnaire. Or, c’est cette rupture révolutionnaire qui est panafricaniste par essence car elle implique une redistribution des forces dans l’intérêt des peuples africains. Seule une telle rupture peut fonder et consolider une intégration à la mesure des aspirations des peuples de la sous-région. C’est à cette mission révolutionnaire que la CPJ convie notre camarade Président auprès du Président en exercice de la CEDEAO et de ses homologues de la sous- région.

Soyez le porte-parole de la jeunesse dans ces cadres pour dire que les jeunes de la sous-région aspirent à une paix et une intégration fondées sur le développement des potentialités locales de chaque pays ; que ce développement suppose la définition et la mise en œuvre d’une juste politique dont celle relative aux émigrés ; qu’il implique l’adoption dans tous les pays de la sous-région de textes de loi permettant aux émigrés d’être considérés comme des citoyens à part entière jouissant de leurs droits notamment le droit de vote. Voici la mission de la jeunesse africaine.

Camarade Président,

Si vous acceptez d’accomplir cette mission révolutionnaire, vous aurez contribué à approfondir le sens de notre prise de position d’octobre 2006 avec des effets dont le positif pour les peuples et leur jeunesse n’aura d’égal dans les annales de l’histoire que vers les années 1946. En montrant que notre conduite a été exemplaire vous allez encourager les jeunes de la sous-région à prendre des positions justes dans l’engagement politique pour la liberté et la dignité de l’Africain et à s’y arc-bouter parce qu’ils auront la conviction que "la position juste" est une condition nécessaire à l’aboutissement de toute cause juste, de tout combat qui rassemble et mobilise des hommes de bonne volonté venus d’horizons divers, mais mus par une même passion, animés d’une seule et même foi : le panafricanisme.

Si vous n’acceptez pas notre mission, nous ne serons pas surpris ! Le Journal du Jeudi (JJ), un journal satirique du Burkina Faso, nous aurait prévenus à la suite de la conférence d’octobre 2006 à travers une caricature (prémonitoire ?) représentant des jeunes Africains en face de vous qui affirmaient mordicus : "Gbagbo est comme Lumumba, N’krumah, Sankara …". Et vous de refuser véhément en rétorquant : "ah non hein…Ils sont tous morts".

Vous aurez en effet raison. Ces héros immortels dont nous réclamions le combat sont tous morts pour la cause africaine. Vous aurez raison et nous vous comprendrons. Mais serions-nous encore camarades ?

"Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission. La remplir ou la trahir !" Par ces temps lourds, bas et orageux, la CPJ a découvert la mission de la jeunesse africaine. Il ne reste qu’à la remplir avec, par et pour l’Afrique.

Que Dieu (QSL) bénisse l’Afrique !

Pour la CPJ, le porte-parole, Mamadou Nomanaba KONE
(E-mail:cpj20cra@yahoo.fr)
Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Le Dioula : Langue et ethnie ?
Sénégal / Diomaye Faye président ! : La nouvelle espérance
Burkina : De la maîtrise des dépenses énergétiques des Etats
Burkina Faso : Combien y a-t-il de langues ?