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Processus électoral en Côte d’Ivoire : Pourquoi il faut être prudent

Publié le lundi 18 août 2008 à 12h21min

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Pour l’auteur des lignes qui suivent, le processus électoral a plutôt bien commencé en Côte d’Ivoire, où, rappelons-le, la présidentielle a été fixée au 30 novembre 2008 ; néanmoins, il faut être prudent et se garder de tout triomphalisme. Il explique pourquoi.

Quand on nous dit qu’il y aura une élection le 30 novembre 2008 en Côte d’Ivoire, on ne peut s’empêcher d’avoir des appréhensions, des doutes et même des craintes. Ce n’est pas pour faire l’oiseau de mauvais augure. Non ! Tout le monde souhaite qu’il y ait l’élection en Côte d’Ivoire le 30 novembre. Une élection transparente, libre, dans les conditions de paix et à l’issue de laquelle le candidat victorieux, revêtu d’une légitimité incontestable et incontestée, va amener les Ivoiriens, au-delà de leurs considérations politiques et ethniques, à la réconciliation définitive et leur pays à retrouver rapidement son lustre d’antan.

C’est le vœu de tout un chacun et depuis Linas Marcoussis (janvier 2003) jusqu’à la célébration du 1er anniversaire de la Flamme de la Paix à Bouaké (30 juillet 2008), tout le monde, c’est-à-dire l’ONU, l’Union africaine, la CEDEAO, la Médiation burkinabé et tous les Ivoiriens, y a travaillé… d’une manière ou d’une autre. Il y a eu beaucoup de divergences, beaucoup d’incompréhensions et de tensions, mais tout le monde avait à cœur l’avènement d’une paix que certains, hélas, avaient souvent marquée du sceau de leurs intérêts ! Que les choses se passent bien donc le 30 novembre, et ce sera la victoire de tout le monde. Nous le souhaitons ardemment, car il y va de l’intérêt de toute la sous-région. Mais la situation oblige à beaucoup de prudence.

Il est intéressant de noter tout d’abord que les élections ne sont pas un fait nouveau en Afrique. Loin de là. Les premières consultations électorales ouvertes aux autochtones ont été organisées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais en raison des violences de tout genre qui les accompagnent depuis une bonne quinzaine d’années, elles apparaissent de plus en plus comme responsables de la rupture du consensus social dans nos Etats (1). En Afrique, et comme le note Jean Pierre Chrétien, « le ressort de la violence armée est toujours lié à des enjeux de politiques internes. Il s’agit soit de préserver ou de renforcer un pouvoir établi, soit d’entrer en dissidence avec lui… » (2).

Ces dernières années, en effet, les élections n’ont pas eu un déroulement, encore moins un dénouement heureux dans les pays africains. Il n’y a, pour s’en convaincre, que de se rappeler d’abord l’élection dramatique de Faure Gnassingbé au Togo, et la tragédie (plus de 300 morts) qui a accompagné l’élection d’Umarou Yar’Adua l’année dernière au Nigeria. Ensuite, les violences inouïes avec des centaines de morts en République démocratique du Congo et au Kenya ainsi que l’impasse chaotique dans laquelle les élections de fin mars dernier ont plongé le Zimbabwe. C’est connu : les élections tournent souvent à la tragédie, aux règlements de compte et à toutes les folies inimaginables dans nos pays. Bien sûr, il y a des élections apaisées sous nos tropiques. Mais dans de nombreux cas encore, les choses se passent comme si un bain de sang était nécessaire à l’intronisation du nouveau pacha !

Nous aurions voulu que la Côte d’Ivoire ne fût pas de ces pays-là, mais elle a, elle aussi, une histoire et une situation qui interpellent. Comme l’a si bien écrit le professeur ivoirien Yacouba Konaté, « depuis la mort d’Houphouët- Boigny, la question de légitimité des dirigeants s’est posée dans un contexte de violences, d’injustice, d’impunité qui a conduit étudiants et soldats en dissidence avec l’autorité publique à la désertion, à la clandestinité puis à l’exil… » (3)

Il paraît inutile de rappeler ici le drame qui a accompagné l’élection de Laurent Gbagbo en octobre 2000. Les violences de tous ordres avaient connu leur apogée avec les été charniers de Yopougon, et de nombreux crimes n’ont encore élucidés. Il semble nécessaire par contre de restituer le contexte dans lequel l’élection va se dérouler. Si le processus électoral est plutôt bien lancé, les forces en présence et l’état d’esprit de certains acteurs peuvent donner des inquiétudes. De plus, les casseroles que traînent Gbagbo et certaines questions en suspens pourraient compliquer la situation.

1. Un processus qui a plutôt bien commencé De l’avis des observateurs et même de certains acteurs de la scène politique ivoirienne, le processus électoral en Eburnie a plutôt bien commencé. Le 13 juillet dernier, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, dans un rapport public, avait salué le processus électoral en Côte d’Ivoire. Il avait constaté que le « processus électoral a vraiment débuté ». C’est vrai que le processus électoral est vraiment lancé. Le 11 août dernier, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) a procédé à la remise officielle du premier lot de matériel électoral au gouvernement ivoirien.

Ce matériel, composé de 1500 valises électorales, devrait permettre à l’opérateur technique SAGEM de commencer les opérations d’identification dans les meilleurs délais. Les contraintes logistiques et financières sont en train d’être progressivement levées en vue de l’élection du 30 novembre prochain. Et sur le terrain, la Commission électorale indépendante est très active. Son président, Robert Beugré Mambé, il y a quelques jours, à l’occasion d’une formation donnée aux organisations de la société civile, a répété que son institution voulait « organiser des élections sérieuses, très sérieuses… ». Et pour y parvenir, elle veut pouvoir compter sur la société civile, les chefs religieux...

Les préparatifs vont bon train donc et mercredi encore, reçu par le président Gbagbo, le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire, J. Choi, a réaffirmé la disponibilité de l’ONUCI d’apporter aux institutions et aux autorités ivoiriennes toute l’assistance possible dans le cadre de son mandat d’accompagner le processus électoral. De ce côté-là, tout avance. Tant et si bien que les différents camps affûtent leurs armes. Mais justement dans ce processus électoral, ces différents camps semblent affûter leurs armes avec trop de zèle et de passion. C’est là que le bât semble blesser. Les différentes forces en présence ont tous les moyens pour en découdre dans les urnes et dans…la rue. Il n’y a, pour s’en convaincre, que de les passer en revue.

2. Des forces en présence qui inquiètent Si officiellement il existe près de cent trente partis en Côte d’Ivoire, il n’y aura aucun amalgame lors de l’élection du 30 novembre prochain. Nous aurons face à face deux camps : d’une part le FPI au pouvoir et tous ces partis et organisations satellites, et d’autre part l’opposition (radicale ?) réunie au sein du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Et en Côte d’Ivoire, l’opposition ne compte pas pour du beurre, comme c’est le cas dans bon nombre de pays africains. Elle est une force réelle qui occupe le terrain et tient tête au pouvoir.

Dans le camp du RHDP (qui regroupe le PDCI-RDA d’Henry Konan Bédié, le RDR d’Alassane Dramane Ouattara, le MFA d’Innocent Ananky Kobéna et l’UDCI d’Albert Mabri Toikeuse), on a sonné la mobilisation, il y a quelques jours à Daoukro alors que le président Gbagbo effectuait sa visite « historique » à… Ouagakro. Après avoir marqué leur « opposition nette à toute idée de dissolution du gouvernement », les leaders du RHDP ont demandé au Facilitateur la convocation urgente du CPC pour faire face aux nombreuses difficultés qu’ils ont recensées dans le processus électoral. Au-delà de ces divergences d’ordre politique, il y a que nous sommes en présence de partis qui s’identifiaient encore récemment et très fortement à une ethnie donnée. Le RDR aux Dioulas et le PDCI-RDA aux Baoulés.

Il y a quelques jours, suite à l’agression et à la séquestration d’Henriette Diabaté, Secrétaire générale du RDR, à Afféry, c’est de Bouaké que la réplique la plus vive est venue. Dans cette grande ville du nord de la Côte d’Ivoire, le Comité de soutien d’Alassane Dramane Ouattara de la gare de cette ville a menacé de riposter et affirmé qu’à l’avenir il n’acceptera plus « les désagréments infligés » à leurs responsables. L’idée selon laquelle les jeunes Ivoiriens n’auraient plus le réflexe ethnique ne peut être prise pour argent comptant. Même s’il y a des Dioulas et des Sénoufos pur sang au FPI, et mieux, dans l’entourage du Président Gbagbo, et des Baoulés bon teint au RDR, la grande majorité des populations ivoiriennes semble encore s’identifier aux partis politiques réputés proches de leur ethnie. Dans ces conditions, l’affront d’un leader politique est ressenti comme l’affront de toute une communauté et les dérapages sont vite arrivés. L’opposition a du répondant ; elle a ses organes de propagande et il y a des chances que les provocations et intimidations du pouvoir (s’il se manifeste comme certains le prévoient) ne restent pas sans réplique.

Le problème, justement, c’est que le camp d’en face, celui de Gbagbo, semble bien rôdé dans les intimidations et autres provocations. Le FPI (naguère encore parti des Bétés), on le sait, prépare « ses » élections depuis longtemps. Laurent Gbagbo et les siens ont ratissé large dans le camp adverse. Ils ont suscité de nombreuses défections, dont les plus marquantes restent celles de Laurent Dona Fologo, ancien baron du PDCI-RDA, et de Zemogo Fofana, ancien cacique du RDR. Les uns et les autres, après avoir créé leurs partis (llons ?), se sont retrouvés au sein de Congrès national de la résistance, « véritable melting-pot… composé de vingt-sept partis, syndicats et associations » ; cette organisation, qui soutient la candidature de Laurent Gbagbo, est présidée par Bernard Dadié, un autre ancien du PDCI-RDA.(4) On sait que Laurent Gbagbo est dur. La répression, l’exil et la prison sous Houphouët l’ont rendu tel.

La première Dame aussi d’ailleurs. Et ce n’est pas parce que nous l’avons décoré récemment de notre plus haute distinction qu’il va changer. Gbagbo a avec lui une véritable armée de jeunes patriotes, qui ont fait le « sale boulot » en son nom et pour son compte dans les moments difficiles. Si entre-temps, Blé Goudé était officiellement occupé à « gérer sa vie professionnelle et à recadrer ses troupes », il pourrait bien reprendre du service à l’occasion de cette élection. Il ne faut pas être naïf. Laurent Gbagbo n’organise pas « ses » élections pour les perdre.

3. Casseroles de Gbagbo et autres questions en suspens

Récemment, dans une lettre ouverte qu’il a adressée au président Gbagbo, Ananky Kobéna lui rappelait avec véhémence qu’il devait des comptes au peuple ivoirien sur les différentes affaires de détournements dans les filières café-cacao et sur l’affaire de la disparition du journaliste Guy-André Kieffer avant de lui poser cette question brute : « Où va l’argent du pétrole non officiellement déclaré ? ». Ajouté à cela les exactions subies par nos compatriotes dans ce pays, qui fut à un moment donné une véritable « poudrière identitaire » et que certains pourraient être tentés, s’il venait à quitter le pouvoir, de lui en faire porter la responsabilité. C’est dire si Gbagbo traîne des casseroles derrière lui, lesquelles casseroles pourraient devenir un déterminant de son action politique. Gbagbo mettra alors tout en œuvre pour gagner l’élection du 30 novembre prochain.

Les tenants de la ligne dure du FPI, comme Mamadou Koulibaly, pourraient revenir au premier plan. Enfin, certaines questions restent en suspens. C’est d’abord le cas de la démobilisation des ex-rebelles et du désarmement des milices. Dans son adresse suscitée, le Secrétaire général de l’ONU a constaté que « le fait qu’il existe toujours des milices, même si elles ne sont pas opérationnelles, et le manque de crédibilité du cantonnement d’ex-combattants avec des armes stockées dans le cadre d’arrangements sûrs et vérifiables pourraient poser de graves risques pour le processus électoral ». C’est vrai que le regroupement des ex-combattants et le démantèlement des milices tel qu’exigé par la réunion du Cadre permanent de concertation du 10 mai dernier ne sont pas encore achevés. Des questions qui, si leur traitement n’est pas accéléré, pourraient tendre à remettre en cause le processus actuel.

Autre question, la situation politique même du Premier ministre Soro. Si, jusque-là, il a plus ou moins manœuvré dans le sens d’une certaine impartialité, il pourrait être tenté par des actes en faveur d’un camp ou de l’autre, dans la perspective justement de son avenir politique.

4. Le chemin est tracé…il faut le suivre C’est pour toutes ces raisons et au vu des forces en présence et de l’état d’esprit des uns et des autres que nous disons qu’il faut prendre ce processus électoral avec toute la prudence et tout le sérieux qui seyent. On peut répéter avec les uns et les autres qu’il y aura l’élection le 30 novembre en Côte d’Ivoire. Mais quelle élection et dans quelles conditions ? L’Accord politique de Ouagadougou et son accord complémentaire ont déjà tracé la voie. Depuis, plusieurs autres recommandations sont venues s’ajouter. En avril dernier par exemple, l’International Crisis Groupe a fait des « recommandations pour un processus électoral en Côte d’Ivoire. » Lesdites recommandations étaient adressées au président Laurent Gbagbo ; au Premier ministre, Guillaume Soro ; aux organisations de la société civile de Côte d’Ivoire ; au Facilitateur, Blaise Compaoré ; au Conseil de sécurité de l’ONU ; au Représentant spécial de cette organisation en RCI ; aux nouveaux administrateurs de la RTI et du groupe de presse Fraternité Matin et au gouvernement français. Bon nombre de ces propositions sont pertinentes et si elles sont mises en œuvre, elles peuvent conduire à une issue heureuse de la présente situation.

Il s’agit, entre autres, pour le président Gbagbo de « s’abstenir de recourir à des menaces, à l’usage de la force et à toute action qui pourrait créer une psychose sécuritaire peu propice à la tenue d’élections libres et transparentes », « d’accepter le principe du couplage du premier tour de l’élection présidentielle avec les élections législatives » ; pour le Facilitateur, Blaise Compaoré, de « maintenir un contact permanent avec tous les acteurs politiques et les organisations de la société civile afin d’identifier les risques de dérapages du processus électoral, y compris les intimidations et les violences politiques au niveau local » et pour le Conseil de sécurité de l’ONU, de « réaffirmer que les forces internationales doivent protéger les civils en danger immédiat de violence physique et conserver toute leur liberté d’initiative et de mouvement pour s’acquitter de cette mission ». Mais, au-delà, c’est toutes les autorités locales élues et nommées (maires, préfets…) qui doivent s’investir dans ce processus électoral.

La situation en Côte d’Ivoire appelle donc à beaucoup de prudence. Les espérances qu’elle suscite semblent autant légitimes que les craintes qu’elle peut inspirer. Evitons donc de verser dans le triomphalisme de certains tout en exhortant les différentes parties à l’élection ivoirienne à la responsabilité pour une fin heureuse de cette situation, qui n’a que trop duré. Cette élection doit être prise comme un moyen, un moment de réconciliation entre les Ivoiriens et non comme une fin. Le tout, en effet, n’est pas d’organiser une élection. Mais d’organiser une élection qui consacre une dévolution démocratique du pouvoir et ouvre la voie à des lendemains meilleurs pour les Ivoiriens de tout bord. Une élection au sortir de laquelle le président élu aura toute la légitimité nécessaire pour « régner » et gouverner. Car, comme le note Yacouba Konaté, « plus sa légitimité paraît faible, plus agressif sera son jeu politique et précaire la paix ».

Hermann Yacouba Nacambo Etudiant en Sciences politiques UO hynacambo@yahoo.fr Notes : 1. Document du colloque international sur le thème : "Démocratie et processus électoraux dans les Etats africains au XXIe siècle".

2. Yves Chrétien : « Les racines de la violence en Afrique » in Afrique politique N°42, Violence et pouvoir, 1991

3. Yacouba Konaté : « Les enfants de la balle : de la FESCI aux mouvements patriotes » in Afrique africaine N°89, Mars 2003

4. Jeune Afrique l’Intelligent, 27 janvier (Les forces en présence) et 30 mars 2008 La galaxie Gbagbo

L’Observateur

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