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Les U.S.A en campagne électorale : Le pays où tout est possible

Publié le mardi 12 août 2008 à 12h07min

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Le Pr Basile Guissou, ce grand débatteur devant l’éternel, qu’on ne présente plus, nous revient dans l’écrit ci-après. Pas sur la situation nationale mais sur l’actualité internationale, notamment la présidentielle américaine du 4 novembre prochain, avec en lice un nègre, Barak Obama. Lisez plutôt son analyse, riche d’allusions au contexte africain.

Introduction : un nègre candidat à la Présidence

Lorsque le 06 mai 2007, en France, les électrices et électeurs devaient voter pour choisir le successeur de Jacques Chirac à la présidence de la République, mes étudiants en DEA/Sciences politiques de l’Université de Ouagadougou (UO) m’ont demandé si, selon moi, Nicolas Sarkozy allait l’emporter. Sans hésiter, ma réponse a été « NON ».

Tout simplement parce que mes sept (7) années de vie d’étudiant à Paris (1973-1979) m’avaient conduit à la conviction que les Français étaient trop conservateurs. Est-ce parce qu’ils avaient été trop avant-gardistes en 1789, pendant la Révolution, en allant jusqu’à décapiter leur Roi et leur Reine en proclamant la République, après avoir aboli tous les privilèges de la noblesse le 4 août 1789 ? Disons en passant que la date du 4 août 1983 au Burkina Faso n’a pas été choisie « par hasard » par les révolutionnaires. Le Conseil national de la révolution (CNR) avait une culture politique incontestable.

Pour moi, l’électorat français cherchait toujours à se réconcilier avec son « terroir » et la « France profonde » en votant toujours un « Français d’origine » à la Présidence, comme pour se « dédouaner » du régicide de 1789.

Les faits m’ont donné tort. Nicolas Sarkozy, ce fils d’immigrés, Français « d’adoption », avec le seul « droit du sol » et sans le « droit du sang » est aujourd’hui, le chef de l’Etat français. La société française donne ainsi au reste du monde une leçon de sa capacité à évoluer et à s’adapter aux idées nouvelles qui dominent la scène politique mondiale dans un début de siècle où tous les paris restent ouverts à tous, quoi qu’on dise. La situation politique présente aux USA est là pour nous le démontrer.

Le 4 novembre 2008, les citoyens américains vont élire leur Président. Il y a deux (2) candidats en présence : John Mac Caïn du Parti républicain et Barak Obama du Parti Démocrate.

John Mac Caïn est un Américain « d’origine » ou présenté comme tel. Barak Obama est, quant à lui, un vrai Africain-Américain de fraîche date. Il n’est pas un descendant des esclaves noirs transportés par les bateaux des négriers pendant les quatre siècles (14e-18e siècle après Jésus Christ) de ce commerce honteux que la toute puissante « Communauté Internationale » continue de refuser qu’on nomme comme le veut l’évidence, c’est-à-dire un crime contre l’humanité.

Barak Obama est un nègre-métis, de père kenyan et de mère américaine (du Kansas). Il fait partie des « very well educated people » (les personnes très bien éduquées) qui comptent sur l’échelle des valeurs sociales au sein de l’élite politique aux Etats-Unis d’Amérique.

Contrairement à ce qui pouvait être le cas pour la France, partie intégrante de la « vieille Europe », ici nous sommes dans un pays neuf et au sein d’une « société ouverte » comme le dit le milliardaire-penseur, Georges Soros (1998). L’Amérique est par excellence le pays de tous les possibles, de tous les paradoxes et de toutes les contradictions.

Les U.S.A sont probablement la seule nation moderne qui a réussi une révolution institutionnelle et politique au cours de laquelle une colonie arrive à conquérir son indépendance (1776) et en être à réduire son pays colonisateur (la Grande Bretagne) au statut de colonie sur les plans économique et politique, aujourd’hui (2008).

Dans un tel pays, il n’y a donc rien de si étonnant dans le fait, qu’un nègre soit candidat à la présidence, avec un slogan de campagne qui dit beaucoup : « yes we can » = « oui ! nous pouvons ! ». C’est pourquoi aussi, l’Amérique peut se retrouver le 4 novembre 2008, avec un Président qui se nomme Barak Obama.

I. Il est un « béni de Dieu »

Selon ses propres propos de campagne : « mes parents m’ont donné un nom africain, Barak, qui veut dire « béni », en pensant que dans une Amérique tolérante, le nom que l’on porte n’est pas un obstacle à la réussite. Ils ont imaginé que j’irai dans les meilleures écoles du pays, bien qu’ils ne fussent pas riches, car dans une Amérique généreuse, vous n’avez pas besoin d’être riche pour réaliser votre potentiel » .

Tout comme le pasteur Jesse Jackson en 1984, avec lequel il m’a été donné d’échanger au sortir de sa défaite à l’élection présidentielle à New York, Barak Obama se bat en vrai Américain qui propose à ses compatriotes un projet de société basé sur la foi en une Nation forte qui lutte, qui progresse et qui gagne, justement à cause de sa capacité à conjuguer positivement ses différences et ses contradictions.

De passage à Washington en 2003, de la petite terrasse d’un café, situé non loin du siège de la Banque mondiale, j’ai été instruit par une scène sur la « société ouverte » qui construit l’Amérique. Une camionnette venait de s’arrêter en face d’un magasin. Une équipe « multicolore » d’ouvriers portant une grande vitre descend, et commence à remplacer la baie vitrée du magasin.

Ils étaient six (6) à sept (7) ouvriers. Toutes les races, ethnies, tribus ou « métis » du monde s’y retrouvaient : noirs, asiatiques, européens, indiens et les métissages qui pouvaient en émaner. En vingt (20) minutes, dans une ambiance joviale et fraternelle, où les outils, les mégots de cigarettes et les cannettes de coca-cola circulaient d’une main à l’autre, le travail était terminé. Le chauffeur, un « vrai nègre pur sang » klaxonne nerveusement en criant : « les gars faites-vite, il reste encore du boulot qui attend ! ».

Tous, sans exception, en remontant dans le véhicule, ont tapé soit sur la tête, soit sur les épaules ou le dos du conducteur avant d’aller s’asseoir bruyamment.

Au fond de moi-même, le sentiment d’avoir eu une « leçon des choses » ou un cours pratique de ce que c’est qu’une Nation multiraciale qui fonctionne, m’a envahi. Burkinabé et vivant au quotidien le conflit fratricide de la Côte d’Ivoire voisine du Burkina Faso en ces moments précis, c’est à l’incapacité culturelle et intellectuelle des élites politiques de mon continent à « dépasser par le haut » nos différences que mes pensées sont allées.

Il n’y a pas encore assez de « béni de Dieu » sur notre continent pour autoriser un Modibo Diarra, le Malien de Micro-soft-Afrique, à se présenter aux élections présidentielles au Nigeria ! Et Abdoulaye Wade, le Président du Sénégal, cet ancien militant comme moi, de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) n’a pas eu tort de dire haut et fort que le sort que subissaient les Burkinabé en Côte d’Ivoire était pire que celui des Africains en France.

Cette Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) a été créée le 31 décembre 1950 à Bordeaux (France) comme une réplique politique organisée des étudiants panafricanistes et anti-colonialistes face au fameux « repli tactique » du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) de Félix Houphouët Boigny qui capitulait face à la France coloniale.

C’est la première structure de formation politique qui regroupait l’élite estudiantine de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F) et de l’Afrique Equatoriale Française (A.E.F). Jusqu’en 1981, elle a donné une formation à des milliers d’étudiants avec des mots d’ordre qui restent d’actualité même de nos jours, comme l’appel du XIXe Congrès en décembre 1966 : « Le congrès appelle les étudiants et les intellectuels africains,
- à s’intégrer aux masses ouvrières et paysannes ;
- à s’éduquer auprès d’elles ;
- à participer en leur sein à la naissance et au renforcement d’organisations d’avant-garde, supports essentiels d’un front anti-impérialiste conséquent pour la libération et l’unification réelles de l’Afrique ».

C’est dans le processus « d’intégration aux masses » que se forge une élite « techniquement compétente et politiquement consciente » capable de forger une nouvelle identité et une nouvelle culture, débarrassées de l’aliénation et du reniement de soi. Si cette dynamique se poursuit et se renforce, la perspective des Etats-Unis d’Afrique se concrétisera au prix de nos efforts internes.

II. Une question identitaire et culturelle

Le « nous » dont se sert Barak Obama pour crier « oui, nous pouvons » au cours de la campagne électorale, n’est pas le « nous » de Majesté qui existe dans la langue française. C’est le « Nous » qui rassemble la communauté nationale dans et autour des valeurs ayant servi à construire l’identité nationale américaine.

C’est le « Nous » qui sonne le rassemblement autour du drapeau national, la bannière étoilée des cinquante (50) Etats de la Fédération et de l’hymne national. La troisième valeur qui fonde le « vouloir vivre ensemble » aux Etats-Unis d’Amérique étant bien entendu la langue, « l’american-english » que personne là-bas ne confond avec la langue britannique, le « queen english ». Il existe une culture américaine.

C’est le « american way of life » = (la manière de vivre américaine). C’est le jazz, la boxe, le golf, le « soccer » (football américain), la religion, les gospels, les bandes de gansters, les grandes exploitations agricoles, les grands « ranchs » d’élevage de bétail, etc.

Quand un pays arrive à créer une si forte identité culturelle et politique comme c’est le cas des Etats-Unis, il peut se permettre de narguer tous les autres, parce que, à l’interne, l’Union sacrée autour de la question identitaire et culturelle est assurée.

C’est ce qui me permet de comprendre cette militante noire américaine rencontrée à Paris en 1976, que nous prenions en pitié dans cette période où les militants politiques « black panthers » = (panthères noires) étaient traqués dans son pays, et qui, froidement, nous déclarait : « je préfère mille fois être américaine noire aux Etats-Unis que d’être citoyenne d’un pays africain vivant en Afrique ».

De quelles valeurs communes, de quelle culture commune, de quelle identité commune et de quelle Nation commune étions-nous ? Aucune. Elle avait raison.

Si, aujourd’hui, le Kenya peine à sortir d’une crise sociale et politique, après une banale élection présidentielle diabolisée et tribalisée à mort (1500 morts) , comment son « fils béni » des Amériques peut-il s’identifier avec fierté, à ce pays ? C’est très difficile à faire aujourd’hui. Aussi difficile à faire que de réussir à dissuader les milliers de jeunes africains qui se jettent à la mer et y meurent pour avoir voulu atteindre le « paradis européen » de leurs rêves, qu’ils ne verront jamais.

Là aussi, la question est identitaire et culturelle. C’est dans les cerveaux que ça se passe. C’est à ce niveau que les idées doivent changer, par la culture de l’amour pour son continent, ses langues, le renforcement de l’identité et des valeurs face à une mondialisation globalisante « sans foi ni loi », que l’Afrique officielle, légale et moderne continue de subir comme « un sujet de l’histoire » et non pas comme un acteur conscient et responsable.

Difficile ? Certes. Impossible ? Non. Et comme le chante Barak Obama, il faut se convaincre d’abord tout simplement que, « oui, nous pouvons » ! Oui ! nous pouvons changer en mieux notre vision et notre lecture pessimistes de notre continent, de nos différents cinquante trois (53) pays identiquement africains.

Conclusion : et s’il devient Président des USA ?

Barak Obawa ne sera pas un « Kikuyu », un « Massaï », un « Yoruba », un « Zoulou », un « Baoulé » ou un « Mooaga » d’Afrique, devenu Président des USA. Il sera le citoyen américain que les électeurs américains auront choisi pour conduire et diriger leur nation à partir de la Maison-Blanche (Présidence). Il n’est ni Malien, ni Sud-Africain, ni Somalien, ni Nigérian, ni Congolais, ni Malgache.

Tout comme le chef d’état-major des forces d’interventions américaines en Irak (Colin Powels) à l’époque, et Condoleezza Rice qui dirige aujourd’hui la diplomatie américaine, Barak Obama sera d’abord et surtout un Américain au service exclusif de la défense des intérêts de sa patrie, l’Amérique.

Il est un Américain avant tout et son patriotisme « yankee » doit rester au-dessus de tout soupçon. S’il a pu réussir une « levée de fonds » à hauteur de 58 millions de dollars (23 milliards de francs CFA !) pour financer sa campagne en un mois (avril) et dit renoncer aux fonds publics pour la campagne post-primaire, soit 84 millions de dollars, cela veut dire quelque chose de profond.

Cela veut dire au moins que pour ses compatriotes, il possède tout le patriotisme utile et nécessaire pour les gouverner dans un pays où le « dollar est roi » et où vous êtes libre de tout faire sauf d’en manquer. Ce sont des leçons politiques que Barak Obama donne à la Kyrielle de partis africains accrochés aux mamelles de l’argent public pour simplement s’enrichir.

Aux USA c’est l’inverse que Barak Obama réussit à faire. Ce sont les électrices et électeurs qui paient pour lui donner les moyens de financer ses dépenses de campagne. Au 29 juillet 2008, c’est un total de 340 millions de dollars (136 milliards de francs CFA) que le candidat Barak Obama avait obtenus des électeurs à travers son site internet.

L’attachement subjectif actuel d’une partie non négligeable de l’opinion publique africaine au candidat démocrate devra pouvoir être contenu raisonnablement au double plan économique et politique, pour éviter des débordements sentimentaux dans quelques mois. Des comités de soutien à sa candidature existent déjà au Burkina et peut-être aussi dans d’autres pays africains.

Aucun bureau de vote ne sera à la disposition des Maliens, Ivoiriens, Sud-Africains, Burkinabé, Marocains ou Sénégalais, le 04 novembre 2008, pour participer aux votes. En retour, nul n’aura le droit, ni le devoir de s’étonner, s’indigner ou pleurnicher comme nous savons si bien le faire, en criant en cas de victoire du candidat noir : « lui aussi, il nous abandonne » !

Le libre choix des Américains n’obligera Barak Obama que dans la défense de la grandeur et des intérêts des U.S.A, sans aucun état d’âme pour sa grande mère paternelle kenyanne qu’il continuera sûrement à chérir. Si les Kenyans choisissent de continuer à se tuer et à s’entretuer pour un fauteuil présidentiel, Barak Obama pourra exfiltrer sa « mamy » vers les U.S.A pour la mettre à l’abri. Nul ne lui en voudra. Si les élites politiques et intellectuelles de l’Afrique persistent dans leurs choix suicidaires, ils en sont les seuls et uniques responsables, aujourd’hui et demain.

La déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique dit ceci : « Nous, peuple des Etats-Unis, décrétons souverainement et instituons la Constitution que voici pour les Etats-Unis d’Amérique ».

Pour les U.S.A, comme pour l’Afrique, il faut se convaincre enfin, et convaincre les élites intellectuelles et politiques de notre continent que Cheick Anta Diop avait mille fois raison d’écrire dès 1960 que : « Il faut cesser de tromper les masses par des rafistolages mineurs et accomplir l’acte qui consomme la rupture avec les faux ensembles (Communauté, Commonwealth, Eurafrique) sans lendemain historique. Il faut faire basculer définitivement l’Afrique Noire sur la pente de son destin fédéral » .

Les faits sont là et nous prouvent à loisir que l’Afrique officielle en « 53 pièces détachées » appelés Etats souverains, continue dans les « rafistolages mineurs », comme on le voit au Kenya et au Zimbabwe en cette année 2008.

L’Afrique officielle aura encore tort d’attendre et d’espérer que l’élection d’un Président aux Etats-Unis d’Amérique nous apportera le développement, tout simplement parce qu’il sera un noir américain. Notre salut ne viendra jamais ni de l’Europe, ni de l’Amérique.

Il ne peut venir que de notre « génie créateur libéré » de la prison idéologique et culturelle que la colonisation européenne a construite pour nous y enfermer. La récente déclaration de M. Robert B. Zoellick, Président de la Banque mondiale nous invite à penser avec nos propres têtes : « Parce que l’Europe refuse les OGM, l’Afrique s’interdit les semences améliorées capables de résister à la sécheresse ».

Pr Basile L. Guissou,
Maître de recherche
INSS/CNRST
Ouagadougou (Burkina Faso)

Notes :

1. Georges Soros. 1998. La crise du capitalisme mondial : l’intégrisme des marchés. Paris. Plon.

2. John Gerring et Joshua Yesnoxitz, « L’audacieux pari de Barak Obama », Le Monde Diplomatique Paris, avril 2008, page 12.

3. Cf « Jeune Afrique ». 48e année. N°2480 du 20 au 24 juillet 2008 page 37. Propos de Jean Ping, Président de la Commission de l’Union Africaine.

4. Cheick Anta Diop 1960, Les fondements économiques et culturels d’un Etat Fédéral d’Afrique Noire. Présence Africaine. P.31.

5. Cf. « Jeune Afrique ».N°2480 du 20-26 juillet 2008. page 19.

L’Observateur

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