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Mauritanie : Les ambiguïtés des nouveaux maîtres

Publié le lundi 11 août 2008 à 11h34min

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Sauf bouleversement inattendu, on peut dire que le dernier coup d’Etat survenu en Mauritanie est consommé. Il est quasi certain que les tractations en cours menées par l’Union africaine qui vient de suspendre la Mauritanie de ses instances, n’y feront rien. Ces négociations n’auront pas la magie de rétablir le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi dans ses fonctions. Il devra se résoudre à cette vérité.

Même s’ils viennent de fermer le robinet, tout en maintenant l’aide humanitaire, les Etats-Unis n’ont pas intérêt à ce que la Mauritanie soit isolée. Car la Mauritanie est un pays avec qui ils doivent compter dans leur dispositif anti-terrorisme dans la région.

C’est dire donc qu’après les condamnations d’usage, les regards seront tournés vers le futur. C’est une question de temps. On ne se fait d’ailleurs pas d’illusion sur la réaction de la Ligue arabe, qui n’a même pas eu besoin de verser des larmes de crocodile. Pour l’heure, les putschistes savent qu’ils ont tout à gagner en donnant des gages aux puissances occidentales. Ils ont, en tout cas, promis un retour à l’ordre constitutionnel, même s’ils n’avancent, pour l’heure, aucune date. Bien sûr, un retour à la normale qui mettra certainement sur la touche le premier président démocratiquement élu.

Cela dit, la façon avec laquelle le nouvel homme fort de Nouakchott entre en scène, manque quelque peu d’élégance. Que dire de quelqu’un qui prétend apporter la démocratie au peuple mauritanien, qui n’hésite pas à mâter des manifestants hostiles à son coup de force alors que, dans le même temps, la liberté est donnée à d’autres de manifester leur joie dans les rues de Nouakchott ? Cette dévolution du pouvoir est, en soit, une "forfaiture démocratique". Mohamed Ould Abdel Aziz accède donc au pouvoir affublé de la camisole rafistolée de démocrate. Et puis, quelle démagogie que de prétendre pouvoir résoudre tous les problèmes de la Mauritanie, le temps que durera la transition ! A moins que les propos du nouvel homme fort cachent des non-dits et que, in fine, il finisse par céder à la tentation de rester au pouvoir. Les exemples, à ce sujet, ne manquent pas sur le continent. A moins aussi que Ould Abdel Aziz choisisse de se mettre en retrait tout en tirant les ficelles. En tous les cas, les ambiguïtés des nouveaux maîtres de Nouakchott sont criardes.

Que fera l’Union africaine au-delà des condamnations habituelles et de la suspension de la Mauritanie ? Le scénario anjouannais peut-il s’appliquer au cas mauritanien ? Rien n’est moins sûr. Elle serait embarrassée de chasser les nouveaux détenteurs du pouvoir dont le coup d’Etat est salué par une bonne partie des Mauritaniens.

Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, le président déchu, aurait raison de s’en prendre à lui-même. Au-delà de la mauvaise réputation qu’il s’était construite en seulement quelques mois d’exercice du pouvoir, il a commis une erreur qui ne pardonne pas, sous les tropiques africains surtout : donner un coup de pied dans la fourmilière de la hiérarchie de l’armée. Il apprend à ses dépens qu’on ne s’attaque pas à ceux qui ont toujours eu entre les mains, la réalité du pouvoir. Une réalité soulignée par l’aisance avec laquelle l’armée a repris "sa chose". Tout se passe en effet comme si elle avait prêté le pouvoir aux civils, et qu’elle se réservait le droit de le retirer si elle jugeait cela nécessaire. C’est dire combien l’ancien pouvoir avait tout intérêt à composer avec l’armée. Quel dommage que Sidi Ould Cheikh Abdallahi ne l’ait pas compris à temps, et qu’il ait été trop en avance sur son temps ! Naïf, il a cru qu’ayant été élu démocratiquement, il pouvait franchir certaines limites, y compris se mettre à dos la hiérarchie de l’armée.

C’était sans compter avec les susceptibilités qu’il allait créer au sein de cette hiérarchie qui a vite fait de lui montrer qu’elle était le véritable maître à bord et qu’elle ne saurait se contenter de rester dans les casernes en s’apitoyant sur son sort. Sa réaction tient davantage ... à un sursaut d’orgueil qu’à la menace de ses intérêts. Il faut dire que le caractère civil du pouvoir sortant ne l’a pas aidé à prévoir l’arrivée de l’orage quand le temps se gâtait. Sans aucun doute, le président déchu Abdallahi ne connaît pas suffisamment l’âme et l’esprit du soldat africain. Certains dirigeants africains qui l’ont si bien compris, ne s’aviseront jamais de s’en prendre aux intérêts de l’armée. Rien d’étonnant que ceux qui durent au pouvoir soient généralement des militaires civilisés. Comme en Turquie où l’armée occupe une place centrale dans la gestion du pouvoir, ils ont accordé une place de choix à celle-ci. Dans certains pays africains, les militaires sont si profondément au cœur du pouvoir qu’ils ont fini par être les enfants gâtés de la République.

Il est pour l’instant illusoire de vouloir faire autrement. Le niveau actuel de la démocratie en Afrique ne le permet pas encore. On en est encore loin du contexte des pays développés où l’armée joue bien son rôle, et ne s’aviserait jamais de constituer un obstacle à la République. Hélas, c’est tout le contraire en Mauritanie comme dans bien des pays africains, où la démocratie va au rythme des coups de sifflet et des cartons rouges de l’armée qui décide de renvoyer sur le banc de touche celui qui ne fait pas son affaire. Une Afrique définitivement débarrassée des pronunciamentos, ce n’est pas encore demain la veille.

"Le Pays"

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