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Coup de force en Mauritanie : L’Armée toujours maître du jeu

Publié le vendredi 8 août 2008 à 11h03min

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Le coup d’Etat en Mauritanie est consommé, ses auteurs sont connus. Mais il reste de nombreuses interrogations que le climat lourd actuel ne permet pas de dissiper. Que vont faire les putschistes du pouvoir ? Organiseront-ils un transfert à un régime civil dans les plus brefs délais comme ils le prétendent ?

Que fera l’Union africaine au-delà des condamnations de principe ? Ce coup de force en Mauritanie met-il fin au moratoire observé depuis quelque temps par les Armées africaines en matière de prise de pouvoir par la force ? Bref, l’onde de choc du coup d’Etat dépasse largement les frontières mauritaniennes et questionne tout le continent sur le devenir de ses différents processus démocratiques.

La Mauritanie est l’un des derniers pays d’Afrique à entrer dans l’ère des élections démocratiques. En 2007, avec l’avènement d’un président régulièrement élu, le pays croyait avoir tourné la page des Etats d’exception. L’embellie démocratique ne sera donc que de courte durée. Une conjonction d’événements ont contribué à empoisonner le climat politique. Mais les militaires, qui observaient à distance les manoeuvres de la classe politique, n’ont pas hésité à intervenir dès lors que le président s’en est pris à des hauts gradés. Le limogeage des responsables de l’Armée est la goutte d’eau qui a débordé le vase. Ce qui laisse supposer que ce coup d’Etat est dicté par l’instinct de préservation des intérêts acquis par le sommet de l’Armée.

L’Armée a en effet démontré sa prépondérance sur les autres institutions de l’Etat, preuve qu’elle n’est pas encore prête à jouer le jeu de la démocratie. Car même si l’on peut reprocher au chef de l’Etat déchu d’avoir trop vite voulu se détacher de la tutelle militaire, on ne peut lui contester son rôle de chef suprême des armées. A ce titre donc, tout militaire, quel que soit son grade, doit se soumettre à ses décisions, tant que celles-ci respectent les lois du pays. De même, il est reproché au président Sidi Ould Cheikh Abdallahi sa propension au népotisme et à la gabegie. C’est une critique récurrente faite aux nouveaux démocrates africains. Parce qu’ils ont la légitimité des urnes, ils se croient tout permis. Le pouvoir, une fois acquis, devient le centre d’intrigues diverses qui font parfois regretter les régimes autoritaires. C’est l’image malheureuse que bien des régimes issus du printemps de la démocratie ont donné à voir. Et, apparemment, le président Abdallahi n’a pas échappé à la griserie du pouvoir. Mais bien évidemment, ces dérives ne sauraient justifier la remise en cause de l’ordre constitutionnel normal. Si pour la moindre crise politique, on doit recourir aux coups d’Etat, il va sans dire que l’Afrique n’est pas au bout de ses peines.

Sans doute faut-il aussi s’interroger sur l’héritage de Mohamed Ould Vall, le tombeur de Ould Taya qui, après avoir permis une transition démocratique, s’en est allé. A-t-il pris le temps d’ asseoir des institutions solides de sorte que la démocratie soit irréversible en Mauritanie ? On en doute, au regard de ce nouveau cycle d’instabilité dans lequel le pays est retombé. Les putschistes se mettent d’ailleurs à rêver d’une oeuvre de salubrité publique, face aux scènes de liesse qui ont salué leur acte. Du coup, cela peut gêner aux entournures la communauté internationale. L’Union africaine, notamment, a condamné les événements survenus à Nouakchott. Mais si elle veut aller jusqu’au bout de sa logique, elle doit agir comme à Anjouan, en rétablissant la légalité constitutionnelle. C’est dire à quel point le nouveau président de la commission de l’UA est attendu dans ce dossier. Il y va de la capacité de son institution à prévenir et à gérer non pas seulement les conflits armés, mais aussi les crises politiques comme les coups d’Etat. L’UA, qui avait pris une résolution contre les atteintes à la démocratie, a donc là l’occasion de s’illustrer avec énergie, elle qui est accusée de mollesse, voire de complaisance avec les dictateurs.

L’Afrique a un défi à relever, dans l’urgence, celui du développement. Mais les intrusions intempestives des militaires sur la scène politique ne font que retarder les efforts de développement. Le continent continue par ailleurs de faire le jeu de certaines puissances qui ne sont pas étrangères à l’instabilité chronique que connaissent bien des pays.

En tout état de cause, ni la Mauritanie, ni l’Afrique ne tire aucune gloire de l’arrêt du processus démocratique. Car il est peu probable que la Mauritanie retrouve cette sorte d’insolence et de hardiesse dans sa vie démocratique. Les militaires, échaudés par cette expérience qui les reléguait dans leur véritable rôle républicain, tenteront de contrôler le nouveau processus. Et, si possible, ils veilleront à ce que le prochain président soit plus docile. Si démocratie il doit y avoir en Mauritanie, elle sera probablement sous surveillance militaire

"Le Pays"

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