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Politique nationale : Au-delà des incantations

Publié le jeudi 31 juillet 2008 à 11h46min

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C’est le lieu de noter que la différence entre les hommes d’Etat, les politiques doués et les autres, vulgaires petits politiciens, c’est la capacité des premiers à s’élever au-dessus des contingences du quotidien pour inventer l’avenir, des seconds à saisir toutes les opportunités qui s’offrent à eux et à tirer des profits de leurs faiblesses avec un opportunisme de phénix, tandis que les troisièmes s’agrippent aux illusions de l’immédiatement rentable au détriment du stratégiquement adéquat tenaillés qu’ils sont par des besoins matériels dont ils sont esclaves.

Ce type de politiciens, qui malheureusement foisonnent dans tous les milieux politiques d’ici comme d’ailleurs, ne trouve aucun scrupule à se retrouver en porte-à-faux avec ses idéaux ou à se retrouver comme en retard d’une guerre.

Assurément la visite d’Etat du président Laurent Koudou GBAGBO de Côte d’Ivoire dans notre pays laissera des traces. Et pour longtemps. C’est vrai que de la part du politique qu’il est on ne pouvait pas en attendre moins ; surtout qu’à plus d’un titre, le contexte est propice pour en faire un évènement historique. Aussi loin que la mémoire puisse remonter le temps, la dernière visite d’Etat d’un président ivoirien au Burkina Faso date de l’année 1964, soit depuis 44 ans ! Pour deux pays voisins, pour lesquels les mots intégration et communauté de destin sont des euphémismes au regard des réalités historiques, géographiques, sociologiques etc. qui sont les leurs, on peut dire qu’il s’est passé du temps. Plus on y pense, plus on se demande comment cela a bien pu arriver et comment les deux pays ont réussi à vivre ainsi. A leur décharge on pourrait dire que les réalités quotidiennes avaient justement fini par réduire tous les protocoles à leur plus simple expression et que les populations n’avaient pas besoin des salamalecs des us et coutumes de la diplomatie pour vivre leur communauté de destin. A cela, il faut ajouter les vicissitudes de l’évolution sociopolitique des deux pays, qui n’ont pas toujours laissé de la place aux civilités et autres mondanités de la diplomatie. C’est dire donc que cette visite ne pouvait que susciter des intérêts de toutes parts.

En effet, la classe politique nationale toutes tendances confondues y trouve son compte et l’applaudit des deux mains. Mais force est de reconnaître que derrière cet unanimisme se cachent des signifiants, des attentes et des rêves qui sont aux antipodes les uns des autres. Il en découle que chacun semble voir midi à sa porte.
Ainsi, si pour les uns elle est une preuve du leadership de notre diplomatie et du rôle prépondérant du président Blaise COMPAORE dans la résolution de la crise ivoirienne, pour d’autres elle est la preuve de leur perspicacité politique, car à les croire, ils réclamaient une telle visite de tous leurs vœux depuis la survenue de cette crise le jour de la Noël 2002. A travers des déclarations sans nuances, les tenants de cette dernière thèse, particulièrement le parti cher au chantre du « Tekré », Me Hermann YAMEOGO, et son homologue de l’UNIR/MS ne manquent pas d’aplomb pour jouer aux victimes innocentes d’une cabale politicienne alors même que dans ce pays, ils étaient à l’époque les seuls lucides. On pourrait bien leur rétorquer qu’il est trop facile pour eux de ne retenir du passé que ce qui les arrange aujourd’hui surtout qu’ils ne se gênent pas pour travestir quelque peu les faits pour les besoins de leur cause.

En effet, dans l’un et l’autre cas, on n’a pas encore compris que la crise ivoirienne avant ses éventuelles ramifications extérieures est fondamentalement et avant tout ivoiro-ivoirienne. Persister à vouloir l’attribuer au président Blaise COMPAORE pour des considérations burkinabo-burkinabè n’est pas seulement indécent mais c’est même une insulte au peuple ivoirien qu’on infantilise au point de faire croire qu’on peut l’inciter à une guerre fratricide sous la dictée d’acteurs venus d’ailleurs. En plus, c’est n’avoir rien compris de la dynamique de paix enclenchée par le dialogue direct porté par l’Accord de Ouagadougou et tenter maladroitement de refaire une histoire dont les acteurs sont toujours en vie. Ne dit-on pas que même la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a ?

C’est le lieu de noter que la différence entre les hommes d’Etat, les politiques doués et les autres, vulgaires petits politiciens, c’est la capacité des premiers à s’élever au-dessus des contingences du quotidien pour inventer l’avenir, des seconds à saisir toutes les opportunités qui s’offrent à eux et à tirer des profits de leurs faiblesses avec un opportunisme de phénix, tandis que les troisièmes s’agrippent aux illusions de l’immédiatement rentable au détriment du stratégiquement adéquat tenaillés qu’ils sont par des besoins matériels dont ils sont esclaves. Ce type de politiciens, qui malheureusement foisonnent dans tous les milieux politiques d’ici comme d’ailleurs, ne trouve aucun scrupule à se retrouver en porte-à-faux avec ses idéaux ou à se retrouver comme en retard d’une guerre. C’est le triste spectacle que nous offre ceux qui, ramant à contre-courant de l’histoire, tentent de se refaire une virginité en exploitant un évènement mûri et mis en musique par des hommes d’Etat qui, eux, ambitionnent d’inventer un nouvel avenir pour les peuples burkinabè et ivoirien.

Voilà pourquoi, ils ont la capacité de s’élever au-dessus des méandres du cours sinueux des relations entre les deux pays pour explorer des voies pouvant les renforcer dans la durée. En effet, si les Burkinabè et les Ivoiriens d’aujourd’hui ont un défi, c’est celui de faire évoluer les rapports entre leurs deux pays et ne pas les laisser à la seule gouverne des humeurs des uns et des autres ou des aléas de la complexité des intérêts en jeu. C’est l’engagement pris à Ouagadougou.
Cela n’exclut toutefois pas que la visite d’Etat serve d’autres intérêts comme ceux intrinsèques du candidat Laurent Koudou GBAGBO.

En effet, le succès éclatant de cette visite apportera incontestablement un plus dans son assise populaire et enfoncera les positions de ses adversaires qu’on crédite d’avoir les faveurs des populations de la sous-région qui ont souffert le martyr au plus fort de la crise. Dans la tenue comme dans le discours, il a su se mettre en valeur en se présentant comme le rassembleur et celui qui est soucieux du bonheur de chacun.
C’est vrai qu’au Burkina, nombreux sont ceux qui n’ont pas encore oublié les douleurs de ce passé récent et nombreux sont ceux qui ne sont pas prêts à pardonner ; mais avec cette visite il y a fort à parier que leur nombre a considérablement diminué. Venu donc avec derrière lui une forte dose de suspicion, pour ne pas dire plus, GBAGBO repart avec des sentiments de bienveillance. C’est çà, l’intelligence des hommes politiques doués. Il a tant et si bien réussi son coup que rares sont les voix qui font remarquer qu’il a des choses à se reprocher et qu’on ne saurait ainsi passer tout le mal fait aux Burkinabè résidant en Côte d’Ivoire entre pertes et profits.

C’est là à notre avis le point noir de cette visite. En effet, à notre connaissance on a soigneusement évité les sujets qui fâchent, ce qui est loin d’être la meilleure manière d’assumer le futur qu’on veut radieux. S’il ne sert à rien de remuer le couteau dans la plaie, il est tout aussi inopérant, nous semble-t-il, d’ignorer la plaie et de ne pas, ce faisant, la soigner. C’est courir tout droit vers la gangrène et des solutions autrement plus douloureuses et radicales devant lesquelles on n’aura aucune alternative. Osons espérer que nos hommes d’Etat ne s’inscrivent pas dans une telle dynamique et que dans le fond aucune question n’a été occultée. Ce n’est pas parce que nous avons donné tous les honneurs à Laurent GBAGBO, que nous devons pour autant faire l’impasse sur cette question d’importance.

Au total, la visite d’Etat de GBAGBO rentrera dans l’histoire. Chacun y trouvera certainement de quoi alimenter ses cogitations. L’essentiel, c’est qu’elle serve à donner un autre visage à la coopération entre les deux pays et qu’au-delà des incantations et des messes, elle porte des résultats concrets.

Par Cheick AHMED (cheickahmed001@yahoo.fr )

L’Opinion

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