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Zakalia Koté, ministre de la Justice, garde des Sceaux : "Que l’on me dénonce les juges corrompus..."

Publié le jeudi 31 juillet 2008 à 11h50min

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Zakalia Koté

Face aux critiques négatives dont fait face la justice burkinabè, le chef de ce département ministériel, Zakalia Koté, s’exprime sur la réforme de la justice, ses lenteurs, la corruption des magistrats et du système judiciaire, l’affaire Guiro (directeur général des douanes)... Tout en exprimant sa confiance en la justice burkinabè, il invite les citoyens à dénoncer les magistrats, avocats ou auxiliaires de justice ripoux.

Sidwaya (S.) : La justice burkinabè est aujourd’hui très critiquée. Comment en tant que premier responsable de ce département l’appréciez-vous ? Ses forces et ses faiblesses ?

Zakalia Koté (Z. K.) : La justice burkinabè est aujourd’hui, à tort ou à raison, effectivement critiquée comme vous le dites. Pourtant, cette justice présente d’énormes atouts. D’abord sur le plan de la qualité des hommes chargés de l’animer ( les magistrats, les greffiers en chef, les greffiers, le personnel du parquet). Nous avons affaire à des hommes qui ont une excellente formation. Ce sont des hommes qui ont un engagement fort pour les objectifs de justice dans ce pays. Les faiblesses que l’on peut constater se situent beaucoup plus au niveau de notre capacité à créer les conditions idéales de travail pour ces hommes. Mais l’Etat travaille constamment dans la mesure de ses possibilités à permettre à notre justice de fonctionner tant bien que mal. L’un dans l’autre, nous avons des atouts aussi bien que des faiblesses. Il nous revient de travailler à consolider nos atouts et à travailler à amenuiser nos handicaps. Les syndicats du secteur de la justice nous soumettent régulièrement des revendications d’ordre infrastructurel, matériel, etc. Nous ne pouvons pas les satisfaire tous, hic et nunc, mais nous essayons au fur et à mesure de trouver les moyens à même d’améliorer ces conditions de travail des acteurs qui animent cette justice.

S. : Sur la question de la moralité, l’opinion publique est pourtant convaincue que le milieu de la justice est très corrompu ?

Z. K. : Dire que la corruption au sein de la justice n’est pas une réalité, c’est se voiler la face. Il y a de la corruption au sein de la justice. Mais c’est peut- être l’ampleur qui est souvent exagérée. A la limite, il y a des gens qui pensent qu’on ne peut pas gagner un procès sans corrompre les juges. Comme dans tous les corps de notre administration, nous avons nous aussi des brebis galeuses. Nous avons nous aussi dans notre appareil judiciaire des gens qui sont corrompus. Nous avons en notre milieu, des gens qui fonctionnent sur cette base. Ce que nous demandons, c’est que ceux qui sont victimes de ces actes-là aient souvent le courage de les dénoncer. Il ne faut pas se laisser prendre par la corruption. Et chaque fois que nous aurons connaissance d’actes de corruption, nous allons sévir. C’est vrai que souvent, il n’y a pas de publicité autour des sanctions au sein de la magistrature. Mais il y a eu différentes sanctions. Des magistrats ont été radiés. Il y en a qui, après dix ans de fonction, se sont retrouvés comme au jour où ils sont rentrés dans le corps, c’est-à-dire au grade initial. Chaque fois que nous avons connaissance de mauvais comportements, que ce soit des faits de corruption, voire d’abus d’autorité, nous prenons les sanctions qui s’imposent.

S. : Un autre reproche fait à la justice est sa lenteur ?

Z. K. : La lenteur de la justice est une réalité et nous travaillons à racourcir les délais d’attente du justiciable. Cette lenteur a plusieurs causes. Souvent, ce sont les justiciables eux-mêmes qui créent cette lenteur en multipliant les procédures, en ne fournissant pas les pièces exigées par la justice à temps, en faisant de la résistance parfois pour l’exécution de certaines injonctions de la justice. Mais il y a des lenteurs qui sont internes à la justice elle-même. Vous avez des renvois intempestifs qui sont faits par les juges eux-mêmes. Ce qui est ni plus ni moins que de la paresse de la part de certains juges. Nous pouvons agir sur ces cas et les obliger à avoir plus de célérité. Dans la plupart de nos juridictions aujourd’hui, nous avons mis en place ce qu’on appelle les juges de la mise en état. Ces juges ont pour rôle de mettre les dossiers en état d’être jugés avant d’aller devant la formation de jugement. Cela permet de gagner du temps et évite le renvoi du dossier à l’audience pour manque d’une pièce ou d’une autre. Après le prononcé du jugement, il y a un autre état qui est lié à la non rédaction des décisions qui ont été rendues. Là aussi, nous avons invité l’ensemble des chefs de juridiction à jouer leur rôle car, même si le chef de juridiction ne peut pas dicter une décision au juge, il peut au moins veiller à s’assurer que la décision qui a été rendue sera rédigée dans les délais raisonnables pour permettre aux parties d’exécuter leurs décisions. Donc, au niveau des chefs de juridiction, nous menons des actions pour que les décisions rendues soient rédigées. J’ai même dit que désormais, ce sera une condition à prendre en compte pour la notation des magistrats. Celui qui rend des décisions et ne les rédige pas, nous en tiendrons compte pour la notation.

S. : Pourquoi la justice burkinabè n’a pas l’habitude de s’autosaisir d’une affaire tant que le justiciable n’a pas réagi ?

Z. K. : En réalité, il faut voir le problème sous l’angle de la faculté que peut avoir, par exemple, un procureur de prendre l’initiative de poursuivre un fait qui lui a été dénoncé. La vérité est qu’il faut partir de la dénonciation du fait. Si le fait n’est pas dénoncé au procureur, il n’en a même pas connaissance officiellement. Le procureur a l’opportunité des poursuites une fois le fait dénoncé. Nous les incitons d’ailleurs à ne pas laisser des affaires "dormir" dans les tiroirs une fois qu’ils en ont connaissance. En tous les cas, il n’appartient pas au procureur de rendre la décision finale. Lui, il poursuit et, après la formation du jugement, le juge rendra la décision finale. Malheureusement, nous avons nos vieilles habitudes, héritées d’un système juridique qui ne favorise pas les initiatives des parquetiers en la matière. Nous sommes dans un État en construction, et au fur et à mesure, nous allons inciter les procureurs à s’autosaisir de certains faits, à ne pas attendre que les parties viennent forcement pousser l’affaire, comme on le dit, pour qu’elle avance. Il y a un certain nombre d’infractions où il n’y a que les parties qui peuvent pousser l’action en justice. C’est le cas par exemple des infractions comme la diffamation. Il y a des cas aussi où le juge peut s’autosaisir mais comme je l’ai déjà dit, le système judiciaire n’incite pas à cela. Et sans en arriver forcement à un chamboulement de notre système judiciaire, on peut encourager les juges à le faire et nous irons dans ce sens.

S. : Quelles ont été les motivations qui ont amené le ministère de la Justice à conduire le projet de réforme globale de la j ustice ?

Z. K. : La réforme portait d’abord sur l’organisation judiciaire en tant que telle. Vous le constatez aujourd’hui, notre système judiciaire est organisé de telle sorte qu’au niveau supérieur, nous avons les trois hautes juridictions : la Cour de cassation pour la haute juridiction de l’ordre judiciaire, le Conseil d’État et la Cour des comptes dans l’ordre administratif et en bas, les Cours d’appel qui n’ont sensiblement pas changé. C’est surtout au sommet que la réforme au plan institutionnel a été menée. A la base, l’innovation, c’est la création des tribunaux d’instance qui se chargent des petits litiges. La réforme a certes porté sur le plan institutionnel, mais elle a eu aussi pour effet d’élargir le nombre de juridictions. Nous sommes passés il y a environ dix ans, d’une dizaine à une vingtaine de juridictions fonctionnelles aujourd’hui avec l’inauguration du tribunal de Léo. D’ici à la rentrée judiciaire d’octobre 2008, les tribunaux de Nouna, de Djibo et de Orodara seront également fonctionnels. Nous allons donc nous retrouver avec vingt trois tribunaux. Il reste juste à ouvrir le tribunal de Diébougou qui est en phase de construction et notre justice sera beaucoup plus proche des citoyens sur l’ensemble du territoire national.

Outre, cet élargissement du nombre de tribunaux, la réforme a permis un accroissement très notable du personnel judiciaire. Le nombre de magistrats a au moins triplé, il y a eu la création d’un corps nouveau qui est la garde de sécurité pénitentiaire. L’Etat travaille en faveur de la démultiplication du nombre du personnel de soutien notamment, les greffiers, les greffiers en chef, les secrétaires de greffe et parquets. Les actions de la réforme ont même touché les auxiliaires de justice. Il y a eu des recrutements, des formations au profit des avocats, la restauration de la profession d’huissiers et l’accroissement du nombre d’huissiers. La profession de notaires a été mise en place. L’un dans l’autre, la réforme a eu un impact sur le paysage judiciaire burkinabè. Maintenant, il s’agit de poursuivre et de consolider tous ces acquis.

S. : Avec toutes ces réformes, le justiciable peut-il alors s’attendre à accéder plus facilement à la justice ?

Z. K. : Je pense qu’il faut d’abord rendre la justice compréhensible. Il faut que le citoyen sache comment elle fonctionne. Quand le justiciable comprendra comment la justice fonctionne, il aura moins peur d’y aller. Nous parlions tantôt des lenteurs. Une des causes qui font que les citoyens ne vont pas vers la justice, est sa lenteur. Si le justiciable sait qu’en engageant une action en justice, il en a pour dix ans avant de voir le bout du tunnel, il est préférable pour lui de ne pas y aller pour perdre son énergie et de trouver une autre voie de règlement que celle judiciaire. En travaillant à simplifier son fonctionnement, à la rendre plus performante et à accroître l’offre, je pense qu’on facilite l’accessibilité de la justice. Et avec l’augmentation du nombre de juridictions dans le cadre de la réforme, je crois qu’on a favorisé son accessibilité. Si le citoyen de Léo n’a plus à parcourir les 145 km qui le séparent de Ouagadougou, il sera plus enclin à aller faire valoir ses droits en justice.

S. : En 2007, lors de la première Journée nationale du détenu, vous avez affirmé votre volonté d’assainir le milieu carcéral burkinabè. Qu’en est-il exactement ?

Z. K. : En parlant d’assainissement, notre volonté était d’abord d’améliorer les conditions de vie dans les maisons d’arrêt et de correction. Mais ce n’est pas facile car dans l’imaginaire populaire, la prison est un lieu de sanction. Et l’opinion trouve contradictoire que l’on veuille mettre dans des bonnes conditions, des gens que l’on a envoyé dans des lieux où ils sont censés y subir une sanction. Notre conviction est qu’il faut travailler à mettre le détenu dans de bonnes conditions. Même si c’est le lieu où il purge une peine, il faut faire en sorte que ce ne soit pas un lieu d’avilissement (...). Les premières actions que nous avons menées en ce sens ont constituées à humaniser un peu donc les conditions de détention en améliorant l’alimentation. Nous avons pu obtenir sensiblement une croissance de notre budget alloué à l’alimentation des détenus pour laquelle nous avons le soutien de bonnes volontés.

Dans le volet santé, nous avons pu obtenir du ministère des Finances, l’autorisation de passer des marchés de gré à gré pour acheter des médicaments pour les maisons d’arrêt et de correction. Nous sommes également appuyés dans ce volet par des bonnes volontés.
Régulièrement, nous attirons l’attention des magistrats sur l’engorgement dans les prisons. Chaque fois que c’est possible, nous leur demandons de ne pas recourir systématiquement à l’emprisonnement mais de trouver des peines alternatives. Nous incitons également les juges à ne pas recourir à l’enfermement lorsque la détention n’est pas nécessaire ou cruciale pour la conduite de leurs dossiers. Nous essayons de promouvoir les libérations conditionnelles, même si cela constitue un peu un couteau à double tranchant, car cela n’est pas toujours bien compris parce que ce n’est pas une décision de justice. C’est une commission qui estime s’il est possible de laisser sortir un détenu qui a exécuté une partie de sa peine d’emprisonnement.

Récemment, j’ai été amené à suspendre la commission qui s’en chargeait au niveau de Ouagadougou, parce que je n’étais pas très satisfait de certaines actions qui avaient été menées. Nous sommes en train de réétudier comment utiliser sainement cette mesure sans ce que cela ne ressemble à des passes-droits au profit d’une certaine catégorie de détenus.
Nous avons obtenu des crédits budgétaires pour étendre un peu les capacités de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Cela va permettre de désengorger le vieux bâtiment qui date des années 1950 et qui menace même de tomber. Une fois que l’on disposera de locaux plus spacieux, cela contribuera à résoudre le problème de l’humanisation des conditions de détention.

S. : L’affaire du directeur général des douanes a fait, en son temps, les choux gras de la presse qui estimait que le ministre de la Justice semblait vouloir bloquer une action en justice. Quelle est aujourd’hui votre opinion sur cette affaire qui a défrayé la chronique ?

Z. K. : Avant d’arriver aux soupçons qui ont pesé sur la chancellerie, je voudrais d’abord signaler le traitement responsable que la presse a fait de cette affaire. D’une manière globale, il n’y a pas eu de traitement tendancieux de ce dossier, même si nous estimons que quelques articles l’étaient un peu.

Pour le fond de votre question, en tant que ministre de la Justice, je ne fais que ce que la loi m’autorise de faire. Quoique les gens puissent penser, le ministre de la Justice est le premier parquetier dans notre organisation judiciaire. Et en tant que premier parquetier, rien ne m’empêche d’intervenir dans les actions en justice, pour peu que je respecte les attributions des autres maillons de la chaîne judiciaire. Dans cette affaire, je n’ai obligé aucun juge à poser un acte. J’ai demandé à un juge de ne pas mettre sous mandat de dépôt le directeur général de la douane. Il l’a fait en toute liberté. Il aurait pu refuser et, si je n’étais pas content de sa décision, en tant que ministre de la Justice, la seule chose que je pouvais faire, était d’instruire le procureur pour qu’il fasse appel de la décision qui a été rendue. Mais le juge a plutôt accédé à ma demande. Et si je l’ai demandé, c’est parce que j’estimais que ce n’était pas une mesure qui pouvait empêcher le dossier d’évoluer. Ce que les gens ne savent pas, c’est que ce dossier a démarré sur l’initiative de celui-là même qui est mis en cause. C’est sur sa propre initiative que la procédure a été déclenchée. C’est lui le plaignant dans cette affaire.

Cela ne veut pas dire qu’il est forcément blanc comme neige mais, l’opinion doit savoir que le directeur général des douanes est le plaignant dans cette affaire. Il s’est plaint sans savoir qu’un jour, ce sera certainement lui le directeur général des douanes. Il s’est plaint parce qu’il a estimé qu’en tant que premier responsable d’une structure de la douane, son honorabilité était mise en cause. Il s’est plaint parce qu’il a estimé que des gens utilisaient frauduleusement son nom et sa signature pour se livrer à des actions préjudiciables au Trésor public et au corps de la douane. C’est vrai que dans leurs enquêtes, à un moment donné, les juges ont estimé que lui-même pouvait être mise en cause. C’est leur droit. Ce sont leurs analyses. Mais moi, je tenais à ce qu’on sache que cette procédure n’aurait jamais existé si Monsieur Guiro ne s’était jamais plaint en justice. Et cela, il faut le lui reconnaître. Son souci était de protéger son honneur mais aussi les intérêts de l’État.

Cela dit, l’affaire suit son cours et il n’y a aucune entrave au niveau de la justice. Il y aura de moins en moins d’actions de notre part parce que les premières interventions ont été mal comprises. Désormais, je me tiendrai à "une très longue distance" de ce dossier et j’espère qu’il va évoluer et que la vérité sera dite. Encore une fois je le dis, je ne poserai aucun acte qui sera de nature à nuire à la manifestation de la vérité dans ce dossier. Je ne poserai aucun acte dans ce dossier qui pourrait permettre à un coupable d’échapper à l’œuvre de justice. Je ne le ferai jamais.

S. : L’opinion aime dire qu’au Burkina, quand on ouvre un dossier c’est pour en même temps l’enterrer. Est-ce le sort qui sera réservé à ce dossier ?

Z. K. : Ce n’est pas moi qui pilote de façon active le dossier. Mais si les enquêtes aboutissent à la mise en cause de Monsieur Guiro ou toute autre personne, justice sera rendue. Donc, ce dossier n’est pas ouvert pour qu’il n’y ait pas justice. Il a été ouvert encore une fois à l’initiative de Monsieur Guiro au départ, pour que justice soit rendue et justice sera rendue.

Entretien réalisé par Etienne NASSA (paratena@yahoo.fr)
et Issiaka DABERE (issiak39@yahoo.fr)

Sidwaya

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