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Situation à l’université : Le point de vue d’un enseignant-chercheur

Publié le jeudi 17 juillet 2008 à 11h19min

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Parce qu’il estime que sur la situation à l’université on a entendu juqu’ici que deux sons de cloche, Arsène H. Yonli, enseignant-chercheur à l’université de Ouagadougou, a décidé de prendre sa plume pour donner sa lecture de ce qui se passe. Un point de vue de chercheur, bien fouillé et documenté.

L’actualité nationale s’est enrichie ces dernières semaines de la chronique d’échauffourées sur le campus de l’Université de Ouagadougou entre étudiants et forces de l’ordre. S’en est suivie une avalanche de déclarations et d’analyses journalistiques tombant le plus souvent à bras raccourcis sur les autorités universitaires. Après les émeutes de la vie chère et les grèves du mois de mai dernier, les scènes d’intifada sur le campus de Zogona et dans le quartier environnant sont les derniers avatars d’une crise qui se voudrait nationale.

Qu’il y ait au niveau de la gouvernance nationale des changements ou une refondation à promouvoir, il n’en est jusqu’au sein du parti majoritaire où des voix s’élèvent pour abonder dans ce sens. Le discours et la pratique du Premier Ministre Tertius Zongo en appellent à la réhabilitation d’une forme de rigueur et de performance dans le management de l’Etat, ce qui revient à reconnaître que le Burkina Faso, pour de multiples raisons, s’est installé dans un cercle de mal gouvernance.
Mais quid du rôle des étudiants dans ce changement de gouvernance, dans cette quête d’alternance, mieux d’alternative, dans la gestion des affaires de l’Etat ? Leur rôle est-il d’étudier, de se former pour assurer la relève, ou sont-ils, au gré des circonstances, une force d’appoint et/ou les troupes d’avant-garde encagoulées d’une alternance à réaliser ?

De tous temps, dans tous les pays du monde, l’opinion publique a toujours pris, et prendra toujours partie pour les étudiants dans leurs mouvements de revendications contre les pouvoirs publics et les autorités universitaires. Ce sera toujours David contre Goliath, le Petit Poucet contre le grand méchant loup, le plus faible contre le plus fort, et à moins d’être insensibles, le cœur des honnêtes citoyens penchera toujours pour le plus faible, le plus vulnérable, surtout si une relation tronquée des faits présente les étudiants comme d’innocentes victimes d’un système inhumain, « fasciste » et répressif. Osons nous élever au-dessus des grilles d’analyses binaires pour tenter l’exercice d’une analyse dépassionnée de la situation.

Quelles sont les principaux points contenus dans la plateforme revendicative des étudiants des UFR SEA et SVT avant la triste journée du 17 juin 2008 ?

1. Revendications infrastructurelles : les étudiants exigent une augmentation de la capacité d’accueil sur le campus de Zogona, par la construction d’amphithéâtres, de salles de Travaux dirigés (TD) et Travaux pratiques (TP). Pour peu qu’on s’intéresse à la situation des étudiants de l’Université de Ouagadougou, il faut reconnaître que cette revendication est on ne peut plus fondée. En effet, il est déplorable de voir des étudiants débout pour suivre des séances de TD, des étudiants qui se réveillent à 3h du matin pour rejoindre le campus dans l’espoir d’avoir une place assise dans l’amphi, des séances de TP réduites de moitié d’une année à l’autre afin de pouvoir faire passer tous les étudiants. C’est un crève-cœur pour les enseignants-chercheurs de devoir faire cours dans des salles exigües et étouffantes en plein mois d’avril, ou de devoir annuler une séance parce que plusieurs enseignements ont été programmés par l’administration des UFR aux mêmes heures et dans les mêmes salles. Faire droit aux revendications infrastructurelles des étudiants tombe sous le sens, c’est une nécessité absolue afin de préserver la qualité de l’enseignement à l’Université de Ouagadougou. La présidence de l’Université a proposé la construction d’un complexe d’amphithéâtres et de laboratoires de travaux pratiques pour le budget 2009, et il est inconséquent de demander au Président de fournir des précisions sur les dates de début et de fin des travaux, sur le lieu de construction de ces infrastructures sans qu’il n’y ait d’études préalables de sols. Admettre que les problèmes d’une telle ampleur ne peuvent être résolus après 6 mois de présidence effective, ne doit pas être perçu par l’ANEB comme une capitulation face à la partie adverse. Il ne s’agit pas d’une guerre entre étudiants et autorités universitaires, et il faut laisser un temps minimum aux promesses de se réaliser. Autrement, toute intransigeance devient suspecte. La plus belle femme du monde ne peut, hélas, donner que ce qu’elle a !

2. Les revendications académiques sont de deux ordres. Les étudiants réclament d’une part la compensation inter-modulaire et intra-modulaire, et la possibilité de conserver les modules et sous-modules à vie. Derrière ce jargon, il faut comprendre que les matières étant regroupées en modules, il faut avoir la moyenne générale dans un groupe cohérent de matières appelé « module » pour le valider. Même si on n’a pas la moyenne dans une matière du module, et que pour les matières du module prises ensemble on a la moyenne, le module est considéré comme validé. C’est ce qu’on appelle la compensation intra-modulaire. Et dès lors qu’un module est validé, l’étudiant le conserve à vie : même s’il redouble sa classe, il est dispensé de composer dans ce module. Ceci est une avancée importante pour les étudiants, et la compensation intra-modulaire ne doit plus faire l’objet de revendication. L’autre volet de la revendication concernant le système modulaire porte sur la possibilité de ne plus composer dans une matière ou sous-module dans laquelle l’étudiant a obtenu la moyenne, même s’il n’a pas la moyenne pour l’ensemble du module. Illustrons cela par un exemple. En 1ère année de Maths-Physique-Chimie (MPC), il y a les modules de maths, de physique et de chimie. Le module de maths comporte comme sous-modules (matières) l’algèbre et l’analyse. Pour valider le module de maths, il faut que, pour les notes d’algèbre et d’analyse prises ensemble, l’étudiant ait au moins 10/20. Dans ce cas, même s’il redouble la classe, il n’est pas obligé de reprendre le module de maths, il n’a plus que les modules de physique et de chimie à reprendre. Ceci est une véritable avancée pour les étudiants. Ce qu’ils réclament en plus, c’est, dans le cas où ils n’auraient pas la moyenne pour le module de maths mais la moyenne dans un sous-module comme l’algèbre, la possibilité de reprendre la classe et de ne plus composer en algèbre, parce qu’ils auront déjà eu la moyenne dans cette matière ! Imaginons un instant qu’on se place dans la situation du lycée : si vous redoublez une classe, et que vous aviez la moyenne en Histoire-Géographie, vous viendra-t-il à l’idée de revendiquer le droit de ne plus suivre le cours d’Histoire-Géographie, ni de faire les devoirs dans cette matière, au prétexte que vous aviez la moyenne l’année précédente, et que votre note doit être conservée ?

A chacun d’apprécier et de voir si un système éducatif sérieux peut accéder à de telles revendications prônant la médiocrité. L’autre point sur les revendications académiques concerne les dérogations. De quoi s’agit-il ? C’est la possibilité offerte à un étudiant de rester dans un cycle universitaire pendant plus de trois ans, la durée normale d’un cycle universitaire étant de deux ans. En effet, on accorde la possibilité aux étudiants de redoubler une fois, soit trois ans au plus dans un même cycle. Mais face aux difficultés sociales et académiques, l’administration a instauré un système de faveurs, et non de droit, qui a permis à certains étudiants de rester dans le même cycle quatre (4), cinq (5) ou parfois six (6) ans, à condition d’avoir 7/20 de moyenne pour les étudiants de l’UFR SEA, 9,5/20 de moyenne pour les étudiants en médecine et pharmacie (il faut tout de même s’assurer que les chirurgiens qui sortent de nos Universités valent mieux que des charcutiers !), et 8/20 de moyenne pour les autres UFR. Lorsque les étudiants remplissent ces conditions, ils obtiennent la faveur de la dérogation, et peuvent donc redoubler leurs classes ou être orientés dans une autre filière s’ils ont été victimes d’une mauvaise orientation au départ. Au jour d’aujourd’hui il n’existe pas d’étudiant remplissant ces conditions, et qui n’ait pas bénéficié de dérogation. Le point d’achoppement des négociations entre le syndicat étudiant ANEB et les autorités universitaires, c’est que de nombreux militants de cette organisation ont besoin d’obtenir des dérogations mais ne remplissent pas les conditions (7 ou 8 de moyenne) pour en bénéficier ! Ces conditions ont été édictées par le Conseil Scientifique de l’Université, qui regroupe exclusivement les enseignants de rang A (Maîtres de Conférences et Professeurs Titulaires) au nombre de vingt-deux (22) sur un total d’environ 400 enseignants-chercheurs à l’Université de Ouagadougou ! C’est ce Conseil qui siège et définit les conditions d’évaluation et le contenu des enseignements à l’Université. La revendication des étudiants est d’outrepasser ce Conseil et d’instituer une instance bipartite étudiants-enseignants pour déterminer les conditions d’évaluation, de dérogation…Ils réclament notamment un abaissement de la moyenne de dérogation en deçà des 7,5/20 de moyenne (pourquoi pas 05/20 de moyenne !), le fait de ne pas faire plus d’un devoir par jour…Ces revendications heurtent tout simplement le bon sens.

Comment comprendre que des étudiants revendiquent de siéger avec leurs maîtres pour déterminer comment on doit les évaluer, quelle est la moyenne pour redoubler une classe etc.… A titre de comparaison, peut-on imaginer un seul instant, au lycée, des élèves siégeant dans le conseil des profs pour décider de qui passe et qui redouble ? Peut-on imaginer un élève reprenant deux fois la même classe sans être renvoyé ? Les conditions ont été assouplies à l’Université pour tenir compte des difficultés sociales des étudiants, et non pour promouvoir la médiocrité. Bien au contraire, les étudiants devraient avoir honte d’avoir des moyennes inférieures à 7/20 après avoir repris une classe ! Quelles que soient l’âpreté des conditions d’exigence, cela ne se justifie que par la médiocrité. Une jeunesse qui revendique le droit d’être médiocre est un funeste présage pour la Nation. Comment peut-on décemment, en tant que syndicat étudiant, bloquer le déroulement des activités académiques pour que des personnes comme monsieur NOUGTARA G.M., inscrit en Droit à l’Université de Ouagadougou depuis 1990, soit 17 ans, et qui n’est toujours qu’en 3ème année, ait le bénéfice de la dérogation ! Comment peut-on soutenir un leader syndical inscrit en licence (3ème année) depuis 2001, soit 7 ans, et qui réclame la dérogation comme un droit ? Le Président de l’Université ne fait qu’appliquer des textes datant de 2005, qui n’ont rien de liberticide, et qui visent à combattre la médiocrité et l’acharnement académique.

Des étudiants qui revendiquent de siéger en même temps que les enseignants pour fixer de commun accord les conditions d’évaluation, cela ne se voit dans aucun pays au monde, et il est important que dans la communauté universitaire chacun sache quelle est sa place, et s’y tienne. Les étudiants sont là pour apprendre, les enseignants-chercheurs sont là pour le renouvellement et la transmission de la connaissance. Cet équilibre naturel des choses est malheureusement en train de disparaître, et il est désormais un fait banal que dans les amphis les enseignants se fassent insulter « djou-là ! »1, dans une hilarité totale des étudiants ! Il est temps que l’autorité des enseignants soit restaurée, pour une Université de l’excellence. Cette exigence est celle de l’ensemble du corps enseignant, et il est regrettable que la perte des valeurs et du sens de la hiérarchie constatée dans la société se transpose à l’Université, une enceinte par excellence d’éducation à la citoyenneté.

S’il doit y avoir une détérioration du climat à l’Université parce que l’administration ne veut pas céder sur la revendication selon laquelle des étudiants veulent siéger dans une instance décisionnelle avec leurs enseignants pour définir « de façon concertée » des questions touchant aux prorogatives exclusives des enseignants comme les conditions de passage, de redoublement ou de transfert, et bien oui, le climat se détériorera. Il est en effet des points pour lesquels aucune négociation n’est possible ni envisageable. Il vaut mieux une bonne querelle qu’une mauvaise synthèse, disait la candidate socialiste à la présidentielle française Ségolène Royal. Il n’est pas envisageable d’acheter la paix sur le campus par une série de démissions de l’autorité sur les règles et principes fondamentaux de l’Université : un public d’apprenants, les étudiants, et un public d’enseignants-chercheurs, qui dispense le savoir et évalue l’assimilation et l’appropriation de ce savoir.

3- Le troisième volet des revendications est d’ordre social. Les étudiants demandent des bourses de 3ème cycle pour tous les étudiants, et une diminution des frais de laboratoire de 500.000 à 250.000 FCFA. Cette double revendication vise in fine à assurer la relève du corps enseignant et à l’étoffer, afin d’assurer un encadrement de qualité aux étudiants. Il est indéniable qu’il existe un déficit criard d’enseignants dans les Universités du Burkina Faso. Cet état de faits s’explique principalement par la situation sociale à la limite de la clochardisation des enseignants-chercheurs. Le métier d’enseignant à l’Université n’intéresse plus personne, car après un doctorat d’Université (au moins huit (8) ans d’études après le bac), il est inadmissible de toucher à la fin du mois, en tout et pour tout, 170.000 francs CFA pour un assistant, et 450.000 francs CFA pour un professeur titulaire, le grade le plus élevé de l’enseignement supérieur. Juste à nos portes, en Côte d’Ivoire, les assistants débutent à un million (1.000.000) de francs CFA, et au Niger le débutant en est à presque 400.000 FCFA. Quand dans le privé national, des secrétaires de niveau DUT s’en tirent avec 300.000 FCFA ! La revalorisation de la fonction enseignante est indispensable pour attirer les jeunes vers ce métier noble et difficile, sinon les étudiants les plus prometteurs, qui ailleurs s’orientent en doctorat, continueront à passer les concours pour intégrer des sociétés privées où la rémunération est sans commune mesure avec celle de l’Université, pour un travail nettement moins prenant. Quant aux jeunes docteurs, ils ne postulent même plus à un emploi à l’Université, préférant s’orienter vers le privé, ou rester en Europe où le simple loyer mensuel fait trois fois le salaire d’un assistant au Burkina Faso. Afin de pourvoir les postes d’assistants ouverts dans les Universités, on est obligé de descendre jusqu’au niveau DEA, faute de docteurs intéressés par de tels postes. Dans un pays qui fait la promotion de l’excellence, il est tout est à fait indispensable de revaloriser de façon substantielle le traitement des enseignants-chercheurs. Sinon, avec l’harmonisation prochaine du traitement salarial des enseignants du supérieur dans l’espace UEMOA à l’horizon 2010 et l’entrée dans le système LMD, il y a fort à parier que, selon la loi de l’offre et de la demande, les Universités du Burkina se vident au profit de celles des pays voisins pareillement confrontés à la pénurie d’enseignants qualifiés. Cette situation dramatique été présentée par les autorités actuelles de l’Université au Premier Ministre en avril dernier, et des mesures urgentes sont envisagées par le Premier Ministre afin de revaloriser la fonction d’enseignant du supérieur, et de participer ainsi au rajeunissement du corps enseignant.

Afin de motiver les enseignants-chercheurs, le Président de l’Université a même initié une opération immobilière visant à doter chaque enseignant-chercheur et chaque agent de l’Université d’un logement décent à prix social ! Cette opération qui était en projet depuis 1992 n’a connu un début d’exécution que cette année, la présidence de l’Université ayant pris le problème à bras le corps. Il faut donc plus s’atteler à une amélioration globale du niveau de vie des enseignants-chercheurs, plutôt que de prôner un nivellement par le bas comme il est malheureusement de coutume dans nos contrées africaines ; il est en effet regrettable qu’autour d’une analyse journalistique, certains en arrivent à suggérer que le Président de l’Université ne soit plus « tiré à quatre épingles » et délaisse les costumes-cravates dont il est coutumier longtemps, très longtemps avant d’être Président d’Université, pour faire plus proche des étudiants !
La promotion de la recherche a été inscrite au cœur du programme du Président de l’Université qui n’est en place que depuis sept (7) mois ! Car il est clair que sans une recherche dynamique entraînant le renouvellement de la connaissance et l’adaptation du contenu des enseignements aux défis du monde actuel, la qualité de l’enseignement ne saurait être satisfaisante. D’importants efforts sont entrepris afin d’établir des partenariats innovants permettant de financer les équipes de recherche structurées de l’Université de Ouagadougou, et un appui plus conséquent du gouvernement a été sollicité afin d’aider à l’équipement des différents laboratoires, des thèmes de recherches prioritaires sont en train d’être définis afin que les chercheurs puissent orienter leurs travaux vers les défis que doit relever la société burkinabè. Il y a donc une vision claire et une ambition certaine des autorités de l’Université en faveur d’un renforcement en qualité et en quantité du personnel enseignant. De nouvelles filières sont proposées au sein de l’Université de Ouagadougou telles que l’astrophysique en collaboration avec des équipes canadiennes et françaises, des masters professionnels dans les domaines de la santé environnementale, de la gestion des risques, du traitement et de la prévention des pollutions de l’eau, de l’air et des sols, de la gestion des entreprises (MBA), un master en arts dramatiques, une offre de formation en télémédecine, … Ces nouvelles offres ont l’ambition de permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi.

Dans la même veine, des formations doctorales sont proposées, afin de pousser au rajeunissement du corps enseignant. Il faut toutefois noter que les formations doctorales relèvent des différents laboratoires et équipes d’accueil des doctorants. Les frais de laboratoires qui doivent être payés par les étudiants ne vont pas dans les caisses de l’Université, mais sont reversés aux laboratoires d’accueil pour permettre à ces équipes d’assurer un encadrement convenable des étudiants. C’est grâce à ces frais de laboratoire que les photocopies, l’achat de documentation, l’achat de réactifs…sont possibles. Dans la situation présente, aucun responsable de laboratoire n’est prêt à accepter une baisse de ces frais, sinon ce serait la mort des différentes équipes, l’Etat ne prenant pas en charge le fonctionnement des équipes de recherche dans les pays africains. Il est même malhonnête de la part des étudiants de réclamer une baisse des frais à 250.000 FCFA par an, car vu les conditions de ces étudiants non boursiers, ils ne pourraient même pas s’acquitter de ces sommes pour les trois (3) ans que dure une thèse en moyenne ! Il faudrait tendre vers un système de subvention des laboratoires et l’ouverture des équipes de recherche sur l’environnement économique national et international afin de financer les recherches, comme cela se fait en Europe et en Amérique du Nord. Les équipes traitant de sujets de recherche fondamentale restant les principales bénéficiaires de financements publics à mettre en place. Mais il faut bien comprendre qu’une telle politique n’est pas du ressort d’un Président d’Université, mais procède d’une vision concertée entre les pouvoirs publics, le monde de l’industrie et des affaires, et les différents responsables de laboratoires qui, il faut le préciser, sont autonomes dans la gestion et l’orientation de leurs équipes. Quant à l’attribution de bourses à tous les étudiants en 3ème cycle, cela ne se voit nulle part dans le monde, pour ceux qui ont eu l’opportunité de fréquenter les Universités étrangères.

En France par exemple, l’accueil dans un laboratoire pour un doctorat est conditionné à l’obtention d’un financement préalable. L’étudiant qui n’a pas de financement (bourse, salaire, contrat avec l’industrie…) ne peut pas s’inscrire en thèse, car la conduite d’une bonne thèse demande des conditions intellectuelles et matérielles minimales. Pour avoir une bourse de thèse au Burkina, il faut avoir une mention (au moins 12/20 de moyenne) au DEA, et ces conditions sont les mêmes qu’un peu partout dans le monde. A l’Université de Ouagadougou, tous ceux qui remplissent ces conditions obtiennent généralement la bourse de 3ème cycle. Mais en plus de ceux-là, les responsables de laboratoires acceptent d’accueillir d’autres candidats moins méritants, sans bourses, à charge pour ceux-ci de travailler (vacations d’enseignement dans les lycées) pour financer leurs thèses. L’attribution de bourses à tous les étudiants inscrits en 3ème cycle fermerait du coup les portes du doctorat à tous ces gens qui sont accueillis dans les laboratoires le plus souvent par humanisme ; car l’Etat ne pourrait pas, sur la base de la méritocratie républicaine, attribuer des bourses aux étudiants brillants tout comme à ceux qui obtiennent leur diplôme avec l’extrême indulgence du jury, et l’accueil dans les laboratoires serait alors conditionné à l’obtention d’une moyenne minimale !

La situation actuelle, si elle n’est pas très reluisante, offre néanmoins la possibilité à plusieurs doctorants non boursiers d’être recrutés comme enseignants à temps plein (ETP) ou comme moniteurs de TD et TP à l’Université, et de bénéficier ainsi d’une rémunération. Enfin, les frais de laboratoires étant reversés au responsable de laboratoire, il existe une procédure permettant aux étudiants de demander une exonération des frais ; dès que le responsable de laboratoire donne son aval, le Président de l’Université exonère l’étudiant en question. Depuis l’année 2008, aucune demande d’exonération n’a été adressée au Président sans qu’elle soit acceptée ! Entre payer obligatoirement 250.000 FCFA par an, et payer 500.000 FCFA dont on peut être exonéré, il y a un choix qui devrait être simple.

Pour conclure, en un mot comme en mille, il faudrait que les syndicats étudiants acceptent le principe de réalité, et abandonnent certaines méthodes de lutte et les vieilles lunes communistes, les thématiques et la phraséologie d’un autre âge, pour se consacrer à la défense réelle de leurs intérêts, sans être le cheval de Troie d’intérêts au-dessus des leurs. Les revendications, en certains points sont fondées, mais il ne faut pas verser dans le jusqu’au-boutisme.

Il faut défendre certes les franchises universitaires, singulièrement celles des étudiants de l’ANEB, mais ces mêmes franchises universitaires commandent que lors des grèves décrétées par ce syndicat, il soit laissé la possibilité aux non grévistes de poursuivre leurs activités académiques. Il n’y a rien de pire pour une nation qu’une jeunesse intolérante. On remarque ainsi que, à défaut de convaincre leurs camarades par une argumentation cohérente, les militants de l’ANEB sont le plus souvent prêts à molester leurs camarades, et même parfois les enseignants qui ne respectent pas leurs mots d’ordre de grève ! Il faut donc savoir si les franchises universitaires sont faites pour tous les étudiants, ou pour seulement une frange d’entre eux, généralement la plus violente. Cette violence est la manifestation d’une incapacité à convaincre par la force des arguments. Voulons-nous d’une telle jeunesse pour notre pays ? L’évolution des contradictions et de l’intolérance entre syndicats étudiants en Côte d’Ivoire voisine, avec la FESCI des Guillaume Soro et autres Charles Blé Goudé a été l’un des multiples ferments de la guerre civile, les uns et les autres continuant leurs joutes mortelles sous l’étendard des Forces Nouvelles et des Jeunes Patriotes, la kalachnikov remplaçant allègrement la machette.

Ne souhaitons pas pour le Burkina de demain des cadres obtus et fermés à toute idée de compromis, parce qu’ils auront été nourris au lait de l’extrémisme. Il faut savoir saisir les opportunités de dialogue. Rarement en effet, on aura vu un Président d’Université qui convoque les étudiants spontanément pour discuter de leurs préoccupations, dans une démarche prospective de conciliation, rarement on aura vu Président d’Université donner son numéro de portable à des syndicalistes étudiants qui lui envoient des sms à des heures indues, quand d’obscurs chefs de service rechignent à communiquer leurs numéros de téléphone…Les étudiants doivent prendre conscience de l’opportunité offerte à tous pour faire évoluer la situation d’ensemble de la communauté universitaire. Ne fermons donc pas la porte à tout progrès par des positions idéologiques. Deng Xiaoping, le père de la renaissance chinoise ne disait-il pas : « peut importe la couleur du chat, pourvu qu’il attrape des souris » ? On peut ne pas porter le Professeur Koulidiati dans son cœur pour telles ou telles raisons, l’essentiel restera toujours l’amélioration de la situation générale du monde universitaire, dans le respect bien compris des droits et devoirs de chacun et de tous.

Dr A. H. Y.
Enseignant-chercheur à l’Université de Ouagadougou

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