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Omar el- Béchir : On va en faire un autre Mugabe

Publié le mercredi 16 juillet 2008 à 11h39min

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Luis Moreno-Ocampo, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a réclamé, lundi dernier, aux magistrats de cette cour d’émettre un mandat d’arrêt contre le président soudanais, Omar Hassan Ahmad el-Béchir, pour « Génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ». Du coup, c’est le branle-bas au sein de la communauté internationale, divisée sur cette menace d’inculpation qui plane sur la tête du chef de l’Etat du Soudan. « Le président soudanais a dansé, la canne en l’air, en apprenant la demande du procureur.

A Khartoum, on serre les rangs ; au Darfour, les rebelles du MJE sont ravis ; chez les Fours, on craint les répercussions de cela sur les populations civiles ; les USA y ont réagi avec circonspection ; l’UA et la Conférence islamique se déclarent inquiètes ; Ban Ki-Moon a demandé d’assurer la sécurité de son personnel ; la force hybride ONU/UA a immédiatement annoncé que son personnel non essentiel allait être temporairement évacué, la Ligue arabe tiendra, samedi, une réunion d’urgence y relative ».

Description, hier, par Stéphane Aubouard, correspondant de RFI à Khartoum, de la vive agitation dans le monde suite à la réclamation de Morano-Ocampo. Embarras donc des institutions internationales et de tout le tintouin des parties prenantes à la guerre civile au Darfour, confrontés à un violent dilemme : faut-il, au nom de l’idéal de justice, lancer un mandat d’arrêt contre le dirigeant soudanais, ou, par contre, s’en débiner au nom d’une realpolitik fondée sur les probables conséquences d’une inculpation du maître de Khartoum ?

Depuis 2003, année du déclenchement de la crise qui oppose les miliciens janjawids, soutenus par l’armée régulière avec la complicité de la Chine et même de Moscou, aux rebelles de l’Armée de libération du Soudan (SLA) et au Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), cette région ouest du Soudan est devenue le théâtre d’un pogrom dirigé contre les ethnies noires non arabophones, en l’occurrence les Fours, les Masalits et les Zaghawa.

Bilan humanitaire et sanitaire effroyable : environ 300 000 tués, auxquels il faut ajouter le pillage des populations civiles, le viol des femmes, l’empoisonnement des points d’eau dans cette zone désertique et le déplacement de plus de 2 millions de personnes. Le président el-Béchir a beau clamer son innocence dans ce massacre à huis clos, difficile de lui donner le bon Dieu sans confession. Certes, son implication directe dans ce que d’aucuns qualifient de « nettoyage ethnique » n’a pas été établie.

C’est même là l’un des points faibles de l’accusation. Mais, pour autant, donner l’absolution au célèbre enturbanné de Khartoum serait un autre crime, qu’il faut se garder de commettre. C’est indéniable, toutes ces violations graves des droits de l’homme, commises par l’entremise de l’appareil d’Etat soudanais, de l’armée régulière et de la milice janjawid, n’ont pu avoir lieu sans l’autorisation du général el-Béchir.
Toutefois, on se pose des questions quant à l’opportunité de la demande d’inculpation du chef d’Etat soudanais. Serait-ce là de acharnement de la part de la machine judiciaire internationale, actionnée par les Américains, qui poussent à la roue ? En tout cas, certains analystes sont portés à le croire, soutenant même que la « précipitation de la CPI pour inculper el-Béchir est destinée à s’assurer du soutien des USA, qui envisageaient une aide à la Cour ».

Une version qui, si elle s’avérait, remettrait sur la table le paradoxe de l’administration américaine, laquelle refuse qu’un Yankee passe sous les fourches caudines de la CPI, mais est prête à pointer le glaive de la justice internationale sur le cœur des ressortissants d’autres pays. Fussent-ils des présidents en exercice.
En tous les cas, même si les magistrats de la CPI venaient à suivre le procureur Luis Morano-Ocampo, en émettant un mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir, de quels moyens disposeront-il pour le capturer, le présumé génocidaire disposant de toute sa capacité de résistance et de nuisance ?

Avec cette épée de Damoclès qui pend sur sa tête, il faut craindre que le général-président ne trouve là une occasion d’en finir avec les pauvres soldats de la force hybride ONU/UA, en nombre insuffisant, sous-équipés et dont la mission reste des plus floues, comme ils s’en plaignent eux-mêmes.

Surtout, oui surtout, il faut craindre que, de peur de connaître le sort réservé aux anciens chefs d’Etat Slobodan Milosevic et Charles Taylor respectivement de la Yougoslavie et du Liberia, le président soudanais, au pouvoir depuis 19 ans, déjà peu enclin à l’alternance, n’opte, par instinct de conservation, d’aller à l’école de Mugabe. Simplement en décidant de s’accrocher au pouvoir jusqu’à ce que la mort l’en éloigne.
C’est connu, en Afrique, on ne parle pas d’alternance à un chef qui a le couteau à la gorge. Encore moins quand il s’agit du glaive de la Cour pénale internationale. De grâce, ne fabriquez pas un autre Mugabe en Afrique !

Alain Saint Robespierre

L’Observateur

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