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Osange Silou-Kieffer, épouse de Guy-André Kieffer : "C’est un dossier très pollué"

Publié le mardi 8 juillet 2008 à 11h10min

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Journaliste de nationalité guadéloupéenne, Osange Silou Kieffer était à Ouaga dans le cadre de la 4e édition du festival ciné droits libre à Ouaga. Pour elle, le combat va se poursuivre jusqu’à ce que la lumière éclate sur la disparition de son mari de journaliste, Guy-André Kieffer le 16 avril 2004. En attendant, elle nous livre dans cette interview, les derniers développements du dossier.

Le Pays : Est-ce que vous pouvez nous rappeler les circonstances de la disparition de Guy André Kieffer ?

Guy André a été enlevé le 16 avril 2004 sur le parking du supermarché Prima en plein centre d’Abidjan. Il avait donné rendez-vous à ce lieu avec Michel Legret, le beau-frère de Mme Gbagbo. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il a été poussé de force dans une 4X4 noire (la marque de voiture qu’utilisent les officiels). On sait que c’est vers 13h30 parce que c’est la dernière fois que son téléphone portable a fonctionné. Son ordinateur portable a été forcé à 13h30 : ils ont essayé d’aller sur le disque dur mais ils n’ont pas pu parce qu’il était protégé en écritures. Ils ont ouvert des dossiers qui étaient sur le bureau. L’ordinateur s’est éteint faute de batterie à 16 h.

A quel niveau se trouve l’enquête aujourd’hui ?

Après l’enlèvement de Guy-André Kieffer, nous avons déposé plainte contre X en France. Je me suis rendue en Côte d’Ivoire avec le secrétaire général de Reporters sans frontières, Robert Ménard et un des frères de Guy-André, Bernard, pour déposer plainte également en Côte d’Ivoire. Parallèlement, son fils Sébastien, qu’il a eu d’un précédent mariage, a déposé plainte au Canada où il vit. Il y a eu d’abord un juge qui a été nommé, Patrick Ramayel, puis un second, Emmanuelle Bucos. Au jour d’aujourd’hui, il y a eu 10 commissions rogatoires avec enquête approfondie, vérification des informations etc. Depuis le début, on se retrouve avec une masse d’informations : beaucoup de gens ont témoigné ou veulent le faire. C’est un dossier très pollué et on nous ballade beaucoup. On perd donc du temps parce que le juge doit vérifier chaque information et souvent, ce sont des voies sans issues dans lesquelles, on essaie de nous entraîner. C’est un dossier très lourd et le juge passe énormément de temps là-dessus. Mon beau-frère, Bernard et moi, sommes très actifs, nous recoupons les informations, nous écoutons les gens qui s’adressent à nous, souvent même pour des raisons autres qu’humanitaires ou militantes.

Qu’est-ce qui est compliqué dans cette affaire ?

Dès le début, un certain nombre de personnes ont été citées dans le dossier, d’abord par Michel Legret lui-même. A la première commission rogatoire, le juge est revenu en nous disant que c’était un enlèvement politique parce que les gens qui sont cités (et ce sont les mêmes depuis 4 ans) sont autour de la présidence de la Côte d’Ivoire. Le juge a donc eu beaucoup de mal à les entendre. L’autre difficulté était la campagne qui a été menée par l’ambassade de France en Côte d’Ivoire, présentant Guy-André de manière très négative. L’ambassadeur de l’époque s’appelait Gidas Le Lidec. Il fallait donc combattre les fausses informations qui émanaient de l’ambassade de France. Heureusement pour nous et malheureusement pour elle, les confrères de Guy-André se sont mobilisés et ils ont créé l’association "Vérité pour Guy-André Kieffer" qui est montée au créneau pour dénoncer les fausses informations qui circulaient . C’était une manoeuvre de diversion pour brouiller un peu les pistes.

On a vraiment eu beaucoup de mal à revenir sur le dossier lui-même. Par la suite, on a rencontré les autorités françaises pour leur demander de prendre position, ce qui ne s’est pas toujours bien passé. Mais, depuis le changement de gouvernement, les choses sont beaucoup plus simples. Le nouveau président Nicolas Sarkozy a pris des engagements et nous a déjà reçus, ce qu’on n’avait jamais réussi à obtenir du président Jacques Chirac. Lui, il nous disait qu’il avait donné des ordres. Mais, on a toujours eu des fins de non-recevoir aux courriers qu’on lui adressait. Depuis un peu plus d’un an, on a un réel soutien au niveau de l’Etat français. Le juge continue ses investigations. Au moment où je vous parle, il y a une délégation de la justice ivoirienne qui séjourne à Paris et qui est conduite par les juges d’instruction Kouadio et Cissé. Ils ont commencé à entendre les parties civiles (moi-même, j’ai été entendue pendant 2 heures et demie) et notamment Robert Ménard, mon beau-frère, Bernard ainsi que plusieurs personnes citées dans le dossier ou qui ont travaillé avec Guy-André. Au terme des auditions, ils nous ont proposé de nous porter partie civile en Côte d’Ivoire également. Ce que nous avons fait. Cela date de quelques jours seulement juste avant que je ne vienne à Ouaga.

Comment analysez-vous le rapprochement entre Paris et Abidjan ? Ne craignez-vous pas que le dossier s’enlise à cause des intérêts des deux pays surtout que des éléments de la garde rapprochée du président Gbagbo sont régulièrement cités ?

Je vous disais que dès la première commission rogatoire, le juge Ramayel me disait que c’était un enlèvement politique. Juste avant que le ministre français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, ne parte en Côte d’Ivoire, il a demandé à son staff de nous recevoir. On a passé plus d’une heure et demie, ma fille et moi, aux affaires étrangères. Le rapprochement entre la France et la Côte d’Ivoire, de manière formelle, ne me cause pas de problème. Ce sont des pays qui ont des relations plus que centenaires. Je suis consciente qu’il y a des intérêts convergents. Dès le début, j’ai dit que je ne demandais pas à la France de prendre les armes contre la Côte d’Ivoire. Je ne peux pas dire que tout un pays est responsable. Je souhaite que les individus impliqués soient interpellés et puissent répondre de leurs actes. Je ne pense pas qu’arrêter 7 ou 8 personnes puisse remettre en cause, les bonnes relations entre la France et la Côte d’Ivoire, que je trouve normales.

L’arrestation des responsables de la filière café-cacao en Côte d’Ivoire constitue-t-elle un espoir pour vous, quand on sait que Guy-André Kieffer enquêtait dans ce domaine ?

Bien avant ces arrestations dans la filière cacao, il y avait déjà eu le rapport de l’Union européenne qui reprenait les arguments de Guy-André et qui lui donnait raison. L’ONG Global Witness a également sorti un rapport qui faisait cas des malversations dont Guy-André avait parlé. Que le président Gbagbo décide de faire le ménage chez lui, je trouve que c’est une bonne chose. Je ne peux que saluer ce courage, parce qu’il en faut pour arrêter ses propres amis quand ils sont hors normes.

Et pour finir ?

Je continue à me battre. Je suis en veille. J’ai dit au début de cette affaire que j’avais trois questions et tant que je n’aurai pas les réponses, je ne cesserai pas de me battre. Pourquoi a-t-on enlevé mon époux ? Où se trouve Guy-André Kieffer ? Qui a donné l’ordre de l’enlever ?

Propos recueillis par Dayang-ne-Wendé P. SILGA

Le Pays

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