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Afrique : Le discours de la Baule mis en bière

Publié le lundi 7 juillet 2008 à 12h23min

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Que reste-t-il du discours de la Baule ? Un corps agonisant, dont la mise en bière prochaine fera verser des larmes de crocodile aux dictateurs africains de tout poil. Reste à fixer la date des obsèques pour tirer un trait sur le passé. Assurément, le sort du discours historique de l’ancien président français François Mitterrand (prononcé en juin 1990 en France) n’a rien de reluisant.

Pour rappel, la France décidait, par la voix de Mitterrand, d’accorder un traitement de faveur aux Etats africains qui s’engageraient dans la voie de la démocratie. Quel bilan tirer de ce discours considéré par certains comme fondateur de la démocratie en Afrique, qui allait marquer un tournant dans les relations franco-africaines, et susciter beaucoup d’espoirs pour les populations africaines ?
Tout compte fait, un bilan amer et des espoirs bien déçus pour des populations de plus en plus dégoûtées par la chose politique. Faut-il s’en étonner, alors que l’arène politique africaine offre aujourd’hui un spectacle insipide et sans suspens, avec invariablement les mêmes acteurs et des vainqueurs toujours connus d’avance ? Toujours les mêmes têtes couronnées. Certains dirigeants, il est vrai, ont marqué le continent en s’obligeant, tel dans une course de relais, à refiler le bâton une fois leur tour de piste terminé. Et cela leur a valu respect et considération des spectateurs. N’entre pas dans la postérité qui veut. Elle se mérite ! Mais combien sont-ils à n’avoir pas cédé à la tentation de se "fossiliser" au pouvoir ?

Dire que l’Afrique a mal à ses dirigeants est un euphémisme. Et si certains ne se gênent même plus à jeter de gros pavés dans la mare de leur démocratie outrageusement bancale, c’est que, pour la plupart d’entre eux, la conception du pouvoir moderne se perd dans les méandres du pouvoir traditionnel. Une fois installés sur le trône, ils ont fini par s’y enfoncer et ne trouvent même plus la force morale de s’en départir. Pour ces rois des temps modernes, tirer sa révérence, ce ne serait ni plus ni moins que de se retrouver nu. On s’accroche alors au pouvoir par tous les moyens, que cela plaise ou non au peuple.

L’opposition, elle, n’en finit pas de subir toutes les misères du pouvoir. Elle est malmenée, traquée, opprimée, si elle n’est pas torturée et rendue apatride. Deux possibilités se présentent à elle : soit elle accepte de se laisser phagocyter par le pouvoir, soit elle refuse d’abdiquer et dans ce cas, le chemin de Damas est tout tracé.

Pour se confectionner une nouvelle camisole de président après deux mandats échus et alors qu’ils devaient passer la main, rares sont ces dirigeants africains à n’avoir pas eu recours à l’Assemblée nationale pour se faire tailler une Constitution "new look" pour se remettre en selle. C’est à croire que certains rêvent de funérailles nationales grandioses, à la dimension de leur statut de chef.

Avec le vent de démocratisation et de liberté qui a soufflé d’Est au Sud à la suite de l’écroulement du bloc soviétique, l’espoir était grand de voir arriver une nouvelle race de dirigeants aux idées novatrices et très en remorque sur les principes de démocratie. Mais là aussi, les espoirs sont en train de s’envoler, les nouveaux venus se montrant plus assoiffés de pouvoir et bien plus dictateurs (dans l’acception la plus large du terme) que leurs prédécesseurs. Combien ont-ils déjà battu le record de longévité des pères de l’indépendance qui avaient, eux au moins, l’excuse d’avoir fraîchement posé les fondements de leur Etat ? Les successeurs, eux, ont fait bien pire puisqu’ils se sont assis dessus. Et puis, la soif d’alternance n’était pas aussi éprouvée qu’aujourd’hui.

Au total, ni le discours de la Baule, ni la dislocation du bloc soviétique n’auront finalement apporté grand-chose au continent. Certes, les espaces de liberté se sont élargis, le multipartisme s’est instauré, et des élections sont régulièrement organisées. Mais quelles élections ! L’Afrique aurait pourtant pu véritablement profiter du grand mouvement des années 90, à l’image de la Russie qui, jadis fermée au monde, n’a pas de quoi rougir aujourd’hui de sa démocratie. Il faut craindre que, pour des années encore, l’Afrique continue de tourner en rond. Et que l’écart se creuse davantage entre elle et les pays d’Asie du Sud qui, en l’espace de quelques décennies seulement, ont su réaliser un prodigieux bond en avant.

Comme s’ils avaient été forcés de faire l’âne (jouer aux démocrates) pour avoir du foin (l’aide), les dirigeants africains ont fini par considérer le jeu bien trop difficile. Ils ont beau chasser le naturel, il revient au galop : ils ne sont pas démocrates dans l’âme ; la nature les a placés là où ils sont et c’est à la nature seule de décider de leur sort ; pas aux urnes.

En un quart de siècle, combien de présidents les Etats-Unis et la France ont-ils connus ? Une multitude et pendant ce temps, en Afrique, l’unité de mesure la plus répandue en termes de temps passé au pouvoir, c’est la décennie. Rien d’étonnant alors que des générations entières aient connu qu’un seul président en exercice. Après toutes ces années passées à la tête de l’Etat, ces dirigeants africains sont-ils véritablement aimés comme ils veulent le faire croire ? Jouissent-ils toujours de la même popularité (si tant est qu’ils en aient eu auparavant), à l’image de ce dirigeant d’un autre continent que l’Occident n’a pas réussi à déboulonner, parce qu’il avait le soutien plein et entier de son peuple ?

La question essentielle est de savoir si ces dirigeants sont bel et bien adulés par leur peuple. Car, même partis, rien ne les empêche de revenir si tel est le souhait du peuple. Un scénario qui, hélas, sonnerait mal à l’oreille de bien des dictateurs du continent qui, pour certains, s’ignorent. Et ce sera toujours ainsi tant que la notion de dictature, comme celle du terrorisme, sera distribuée à la tête du client, selon que celui-ci se présente aux yeux de l’Occident comme un protecteur de ses intérêts ou un personnage qui dérange.

"Le Pays"

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